Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch., 6 septembre 1995, n° 4314-94

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Desserts Gavroche (SARL)

Défendeur :

Bretagne Dessert (SA), Biscuiterie Jean-Louis Joubard (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Conseillers :

MM. Roy, Froment

Avoués :

Mes Guillou, Castres, D'Aboville

Avocats :

Mes Morvant, Ploteau, Cohen Addet.

T. com. Lorient, du 22 avr. 1994

22 avril 1994

Vu le jugement du 22 avril 1994 par lequel le Tribunal de Commerce de Lorient :

- a débouté la société Les Desserts Gavroche (SARL LDG) de ses prétentions dirigées contre les sociétés Bretagne Dessert (SA BD) et Biscuiterie Jean Louis Joubard (SA BJ) pour concurrence déloyale

- a débouté ces dernières sociétés de leurs demandes de dommages-intérêts

- a condamné la SARL LDG à leur payer la somme de 5 000 F à chacune pour frais non taxables

Vu l'appel de ce jugement par la SARL LDG

Vu les écritures d'appel par lesquelles cette société ;

- soutient que ses adversaires se sont livrés à un débauchage de son personnel (Saloux, démissionnaire le 31 octobre 1989, embauché le lendemain par SA BD puis par SA BJ le 31 mai 1991, Depothuis, démissionnaire le 30 avril 1991, embauché par SA BJ le 31 mai 1991, Choquet, démissionnaire le 12 mai 1991 et embauché le 18 juin 1991 par SA BJ, Benoit, démissionnaire le 6 janvier 1992, embauché par SA BD le 1er février 1992 alors qu'il était encore sous préavis, puis par SA BJ le 18 mai 1992, Lorson, démissionnaire le 6 janvier 1992, embauché par SA BD le 1er février 1992, alors qu'il était encore sous préavis, puis par SA BJ en octobre 1992 et également Druget et une secrétaire, embauchés par SA BD rupture de leur contrat de travail avec SARL LDG)

- soutient que les débauchages ainsi entrepris l'ont été délibérément et systématiquement, comme il ressortirait des attestations de Martel, Delahaye, Guillard et Choquet, pour bénéficier des connaissances et de la formation acquises chez SARL LDG, qu'en outre la moitié de l'effectif commercial a fait défaut dans un bref laps de temps et qu'il a été attribué à ces salariés par leur nouvel employeur les mêmes fonctions, avec intervention sur la clientèle précédemment démarchée pour le compte de SARL LDG

- observe que ses salariés étaient liés par une clause de confidentialité, ce qui constitue un élément complémentaire d'appréciation des fautes commises dans leurs embauches par les SA BD et BJ

- soutient qu'également il y a eu confusion dans l'esprit de la clientèle, comme il ressortirait notamment d'une lettre de Moraux du 22 juillet 1991 et d'une lettre du Centre Hospitalier de Pont à Mousson du 28 juin 1991

- demande, à titre de réparation, que soit ordonné, sous astreinte, la rupture des relations salariées, d'une part, entre SA BD et Druguet, d'autre part, entre SA BJ et Depothuis, Choquet, Saloux, Benoit et Lorson, outre la condamnation de ces sociétés à lui payer solidairement la somme de 29 000 000 F de dommages-intérêts, pour préjudice matériel, et la somme de 50 000 F de dommages-intérêts pour préjudice moral, ainsi que la publication de l'arrêt à intervenir

- demande la somme de 30 000 F pour frais non taxables

Vu les écritures d'appel par lesquelles la SA BD demande :

- la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté son adversaire de toutes ses prétentions, en observant qu'elle a recruté régulièrement, après une annonce dans la presse régionale, en qualité de VRP, deux salariés de la SARL LDG employés au service de celle-ci comme chauffeur-livreurs, en relevant en outre le caractère non probant du rapport d'un expert comptable versé à l'appui du préjudice invoqué

- demande le paiement d'une somme de 50 000 F de dommages-intérêts, au titre du trouble que lui a causé ce " mauvais procès ", outre 50 000 F pour les frais non taxables exposés

Vu les écritures d'appel par lesquelles la SA BJ :

- demande la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté son adversaire de toutes ses prétentions, en observant qu'elle constitue une société totalement distincte de la SA BD, que le fait que certains anciens salariés de la SARL LDG aient été embauchés d'abord par la SA BJ puis par elle n'est pas de nature à prouver quelque agissement déloyal de sa part, que le recrutement par elle de ses salariés s'est fait par petites annonces, que la clause de confidentialité incluse dans [les] contrats de travail de la SARL LDG est nulle pour porter atteinte à la liberté du travail, que les actes déloyaux allégués ne sont pas établis et que, de plus, l'important préjudice allégué ne l'est pas davantage

- demande le paiement d'une somme de 200 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice causé par la procédure téméraire engagée contre elle par la SARL LDG, outre 50 000 F pour frais non taxables

Considérant que la SARL LDG, dont le siège est à Marseille, commercialise et distribue, exclusivement aux collectivités, de la pâtisserie industrielle et de la confiserie ; qu'elle a employé à son service Robert Druguet en juillet 1969, en qualité de chauffeur-livreur, lequel a été licencié le 5 décembre 1989, Jean-Paul Saloux en mai 1976, en qualité de chauffeur-livreur sur 16 départements, lequel a démissionné le 13 octobre 1989, Jean Claude Depothuis en juin 1976, en qualité de chauffeur-livreur sur 10 départements, lequel a démissionné le 30 avril 1991, Frédy Choquet en avril 1985, en qualité d'agent de distribution sur 7 départements, lequel a démissionné le 12 mars 1991, Benoit Lorson, en décembre 1987, en qualité d'agent de distribution sur 4 départements, lequel a démissionné le 2 janvier 1992 pour effet le 3 février, Jean Paul Benoit en novembre 1987, en qualité d'agent de distribution sur 7 départements, lequel a démissionné le 3 janvier 1992 pour effet le 3 février ;

Considérant que la clause des contrats de travail de la SARL LDG, rédigée de manière confuse mais par laquelle ces salariés se sont engagés, en considération de ce qu'ils étaient introduits dans la quasi totalité des collectivités clientes de la SARL LDG sur le secteur qui leur était confié, à ne pas exploiter cette situation pour le compte d'un autre employeur est nulle pour porter atteinte à la liberté du travail dès lors qu'elle n'est pas limitée dans le temps et que la protection des intérêts de l'entreprise quant à la clientèle auprès de laquelle ces salariés ont été introduits ne nécessitait, au regard de leur qualification et de leurs missions, telle qu'elles ressortent des contrats de travail et autres productions, pas une interdiction illimitée dans le temps ; qu'ainsi, lors de leur départ de l'entreprise, ces salariés étaient libres de tout engagement à l'égard de la SARL LDG et des employeurs concurrents pouvaient les embaucher sans, au titre de cette clause, à supposer qu'ils l'aient connue, commettre de faute ;

Considérant qu'en outre, il n'est pas établi, eu égard à l'étalement dans le temps du départ des salariés démissionnaires susnommés et d'une secrétaire commerciale, que la SARL LDG ait été désorganisée d'une quelconque manière et qu'il n'est pas davantage établi que des salariés démissionnaires aient, en démarchant pour le compte de leur nouvel employeur, créé une confusion dans l'esprit de la clientèle, les lettres de Jean Moraux du 22 juillet 1991 et du Centre Hospitalier de Pont à Mousson du 28 juin 1991, qui demandent des précisions, démontrant au contraire que les salariés démissionnaires ont fait des propositions de fournitures pour le compte de la SA BJ ;

Considérant qu'il n'est pas établi par aucune production que les SA BD et BJ aient agi de concert pour le recrutement des salariés qui ont démissionné de leur service auprès de la SARL LDG ; que si Jean Paul Benoit et Benoit Lorson ont été embauchés par la SA BD avec effet le 1er février 1992 alors que le préavis en principe dû par eux à la SARL LDG prenait fin le 3 février 1992, il n'est établi aucune pièce convaincante ni qu'ils aient été poussés à la démission par la SA BD, ni que soit imputable à la faute de cette société le fait qu'ils n'aient pas accompli la totalité de leur préavis, ni que ce fait soit source du préjudice à la réparation duquel il est prétendu ;

Considérant que, lors d'une instruction ouverte du chef de corruption :

- Jean Paul Saloux a déclaré au magistrat instructeur, en versant les pièces en justifiant, qu'il avait contacté lui-même la SA BD pour un emploi à son service, à la suite d'une annonce par voie de presse, en raison notamment de griefs qui lui avaient été notifiés par son employeur les 10 janvier et 22 août 1989

- Jean Claude Depothuis a déclaré avoir été embauché par SA BJ à la suite d'une annonce parue dans le journal " La République du Centre ", ce qui est étayée par sa lettre de candidature à l'emploi du 22 avril 1991 et la facturation d'une annonce d'offre d'emploi par la SA JB parue le 20 avril 1991 dans " La République du Centre ", le fait que cet employé n'ai démissionné qu'après avoir eu la promesse d'embauche d'un nouvel employeur n'étant pas constitutif d'une faute de ce dernier

- Frédy Choquet a déclaré avoir été embauché par SA BJ, à la suite d'une annonce de cette société faite en avril 1991 et a indiqué que s'il avait fait une attestation indiquant que Theret, pour SA BD, l'avait contacté c'était sous la pression du directeur commercial de [la] SARL LDG ; qu'il est justifié, par sa lettre de candidature à l'emploi chez BJ du 20 avril 1991 et la facturation d'une annonce d'offre d'emploi parue dans l'Est Républicain le 20 avril 1991, qu'il n'a pas été poussé à la démission par [la] SA BJ ;

Considérant qu'il suit de ces données que la preuve n'est pas établie que, soit la SA BD, soit la SA BJ aient poussé par débauchage à la démission des salariés de la SARL LDG, les seules attestations du 30 janvier et 19 février 1990 de Thierry Delahaye, alors salarié de cette dernière société, selon lesquelles il aurait été sollicité pour démissionner de celle-ci par Théret, pour le compte de la SA BD, avec promesse d'embauche et demande de remise du fichier de clientèle de son employeur n'étant pas étayées d'autres pièces les accréditant et les attestations d'Alain Martel et Albert Guillard, qui ne font état que de l'incidence possible sur Jean Claude Depothuis de conversations qu'il avait eu avec Jean Paul Saloux concernant le nouvel emploi de celui-ci, n'établissant pas des actes de concurrence déloyale du nouvel employeur de celui-ci ;

Considérant qu'ainsi il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SARL LDG de ses prétentions ;

Considérant qu'en outre les allégations de cette société, qui a assigné ses adversaires en juin 1993, pour des faits insuffisamment étayés, à la suite de la cessation des contrats de travail de certains de ses salariés survenue entre la fin 1989 et le début de l'année 1992, a agi avec légèreté, sinon malice, et abusé ainsi de son droit d'agir ; qu'il sera, à ce titre, alloué aux SA BD et BJ la somme de 50 000 F de dommages-intérêts à chacune pour le trouble que leur a occasionné le procès outre la somme de 20 000 F à chacune pour les frais non taxables qu'elles ont exposés ;

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SARL Les Desserts Gavroche de ses prétentions, Le réformant pour le surplus, Condamne cette société à payer à la SA Bretagne Dessert et à la SA Biscuiterie Jean Louis Joubard la somme de 50 000 F à chacune pour procédure abusive, La condamne également à leur payer, à chacune, la somme de 20 000 F pour les frais non taxables exposés dans le procès, La condamne aux dépens, ceux d'appel avec, pour les avoués adverses, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.