CA Versailles, 14e ch., 30 juin 1995, n° 1906-95
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Agence Commerciale Europe 3 (Sté), Dazi
Défendeur :
DME (SARL), DME Services (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gillet
Conseillers :
Mmes Lombard, Liauzun
Avoués :
SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Jullin-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes Pintrand, Dazi-Masmi.
I-1 Considérant que Monsieur Moussa Dazi et la société " Agence Commerciale Europe 3 " (ACE 3) éditent depuis 1991 un " annuaire des fournisseurs de comités d'entreprise ", Monsieur Dazi étant titulaire de plusieurs marques dont celle, déposée dans les classes 16, 35, 38 et 41, intitulée " AFCE Annuaire des fournisseurs de Comités d'entreprise " et assortie d'un logo ; qu'ils ont déploré en janvier 1994, de la part des sociétés " DME Services ", organisatrice de salons et d'expositions, la diffusion d'un opuscule intitulé " annuaire des fournisseurs de CE ", diffusion faite à un niveau régional lors d'un salon tenu à Amiens ;
I-2 Considérant que le 11 janvier 1994, Monsieur Dazi et la société ACE 3 ont obtenu une ordonnance de référé prescrivant la saisie descriptive de l'opuscule susmentionné et l'arrêt sous astreinte de sa distribution ; que par acte du 18 janvier 1994 ils ont fait assigner au fond les sociétés DME et DME Services pour que soit définitivement interdite sous astreinte la diffusion du même opuscule et que leur soit allouée une provision de 1 000 000 F avec commission d'un expert pour chiffrer leur préjudice ;
I-3 Considérant que par jugement du 21 octobre 1994, le Tribunal de Commerce de Nanterre, juridiction saisie, a sursis à statuer sur ces demandes jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir sur l'appel entre temps relevé par la société DME de l'ordonnance de référé ;
II-1 Considérant que Monsieur Dazi et la société DME 3, appelants du jugement après autorisation présidentielle, demandent que les sociétés DME et DME Services soient déclarées coupables d'actes de concurrence déloyale et d'agissements parasitaires à leur préjudice ; qu'ils réitèrent leur demande d'interdiction de diffusion sous astreinte de " l'annuaire des fournisseurs de CE " ; qu'ils sollicitent la liquidation de l'astreinte prononcée en référé ; qu'ils réclament aux deux sociétés, comme devant le premier juge, une provision de 1 000 000 F, avec désignation d'un expert pour chiffrage de leur préjudice ; qu'ils sollicitent enfin une somme de 59 300 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, outre " 200 000 F au titre des frais et débours générés par (la) procédure " ;
II-2 Considérant que les sociétés DME et DME Services s'opposent à ce que soit évoqué le fond du litige, la juridiction saisie étant selon eux incompétente et l'appel relevé de l'ordonnance de référé interdisant que soient exploités les éléments d'appréciation procédant de cette ordonnance ; qu'elles entendent en conséquence voir " débouter en l'état " les appelant ; qu'à titre subsidiaire, elles tiennent la marque AFCE pour non distinctive et concluent au prononcé de sa nullité et au rejet des prétentions de Monsieur Dazi et de la société ACE 3, à qui elles réclament une somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ce en réparation d'un " préjudice d'image " ; qu'elles sollicitent en outre une indemnité de 50 000 F pour frais hors dépens ;
Sur le point de savoir s'il convient d'aborder le fond
III-1 Considérant que pour s'opposer à un examen du fond, ce qui les porte apparemment à conclure à un " débouté en l'état " des appelants, les sociétés DME et DME Services contestent la compétence du juge consulaire pour connaître du litige, les actions relatives aux marques devant être soumises au Tribunal de Grande Instance en application de l'article 34 de la loi du 4 janvier 1991 devenu l'article 716-3 du Code de la Propriété Intellectuelle ; qu'elles ajoutent que l'examen des demandes présuppose que les mesures ordonnées en référé l'aient été valablement et que la défense à leur opposer reste soumise à la validité des même mesures en sorte que serait méconnu le principe de contradiction énoncé à l'article 16 du Nouveau code de procédure civile s'il était procédé à l'examen du fond avant que la Cour n'ait statué sur l'appel de l'ordonnance du 11 janvier 1994 ;
III-2 Mais considérant que la Cour étant juridiction d'appel relativement au Tribunal de Grande Instance, toute reconnaissance de compétence au profit de ce tribunal est, pour elle, génératrice d'une obligation de statuer au fond en application de l'article 79 du Nouveau code de procédure civile ; que l'exception soulevée est donc sans intérêt ; que par ailleurs, à supposer que le moyen tiré de l'appel relevé de l'ordonnance de référé tende, en fait, à une confirmation du jugement en ce qu'il a sursis à statuer, force est de relever que les éléments de fait soumis à l'appréciation de la Cour, tels qu'énoncés au paragraphe I-1 ci-dessus, sont intrinsèquement suffisants à la solution du litige et que l'ordonnance de référé, démunie d'autorité de chose jugée tout comme le sera l'arrêt qu'elle pourra susciter, n'avait pas pour objet d'enrichir ni de compléter lesdits éléments ; qu'il convient en conséquence, ce qui ne portera pas atteinte au principe de contradiction, de passer à l'examen du fond ; que cela revient d'ores et déjà à infirmer le jugement ;
Sur le fond
IV-1 Considérant qu'à l'appui de leurs demandes Monsieur Dazi et la société Ace 3 font valoir que les sociétés DME et DME Services, par les caractéristiques données à leur opuscule, ont recherché sciemment la confusion avec le titre " annuaire des fournisseurs de comités d'entreprise ", lequel correspond par ailleurs à la dénomination sociale de la société Ace 3 ; qu'ils imputent aux deux sociétés une confusion analogue sur la présentation du produit, caractérisé par le recours à un graphisme et à des couleurs dominantes, ladite confusion étant encore renforcée par des plaquettes éditées à l'occasion d'un salon tenu en mars 1994 ; qu'ils reprochent aux mêmes sociétés, attestations à l'appui, une " mise à l'écart " à l'occasion du même salon ; qu'ils voient dans l'utilisation faite de leur notoriété par les emprunts d'appellation reprochés un agissement parasitaire, savoir une manœuvre pour se placer de façon avantageuse dans le sillage de leurs propres efforts promotionnels ; qu'ils tiennent cet agissement pour générateur de responsabilité au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;
IV-2 Mais considérant, comme l'observent les sociétés DME et DME Services, que l'expression " annuaire des fournisseurs de comité d'entreprise " résumée par le signe AFCE n'a qu'un caractère générique en ce qu'elle définit simplement un produit, savoir un " annuaire ", ouvrage publié chaque année et donnant une liste de personnes rassemblées selon un critère déterminé ; que l'énonciation " fournisseurs de comités d'entreprise " est purement descriptive puisqu'elle ne fait que rendre compte de la nature du critère employé et de la fonction prêtée à l'annuaire ;
Que cet assemblage, dépourvu d'originalité et de distinctivité puisque ne décrivant le produit que par sa propriété et son contenu, ne peut constituer une marque valable et susceptible de protection ; qu'il n'est pas indiqué en quoi le logo en cause à le supposer protégeable, serait contrefait autrement que par l'utilisation " en dominante (de) deux couleurs ", circonstance insuffisante à caractériser une contrefaçon ; que les demandes de Monsieur Dazi et de la société Ace 3, fondées sur une telle protection, doivent donc être rejetées et la marque en cause annulée, comme le sollicitent reconventionnellement les sociétés intimées ;
IV-3 Considérant que le défaut d'originalité de l'expression en cause empêche de taxer de parasitaire le fait d'avoir utilisé son contenu pour dénommer un produit tel celui diffusé par les sociétés DMS et DMS Services; que les termes des attestations relatives à une " mise à l'écart " de la société Ace 3 lors d'un salon en 1994 ne rapportent pas de façon circonstanciée des agissements délibérés et nuisibles, générateurs de responsabilité ;
IV-4 Considérant que les demandes présentées au fond par Monsieur Dazi et par la société Ace 3 devant être rejetées, il convient de relever que la Cour n'a aucune compétence pour liquider l'astreinte prononcée en référé ;
Et considérant que les données de la cause ne font apparaître, compte tenu du caractère peu médiatisé du marché en cause, aucun élément réel de " préjudice d'image " lié à un abus de procédure et générateur des dommages-intérêts réclamés par les sociétés DME et DME Services ; qu'aucun motif particulier d'équité ne justifie en l'espèce une application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit de ces sociétés ; que ce texte peut profiter aux appelants, parties perdantes à condamner aux dépens.
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Infirmant le jugement entrepris et tranchant le litige au fond, 1°) Déboute Monsieur Moussa Dazi et la société " Agence Commerciale Europe 3 " de leurs demandes ; 2°) Prononce la nullité de la marque " AFCE ". Annuaire des Fournisseurs de Comités d'Entreprise " et renvoie les parties à tirer de cette nullité les conséquences utiles auprès de l'Institut National de la Propriété Intellectuelle ; 3°) Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts ; 4°) Condamne Monsieur Dazi et la société " Agence Commerciale Europe 3 " aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fievet-Rochette-Lafon, Avoués. Dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.