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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 30 juin 1995, n° 95-4385

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Catalina Marketing France (Sté)

Défendeur :

Orangina France (SA), Coca-Cola Beverages (SA), Joker (SA), Sogec (Sté), Tropicana France Maxime Delrue (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

M. Isouard, Mme Cordas

Avoués :

SCP Boissonnet, Rousseau, SCP Primout Faivre, SCP De Saint-Ferreole-Touboul, Maître Magnan

Avocats :

Mes Cloarec Merendon, Klein Théo, Philippe Gold, Berlioz, Ranchin, Pestel-Deborg, Barthomeuf, Nemo, SCP Granrut Chresteil.

T. com. Marseille, du 2 févr. 1995

2 février 1995

Faits et procédure :

Au motif que le système de couponnage électronique mis en place chez un distributeur par la Société Catalina Marketing France SA ("La Société Catalina") au profit de la Société Coca-Cola Beverages SA ("La Société CCBSA"), la SA Orangina France les a assignées en concurrence déloyale les 30 septembre et 3 octobre 1994 devant le Tribunal de Commerce de Marseille, ainsi que la Société Sogec, établissement gestionnaire des coupons émis et chargé de leur compensation.

Le 18 octobre 1994, la SA Joker a assigné devant la même juridiction et sur un fondement identique, outre les Sociétés Catalina et Sogec, la SA Tropicana France Maxime Delrue ("La Société Tropicana") ;

Les Sociétés Joker et Tropicana s'étant rapprochées en cours de procédure, le Tribunal de Commerce, par jugement prononcé le 2 février 1995 :

- a joint les deux instances,

- a donné acte à la SA Joker de son désistement d'instance et d'action à l'encontre de la Société Tropicana et donné acte à celle-ci de son acceptation,

- s'est déclaré dessaisi de l'instance engagée par la SA Joker à l'encontre de la Société Tropicana,

- sur l'exception d'incompétence soulevée par la Société CCBSA, s'est déclaré compétent territorialement,

- a dit que le système Catalina employé par la Société CCBSA dans les conditions mises en œuvre au magasin "Casino Sainte-Anne" à Marseille est constitutif de pratiques de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la SA Orangina France,

- a dit que les Sociétés Catalina et CCBSA devront cesser leurs activités fondées sur ce système à compter de la signification de sa décision et sous astreinte de 50 000 francs par jour de retard ;

- a dit que le système Catalina tel qu'il est appliqué est constitutif de pratiques anticoncurrentielles à l'égard de la SA Joker ;

- a ordonné sa cessation sous les mêmes conditions ;

- a condamné les Sociétés Catalina et CCBSA à payer à la SA Orangina France la somme de 3.500 Frs en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile et la première à payer à la SA Joker sur le même fondement celle de 3.500 Frs ;

- a réservé les dommages et intérêts pour désorganisation commerciale et désigné un expert avec mission de déterminer le préjudice subi par les SA Orangina France et Joker.

Par déclarations des 3 et 15 février 1995, les Sociétés Catalina et CCBSA ont interjeté appel de cette décision.

L'affaire a été fixée à l'audience du 9 juin 1995 par ordonnance du 30 mars 1995 en application des dispositions de l'article 910, alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Catalina demande tout d'abord, par conclusions déposées le 10 avril 1995 qu'il soit jugé que la SA Joker est irrecevable en son action dirigée contre elle en raison :

- de son désistement à l'encontre de la Société Tropicana ;

- des effets de la solidarité passive applicable de plein droit ;

- du fait qu'elle n'est, en aucun cas, un concurrent de la SA Joker ;

- de l'absence de tout intérêt né et actuel de celle-ci lui permettant d'agir à son encontre.

Elle fait valoir au fond par conclusions également déposées le 10 avril 1995, après avoir souligné que constituée le 4 octobre 1993 elle a pour objet de mettre en œuvre en France un système de couponnage électronique créée par la Société Catalina Marketing Corporation il y a une dizaine d'années aux Etats-Unis, système adopté par les plus grands distributeurs et des industriels diffusant leurs produits sous des marques notoirement connues :

- que courant 1994, elle a proposé aux principaux fournisseurs de produits commercialisés par la grande distribution en France, six programmes promotionnels, dont un seul, le programme "catégorie" est aujourd'hui contesté ;

- que ledit programme permet à un annonceur de promouvoir ses produits par la remise de bons de réduction dits "écobons" sur ses produits aux acheteurs de produits concurrents ;

- que l'impression des écobons est déclenché par la lecture optique du code à barres figurant sur les produits achetés ;

- que ces coupons sont remis au client après ses achats et sans qu'il puisse déterminer lequel d'entre eux est à l'origine de l'émission ;

- que les réductions de prix sont à valoir sur le prix du produit promu lors d'un prochain achat dans l'un des magasins du distributeur ;

- que toute catégorie proposée à un annonceur contient la totalité des articles concurrents, commercialisés chez le distributeur, à l'exclusion du seul produit à marque distributeur ;

- que cette exclusion n'est que la contrepartie des frais supportés par les distributeurs pour l'installation et mise en œuvre du système ;

- que le code à barres constitue un moyen de codification des produits dont la lecture permet au distributeur de gérer ses stocks, au fournisseur de contrôler rapidement ses produits à différents stades et aux sociétés spécialisées de réaliser rapidement et économiquement des études de marché ;

- qu'elle concède l'exclusivité de son programme à son client seulement pendant la durée du cycle promotionnel et qu'ainsi, un concurrent peut l'utiliser pour un de ses produits, sauf si un tiers a réservé la catégorie considérée avant lui ;

- qu'elle se borne à informer périodiquement l'annonceur du nombre des bons émis et "remontés", et ce globalement et non pas par enseigne ;

- que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie permet aux opérateurs économiques de démarcher la clientèle de ses concurrents, seul étant sanctionné le recours à des moyens déloyaux et contraires aux usages du commerce ;

- que le programme litigieux s'inspire de techniques promotionnelles connues, telles que l'animation en magasin, que les Premiers juges ont curieusement estimée licite en raison de son coût élevé et alors qu'elle intervient avant tout achat, la vente avec reprise même d'un produit concurrent ou l'utilisation de base de données, comme par exemple, en matière d'offre de véhicules automobiles à des acheteurs estimés potentiels ;

- que la clientèle démarchée est celle du distributeur et que le programme litigieux s'adresse aux clients de l'ensemble des marques commercialisées chez les distributeurs à l'exception de leur marque propre ;

- que le code à barres n'est protégé par aucun droit privatif, ne revêt aucun caractère confidentiel et ses données sont transmises au système par le distributeur qui est libre de collecter et de communiquer des informations non nominatives qui sont relatives aux achats des produits dont il a acquis la propriété ;

- que son système ne crée aucun fichier "clients" dont au demeurant seule l'appropriation frauduleuse caractériserait la déloyauté ;

- que contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, les remises offertes sont conformes aux usages ;

- qu'aucun des éléments constitutifs du parasitisme n'est caractérisé en l'espèce ;

- qu'en effet, les données contenues dans le code à barres permettent seulement l'identification de l'article et ne sont représentatives d'aucun effort intellectuel ou commercial ;

- que le programme litigieux porte sur un ensemble de produits appartenant à une catégorie objectivement prédéterminée ;

- que l'exclusion des produits à marque distributeur est neutre quant à la licéité du programme et a pour seule conséquence de diminuer le nombre de bons de réduction émis ;

- qu'à la suite de la procédure abusive dont elle est l'objet et étant observé que le programme "catégorie" représente plus de 60 % de son chiffre d'affaires, elle a été contrainte de suspendre son développement ;

La Société Catalina demande ainsi, outre l'infirmation du jugement entrepris :

- concernant la SA Orangina France que celle-ci soit condamnée reconventionnellement au paiement des sommes de 5 millions de francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et réparation du préjudice commercial qui en résulte, et de 20.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- concernant la SA Joker, à titre principal, que soit accueillie sa fin de non-recevoir, à titre infiniment subsidiaire dans le cas contraire, sa condamnation au paiement des mêmes sommes ;

La Société Sogec qui, par conclusions déposées le 24 mai 1995 a formé appel incident à l'encontre de la décision attaquée, soutient :

- qu'en sa qualité de banque de coupons, elle s'est engagée à l'égard des Sociétés CCBSA le 7 mars 1984 et Tropicana le 30 janvier 1992 à gérer la remontée des coupons de réduction en circulation sans aucune référence à une opération particulière ;

- que les annonceurs conservent la responsabilité totale de leurs opérations promotionnelles et qu'elle est étrangère aux conventions conclues éventuellement entre les distributeurs et eux ;

- que les SA Joker et Orangina France n'ont en l'espèce aucun rapport contractuel avec elle ;

que le jugement déféré est critiquable en ce qu'il l'a maintenue en cause en raison de l'expertise qu'il a ordonnée dans la mesure où l'injonction faite à la Société Catalina est de nature à supprimer l'émission des bons litigieux et donc leur traitement ultérieur ;

La Société Sogec demande en conséquence, outre la réformation de la décision querellée, sa mise hors de cause et la condamnation conjointe et solidaire, ou à tout le moins in solidum, des SA Orangina France et Joker au paiement de la somme de 50.000 Frs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que la condamnation de tout succombant au paiement de celle de 30.000 Frs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La Société CCBSA demande tout d'abord, par conclusions déposées le 6 juin 1995, que la Cour se déclare incompétente au profit du Tribunal de Commerce de Paris en invoquant les dispositions de l'article 42 du Nouveau Code de Procédure Civile, le litige ayant été rattaché artificiellement à la compétence territoriale du Tribunal de Commerce de Marseille qui n'a pas répondu à ses moyens ;

Elle soutient ensuite sur le fond une argumentation analogue à celle de la Société Catalina en soulignant :

- que la seule limite de la liberté du commerce et de la concurrence qui rend licite le dommage concurrentiel, est constituée par le recours à des comportements déloyaux qui sont, dans le droit français de la concurrence, l'imitation, le dénigrement, la désorganisation et le parasitisme ;

- que le Tribunal n'a pas, à juste titre, retenu les griefs invoqués par la SA Orangina France - publicité de nature à induire en erreur, dénigrement implicite, violation du secret des affaires et désorganisation des relations commerciales - mais a cru devoir en revanche assimiler à des actes parasitaires, un comportement concurrentiel parfaitement licite ;

- que ne constitue pas une pratique parasitaire, la simple invitation à essayer un autre produit adressée aux consommateurs sans distinction des marques achetées ;

- que la seule clientèle qui bénéficie des bons est celle du distributeur et que la SA Orangina France ne peut prétendre avoir une clientèle exclusive ;

- répondant aux motifs retenus par le Tribunal selon lequel pour pouvoir supporter une remise de 20 à 30 % du prix, il serait nécessaire de cibler une seule clientèle, que toutes les études démontrent que le succès de l'opération de couponnage est assuré, grâce non pas à un pourcentage mais à un montant minimum en valeur absolue et que certains fabricants, dont Orangina, offrent 10, 30, 50 % du produit à titre promotionnel, dès l'achat et à tout acheteur ;

- que le code à barres réel des remises est calculé en fonction des bons transmis à la Société de gestion, l'adhésion au système emportant le versement d'une redevance fixe à la Société Catalina ;

- que le code à barres est un simple support d'informations auquel n'est attaché aucun droit privatif ;

- qu'il est constant qu'en achetant la marchandise, le distributeur devient titulaire des droits d'utilisation et peut ainsi transmettre l'information qui est seulement relative au taux de remontée ;

- que si le consommateur ignore quel est le produit, "déclencheur" du bon, il est totalement libre de l'utiliser ou non ;

- que les produits déclencheurs qu'elle a choisis pour le programme Fanta sont au nombre de 36 répartis en trois classes, boissons plates aux fruits, sodas et boissons gazeuses aux extraits de fruits ;

- que le programme litigieux n'est pas dirigé contre une marque précise, ce qui exclut tout parasitisme ;

- que la SA Orangina France a diligenté abusivement et de mauvaise foi cette procédure, ce qui est démontré par le fait que la Société Pernod qui appartient au même groupe avait adhéré au système avant de mettre un terme à l'expérience et qu'elle n'a pas hésité à présenter le programme "catégorie" de manière tronquée ;

- qu'au surplus, elle s'est bien gardée d'assigner le distributeur.

La Société CCBSA demande dès lors à titre subsidiaire que soient rejetées les prétentions de la SA Orangina France comme non fondées et qu'elle soit condamnée au paiement de la somme de 400.000 Frs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 30.000 Frs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Orangina France soutient en ce qui la concerne, par conclusions déposées le 6 juin 1995 au terme desquelles, elle demande la confirmation de la décision entreprise, la condamnation in solidum des Sociétés Catalina et CCBSA au paiement de la somme de 100.000 Frs au titre des frais irrépétibles ainsi que la publication du présent arrêt au frais des appelantes dans les revues "Points de vente", "Libre service actualité" et dans le journal "Les Echos" ;

- que ses produits représentent 60 % du marché ;

- que ceux de la Société CCBSA commercialisés sous les marques Sprite et Fanta n'en représentant que 7 % et ceux des distributeurs 20 % ;

- que personne ne conteste le principe de la liberté du commerce ;

- que l'usage illicite de sa marque n'est pas invoquée ;

- que l'absence de réaction des autres producteurs n'est pas un fait exonératoire pas plus que n'est justificatif le contrat souscrit par Pernod à la suite d'une erreur immédiatement réparée ;

- que l'animation en magasin n'a aucun rapport avec le programme litigieux ;

- que la vente avec reprise s'applique à des biens durables usagés ;

- que le fichier automobile ne peut être communiqué aux négociants que pour accélérer la procédure de délivrance des certificats d'immatriculations ;

- que le programme "Catégorie" mis en œuvre par la Société Catalina est déloyal par parasitisme en ce qu'il détourne les investissements et les risques d'une entreprise titulaire d'une marque notoire qui effectue des dépenses considérables au titre de ses frais de publicité, du référencement payé aux distributeurs et de l'apposition du code à barres sur ses produits ;

- que sans ces trois séries de dépenses, les produits Orangina ne seraient pas présents sur les rayons et ne pourraient servir à la promotion de Fanta ;

- que la Société CCBSA s'affranchit du risque commercial en parasitant les investissements commerciaux dont elle a pris les risques ;

- que les produits "déclencheurs" sont déterminés arbitrairement et ne regroupent pas, comme l'affirme la Société Catalina tous les produits concernés relevant du même marché puisqu'en sont exclus les produits de la grande distribution et les produits Coca-Cola tels que Sprite et qu'y figurent des marques peu distribuées en France, voire même absentes des magasins ;

- que la mise en œuvre de cet acte parasitaire viole les dispositions d'ordre public de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, la Société Catalina n'ayant produit aucune facture pour la prestation de service qu'elle prétend lui être fournie en contrepartie de l'exclusion des produits de distributeurs du programme litigieux ;

- que la constitution de banques de données au profit d'un fabricant concurrent est fautive dès lors qu'elle sert à un usage autre que l'étude de marché ;

- que l'absence de réciprocité aggrave le caractère déloyal du procédé réservé exclusivement au client de la Société Catalina pendant toute la durée de la campagne promotionnelle ;

- qu'en outre, à l'issue de celle-ci, ce même client se voit offrir un droit de préférence sous le couvert d'une nouvelle exclusivité ;

- qu'à supposer que la réciprocité soit contractuellement possible, cela ne dispenserait pas la Société Catalina et son client d'obtenir le consentement du producteur ;

- que la mesure d'instruction ordonnée par les Premiers Juges implique le maintien en cause de la Société Sogec.

La SA Joker, dont les conclusions ont été déposées le 8 juin 1995, soutient tout d'abord :

- que son désistement d'instance et d'action à l'égard de la Société Tropicana est sans effet sur l'action en dommages et intérêts dirigée à l'encontre de la Société Catalina ;

- qu'eu égard aux dispositions de l'article 1208 du Code Civil, ce désistement ne peut être invoqué que par la Société Tropicana ;

- qu'elle justifie de son intérêt à agir puisque au-delà de son caractère purement indemnitaire, l'action en concurrence déloyale revêt un aspect préventif et même disciplinaire ;

La SA Joker relève ensuite que conformément aux dispositions de l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile, l'action en responsabilité peut être engagée devant la juridiction du fait dommageable ou devant celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

Elle fait valoir enfin des moyens identiques à ceux de la SA Orangina France développés supra.

Elle demande en conséquence, la confirmation de la décision attaquée, la condamnation de la Société Catalina au paiement de la somme de 100.000 Francs au titre des frais irrépétibles ainsi que la publication du présent arrêt dans les trois périodiques déjà cités.

La SA Catalina réplique par conclusions déposées le 8 juin 1995 :

- sur la relation Orangina /distributeur, qu'il s'agit d'une vente simple de produits nécessairement porteurs d'un code à barres puisque commercialisés en grande surface et sans qu'aucune restriction n'ait été instituée quant à l'usage dudit code ou aux informations que le distributeur peut communiquer à des tiers ;

- sur la relation distributeur /Orangina que le premier aide à identifier l'acte d'achat effectué dans ses magasins qui bénéficient ainsi d'une animation et que la clientèle est incitée à fréquenter ;

Elle fait valoir enfin des moyens identiques à ceux de la SA Orangina France développés supra.

Elle demande en conséquence, la confirmation de la décision attaquée, la condamnation de la Société Catalina au paiement de la somme de 100.000 Frs au titre des frais irrépétibles ainsi que la publication du présent arrêt dans les trois périodiques déjà cités.

La SA Catalina réplique par conclusions déposées le 8 juin 1995 :

- sur la relation Orangina/distributeur, qu'il s'agit d'une vente simple de produits nécessairement porteurs d'un code à barres puisque commercialisés en grande surface et sans qu'aucune restriction n'ait été instituée quant à l'usage dudit code ou aux informations que le distributeur peut communiquer à des tiers ;

- sur la relation distributeur/Catalina que le premier aide à identifier l'acte d'achat effectué dans ses magasins qui bénéficient ainsi d'une animation et que la clientèle est incitée à fréquenter ;

- que seul le premier produit de la catégorie présentée selon un ordre aléatoire à la caisse, déclenche l'impression d'un écobon ;

- que la SA Orangina France l'a simplement et tardivement sommée de communiquer son contrat avec Casino, demande qui se heurte à la confidentialité d'un tel accord dans lequel la SA Orangina France n'est pas intéressée ;

- que même s'il y avait violation de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ce qui n'est pas le cas, cette violation ne constituerait pas un acte de concurrence déloyale ;

- sur la relation Catalina/STE CCBSA, qu'elle s'est engagée à fournir à celle-ci uniquement des statistiques périodiques d'émission et remontée de bons ;

- que la relation distributeur/consommateur est contractuellement exclusive de toute obligation à l'égard des tiers ;

La Société Catalina estime ainsi avoir démontré la licéité de chacune des opérations commerciales qui participent au fonctionnement de son système.

La SA Orangina France réplique par conclusions déposées le 9 juin 1995 :

- que la Société Catalina a avoué son incapacité à produire la facturation des services qui lui sont rendus par la grande distribution ;

- qu'elle refuse de produire les accords contractuels qui la lient à celle-ci ;

- qu'il ne lui appartenait pas d'interdire par avance à la grande distribution de laisser à la société appelante l'usage du code-barres ;

- que l'affirmation selon laquelle seul le premier produit présenté à la caisse déclencherait l'émission d'un Ecobon est fausse ;

- que les dernières écritures de la Société Catalina sont en contradiction avec ses propres documents publicitaires sur les études publicitaires que son système permet d'obtenir ;

La Société Tropicana soulève quant à elle l'irrecevabilité de son assignation par la Société Catalina en raison du désistement d'instance et d'action de la SA Joker.

Motifs de la décision :

Attendu, sur l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Société CCBSA, que l'article 46, al. 3 du Nouveau Code de Procédure Civile dispose que le demandeur peut, en matière délictuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ; que l'assignation introductive d'instance des 30 septembre et 3 octobre 1994 a bien été délivrée dans le cadre d'une action en responsabilité délictuelle et se réfère au procès-verbal établi le 30 août 1994 par un huissier de justice qui a constaté qu'était mis en œuvre au Supermarché Casino Sainte-Anne à Marseille (8ème) le système de couponnage électronique dont les SA Orangina France et Joker soutiennent qu'il est constitutif d'un acte de concurrence déloyale ; que le Tribunal de Commerce de Marseille était, dès lors, bien compétent pour connaître du litige ;

Attendu, sur les fins de non-recevoir soulevées par la Société Catalina, que la SA Joker avait assigné sur le même fondement ladite Société et la Société Tropicana notamment aux fins de les entendre condamner au paiement de la somme de 500.000 Frs à titre de dommages et intérêts en leur qualité de coresponsables d'un dommage qu'elle imputait à des actes de concurrence déloyale ; que s'agissant d'une obligation in solidum, et non solidaire, le désistement d'action et d'instance intervenu à l'égard de la Société Tropicana n'était pas de nature à priver la SA Joker de son action à l'encontre de la Société Catalina pour obtenir la réparation de l'entier dommage à la création duquel sa faute antérieure aurait pu concourir ; que force est de constater que la SA Joker ne forme aucune demande en ce sens à l'encontre de la Société Catalina ; qu'elle se borne à demander que le système litigieux soit déclaré déloyal et fautif au sens de l'article 1382 du Code Civil sans justifier, ni même alléguer, qu'elle souffre d'un préjudice né et actuel, constatation qui doit entraîner l'irrecevabilité de son action à l'encontre de la Société Catalina pour défaut d'intérêt, ainsi que de l'assignation délivrée en cause d'appel à la Société Tropicana par la Société Catalina ;

Attendu sur l'action dirigée à l'encontre des Sociétés Catalina et CCBSA par la SA Orangina France, qu'il est constant que le système de mercatique électronique introduit en France par la Société Catalina, dont le seul programme dit " Catégorie " est contesté, suppose la connexion d'un micro-ordinateur et d'une imprimante, avec le système de lecture optique dont sont équipées les caisses enregistreuses des réseaux de grande distribution ; que la lecture du code à barres figurant sur l'article relevant d'une catégorie déterminée à l'avance entre un annonceur et la Société Catalina, déclenche ainsi l'émission d'un bon de réduction d'une valeur faciale fixe à valoir sur l'achat ultérieur avant une certaine date et dans un des points de vente de ce même distributeur, d'un produit appartenant à la même catégorie et commercialisé par un producteur concurrent, mais à l'exclusion des articles commercialisés sous la marque du distributeur ;

Qu'il est établi, même si les premiers juges par un motif erroné ont retenu le contraire, que le bon de réduction est remis au client après émission du ticket de caisse et paiement de son achat ;

Attendu, ainsi que l'y invite la SA Orangina France, demanderesse à l'action, que la cour doit seulement rechercher si le programme " Catégorie " litigieux est d'une part, déloyal par parasitisme en ce qu'il détourne ses investissements ou ses risques, et d'autre part contraire aux usages loyaux du commerce en ce que, tout d'abord, la prestation de service fournie par le distributeur n'est pas facturée au mépris de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ensuite, le code à barres figurant sur ses produits est détourné de son usage et, enfin, le préjudice concurrentiel n'est pas en l'espèce réciproque ;

Attendu sur le premier point, qu'il résulte de la lettre intitulée " Mémorandum " adressée le 11 octobre 1994 par la Société Catalina à la Société CCBSA que le programme Fanta comprend 36 produits de différentes marques répartis en trois classes dénommées de façon générique " boissons plates aux fruits " (16 produits), " Sodas " (12 produits), et " boissons gazeuses aux extraits de fruits " (8 produits dont 5 portant la marque Orangina) ; qu'il n'est pas contesté que l'achat de l'un quelconque de ces produits, commercialisés sous les marques Oasis, Banga, Tropico, Steff ou Schweppes dont la notoriété n'est pas davantage mise en doute, déclenche l'émission d'un écobon à valoir sur l'achat ultérieur d'un produit Fanta ; qu'ainsi le programme litigieux se rattache, non aux produits d'une seule et même marque, mais à un ensemble de produits commercialisés par différents industriels en concurrence sur le marché des boissons précitées ; que faute de rattachement à un produit unique et alors que le client ignore le nom du produit " déclenchant " le programme Catégorie mis en place par la Société Catalina et auquel a adhéré la Société CCBSA ne peut être considéré comme parasitaire

Qu'en revanche, revêtirait un tel caractère la limitation des produits dont l'achat est à l'origine de l'émission d'un bon de réduction, aux seuls articles commercialisés par un même concurrent qui pourrait ainsi légitimement invoquer le détournement des investissements publicitaires consentis pour inciter le consommateur à les choisir ; que tel n'est pas le cas en l'espèce et il est indifférent de soutenir comme le fait la SA Orangina France qu'occupant une forte position sur le marché des boissons gazeuses aux extraits de fruits, elle est ainsi plus exposée à ce type de stratégie ; qu'en effet la prise en considération d'un tel argument conduirait à entraver le libre jeu de la concurrence ; qu'enfin l'illicéité du programme litigieux ne peut se déduire de l'exclusion des marques de distributeur de la liste des produits " déclenchants " si l'on observe que ladite liste n'a pas à être exhaustive et que l'absence réduit le nombre de bons émis et donc le préjudice allégué ;

Attendu, en deuxième lieu, que la SA Orangina France qui n'a pas cru devoir attraire le distributeur concerné par l'opération contestée, est en toute hypothèse étrangère à ses relations contractuelles avec la Société Catalina ;

Qu'elle n'est pas fondée à invoquer la violation de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui, à la supposer établie, n'a aucune incidence sur l'action en responsabilité délictuelle qu'elle a engagée ;

Attendu en troisième lieu, sur l'utilisation détournée qui serait faite du code à barres figurant sur les produits Orangina, qu'il résulte de la documentation régulièrement versée aux débats par les sociétés appelantes ainsi que de la lettre adressée le 8 mars 1995 par la SARL Gencod à la Société Catalina, que ledit code a été défini par l'Association Internationale pour la Numérotation des Articles (EAN) dont est membre fondateur pour la France, la SARL Groupement d'Etudes, de normalisation et de codification (GENCOD) ; que le code EAN 13 comprend treize chiffres correspondant entre le chiffre 3, indicatif attribué à la France par l'EAN et une clé de contrôle, au " code national fabricant " attribué par GENCOD (CNUF) et au " code interface produit " (CIP) attribué par le fabricant ; que ces informations sont traduites sous formes de barres afin de permettre leur appréhension à l'aide d'appareils de lecture automatiques ;

Attendu que le code à barres permet ainsi l'identification immédiate et à un coût réduit de l'article à tous les stades d'une commercialisation à l'origine de laquelle se trouve son fabricant mais qui fait intervenir de nombreux agents économiques ; que si le code article contient le code attribué exclusivement au fournisseur et ne peut être utilisé par un tiers pour le marquage de ses propres produits, il ne contient aucune information confidentielle et ne peut faire l'objet d'aucune appropriation par son attributaire qui ne saurait dès lors interdire à un distributeur, en l'absence de convention expresse, d'en faire une utilisation conforme en vigueur dans le secteur de la grande distribution ;

Attendu, à cet égard, qu'il est constant que les données fournies par la lecture des codes à barres sont transmises par les distributeurs à des Sociétés d'études de marchés dont les travaux n'ont pour but que de comprendre l'évolution des marchés afin de permettre aux différents agents économiques qui y interviennent, d'y adapter leur stratégie en vue de l'infléchir dans un sens favorable à leurs intérêts ; que le système litigieux a pour caractéristique de permettre, en un seul trait de temps, d'analyser le comportement des consommateurs de produits appartenant à la catégorie concernée et d'en tirer aussitôt les conséquences pour l'émission du bon de réduction destiné à augmenter le taux de pénétration du produit promu ; qu'il répond à la finalité des études de marchés conventionnelles et sans requérir la participation active du consommateur dont l'anonymat et la liberté de choix sont ainsi préservés ;

Attendu, en dernier lieu, sur l'absence de réciprocité, qu'il est de fait que durant la période contractuellement arrêtée entre l'annonceur et la Société Catalina et dont il n'est pas contesté qu'elle est de l'ordre de trois mois, un producteur concurrent ne peut avoir accès au même programme " Catégorie " ; que l'on voit mal deux annonceurs concurrents y avoir recours simultanément sauf à réduire son impact promotionnel ou à en annuler les effets ; qu'il ne peut être qu'assorti de l'exclusivité mais tout autant, comme en l'occurrence, que celle-ci soit limitée dans le temps et que les annonceurs concurrents puissent y adhérer aux mêmes conditions ;

Qu'il appartient aux distributeurs qui collaborent activement à la mise en œuvre du système litigieux et dont le juge pourra le cas échéant ordonner la mise en cause en application de l'article 332, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile, de veiller à ce qu'aucun annonceur qui souhaite l'utiliser n'en soit écarté durablement au mépris des règles de la libre concurrence qui, dans l'espèce soumise à la cour, n'ont pas été enfreintes ;

Attendu qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement déféré, de débouter la SA Orangina France de ses demandes à l'encontre des Sociétés appelantes et, par voie de conséquence, de prononcer la mise hors de cause de la SA Joker ;

Attendu que la procédure diligentée par les Sociétés Orangina France et Joker à l'encontre des Sociétés appelantes illustre la difficulté à déterminer si une innovation technologique et ses conséquences peuvent, en l'absence de toute prescription légale ou réglementaire, être déclarées conformes à des règles juridiques établies en fonction d'un contexte que cette innovation ne peut que modifier ; que pour le même motif la SA Joker a pu être mise en cause et qu'au surplus sa présence aux opérations d'expertise ordonnées par le jugement réformé était nécessaire ;

Que les Sociétés Catalina, CCBSA et Joker doivent dès lors être déboutées de leurs demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive ; qu'en revanche il sera fait application à leur profit et à l'encontre des Sociétés Orangina France et Joker des dispositions de l'article 700 dans la mesure indiquée au dispositif ;

Que les entiers dépens doivent être mis à la charge, sans solidarité entre elles, de ces dernières qui succombent.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les SA Catalina et CCBSA en leur appel principal, ainsi que la SA Sogec en son appel incident ; Rejette l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la Société CCBSA et dit qu'en application de l'article 46, alinéa 3, du Nouveau Code de procédure civile, le tribunal de commerce était bien compétent pour connaître du litige ; Déclare la SA Joker irrecevable pour défaut d'intérêt en son action dirigée à l'encontre de la SA Catalina ; Déclare irrecevable l'assignation délivrée en cause d'appel par la SA Catalina à l'encontre de la SA Tropicana et prononce la mise hors de cause de celle-ci ; Réforme le jugement entrepris, et statuant à nouveau ; Déboute la SA Orangina France de toutes ses demandes ; Prononce la mise hors de cause de la SA Joker ; Déboute les SA Catalina, CCBSA et Joker de leurs demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne les SA Orangina France et Joker à payer chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile les sommes de 20 000 F (Vingt mille francs) à la SA Catalina, et de 5000 F (cinq mille francs) à la SA Sogec ; Condamne la SA Orangina France à payer à la Société CCBSA la somme de 20 000 F (vingt mille francs) sur le même fondement ; Condamne les SA Orangina France et Joker aux entiers dépens et autorise Maître Magnan, avoué, ainsi que les SCP Boissonnet-Rousseau et Primout Faivre, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont ils ont fait l'avance sans recevoir provision.