Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch., 8 juin 1995, n° 94-00510

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lenoir B.

Défendeur :

Lenoir O.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Courdent

Conseillers :

Mme Chaillet, M. Dequidt

Avoués :

Mes Masurel-Thery, Levasseur-Castille-Lambert

Avocats :

Mes Brunet, Delhaye.

TGI Béthune, du 6 oct. 1993

6 octobre 1993

Attendu que le 20 janvier 1994, Madame Lenoir née Helle a relevé appel du jugement rendu le 6 octobre 1993 par le tribunal de grande instance de Bethune statuant commercialement qui l'a déboutée de l'ensemble de ses moyens et prétentions.

Qu'elle sollicite la réformation de ce jugement et demande de condamner Monsieur Bernard Lenoir au paiement de dommages et intérêts éventuellement chiffrés par un expert, et de la somme de 6.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Attendu que Monsieur Bernard Lenoir soutient qu'il avait obtenu l'accord de Madame Lenoir pour traiter des affaires au cours de son préavis et que, dès lors qu'il avait cessé d'être engagé par son contrat de travail, il était libre d'organiser la création de son entreprise ; qu'il demande de confirmer le jugement et de condamner Madame Lenoir à lui payer 5.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Sur ce :

Attendu que Madame Lenoir, après le décès de son époux a continué la profession de courtier de frêt de celui-ci; que son fils et salarié, Monsieur Bernard Lenoir était spécialement chargé de représenter l'entreprise de sa mère à la bourse d'affrètement, depuis 1983, pour y recueillir les affaires permettant de faire vivre l'entreprise ;

Que le 3 août 1991, Monsieur Lenoir a écrit à sa mère pour lui donner sa démission avec préavis pour le 3 septembre 1991 ; que le 12 août 1991, Madame Lenoir lui répondait par écrit que le préavis ne pouvant courir pendant les congés payés, il durerait du 26 août au 26 septembre 1991;

Attendu cependant que Monsieur Lenoir qui prétend, sans en apporter la preuve, avoir eu l'accord de sa mère, a cessé immédiatement de travailler pour elle, a fondé sa propre entreprise de courtage de prêt et a conservé pour celle-ci toutes les affaires qu'il a continué à prendre à la bourse d'affrètement.

Attendu que Monsieur Lenoir soutient qu'il n'est pas démontré qu'il se soit livré à une concurrence déloyale envers son employeur en créant une confusion entre les entreprises dans l'esprit de la clientèle ou en dénigrant l'entreprise de sa mère, qu' il était libre d'organiser son entreprise dès le 2 août 1991 et que sa mère n'a introduit aucune instance prud'homale; que le tribunal a même estimé que le départ de sa clientèle à compter d'août 1991 était dû à la faute de Madame Lenoir qui ne fréquentait plus la bourse d'affrètement;

Mais attendu d'une part que Monsieur Lenoir n'a pas soulevé l'incompétence du tribunal de commerce au profit du conseil des prud'hommes, d'autre part, qu'il se considérait lui-même comme salarié de sa mère lorsqu'il a commencé à prendre les affaires de la bourse pour son propre compte en août 1991 puisqu'il n'avait dénoncé son contrat de travail que pour le 3 septembre 1991 ; que dans l'esprit de la clientèle, habituée à rencontrer à la bourse Monsieur Lenoir, salarié de l'entreprise de sa mère, aucun changement n'est intervenu en août 1991 et une confusion s'est installée, Monsieur Lenoir, employé, étant devenu Lenoir Chef d'une entreprise qu'il avait créée et qui n'a été publiquement révélée que par son inscription au registre du commerce et des sociétés le 18 novembre 1991 ;

Qu'ainsi, Monsieur Lenoir a profité de ses fonctions au sein de l'entreprise de sa mère pour prendre à son profit la clientèle de celle-ci, ce qu'il n'aurait pu faire si sa mère ne lui avait pas, depuis 10 ans, confié la mission de représenter la société à la bourse d'affrètement ; que le comportement de Monsieur Lenoir a donc été déloyal ;que dès le mois d'août 1991, le chiffre d'affaires de Madame Lenoir a considérablement baissé; que le préjudice de Madame Lenoir trouve son unique cause dans la déloyauté de son fils qui s'est accaparé, sans bourse délier, de la clientèle de sa mère en donnant l'apparence qu'il continuait à travailler pour elle ;

Que le jugement doit donc être réformé ;

Qu'il est démontré que le chiffre d'affaires a été brutalement réduit en août 1991 ; que le bénéfice fiscal qui était de 454.724 francs en 1990 est tombé à 47.938 francs en 1991, compte tenu de ce que du 1er août 1991 au 31 décembre 1991, l'entreprise n'a pas fait de bénéfices mais a, au contraire, enregistré une perte de 125.000 francs.

Attendu que la cour dispose ainsi des éléments lui permettant d'estimer à 450.000 francs le préjudice subi par Madame Lenoir et provenant de la concurrence déloyale de son fils.

Que Monsieur Lenoir doit être débouté de ses prétentions et qu'il est équitable de le condamner à payer 6.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris. Déclare que Monsieur Bernard Lenoir s'est rendu coupable de concurrence déloyale. Le condamne à payer à Madame Lenoir Helle les sommes de 450.000 francs et 6.000 francs. Le condamne aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SCP Masurel Thery, avoués associés, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.