CA Paris, 4e ch. A, 7 juin 1995, n° 93-013709
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Léonidas (SA)
Défendeur :
Luxe Irland Quality (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mmes Mandel, Marais
Avoués :
SCP Parmentier Hardouin, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Flach, Bitton.
La SA de droit belge Léonidas est titulaire de la marque dénomitative et figurative " Pralines Léonidas " dont le dépôt a été renouvelé et enregistré sous le n° 386.756 au Bénélux le 8 février 1983 et internationalement le 5 juillet 1983 avec inscription au 23 septembre 1983 sous le n° 478.471 dans 22 pays dont la France afin de désigner dans la classe 30 la pâtisserie, la confiserie et les chocolats.
Elle a, en outre, déposé le 26 juin 1986 auprès de l'OMPI dans cinq pays dont la France, sous les numéros DM/007.120 et DM/007.121, 40 modèles de chocolats, praline et confiseries et 20 modèles de moules pour chocolaterie et confiserie.
Le 9 décembre 1992, ladite société alléguant que ses produits dont la vente est réservée à des clients revendeurs dûment autorisés, étaient commercialisés irrégulièrement par la SARL Luxe Irland Quality, a assigné celle-ci devant le tribunal de Commerce de Créteil aux fins de la voir condamner avec le bénéfice de l'exécution provisoire pour actes de concurrence déloyale au paiement des sommes de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 20 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux mesures d'interdiction et de publication habituelles.
Le 15 décembre 1992, la Société Luxe Irland Quality a fait valoir que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de l'existence ou subsidiairement de la licéité d'un réseau de distribution sélective de ses produits et a sollicité l'attribution des sommes de 200 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 20 000 F conformément aux dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Par jugement du 2 mars 1993, le Tribunal après avoir relevé que la convention type liant la Société Léonidas à ses clients autorisés faisait obligation à ceux-ci de se constituer un réseau de revendeurs, a retenu qu'en l'espèce, l'offre commerciale initiale émanait de l'un de ces clients auprès duquel la Société Luxe Irland Quality avait passé pour le compte de divers comités d'entreprise une commande, et en a déduit que l'activité de la défenderesse s'analysait en un mandat, exclusif de concurrence déloyale.
Il a en conséquence débouté la Société Léonidas de ses prétentions, l'a condamnée à payer à la Société Luxe Irland Quality une somme de 7 500 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et a rejeté toutes autres demandes.
La Société Léonidas a interjeté appel de cette décision la 17 juin 1993.
A l'appui de ce recours, elle allègue que les premiers juges ont procédé à une interprétation erronée des faits et documents de la cause en considérant notamment que la Société Luxe Irland Quality n'aurait été que le mandataire du revendeur auprès duquel elle avait acquis les produits litigieux.
Après avoir justifié la nécessité d'une politique sélective de distribution par sa volonté de " vendre des produits d'excellente qualité à un prix le plus bas possible " et soutenu que ceux-ci ne pouvaient être en aucun cas revendus par un simple client acheteur non autorisé elle expose que la société Luxe Irland Quality en sa qualité de professionnelle de l'import-export, du commerce en gros et au détail de produits alimentaires et non alimentaires, ne pouvait ignorer ses conditions de vente ", s'est approvisionnée délibérément en Belgique pour revendre en France et a ainsi " purement et simplement bénéficié de la réputation de la marque Léonidas pour détourner la clientèle des magasins autorisés particulièrement en période de fêtes de fin d'année. "
Qualifiant ces faits d'actes de concurrence déloyale, constitutifs de fautes au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil, elle sollicite :
- l'interdiction de ceux-ci sous astreinte de 10 000 F par jour et infraction constatée, à compter du prononcé du présent arrêt,
- le paiement des sommes de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 30 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- la publication de l'arrêt dans trois périodiques de son choix, aux frais de l'intimée.
La Société Luxe Irland Quality réplique que la réalité d'un réseau de vente sélective est infirmée par les propres documents de la Société Léonidas et qu'en tout état de cause, la preuve tant de l'existence que de la licéité d'un tel réseau n'est pas rapportée.
Subsidiairement, elle fait observer que le seul fait de s'immiscer dans la distribution de produits de marque réservée par le fabricant à des revendeurs agréés ne constitue pas en soi une faute, en l'absence d' " étanchéité " du réseau et que l'appelante ne justifie pas d'un préjudice résultant d'un comportement répréhensible de sa part, distinct de la seule commercialisation hors réseau.
Alléguant en revanche aux termes de son appel incident du 14 mars 1994, que l'action engagée par la Société Léonidas à son encontre " présente un caractère gravement abusif en ce qu'elle tend ainsi à se faire reconnaître des droits qui ne sont pas les siens et sont parfaitement illégitimes ", elle poursuit l'attribution d'une somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la demande principale
Considérant qu'il appartient à celui qui entend, au soutien d'une demande fondée sur le grief de concurrence déloyale, se prévaloir d'un réseau de distribution sélective, d'en établir l'existence et la licéité, puis de prouver la faute du distributeur parasite.
- Sur le réseau de distribution sélective invoquée
Considérant qu'à la Société Luxe Irland Quality qui allègue que la Société Léonidas précise dans la convention type qui l'unit à ses clients revendeurs qu'elle a " sa propre politique de vente qui est totalement étrangère à son système de distribution sélective ", il convient d'opposer que l'existence d'un tel système doit être appréciée souverainement par les juges du fond auxquels il appartient de donner ou de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination qu'une partie en aurait proposée.
Considérant qu'un système de distribution est licite lorsque les critères du choix des revendeurs ont un caractère objectif, sont justifiées par la nécessité de la distribution adéquate des produits en cause, n'ont pas pour objet ou pour effet d'exclure par nature une ou plusieurs formes déterminées de distribution et ne sont pas appliquées de manière discriminatoire.
Considérant que la convention qui lie la Société Léonidas à ses revendeurs révèle que ceux-ci sont choisis selon un impératif objectif tenant au fait que les marchandises concernées " à base de produits laitiers frais et d'autres ingrédients frais, nécessitent beaucoup d'attention, de précautions sanitaires particulières et de soins inhérents à la vente de produits aussi délicats ".
Que le revendeur s'oblige ainsi à s'approvisionner au moins tous les sept jours, " à tout mettre en œuvre pour sauvegarder l'excellente réputation de qualité et de fraîcheur des produits Léonidas ", l'appelante ne garantissant pas la conservation desdits produits " compte tenu de leur nature " passé un délai de huit jours après leur achat à l'usine.
Que de même, le revendeur s'engage à vendre ces produits " dans des magasins particulièrement soignés et attrayants " dans des papiers d'emballage et ballotins portant notamment la mention suivante :
" la plupart de nos pralines sont préparées avec du beurre frais, de la crème fraîche et de la crème de lait.
Les tenir aux frais et au sec (15°C - 18 °).
Leur conservation après la date d'achat n'est garantie que huit jours ".
Qu'il apparaît ainsi que la Société Léonidas fonde le principe de la sélection des revendeurs, mentionnée sur les emballages dans les termes suivants : " les produits Léonidas ne peuvent être vendus que par un client-revendeur dûment autorisé à cet effet et exclusivement dans le(s) point (s) de vente de détail pour lequel (lesquels) il a l'autorisation requise ", sur sa volonté de " permettre au consommateur d'acquérir des produits hautement périssables dans les délais qui s'imposent ", de respecter les bons et loyaux usages commerciaux concernant la vente de produits frais et délicats et de protéger la réputation de ceux-ci.
Or considérant que l'obligation de ne laisser distribuer de tels produits que par des revendeurs sélectionnés est corroborée par l'analyse effectuée le 11 janvier 1992 par le centre d'enseignement et de recherches des industries alimentaires et chimiques d'Anderlecht, dit Ceria, lequel a constaté que " la durée de conservation des produits est très limitée en présence de lait " et que " le nombre total de micro-organismes aérobies revivifiables sur milieu gélosé " passe notamment :
- pour le produit " truffes " de 4 000 au départ à 5.900 au 7ème jour puis à 2.800.00 au bout de 14 jours pour atteindre le stade " moisi " le 35ème jour,
- pour le produit " marrons " de 5 000 au départ au stade " moisi en surface " 7 jours plus tard.
Qu'il en résulte que la nature des produits concernés justifie le recours à la distribution sélective, utile à garantir en l'espèce:
- l'intérêt du consommateur, lequel est en droit d'attendre l'offre d'une gamme suffisante de produits satisfaisant sa demande, un service de conseil approprié, la certitude d'acquérir un produit répondant aux conditions de conservation nécessaires au maintien de la qualité sans que soit réduite pour autant sa liberté de choix entre les différentes marques concurrentes sur le marché concerné,
- l'intérêt du distributeur qui dispose d'un statut de revendeur agréé fondé sur un critère qualitatif tel que l'aménagement du magasin et des conditions d'approvisionnement et de revente, qui le met à l'abri d'une concurrence irrégulière et déceptive,
- l'intérêt du producteur qui peut sauvegarder l'image d'un produit de qualité, développer efficacement ses efforts pour garantir ou améliorer cette image et éventuellement se singulariser par rapport à d'autres produits.
Que le respect des conditions de concurrence et l'absence de cloisonnement du marché résultent suffisamment tant de la liberté du distributeur agréé de fixer dans une limite maximale le prix de vente, la politique commerciale poursuivie par la Société Léonidas étant de vendre au prix " le plus bas possible ", que du refus de l'appelante d'accorder une quelconque exclusivité de vente.
Que le fait que le choix du vendeur s'opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, soit fixé de manière uniforme à l'égard de tout client revendeur potentiel et appliqué de manière non discriminatoire suffit à rendre le réseau dont s'agit licite.
Considérant enfin que l'intimée ne saurait opposer à la Société Léonidas le défaut d'étanchéité de son réseau alors que :
- l'exclusivité de vente par un revendeur dûment autorisé est précisé sur les emballages et ballotins de produits,
- l'appelante se réserve le droit de vérifier par la communication en original des documents douaniers et des factures du revendeur la destination des produits,
- la Société Léonidas s'efforce de sauvegarder son réseau en le défendant au besoin par le moyen de procédures judiciaires et dans ce cas en faisant publier les décisions prononcées dans des organes de presse de large diffusion.
- Sur la faute
Considérant que la Société Luxe Irland Quality fait valoir à bon droit que le seul fait de s'immiscer dans la distribution de produits de marque réservés par le fabricant à des distributeurs agréés ne constitue pas en soi une faute.
Considérant que si, pour exonérer ladite société de toute faute, le Tribunal a retenu que les produits litigieux acquis par des comités d'entreprise pour les fêtes de fin d'année 1992 avaient été en fait offerts à la vente par la société de droit belge Buba Dalo, revendeur autorisé par l'entremise de la Société Luxe Irland Quality agissant en qualité de mandataire, il convient de relever que l'existence d'un tel mandat qui ne se présume pas n'est nullement établie en l'espèce et n'est au demeurant pas revendiquée par l'intéressée.
Que les éléments d'information versés aux débats révèlent en revanche que la Société Luxe Irland Quality a, suivant facture du 16 décembre 1992, acquis de la Société Buba Dalo 1160 kg de chocolats au prix de 366 frs belges le kg puis en a revendu une certaine quantité à des coopératives et comités d'entreprise au prix de 90 francs français, dans des emballages Léonidas.
Or considérant, que le fait pour une société qui n'est pas au nombre des distributeurs du réseau de commercialiser des produits sans être soumis aux contraintes habituelles des revendeurs agréés et de bénéficier en outre de la valeur publicitaire de la marque pour développer sa propre commercialisation est une attitude caractéristique du parasitisme.
Qu'en outre, le fait d'avoir mis en vente les produits litigieux dans un conditionnement comportant la mention, usurpée en l'espèce : " les produits Léonidas ne peuvent être vendus que par un client revendeur dûment autorisé à cet effet " est de nature à favoriser la vente et à faire croire à la clientèle que la Société Luxe Irland Quality avait la qualité de distributeur agréé de la Société Léonidas et est ainsi également constitutif de concurrence déloyale.
- Sur le préjudice
Considérant que la Société Luxe Irland Quality, professionnelle de la distribution alimentaire, en cédant des produits acquis irrégulièrement, dans une période de fêtes particulièrement propice à l'activité de l'appelante et à un prix inférieur au prix maximal pratiqué par les revendeurs agréés, a dévalorisé lesdits produits auprès des consommateurs et porté atteinte à la réputation commerciale de la Société Léonidas.
Que le dommage ainsi causé dont l'importance est illustrée notamment par le fait que la coopérative centrale du Ministère des PTT avait à elle seule commandé " pour une quantité d'environ 3 tonnes de chocolats Léonidas pour les fêtes de fin d'année " sera réparé par une indemnité de 100 000 F.
Qu'il sera en outre fait droit au surplus de la demande de la Société Léonidas dans les conditions précisées au dispositif.
Sur la demande reconventionnelle
Considérant que l'action de la Société Léonidas étant déclarée bien fondée, l'intimée ne saurait en invoquer le caractère abusif.
Sur les frais non taxables
Considérant que la Société Luxe Irland Quality qui succombe, sera déboutée de ce chef.
Qu'il est en, revanche équitable d'allouée à la Société Léonidas sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile une somme de 20 000 F.
Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Dit la demande de la Société Léonidas formée à l'encontre de la Société Luxe Irland Quality du chef de concurrence déloyale bien fondée, Fait défense à la Société Luxe Irland Quality d'offrir à la ventre et/ou de revendre sans autorisation des pralines Léonidas, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée s'entendant de chaque produit individualisé offert à la vente et/ou vendre, à compter de la signification du présent arrêt, Autorise la Société Léonidas à faire paraître ledit arrêt dans trois publications de son choix, aux frais de la Société Luxe Irland Quality dans la limite d'un coût global de 60 000 F HT, Condamne la Société Luxe Irland Quality à payer à la Société Léonidas les sommes de : - Cent Mille Francs (100 000 F) à titre de dommages et intérêts, - Vingt Mille Francs (20 000 F) en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la Société Luxe Irland Quality aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Parmentier Hardouin, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.