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Décisions

CA Limoges, audience solennelle, 31 mai 1995, n° 1821-93

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Transports Verdier (SA), Rambour (ès qual.), Courret (ès qual.)

Défendeur :

Transports Verdier-Giraudeau (SA), Verdier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Braud

Président :

M. Foulquie

Conseillers :

MM. Leflaive, Etchepare

Avoués :

SCP Coudamy, Me Baulme

Avocats :

Mes Gibert, Schmitt.

CA Limoges n° 1821-93

31 mai 1995

LA COUR

Les faits et la procédure

La SA " Maison Verdier " devenue par la suite la SA Transports Verdier a été créée en 1955 après la mort accidentelle de son fondateur Monsieur Siméon Verdier qui laissait une veuve et six enfants pour gérer le fonds de commerce de transport de marchandises et de négoce de combustibles qu'il avait créé dans le cadre d'un contrat de location-gérance. Cette société s'était spécialisée pour certaines de ses lignes dans le transport de denrées périssables essentiellement la marée fraîche, par véhicules isothermes.

Madame Lucette Verdier épouse Bougerol, la fille aînée des enfants Verdier est devenue Présidente du Directoire de cette société en 1973. Travaillait également dans la société depuis 1957, son frère, Monsieur Guy Verdier qui, après avoir gravi les différents échelons de la société, occupait en décembre 1986 le poste de Directeur d'Exploitation, Monsieur Guy Verdier a quitté en février 1987 la SA Transports Verdier à la suite d'une modification de son contrat de travail qui lui était imposée par la Direction et refusée par lui. Monsieur Guy Verdier saisissait alors le Conseil des Prud'hommes de la Rochelle qui, par jugement du 15 septembre 1987, condamnait la SA Transports Verdier à payer à Guy Verdier la somme de 22 800 F au titre de l'indemnité de préavis et une autre de 136 800 F au titre de l'indemnité de congédiement. A la suite de l'appel interjeté par la SA Transports Verdier, la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de Poitiers, par un arrêt du 3 février 1988, confirmait le jugement qui lui était déféré, en limitant à la somme de 42 180 F, le montant de l'indemnité de licenciement.

Parallèlement à cette procédure engagée devant le Conseil des Prud'hommes, Monsieur Frédéric Verdier, le fils de Monsieur Guy Verdier, et Monsieur Pascal Giraudeau, gendre à l'époque de Monsieur Guy Verdier, ont constitué avec d'autres associés en Avril 1987 une SA Transports Verdier-Giraudeau dite SA TVG ayant pour objet social " tous transports et locations de véhicules de transports, et plus spécialement le transport et la distribution de tous produits par système et moyen isotherme et frigorifique ", soit une activité identique à celle exercée à titre principal par la SA Transports Verdier. La SA Transports Verdier-Giraudeau, le 13 avril 1987, en vertu d'une convention d'occupation conclue le 15 avril 1987 entre Monsieur Guy Verdier et elle, et enregistrée le 11 mai 1987, a installé ses bureaux dans un immeuble situé 33, Rue des Salines à La Rochelle qui est le domicile personnel de Monsieur Guy Verdier avant de louer à compter du 1er décembre 1987, pour 23 mois à Monsieur Joël Robin, un local commercial sis 27, 29 Rue de la Madeleine à Tasdon près de la Rochelle en vertu d'un contrat de bail du 28 novembre 1987.

En outre, onze salariés de la SA Transports Verdier ont démissionné de leurs fonctions entre le 9 mars et le 10 avril 1987, neuf chauffeurs ayant plus de 10 ans d'ancienneté et deux manutentionnaires. Trois d'entre eux ont été aussitôt embauchés au moins à titre temporaire par la Société Expresse Côte d'Armor, les huit autres par la SA Transports Verdier-Giraudeau. La SA Transports Verdier a intenté à leur encontre une action en dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 122-13 du Code du Travail pour rupture abusive du contrat de travail qui a été rejetée par un jugement du Conseil des Prud'hommes de la Rochelle du 30 novembre 1987 confirmé par un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de Poitiers du 3 février 1988.

Enfin, le Tribunal de Commerce de La Rochelle, par jugement du 15 mai 1987, a débouté la SA Transports Verdier de son action en concurrence déloyale intentée contre la SARL Express Côte d'Armor.

Au vu de l'ensemble de ces circonstances, la SA Transports Verdier, prétendant être victime d'acte de concurrence déloyale de la part de la SA Transports Verdier-Giraudeau et de Monsieur Guy Verdier et réclamer de ce chef des dommages-intérêts, a saisi le Tribunal de Grande Instance de La Rochelle qui, par un jugement en date du 5 janvier 1988, après avoir déclaré recevables et partiellement fondées les demandes de la SA Transports Verdier à l'encontre de la SA Transports Verdier-Giraudeau et de Monsieur Guy Verdier, a condamné in solidum les deux défendeurs à verser à la SA Transports Verdier une somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et une autre de 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et à supporter la charge des dépens, déboutant la SA Transports Verdier de ses autres demandes.

Par ailleurs, par jugement en date du 4 décembre 1987, le Tribunal de Commerce de La Rochelle a admis la SA Transports Verdier au redressement judiciaire, a désigné Maître Michel Rambour en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la SA Transports Verdier et Maître René Courret, en qualité de représentant des créanciers du redressement judiciaire de la même société.

Par jugement du 19 février 1988, le Tribunal de Commerce de La Rochelle a arrêté le plan de cession de l'entreprise de Transports Verdier au prix d'un million cinq cent mille francs au profit de la Société AEM et autorisé la location-gérance du fonds pour une période de six mois du 1er mars 1988 au 31 août 1988. A partir du 1er mars 1988, le fonds de commerce a cessé d'être exploité par la SA Transports Verdier, mais pour une nouvelle Société Verdier gérant libre.

La SA Transports Verdier, Maître Michel Rambour, pris en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la SA Transports Verdier, et Maître René Courret, pris en sa qualité de représentant des créanciers du redressement judiciaire de la SA Transports Verdier, ont relevé appel du jugement du Tribunal de Grande Instance de la Rochelle du 5 janvier 1988, suivant déclaration en date du 18 avril 1988.

La SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier ont interjeté appel incident de la même décision, suivant déclaration du 3 mai 1988.

Par arrêt du 5 octobre 1988, la Cour d'Appel de Poitiers a confirmé le jugement attaqué en ce qu'il avait estimé que Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau s'étaient rendus coupables de concurrence déloyale à l'égard de la SA Transports Verdier et précisé que ces faits avaient détourné une partie de sa clientèle.

Réformant le jugement pour le surplus, la Cour d'Appel de Poitiers a :

- condamné in solidum Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau à payer à la SA Transports Verdier la somme de 150 000 F à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice,

- sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice,

- commis, en qualité d'expert, Monsieur Patrice Auger et lui a donné pour mission de :

* rechercher et évaluer pour la SA Transports Verdier, le manque à gagner par la perte d'une partie de son chiffre d'affaires par suite des agissements de Monsieur Guy Verdier et de la SA Transports Verdier-Giraudeau, perte qui en tout ou en partie se retrouvera dans le chiffre d'affaires de la SA Transports Verdier-Giraudeau, société nouvellement créée par examen de tous documents, notamment par bordereau de transport et comptes-clients qui seront remis, à l'expert du 1er mars 1987 à ce jour,

* dire la perte subie par la SA Transports Verdier,

* dire si la perte dont elle se plaint peut avoir pour cause, et dans quelle mesure, l'évolution du marché et de la clientèle,

* fournir tous renseignements utiles.

Il a été procédé à l'expertise ordonnée par Monsieur Patrice Auger qui a rédigé son rapport et clos les opérations d'expertise le 11 juillet 1990.

Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'Appel de Poitiers du 5 octobre 1988, la Cour de Cassation, Chambre Commerciale, Financière et Economique, a rendu le 19 novembre 1991 un arrêt cassant et annulant toutes les dispositions de la décision frappée de pourvoi et a renvoyé la cause devant la Cour d'Appel de Limoges, au motif que la Cour d'Appel de Poitiers, pour déclarer la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier, coupables de concurrence déloyale envers la SA Transports Verdier et les condamner à des dommages-intérêts, tout en retenant que les faits relevés par le premier Juge " ne sont pas constitutifs en eux-mêmes de concurrence déloyale ", a toutefois décidé qu'il existait des présomptions suffisantes de débauchage du personnel par suite du nombre important de chauffeurs ayant donné leur démission pour entrer dans la nouvelle société et des possibilités de confusion entre les deux entreprises par l'utilisation par la SA Transports Verdier-Giraudeau du domicile de Monsieur Guy Verdier et de son numéro de téléphone d'une part et qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser les fautes commises par la SA Transports Verdier-Giraudeau, la Cour d'Appel de Poitiers n'a pas donné de base légale à sa décision.

La SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, ont saisi sur renvoi de cassation la Cour d'Appel de Limoges suivant déclaration du 19 novembre 1993. Monsieur Guy Verdier a constitué Avoué le 9 décembre 1993.

Chacune des parties a conclu, les appelants, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, le 21 décembre 1993, Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau, appelants incidents, le 22 mars 1994. L'ordonnance de clôture du Conseiller de la Mise en Etat de la Cour d'Appel de Limoges est intervenue le 30 mars 1995.

Par conclusions du 11 avril 1995, Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau ont sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture à laquelle se sont opposés leurs adversaires. Chacune des parties a déposé des conclusions sur ce point.

Prétentions et moyens des parties

A l'appui de leurs demandes de révocation de l'ordonnance de clôture et de renvoi de l'affaire à la Mise en Etat, Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau ont invoqué l'existence d'un élément nouveau dans le dossier, la cession intervenue le 19 février 1988 au profit d'une " Société des Transports Verdier ", qui, à son tour, a été l'objet d'un redressement judiciaire le 31 mars 1989, puis d'une liquidation judiciaire. Ils ont allégué que suivant les conditions de la cession qu'ils ne connaissaient pas, la SA transports Verdier, appelante, n'avait peut être plus qualité et intérêt pour agir, puisqu'elle n'avait peut être plus d'activité et même d'actif. Ils ont ajouté que l'action en concurrence déloyale qui leur était intentée faisait partie de l'actif de la SA Transports Verdier et avait été cédée à la Société AEM et à Maîtres Courret Guguen, liquidateurs de la nouvelle Société de Transports Verdier.

La SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, ont conclut au rejet de la demande de révocation, le prétendu fait nouveau allégué par la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier ne l'étant pas, puisque, lors du déroulement des opérations d'expertise de Monsieur Patrice Auger, auxquelles étaient présents ou représentés la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier, il a été fait mention de la cession des éléments d'actifs de la SA Verdier à une Société AEM, le jugement arrêtant et acceptant cette production étant annexé au rapport d'expertise et que Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau ont conclu le 11 décembre 1990 sur ce rapport.

Sur le fond, les appelants principaux, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, ont conclu à la confirmation du jugement du Tribunal de Grande Instance de La Rochelle du 5 janvier 1988, du chef de la concurrence déloyale, à la condamnation in solidum de Monsieur Guy Verdier et de la SA des Transports Verdier-Giraudeau à payer à Maître Rambour, ès-qualités, la somme de 12 132 258 F, avec intérêts à compter d'Avril 1987, date de la concurrence déloyale au besoin à titre de dommages-intérêts compensatoires, et celle de 100 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et à supporter la charge des dépens.

Les appelants rappellent que l'action en concurrence déloyale n'est pas limitée à une action en violation d'une clause contractuelle de non-concurrence, mais sanctionne également un comportement déloyal. Ils prétendent qu'en l'espèce les moyens et procédés déloyaux résultent à l'évidence de la concomitance de la démission de Monsieur Guy Verdier, de la démission des chauffeurs-livreurs, de la dénonciation de son contrat par la Société Express Cote d'Amour, avec laquelle elle travaillait depuis longtemps, de la création de la Société des Transports Verdier-Giraudeau avec son siège effectif au domicile de Monsieur Guy Verdier. Ils indiquent que ces manœuvres déloyales ont désorganisé totalement l'entreprise.

Sur le préjudice, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, prétendent que l'attitude déloyale de la SA Transports Verdier-Giraudeau et de Monsieur Guy Verdier leur a causé des pertes ou un manque à gagner se traduisant pour eux par un appauvrissement, tous chefs de préjudice confondus, de 12 132 258 F qui a profité à la SA Transports Verdier-Giraudeau.

Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau, sollicitant l'infirmation du jugement déféré, ont conclu au débouté de la SA Transports Verdier, de Maître Rambour, ès-qualités, et de Maître Courret, ès-qualités, de toutes leurs demandes, à leur condamnation à payer à chacun d'entre eux la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et à leur condamnation à supporter la charge des dépens.

Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau prétendent que les trois conditions de la responsabilité civile délictuelle, prévues par les articles 1382 et 1383 du Code Civil, qui servent de fondement à la responsabilité pour concurrence déloyale, ne sont pas réunies en l'espèce.

En ce qui concerne la faute, ils exposent que Monsieur Guy Verdier n'en a commis aucune, qu'il n'avait en 1987, au moment de la constitution de la SA Transports Verdier-Giraudeau, aucun lien de droit avec cette société, n'étant ni son Président Directeur Général, ni son actionnaire, ni son salarié, qu'il n'a pas procédé au débauchage d'une partie du personnel de la SA Transports Verdier, comme le démontrent les procédures engagées par cette société à l'encontre des neuf chauffeurs et des deux manutentionnaires d'une part et à l'encontre de la Société Express Côte d'Amour d'autre part, où la SA Transports Verdier-Giraudeau a été à chaque fois déboutée ; que s'il a consenti à son domicile, au 33 rue des Satines à La Rochelle, un bail à la SA Transports Verier-Giraudeau, ce fut en vertu d'un bail enregistré et temporaire, qu'il n'a pas traité directement avec la clientèle de la SA Transports Verdier-Giraudeau comme voudraient le faire croire les appelants en versant aux débats des fiches de livraison portant le nom de Guy Verdier qui auraient dû rester sur les colis livrés et dont on se demande comment la SA Transports Giraudeau a pu les avoir en sa possession si ce n'est par un vol, des attestations de la Société Frigo Transport et des lettres de la Mairie de La Rochelle qui révèlent en fin de compte une confusion entre Monsieur Guy Verdier et son fils Frédéric Verdier, qu'il n'a jamais favorisé la création de la SA Transports Verdier-Giraudeau et qu'il est devenu le salarié de cette société comme Directeur Technique seulement en Juillet 1989.

Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau ajoutent que la SA Transports Verdier-Giraudeau n'a commis également aucune faute à l'égard de la SA Transports Verdier, se livrant à une concurrence déloyale dans un marché libre où les signes de transports ne sont pas juridiquement protégées, qu'il est impossible d'établir une confusion entre les deux sociétés, les camions de la SA Transports Verdier-Giraudeau ayant des signes distinctifs par rapport à ceux de la SA Transport Verdier, que la SA Transports Verdier-Giraudeau n'a pas cherché à désorganisé la SA Transports Verdier, car elle n'a pas débauché neuf chauffeurs et deux manutentionnaires de cette dernière société, comme en témoignent les procédures intentées par la SA Transports Verdier à l'encontre de ses onze anciens salariés devant le Conseil des Prud'hommes.

De la même manière, Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau prétendent que la SA Transports Verdier ne rapporte pas la preuve de son préjudice, le rapport d'expertise de Monsieur Patrice Auger ne pouvant pas être pris en considération puisqu'il repose sur un arrêt qui a été cassé et n'existe donc pas.

Enfin, Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau exposent qu'il n'y a aucun lien de causalité entre leurs fautes très éventuelles et le préjudice tout aussi éventuel de la SA Transports Verdier puisqu'il résulte des pièces versées aux débats que les difficultés de la SA Transports Verdier sont très antérieures à Avril 1987 et remontent au moins à 1985 et même avant, la clientèle sur le marché du transport de la marée n'étant jamais acquise et étant au contraire très fluctuante.

Discussion

I) Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :

Il n'est pas contesté par les parties, que la SA Transports Verdier a cédé son fonds de commerce pour le prix d'un million cinq cent mille francs à la Société AEM, que cette cession a été homologuée par un jugement du Tribunal de Commerce de La Rochelle du 19 février 1988, que la société a constitué à la suite de cette cession, pour exploiter le fonds acquis, une société dénommée " Société des Transports Verdier " qui a été mise à son tour en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire le 31 mars 1989.

La question est seulement celle de savoir si la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier ont pu ignorer avec vraisemblance cette cession et ses suites jusqu'au moment où l'ordonnance de clôture a été prononcée, le 30 mars 1995, par le Conseiller de la Mise en Etat de la Cour d'Appel de Limoges et si la prise de connaissance de cet élément a pu constituer un fait nouveau susceptible d'être la cause grave pouvant entraîner la révocation de l'ordonnance de clôture.

Or, il ressort des pièces versées aux débats que, lors du déroulement des opérations d'expertise de Monsieur Patrice Auger, auxquelles étaient présents ou représentés la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier, il a été fait mention de la cession des éléments d'actif de la SA Transports Verdier à une Société AEM, le jugement arrêtant et acceptant cette production étant annexé au rapport d'expertise d'une part et que Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau ont conclu le 11 décembre 1990 sur ce rapport d'autre part. Dès lors, les intimés n'ont pas pu ni méconnaître cette cession et ce bien avant l'ordonnance de clôture du Conseiller de la Mise en Etat de la Cour d'appel de Limoges du 30 mars 1995, puisque les opérations d'expertise ont été closes aux environs du 11 juillet 1990 et ne peuvent pas prétendre que cette cession constitue un fait nouveau.

Dans ces conditions, la SA Transports Verdier-Giraudeau et Monsieur Guy Verdier ne rapportent pas la preuve d'une cause grave, qui seule rend possible la révocation de l'ordonnance de clôture, cette dernière doit être maintenue et les conclusions postérieures au prononcé de cette ordonnance de clôture sont irrecevables par application des dispositions de l'article 783 du Nouveau code de procédure civile.

II) Sur la concurrence déloyale

Préalablement à toute discussion, il convient de rappeler d'une part que l'activité commerciale de transports de marchandises et de denrées périssables est soumise au principe de la liberté de commerce qui autorise quiconque à créer sa propre entreprise, les lignes de transport n'étant pas juridiquement protégées, et d'autre part que les contrats de travail de Monsieur Guy Verdier, des chauffeurs et des manutentionnaires, qui ont quitté au cours des quatre premiers mois de l'année 1987, la SA Transports Verdier, ne comportaient pas de clause de non-concurrence.

Dès lors, eu égard à ces éléments, pour qu'il y ait concurrence déloyale, il doit y avoir abus de la liberté de commerce et atteinte à la libre concurrence par des procédés déloyaux et éventuellement même des manœuvres frauduleuses. L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du Code Civil qui impliquent non seulement l'existence d'une faute commise par le défendeur, mais aussi celle d'un préjudice subi par le demandeur et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Les faits de concurrence déloyale, dont entendent se prévaloir la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, à l'encontre de la SA Transports Verdier-Giraudeau et de Monsieur Guy Verdier, doivent remplir les trois conditions ci-dessus énoncées. Ils doivent être appréciés en premier lieu par rapport à la SA Transports Verdier-Giraudeau et en second lieu par rapport à Monsieur Guy Verdier.

[A] Le comportement de la SA Transports Verdier-Giraudeau :

Les faits de concurrence déloyale reprochés à la SA Transports Verdier-Giraudeau par la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, sont la confusion volontairement entretenue par la nouvelle société par rapport à l'ancienne et la désorganisation de la SA Transports Verdier par le débauchage par la SA Transports Verdier-Giraudeau à son profit de huit chauffeurs et d'un manutentionnaire de la SA Transports Verdier.

1°) Sur la confusion :

Comme l'ont fort bien noté les premiers Juges, la dénomination sociale prise par la nouvelle société de transports, SA Transports Verdier-Giraudeau dite TVG peut se justifier par le nom de ses deux premiers actionnaires, Messieurs Frédéric Verdier et Pascal Giraudeau, étrangers à la SA Transports Verdier où ils n'ont jamais travaillé. Il n'est pas possible de reprocher à ces deux personnes d'exercer une activité commerciale en utilisant leur nom patronymique. En outre, les pièces versées aux débats démontrent que la SA Transports Verdier-Giraudeau, en adoptant le sigle TVG aussi bien dans ses documents de correspondance que sur la carrosserie de ses véhicules, a essayé de réduire les effets préjudiciables d'une éventuelle confusion entre les deux sociétés.

Les factures établies par des fournisseurs (Anuchar en date du 24 avril 1987, Primel, en date du 20 mai 1987) adressées à tort à la SA Transports Verdier, alors qu'elles concernaient la SA Transports Verdier-Giraudeau, comme la réclamation faite par la Mairie de La Rochelle en novembre 1987, au sujet de l'utilisation abusive d'une pompe au marché de gros, adressée d'abord à la SA Transports Verdier, alors qu'elle concernait la SA Transports Verdier-Giraudeau, peuvent s'expliquer aussi bien par la confusion des noms sociaux que par l'inattention des interlocuteurs de la SA Transports Verdier-Giraudeau. Ces éléments en tout cas ne caractérisent pas le caractère déloyal et a fortiori frauduleux du comportement de la SA Transports Verdier-Giraudeau.

De même, s'il n'est pas contesté que la SA Transports Verdier-Giraudeau n'a pas installé, au début de son exploitation, ses bureaux à l'adresse de son siège mais temporairement du 13 avril au 30 novembre 1987 dans un immeuble situé 33, Rue des Salines à La Rochelle (Charente-Maritime) qui constitue aussi le domicile de Monsieur Guy Verdier, respectivement le père de Monsieur Frédéric Verdier et le beau-père à l'époque de Monsieur Pascal Giraudeau, il ne peut pas en être déduit que par ce biais, l'utilisation du domicile personnel de Monsieur Guy Verdier, ancien salarié de la SA Transports Verdier, est déloyale car il n'est pas interdit à un père ou à un beau-père d'aider ses enfants par le sang ou par alliance, surtout de manière temporaire.

2°) Sur le débauchage et l'emploi de personnel de la SA Transports Verdier :

Il est constant, comme l'énonce le Tribunal de Grande Instance de La Rochelle dans son jugement du 5 janvier 1988, qu'onze salariés de la SA Transports Verdier, neuf chauffeurs et deux manutentionnaires, ont démissionné de leurs fonctions entre le 9 mars et 10 avril 1987. Deux chauffeurs et un manutentionnaires ont été embauchés par la Société Express Côte d'Amour au moins à titre temporaire, les huit autres par la SA Transports Verdier-Giraudeau. S'il est incontestable que le départ du quart des chauffeurs de la SA Transports Verdier, et surtout de ses plus anciens, donc des plus qualifiés, a désorganisé de façon substantielle cette dernière société et a provoqué pour elle un trouble non négligeable, ce fait n'établit pas par lui-même le caractère déloyal de l'attitude de la SA Transports Verdier-Giraudeau, les salariés en cause ayant pu quitter leur ancien employeur alors que par ailleurs ils ont tous les onze respecté le délai de préavis extrêmement court, huit jours, et qu'ils n'étaient pas soumis à une clause de non-concurrence. D'ailleurs la SA Transports Verdier, qui avait intenté à l'encontre de ces onze salariés une action en dommages-intérêts fondée sur l'article L. 122-13 du Code du Travail qui dispose que " la résiliation d'un contrat de travail à durée déterminée, à l'initiative du salarié, donne droit si elle est abusive à des dommages-intérêts ", a été déboutée de ses prétentions par un jugement du Conseil des Prud'hommes de la Rochelle du 30 novembre 1987 confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour d'Appel de Poitiers du 3 février 1988.

3°) Sur le détournement de clientèle :

La SA Transports Verdier reproche à la SA Transports Verdier-Giraudeau d'effectuer " un véritable piratage de sa clientèle démarchée sans vergogne à des prix rares ".

Compte tenu de l'objet partiellement identique de la SA Transports Verdier et de la SA Transports Verdier-Giraudeau, il est admis que la SA Transports Verdier-Giraudeau a, parmi ses clients, d'anciens clients de la SA Transports Verdier. Mais il ne peut pas être fait grief à une société de transport spécialisée dans le mareyage de démarcher la clientèle potentielle susceptible d'avoir recours à ses services, cette pratique, tout à fait conforme au principe de la liberté de commerce, ne devenant répréhensible que si elle est accompagnée de manœuvres frauduleuses contraires aux usages loyaux du commerce.

En l'espèce l'inexistence de tels procédés n'est pas établie par deux lettres en date des 27 et 30 avril 1987 concernant une clientèle, Madame Darre, produites dans le dossier de la SA Transports Verdier, qui démontrent que si Monsieur Guy Verdier n'est pas étranger à la création de la SA Transports Verdier-Giraudeau, la clientèle de la SA Transports Verdier démarchée conservait la liberté de s'adresser au transporteur de son choix puisque, dans le cas de Madame Darre, celle-ci a continué de faire appel aux services de la SA Transports Verdier.

[B] L'attitude de Monsieur Guy Verdier :

L'attitude de Monsieur Guy Verdier doit être appréciée en fonction de l'absence de lien de droit entre l'intéressé et la SA Transports Verdier-Giraudeau d'une part et de l'absence de clause de non concurrence dans le contrat de travail qui avait lié Monsieur Guy Verdier à la SA Transports Verdier d'autre part.

1°) L'absence de lien de droit entre Monsieur Guy Verdier et la SA Transports Verdier-Giraudeau :

Il ressort des pièces versées aux débats et il n'est d'ailleurs pas contesté par la SA Transports Verdier que Monsieur Guy Verdier, ancien salarié de la SA Transports Verdier, n'a été du 13 avril 1987 jusqu'en juillet 1989 ni Président Directeur Général, ni actionnaire, ni employé de la SA Transports Verdier-Giraudeau puisqu'il n'est devenu Président Directeur Technique de la SA Transports Verdier-Giraudeau qu'en Juillet 1987, soit bien après le dépôt de bilan de la SA Transports Verdier, le Président Directeur Général de la Société Transports Verdier-Giraudeau étant Monsieur Pascal Giraudeau, pendant cette période.

Dès lors, pour pouvoir engager la responsabilité de Monsieur Guy Verdier, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, doivent démontrer que leur ancien Directeur était le dirigeant de fait de la SA Transports Verdier-Giraudeau du 13 avril 1987 à Juillet 1989 et s'est livré, en cette qualité, à des manœuvres déloyales à l'égard de son ancien employeur, la SA Transports Verdier.

Or ne peuvent pas être imputés à Monsieur Guy Verdier le débauchage et le réembauchage des onze salariés de la SA Transports Verdier puisque, comme l'ont admis les jugement du Conseil des Prud'hommes de La Rochelle du 30 novembre 1987 et arrêt de la Cour d'Appel de Poitiers du 3 février 1988, ces onze salariés ont respecté le délai de préavis et n'étaient pas astreints à une obligation de non-concurrence.

De même les appelants, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, ne rapportent pas la preuve de ce que Monsieur Guy Verdier ait joué un rôle quelconque dans la gestion de la Société Transports Verdier-Giraudeau du 13 avril 1987 à juillet 1989, à l'exception de la mise à la disposition de la SA Transports Verdier-Giraudeau d'une partie de son domicile pour une durée très temporaire, six mois environ, qui s'explique par le souci d'un père et d'un beau-père d'aider son fils et son gendre.

De même, il n'est pas démontré par les pièces versées aux débats que Monsieur Guy Verdier ait démarché une partie de la clientèle de la SA Transports Verdier au bénéfice de la SA Transports Verdier-Giraudeau.

2°) L'absence de clause de non-concurrence dans le contrat de travail de Monsieur Guy Verdier :

Comme l'indique à juste titre le jugement du Tribunal de Grande Instance de La Rochelle du 5 janvier 1988 critiqué, il n'est pas possible d'affirmer que Monsieur Guy Verdier a été complètement étranger à la création de la SA Transports Verdier-Giraudeau. Absent juridiquement de cette société, il n'en est pas moins vrai que, soucieux de donner à son fils et à son gendre une situation financière rénumératrice, Monsieur Guy Verdier les a assistés de ses conseils dans la création de la SA Transports Verdier-Giraudeau, les a fait profiter de sa grande expérience dans le domaine des transports industriels et commerciaux et des relations qu'il avait entretenues pendant le temps de son service à la SA Transports Verdier, et a mis à leur service, à titre tout à fait provisoire il est vrai, une partie de son domicile afin de leur permettre de loger les bureaux de la nouvelle société dans l'attente d'une installation définitive de celle-ci dans des locaux adéquats.

Mais il n'est pas possible, au vu des éléments du dossier, d'affirmer que Monsieur Guy Verdier, qui n'était pas soumis à une obligation de non-concurrence en vertu du contrat de travail qui le liait à la SA Transports Verdier, a utilisé des procédés déloyaux, dans l'aide qu'il a consentie à la SA Transports Verdier-Giraudeau, en dérogeant notamment aux usages normaux du commerce. La SA Transports Verdier ne s'était pas trompée d'ailleurs sur la faiblesse du contrat de travail de Monsieur Guy Verdier sur ce point, lorsqu'elle lui avait proposé, en février 1987, un nouveau contrat comportant une clause de non-concurrence.

En réalité, les différents faits relevés par le premier Juge, et qui ont été repris dans le présent arrêt (démission de Monsieur Guy Verdier de la SA Transports Verdier, démission de neuf chauffeurs-livreurs de cette société et leur embauche par la Société Express côte d'Amour et par la SA Transports Verdier-Giraudeau en mars-Avril 1987, dénonciation de son contrat de sous-traitance avec la SA Transports Verdier par la Société Express Côte d'Amour en Mars 1987, création de la SA Transports Verdier-Giraudeau par le fils et le gendre de Monsieur Guy Verdier, installation provisoire et temporaire des bureaux de la SA Transports Verdier-Giraudeau au domicile de Monsieur Guy Verdier) ne sont pas constitutifs en eux-mêmes de la concurrence déloyale. C'est la multiplicité et la concomittance de ces faits qui permettent de déceler l'existence éventuelle d'une concurrence déloyale.

Mais c'est là faire intervenir des présomptions qui sont insuffisantes à caractériser les fautes commises par la SA Transports Verdier-Giraudeau et par Monsieur Guy Verdier dans le jeu de la concurrence qui a opposé la SA Transports Verdier à la SA Transports Verdier-Giraudeau.

Les appelants, la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, doivent être déboutés de leurs demandes. Le jugement du Tribunal de Grande Instance de La Rochelle du 5 janvier 1988 doit être infirmé.

III) Sur les demandes annexes :

Au vu des circonstances de la cause, il apparaît inéquitable de ne pas allouer à la SA Transports Verdier-Giraudeau et à Monsieur Guy Verdier une somme d'argent sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, qui ont succombé, ne peuvent pas prétendre à une somme d'argent sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et doivent supporter la charge des dépens de l'ensemble de l'instance.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en audience Solennelle, sur renvoi de Cassation, après en avoir délibéré conformément à la loi ; - Infirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de La Rochelle du 5 janvier 1988 ; Déboute la SA Transports Verdier, Maître Rambour, pris en sa qualité d'administrateur de la SA Transports Verdier en redressement judiciaire, et Maître Courret, pris en sa qualité de représentant des créanciers de la SA Transports Verdier en redressements judiciaire, de l'ensemble de leurs demandes, y compris celles fondées sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; - Rejette les demandes de la SA Transports Verdier-Giraudeau et de Monsieur Guy Verdier fondées sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. - Condamne in solidum la SA Transports Verdier, Maître Rambour, ès-qualités, et Maître Courret, ès-qualités, aux dépens avec le droit au profit de la SCP Coudamy, Avoué à la Cour de Limoges, pour les dépens d'appel de recouvrer directement contre les parties condamnées ceux dont elle a fait l'absence sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.