Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 mai 1995, n° 93-017935

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Infodidact (SA)

Défendeur :

Tegam (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

Me Bolling, SCP Bommart Forster

Avocats :

SCP Garby, Me Armengaud.

T. com. Paris, 17e ch., du 22 juin 1993

22 juin 1993

Spécialisées dans la micro-informatique, les sociétés Tegam International et Infodidact ont présenté sur le marché, fin 1989/début 1991, un logiciel Antivirus dénommé, pour la première V-Guard et pour la seconde V-Analyst 3.

A la demande de la société Infodidact, et pour éviter toute confusion entre les deux produits nouvellement commercialisés, la société Tegam a accepté, en mai 1991, de remplacer " V-Guard " par la dénomination " Viguard ", substituant la lettre " I " au trait d'union initialement choisi.

En avril 1992 la société Tegam a reproché à son tour à la société Infodidact, d'utiliser le slogan " L'Anti Virus Absolu " qu'elle aurait antérieurement créé et qu'elle affirmait utiliser " dans ses publicités et dans la presse depuis le début de l'année 1991 " et lui a demandé d'en cesser immédiatement l'exploitation.

N'obtenant pas les précisions qu'elle sollicitait en réponse, Infodidact a saisi le Juge des référés du Tribunal de Commerce de Paris qui, se déclarant incompétent par ordonnance du 8 juillet 1992, a autorisé chacune des deux sociétés à saisir à jour fixe le juge du fond.

Aucune suite n'ayant été donnée à cette procédure et devant l'utilisation persistante par Infodidact du Slogan revendiqué, la société Tegam a repris l'initiative des opérations et assigné son adversaire le 19 février 1993 devant le Tribunal de Commerce de Paris, sur autorisation du juge des référés préalablement saisi.

Par jugement en date du 22 juin 1993, le Tribunal de Commerce de Paris a :

- fait interdiction, sous astreinte, à la société Infodidact d'utiliser le slogan " L'Anti-Virus Absolu " ;

- condamné Infodidact à payer à la société Tegam la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts outre la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- ordonné la publication de la décision dans trois journaux ou revues aux frais de la société Infodidact à concurrence de 30 000 F par insertion ;

- débouté Infodidact de son action en concurrence déloyale et rejeté toutes autres prétentions des parties.

Par acte du 27 juillet 1993, la société Infodidact a interjeté appel de cette décision. Par ordonnance du 18 août 1993, le Premier Président de la Cour d'Appel de Paris a suspendu l'exécution provisoire ordonnée par les premiers juges mais uniquement en ce qu'elle affectait l'astreinte prononcée, lui laissant son plein et entier effet pour les autres mesures prises.

Au soutien de son appel, la société Infodidact conteste que l'utilisation sporadique par la société Tegam du slogan " L'Antivirus Absolu ", non protégé par le droit d'auteur ou par le droit des marques, et abandonné dès le mois de mai 1991 au profit de l'expression " L'Antivirus Générique ", ait permis à celle-ci d'acquérir un quelconque droit privatif sur le slogan en cause.

Elle estime dans ces conditions que l'utilisation qu'elle en a faite dès le mois d'Août 1991 était parfaitement valable et a eu pour effet, en raison de son importance, de lui conférer la propriété dudit slogan associé depuis lors dans l'esprit du public à son propre produit.

Elle prétend qu'en tenant de " récupérer " dans ces conditions le slogan litigieux et en adoptant de surcroît une publicité et une présentation du produit proche de la sienne, la société Tegam se livre à son encontre à des actes de concurrence déloyale et parasitaires répréhensibles, visant à détourner la clientèle qu'elle a développée au prix d'investissements publicitaires particulièrement importants.

Poursuivant la réparation du préjudice qu'elle estime subir, la société Infodidact conclut à l'infirmation de la décision entreprise et sollicite, outre le paiement d'une somme de 800 000 F de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial et de la somme de 200 000 F en raison du trouble qui lui a été causé, les mesures d'interdiction habituelles et la publication de la décision à intervenir dans six journaux ou revues de son choix et à concurrence de 30 000 F par insertion à la charge de son adversaire.

S'estimant également fondée à demander remboursement des frais qu'elle a dû exposer pour suspendre l'exploitation du slogan en raison de l'exécution provisoire dont était assortie le jugement entrepris, elle réclame à ce titre la somme de 128 096 F avec intérêts au taux légal à compter du paiement qui en a été fait et sollicite 40 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Pour s'opposer aux prétentions de son adversaire, la société Tegam Internationale prétend qu'elle détient de façon incontestable des droits antérieurs sur la création et l'exploitation commerciale du slogan et qu'en reprenant celui-ci dans sa publicité la société Infodidact a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires à son encontre, cherchant à capter, sans effort personnel, les bénéfices attachés audit slogan créé et utilisé en premier lieu par elle même.

Réfutant point par point l'argumentation qui lui est opposée elle conclut, en son principe, à la confirmation de la décision entreprise mais dénonce la particulière mauvaise foi de son contradicteur et sa persistance à utiliser le slogan litigieux en dépit de l'interdiction qui lui en a été faite pour solliciter par voie d'appel incident l'octroi d'une somme de 800 000 F de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial et d'une somme de 70 000 F de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

Elle demande enfin paiement de la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles qu'elle s'est vu contrainte d'engager en cause d'appel.

Sur ce

Sur les actes de concurrence déloyale :

Considérant que la société Tegam ne conteste pas que le slogan qu'elle a créé au début de l'année 1991, résultat de la simple adjonction de l'adjectif " Absolu " au terme générique " Antivirus " appliqué à un logiciel dont la finalité essentielle est de détecter les " virus " et de " désinfecter " les disques durs des ordinateurs qui en seraient affectés, est dépourvu de toute originalité et ne peut comme tel bénéficier de la protection spécifique de la loi sur le droit d'auteur ;

Qu'elle ne conteste pas davantage ne pas pouvoir revendiquer le statut protecteur du droit des marques n'ayant pas déposé à l'INPI la dénomination litigieuse ;

Qu'agissant sur le fondement de la concurrence déloyale et des dispositions des articles 1382/1383 du Code civil, elle se prévaut de l'exploitation commerciale qu'elle en a antérieurement faite pour dénier à la société Infodidact tout droit d'utilisation sur la dénomination et lui reprocher, en faisant usage, d'avoir cherché à détourner sa clientèle et à recueillir du logiciel V-Guard dont la presse spécialisée venait de vanter les mérites et la supériorité ;

Mais considérant que si les encarts publicitaires parus dans la revue " PC Informatique " des mois de février, mars, avril et mai 1991, révèlent qu'elle a effectivement usé dans un premier temps de l'expression " L'Antivirus Absolu ", force est de constater que dès le mois de juin 1991, le produit devenu " Viguard " pour les raisons précédemment exposées, a été présenté sous le slogan " L'Antivirus Générique " ; :

Que la promotion du logiciel, auquel le public n'était pas encore habitué, s'est effectuée, à compter de cette date, sous ces nouvelles dénominations, et s'est poursuivie sous ces termes jusqu'au mois de juin 1992, date à laquelle revendiquant la propriété exclusive du slogan originairement choisi, la société Tegam en a fait à nouveau usage ;

Que contrairement à ce qu'elle prétend, elle ne justifie pas avoir utilisé le terme " L'Antivirus Absolu " entre les mois de juin 1991 et juin 1992, le conditionnement qu'elle produit à cet effet, s'il porte bien mention de l'expression litigieuse, n'étant pas pertinent puisque postérieur, si l'on se réfère au manuel d'utilisation qu'il comporte, à la date du 15 janvier 1993 et différent du conditionnement qui apparaît sur les publicités antérieures et qui porte mention de la dénomination " L'Antivirus Générique " ;

Considérant que parallèlement et à la même époque, la société Infodidact a engagé pour la promotion de son produit V-Analyst 3 une campagne publicitaire particulièrement importante sur la base du slogan querellé, faisant apparaître des encarts dans nombre de journaux spécialisés (comme en attestent les extraits de presse versés aux débats) et le faisant paraître dans toute présentation du produit auquel il s'est ainsi trouvé étroitement et de manière univoque associé ;

Que cette publicité " intensive " entreprise au mois d'août 1991 n'a suscité de la part de la société Tegam aucune réaction, la lettre de protestation qu'elle prétend avoir émise le 22 janvier 1992, mais qu'elle ne justifie pas avoir expédié, étant sujette à caution, aucune référence n'y étant faite, ne serait-ce que de façon implicite, dans la mise en demeure adressée à la société Infodidact le 21 avril 1992 ;

Qu'il apparaît dès lors qu'au moment où la société Infodidact a entrepris l'exploitation commerciale dudit slogan, la société Tegam ne pouvait valablement se prévaloir d'un usage antérieur, celui auquel elle s'était livrée, par son caractère sporadique et limité, n'étant pas de nature à permettre au public d'y associer un quelconque produitet ne constituant nullement " une exploitation commerciale " sérieuse et suffisante susceptible de lui conférer un droit qu'elle puisse revendiquer ;

Que les documents invoqués par la société Tegam pour attester de l'existence d'un tel pouvoir d'association et se plaindre de la confusion entretenue dans l'esprit du public par sa concurrente, ne sont pas pertinents puisque postérieurs au mois d'octobre 1993, et par voie de conséquence à l'époque à laquelle elle a repris à son compte le slogan litigieux ;

Qu'elle ne saurait davantage se prévaloir de l'étude comparative effectuée en mai 1991 par les journalistes spécialisées qui dans la présentation des deux produits ne font aucune référence au slogan en cause ;

Que la société Tegam ne pouvant, dans les circonstances qui viennent d'être rappelées, invoquer un quelconque droit sur ledit slogan ne peut valablement reprocher à la société Infodidact les actes de concurrence déloyale qu'elle allègue ;

Considérant en revanche qu'en reprenant à son compte dès le mois de juin 1992 le slogan que la société Infodidact associait intensivement depuis plus de dix mois au produit V-Analyst 3, la société Tegam a cherché de toute évidence à récupérer le bénéfice de la campagne publicitaire particulièrement dynanique développée par sa concurrente et décliné sur plusieurs modes dont il est amplement justifié ;

Que ce comportement parasitaire est d'autant plus patent que la société Tegam a, concomitamment et par modifications successives, abandonné le style publicitaire qui était le sien pour adopter un style proche de celui de son adversaire, que ce soit dans les couleurs ou dans la présentation générale dont elle a adopté le genre ;

Qu'au conditionnement rouge et gris de " L'Antivirus Générique " figurant sur les publicités antérieures à 1993, elle a substitué en janvier 1993 le conditionnement bleu de " L'Antivirus Absolu ", et comportant encore une disquette rouge et grise ; et n'a pas cru devoir fournir à leur sujet la moindre explication ;

Qu'apparaît curieusement, dans la publicité d'octobre 1993, l'adjectif " tranquille " au moment où Infodidact, pour se conformer à la décision du 22 juin 1993 a substitué au slogan disputé celui de " L'Esprit Tranquille " ;

Qu'il s'agit là d'autant d'éléments convergents révélateurs du comportement parasitaire de la société Tegam et de son intention délibérée de se placer dans le sillage de sa concurrente pour recueillir, ne serait-ce que partiellement, le bénéfice des efforts promotionnels déployés par cette dernière et qui justifie amplement les griefs qu'elle a formulés ;

Que la décision entreprise doit en conséquence, pour les motifs qui viennent d'être exposés, [être] infirmée ;

Sur le préjudice :

Considérant que si la société Infodidact ne justifie pas par des documents comptables des investissements publicitaires auxquels elle a procédé, les nombreuses pièces produites aux débats attestent cependant de leur existence et de leur importance ;

Que le préjudice s'infère des actes de concurrence déloyale eux-mêmes et justifie l'octroi de dommages-intérêts ;

Qu'à défaut toutefois d'éléments précis quant au détournement de clientèle qui en serait résulté ou quant à la baisse du chiffre d'affaire, la Cour estime que le préjudice sera entièrement réparé, en ce compris le trouble commercial subi depuis l'origine, par l'allocation d'une somme de 250 000 F de dommages-intérêts ;

Considérant en revanche que la société Infodidact ne saurait voir rembourser par son adversaire les frais qu'elle a dû engager ensuite de la décision de première instance qui s'imposaient en raison de l'exécution provisoire dont cette décision était assortie ;

Que les mesures d'interdiction habituelles sollicitées doivent également être ordonnées en ce compris la mesure de publication judiciaire ;

Qu'en raison de la solution apportée au litige la société Tegam ne saurait valablement se prévaloir d'un quelconque préjudice qu'il soit antérieur au jugement dont appel ou qu'il résulte des infractions qui auraient été commises à l'interdiction prononcée en première instance ;

Considérant enfin que si la société Tegam ne peut valablement prétendre à une indemnité pour frais irrépétibles, il serait inéquitable en revanche de laisser à la société Infodidact la charge de ceux qu'elle a engagés, la somme de 30 000 F devant de ce fait lui être allouée ;

Par ces motifs infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 22 juin 1993 et statuant à nouveau ; Dit que la société Tegam International a commis des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires à l'encontre de la société Infodidact en utilisant à compter de Juin 1992 le slogan " L'Antivirus Absolu " ; La condamne à payer à la société Infodidact la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de l'entier préjudice outre la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Ordonne à la société Tegam International de cesser l'utilisation et la diffusion du slogan " L'Antivirus Absolu " pour quelques services ou produits informatiques que ce soit et sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois suivant signification de la présente décision ; Ordonne la publication de la présente décision dans trois journaux ou revues au choix de la société Infodidact et aux frais de la société Tegam dans la limite de 30 000 F par insertion ; Rejette toutes autres demandes des parties. Condamne la société Tegam aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Bolling Avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.