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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 mai 1995, n° 93-017601

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Prospections (SARL), Fisher Research Laboratory (Sté), Garrett Electronics (Sté)

Défendeur :

Atelier d'Assistance Électronique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

Me Pamart, SCP Bourdais Virenque

Avocats :

Mes Ternaud, Iorio.

T. com. Paris, 13e ch., sect. B, du 31 m…

31 mars 1993

La SARL Prospections est le distributeur exclusif en France d'appareils destinés à détecter les métaux dans le sol, de marques Fisher Research Laboratory et Garrett Electronics en vertu de contrats des 30 janvier 1989 et 2 juillet 1990.

Alléguant que la SARL " Atelier d'Assistance Electronique " dite AAE vendait des appareils de ces marques et se servait du logotype de celles-ci pour sa publicité, les sociétés Prospections, Fisher et Garrett Electronics l'ont assignée le 17 février 1992 devant le tribunal de Commerce de Paris aux fins de la voir condamner, aux termes de leurs conclusions des 23 avril et 19 décembre 1992, pour concurrence déloyale, en paiement des sommes de 500 000 F, 100 000 F et 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, outre l'interdiction d'utiliser les marques en cause et la publication de la décision à intervenir dans quatre revues.

Les 23 mars et 19 novembre 1992, la société AAE a conclu au rejet des demandes et sollicité reconventionnellement l'attribution des sommes de 500 000 F en réparation de l'atteinte portée à son image de marque et de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, ainsi que la publication d'une annonce rectificative.

Par jugement du 31 mars 1993, le Tribunal relevant que :

- la société AAE achetait dans la CEE du matériel Fisher et Garrett, l'importait, le vendait légalement en l'absence de protection particulière en le proposant " dans des publicités courantes avec des logos normaux ", achetait les pièces détachées " jusque chez Fisher même " et se comportait ainsi normalement sur un marché concurrentiel restreint,

- la société Prospections employait " un style provocateur, destiné à s'attirer la clientèle en faisant état du risque pris en achetant chez les concurrents, lequel risque (était) mensonger et (n'existait) que pour soutenir les ventes de (cette) société " et se livrait à un dénigrement abusif, constitutif d'une faute au sens des articles 1382 et 1383 du code civil,

a :

- débouté les sociétés Prospections, Fisher et Garrett Electronics de leurs demandes,

- condamné celles-ci à payer à la société AAE la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la publication de sa décision dans la revue " Trésors de l'Histoire " dans la limite de 30 000 F TTC,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné les demanderesses in solidum à verser à la société AAE la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure Civile.

Les sociétés Prospections, Fisher et Garrett Electronics ont interjeté appel de cette décision respectivement les 16 juin et 23 novembre 1993.

Une ordonnance de référé du 29 décembre 1993 a rejeté la demande de la société Prospections tendant à la suspension de l'exécution provisoire.

La société Prospections qui expose aux termes de ses écritures du 18 octobre 1993 " qu'il est incontestable et d'ailleurs non contesté qu'(elle) est titulaire de contrats de distribution exclusive concernant le matériel de détection Fisher et Garrett ", allègue que la société AAE commercialise de tels produits en utilisant irrégulièrement les logotypes et les publicités de ces marques, en s'approvisionnant non auprès d'elle-même mais " vraisemblablement auprès de distributeurs qui ne respectent pas leurs contrats ".

Elle soutient que cette attitude permet ainsi à l'intimée de pratiquer des prix très bas et de désorganiser totalement le marché " tant du point de vue des distributeurs choisis par la marque qu'en ce qui concerne la clientèle à laquelle aucune garantie de maintenance ne peut être offerte ".

Elle en déduit qu'un tel comportement est constitutif de concurrence déloyale et justifie, outre l'infirmation du jugement, la condamnation de l'intimée à lui verser les sommes de 500 000 F à titre de dommages et intérêts et de 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir sur la demande reconventionnelle de la société AAE que les communiqués diffusés par la revue " Trésors de l'Histoire ", actuellement publiée par la société " Traductions et Perspectives " avaient pour objet de mettre en garde les consommateurs contre des ventes sauvages de matériels nuisant à l'image de marque des producteurs et ne contenaient " pas la moindre mention d'un nom d'une société qui se serait livrée à de telles pratiques " telle que la société AAE.

Les sociétés Fisher Research Laboratory et Garrett Electronics ont, par conclusions des 25 février et 21 mars 1994, demandé acte de ce qu'elles s'associent aux écritures signifiées le 18 octobre 1994 par la société Prospectives.

Outre l'infirmation de la décision déférée, elles poursuivent la condamnation de la société AAE à leur verser la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La société AAE qui ne conteste pas vendre divers appareils de marque Garrett et Fisher, réplique que :

- le comportement de la société Prospections rend inopérant et illicite le système de distribution exclusive sélective dont celle-ci entend se prévaloir,

- elle-même achète dans la CEE auprès de revendeurs officiels et agréés par les marques Garrett et Fisher du matériel de ces sociétés, le propose à la vente dans des publicités courantes avec des logotypes normaux puisqu'apposés sur un matériel authentique, vend celui-ci légalement en l'absence de protection particulière et se pourvoit en pièces détachées " jusque chez Fisher même qui lui en fournit ",

- supportant les mêmes frais que la société Prospections, elle est libre de pratiquer des prix inférieurs dans la mesure où elle respecte des marques bénéficiaires normales et ne vend pas à perte.

Elle en conclut qu'elle n'a fait qu'exercer son commerce de manière loyale dans un espace de libre concurrence.

Alléguant en revanche que la société Prospections par le biais de la société " Traditions et perspectives " et des revues " Trésors et Détection " et " trésors de l'Histoire " éditées par cette dernière, a dénigré le matériel vendu par ses concurrents elle sollicite, outre la confirmation en son principe de la décision entreprise, l'élévation du montant des condamnations prononcées à titre de dommages et intérêts à la somme de 500 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à 50 000 F.

Sur ce,

Sur la procédure

Considérant que la société AAE fait valoir que si l'ordonnance de clôture a été fixée au 5 avril 1995, elle a reçu le 4 avril précédent à 22h30 un jeu de conclusions des trois sociétés appelantes.

Que, se référant aux dispositions de l'article 15 du nouveau Code de procédure Civile, elle invoque l'irrecevabilité de ces écritures.

Considérant que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Qu'il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Qu'il ne saurait être contesté en l'espèce que le conseil de la société AAE n'a matériellement pu répondre aux écritures susvisées avant le prononcé de l'ordonnance de clôture.

Que les conclusions signifiées par les appelantes le 4 avril 1995 seront donc écartées des débats.

Sur la demande principale

Considérant que l'assignation expose que la société Prospections " est l'importateur et le distributeur exclusif des marques Garrett et Fisher sur le territoire français ... l'unique société agréée par (ces) marques pour effectuer des réparations sur ce matériel " et précise " qu'ainsi un réseau de distribution sélective des produits de marque Fisher et Garrett est organisé ".

Que l'acte introductif d'instance fonde le grief de concurrence déloyale sur l'attitude de la société AAE qui, en acquérant irrégulièrement, en important parallèlement et en revendant à des prix " beaucoup plus bas " de tels produits, désorganiserait un tel réseau.

Considérant que l'intimée réplique que le comportement de la société Prospections rend inopérant et illicite le système de distribution exclusive sélective dont celle-ci entend se prévaloir.

Qu'il convient cependant d'observer qu'en contradiction avec l'assignation ci-dessus exposée, la société Prospections a fait valoir devant le Tribunal (cf. jugement page 3) " qu'il ne s'agit pas de distribution sélective comme tente de le faire croire AAE mais de fraudes ".

Que, devant la Cour, aux termes de ses conclusions du 18 octobre 1993 la société Prospections n'invoque pas l'existence d'un tel réseau mais fait grief à la société AAE de commercialiser des produits revêtus du logotype des marques Garrett et Fisher sans s'approvisionner auprès d'elle-même, distributeur exclusif desdits produits en France, et en pratiquant des prix très bas qui désorganiseraient le marché.

Considérant en toute hypothèse qu'il y a lieu de rappeler que la charge de la preuve de l'existence et de la licéité d'un réseau de distribution sélective appartient à celui qui l'invoque et qu'en l'espèce, la société Prospections ne rapporte nullement cette preuve , étant au surplus observé que le seul fait pour la société AAE de s'approvisionner sur un marché parallèle n'aurait pas suffi à constituer en soi une pratique anticoncurrentielle .

Considérant que la société Prospections est liée aux sociétés Fisher et Garrett Electronics par deux contrats des 30 janvier 1989 et 2 juillet 1990 et lui confèrent les droits de distribution exclusifs des détecteurs de métaux en France, l'autorisation de faire de la publicité et de promouvoir les marques et logotypes Garrett et Fisher et qui font de cette société le seul centre de service après-vente agréé par les fabricants.

Qu'elle en déduit que le comportement de la société AAE qui porte atteinte à ces conventions est constitutif de concurrence déloyale.

Mais considérant que le tribunal a relevé à bon droit que le fait pour la société AAE d'acheter dans la CEE auprès de revendeurs officiels et agréés par les sociétés Garrett et Fisher, d'importer et de vendre du matériel fabriqué par celles-ci, était légal en l'absence de règles spécifiques de circulation.

Qu'il en est de même des pièces détachées acquises jusque chez Fisher ainsi qu'il résulte d'une facture de ce fabricant en date du 19 novembre 1991.

Que le fait de proposer à la vente avec des produits d'autres marques ce matériel dans des publicités courantes avec les logotypes normaux puisqu'apposés par les fabricants sur un matériel authentique est également régulier.

Que le fait d'une part de s'approvisionner ainsi auprès de fournisseurs agréés qui lui font supporter les mêmes frais que ceux que subit la société Prospections et d'autre part, d'être à même d'exercer pleinement son activité et de répondre à toutes demandes des consommateurs qui s'adressent à elle, notamment pour le service après-vente ainsi qu'il résulte des attestations d'Eric Guraec et de Jacques Thomas en date du 29 janvier 1992, suffit à écarter le grief quant aux prix pratiqués par elle et à la désorganisation du marché qui en résulterait.

Qu'il convient enfin de relever que la société AAE justifie que la société Prospections n'a pas répondu à sa proposition de se fournir auprès d'elle.

Que les premiers juges en ont déduit à juste titre que la société AAE s'était comportée normalement dans un marché concurrentiel restreint.

Sur la demande reconventionnelle

Considérant que le fait pour la société Prospections de présenter dans des revues spécialisées comme le distributeur exclusif des produits Garrett et Fisher ne saurait à l'évidence constituer un acte de concurrence déloyale.

Que, de même, la mention très générale " défiez-vous des imitateurs " ne peut s'analyser comme une accusation portée à l'encontre de l'intimée.

Qu'enfin, les attaques de la société Prospections à l'égard des produits Tesoro distribués par la société AAE ne peuvent être prises en cause dans la mesure où elles ont fait l'objet à l'instigation de l'intimée d'une procédure pénale, actuellement portée devant la Cour de Cassation.

Mais considérant que la société Prospections a, en outre :

- mis en garde " les acheteurs de matériel frauduleux " ou de " provenance douteuse " en soutenant être la seule à pouvoir assurer le service après-vente, contrairement à des " importateurs sauvages fantaisistes ",

- publié le communiqué suivant : " ...Attention : les détecteurs de marque ... Fisher actuellement proposés à la vente dans des circuits plus ou moins sombres sont annoncés comme possédant un numéro d'origine ! Après vérifications, il s'avère que les N° de série, garantie des appareils de ces marques, ont été remplacés par des autocollants et que l'escroquerie est facile à vérifier d'un simple coup d'oeil tant elle est grossière ! ... ".

Que les premiers juges ont relevé avec pertinence qu'un tel comportement qui ne pouvait pas, dans un contexte professionnel très restreint (5 revendeurs concernés) ne pas atteindre la société AAE, s'analysait en un dénigrement abusif, constitutif d'une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil.

Qu'il convient de confirmer les mesures réparatrices ordonnées par le Tribunal étant cependant précisé, eu égard à la contradiction relevée dans le jugement qui dans ses motifs, condamne la seule société Prospections au paiement d'une indemnité et, dans son dispositif, condamne " la société Prospections et les autres demanderesses à payer à la société AAE 100 000 F au titre de dommages et intérêts ", que les faits sanctionnés étant le seul fait de la société Prospections la condamnation ne peut être prononcée qu'à l'encontre de celle-ci.

Sur les frais non taxables

Considérant que les appelantes qui succombent seront déboutées de leur demande de ce chef.

Qu'il est équitable d'élever la somme allouée au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile par le Tribunal à la société AAE à 30 000 F.

Que cependant cette condamnation ne sera pas prononcée in solidum, les appelantes n'étant pas co-auteur d'un même dommage.

Par ces motifs : Donne acte à la SCP Bourdais-Virenque de ce qu'elle s'est constituée le 17 février 1995 pour la société AAE aux lieu et place de Me M.H. Bourdais-Virenque, Dit irrecevables les conclusions signifiées le 4 avril 1995 par les sociétés Prospections, Garrett Electronics et Fisher research Laboratory, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions étant précisé que la condamnation aux dommages et intérêts n'est prononcée qu'à l'encontre de la société Prospections sauf en ce qui concerne les frais non taxables, Le réforme de ce chef et, statuant à nouveau, Condamne les sociétés Prospections, Garrett Electronics et Fisher Research Laboratory à payer à la société AAE une somme de trente mille francs (30 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure Civile, Les condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Bourdais-Virenque, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure Civile.