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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 12 mai 1995, n° 93-02888

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lyon Meubles (SARL)

Défendeur :

Lyon Meubles et Décoration (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

Mmes Robert, Martin

Avoués :

Me Morel, SCP Aguiraud

Avocats :

Mes Roche, Lambert Vernay.

T. com. Lyon, du 7 avr. 1993

7 avril 1993

Faits procédure prétentions et moyens des parties

La SARL Lyon Meubles exploite depuis Janvier 1979 un fonds de commerce de négoce, fabrication et réparation de mobiliers d'intérieur et de plein air implanté 54 cours Lafayette à Lyon, qu'elle a acquis d'un sieur Verraud qui l'exploitait antérieurement en nom personnel sous l'enseigne " Lyon Meubles " ;

Ayant constaté l'usurpation de cette dénomination sociale " Lyon Meubles ", utilisée aussi comme nom commercial, par une société constituée sous la forme d'une SA en août 1990 avec un objet social similaire et un siège social implanté à Lyon, 6 rue Auguste Payant, la SARL Lyon Meubles a immédiatement mis celle-ci en demeure par courrier du 10-09-1990 réitéré le 28-09-1990 de modifier sa dénomination en raison du risque de confusion entre les deux établissements qu'il en résultait ;

Estimant que la transformation par la SA Lyon Meubles de sa dénomination en Lyon Meubles et Décoration et le transfert de son siège à Saint-Priest ne suffisait pas à écarter ce risque, la SARL Lyon Meubles l'a fait assigner en concurrence déloyale par acte du 13-12-1991 devant le Tribunal de Commerce de Lyon pour la voir condamner sous astreinte de 2 000 F par jour de retard à modifier sa dénomination sociale dans des termes tels qu'ils préviennent toute confusion avec la sienne, à cesser d'en faire usage à titre de nom commercial auprès de quiconque, de l'autoriser à publier le dispositif du jugement et de condamner la défenderesse à lui verser 100 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 15 000 F pour frais de procédure ;

Par jugement en date du 07-04-1993 le tribunal l'a déboutée de cette action et condamnée à payer à la société Lyon Meubles et Décoration une indemnité de 15 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La SARL Lyon Meubles a relevé appel de ce jugement et déposé des conclusions aux termes desquelles, reprenant les moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, elle soutient :

- qu'il est indéniable qu'elle exerce depuis 15 ans son commerce sous l'appellation Lyon Meubles et qu'elle [a] acquis une grande notoriété dans le domaine de l'ameublement ;

- qu'en usurpant cette dénomination sociale la SA Lyon Meubles et Décoration a commis une faute constitutive de concurrence déloyale dans la mesure où elle exerce une activité similaire intéressant donc la même clientèle ;

- que l'adjonction du terme Décoration ainsi que l'utilisation de la marque " Ameubl'Eco " par la partie adverse ne suffisent pas à supprimer tout risque de confusion ;

- qu'elle justifie d'ailleurs de la réalité du préjudice qu'elle invoque en produisant plusieurs pièces démontrant la réalité et la persistance de la confusion effectivement créée tant auprès des fournisseurs que de la clientèle ;

Elle demande donc à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de lui adjuger le bénéfice de sa demande ;

La Société Lyon Meubles et Décoration a déposé des conclusions tendant à la confirmation du jugement et à l'allocation d'une somme complémentaire de 50 000 F tant à titre de dommages et intérêts que sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Au soutient de ses prétentions et en défense à l'argumentation adverse elle fait valoir :

- que le risque de confusion allégué par la société Lyon Meubles est inexistant dès lors qu'elle a modifié sa dénomination sociale, qu'elle est essentiellement connue sous son nom commercial " Ameubl'Eco ", que son objet social est limité au négoce d'équipement intérieur, donc plus restreint que celui de la société Lyon Meubles et qu'elle exerce son activité en périphérie de l'agglomération lyonnaise ;

- qu'en toute hypothèse la société Lyon Meubles ne rapporte pas la preuve d'une notoriété suffisante pour que sa dénomination sociale fasse l'objet d'une protection ;

- que les pièces produites par la requérante ne démontrent nullement l'existence de la confusion qu'elle allègue et du préjudice qu'elle prétend avoir subi ;

Sur quoi, LA COUR,

1° Sur la concurrence déloyale

Attendu que la société requérante justifie d'une antériorité de plus de 15 ans dans l'utilisation à titre de dénomination sociale et de nom commercial des termes " Lyon Meubles " dont l'association constitue une appellation distinctive sous laquelle elle a développé son activité commerciale de négoce de mobiliers d'intérieur et d'extérieur;

Qu'en vertu de cette antériorité elle est donc bien fondée à se prévaloir comme d'une faute de nature à porter atteinte à ses droits, de l'usurpation de cette dénomination sociale par la partie adverse lors de sa constitution dès lors que cette appropriation à l'identique était nécessairement et indéniablement de nature à générer une confusion entre les deux entreprises implantées dans le même secteur géographique;

Attendu que pour rejeter l'action engagée par la SARL Lyon Meubles le tribunal a toutefois estimé que la modification apportée le 10 janvier 1992 par la SA Lyon Meubles à cette appellation, au moyen de l'adjonction des termes " Et Décoration ", ainsi que l'utilisation par celle-ci de l'enseigne Ameubl'Eco, avaient écarté tout risque de confusion dont la preuve n'était au demeurant pas rapportée par la requérante ;

Mais attendu qu'exerçant la même activité essentielle de vente de mobiliers dans un périmètre qui s'étend à l'ensemble de l'agglomération lyonnaise les deux sociétés s'adressent à la même clientèle et se trouvent donc en situation de concurrence;

Qu'il s'en suit que la modification apportée par la partie intimée à cette dénomination commune sous laquelle elle s'est faite connaître du public durant les premiers mois de son implantation, n'est pas suffisante pour la différencier de la société Lyon Meubles dans la mesure où l'adjonction des termes " Et Décoration " laisse subsister dans son intégralité l'appellation usurpée et qu'elle peut apparaître aux yeux des tiers comme une modification apportée par la SARL Lyon Meubles à sa propre dénomination;

Qu'en outre s'il est établi que la société Lyon Meubles et Décoration utilise comme nom commercial la marque " Ameubl'Eco ", cet usage est nécessairement restreint et n'exclut pas l'utilisation simultanée de sa dénomination sociale ainsi qu'en attestent ses papiers commerciaux établis sous cette double appellation ;

Qu'enfin le transfert par la société Lyon Meubles et Décoration de son siège social à Saint-Priest n'est pas non plus de nature à la différencier de la société Lyon Meubles dès lors que par sa taille et sa notoriété celle-ci a une sphère d'influence qui s'étend à toute l'agglomération lyonnaise et qui la met donc en concurrence avec les autres entreprises similaires en ce compris celles qui se sont regroupées dans des centres commerciaux spécialisés en périphérie de Lyon;

Que d'ailleurs la réalité de cette confusion est suffisamment établie par les attestations que la société Lyon Meubles a recueillies auprès de tiers victimes de cette confusion, qu'il s'agissent de fournisseurs ou de clients, et dont la véracité se trouve confortée par des documents qui n'ont pas été constitués pour les besoins de la cause, tels que les chèques ou courriers destinés à la société Lyon Meubles et Décoration et adressés à tort à la SARL Lyon Meubles ;

Qu'il convient donc de considérer que la dénomination sociale adoptée par la société intimée est constitutive de concurrence déloyale au préjudice de la société Lyon Meubles qui est donc bien fondée à voir ordonner la cessation de l'utilisation de sa dénomination par cette dernière ;

2° Sur le préjudice

Attendu que la société Lyon Meubles ne verse aux débats aucun élément comptable de nature à démontrer l'existence d'une baisse de son activité qui soit directement imputable aux agissements déloyaux de la société Lyon Meubles et Décoration ;

Que le seul élément de préjudice dont elle justifie et résultant des désagréments occasionnés par les démarches qu'elle a dû entreprendre pour assurer la défense de ses droits sera équitablement réparé par l'allocation d'une indemnité de 20 000 F;

Que l'équité commande qu'en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile elle soit en outre indemnisée des frais de procédure qu'elle a dû exposer et qu'il convient d'évaluer à 10 000 F ;

Que la nature de la décision justifie qu'elle fasse l'objet d'une publication aux frais de la partie intimée ;

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Fait défense à la SA Lyon Meubles et Décoration de faire usage dans sa dénomination sociale de celle de la SARL Lyon Meubles ; La condamne en conséquence à procéder à la modification immédiate de sa dénomination sociale à peine, passé le délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision, d'une astreinte de 2 000 F par jour de retard ; La condamne aussi à verser à la SARL Lyon Meubles une somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Autorise la société Lyon Meubles à publier la présente décision, par reproduction du dispositif, dans trois journaux d'annonces de son choix aux frais exclusifs de la partie adverse mais sans que le coût de chaque insertion excède 5 000 F ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Lyon Meubles et Décoration aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Morel avoué.