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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 10 mai 1995, n° 4366-92

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération des industries de la parfumerie

Défendeur :

Campagne pour les pharmacies en France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pozwolski

Conseillers :

Mmes Simonnot, Prager

Avoués :

SCP Merle Doron Carena, Me Robert

Avocat :

Me Augendre.

TGI Nanterre, du 10 mars 1992

10 mars 1992

Faits et procédure :

La société Campagne pour les pharmacies de France, en abrégé CPF, ayant diffusé en France, sous la marque Korff, des produits cosmétiques vendus exclusivement en pharmacie et lancé en janvier 1990 une campagne publicitaire ayant pour slogan " En pharmacie, on achète des cosmétiques sûrs " la Fédération Française de l'industrie des produits de parfumerie, de beauté et de toilette, en abrégé la Fédération, qui regroupe en cinq syndicats une grande partie des fabriquants de produits cosmétiques, a introduit, le 27 février 1990, une instance en concurrence déloyale.

Par jugement du 10 mars 1992, le Tribunal de grande instance de Nanterre a :

- Déclaré la Fédération irrecevable en son action faute de qualité et d'intérêts à agir,

- L'a condamnée à payer à la société CPF la somme de 11 860 F TTC au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le tribunal a estimé :

- Que les fabricants de produits cosmétiques ne forment, par l'intermédiaire de leurs syndicats, qu'une partie des membres de la Fédération,

- Que la publicité incriminée ne vise que les produits cosmétiques et non les produits de parfumerie, de beauté, d'hygiène et de toilette,

- Que la Fédération ne peut donc être considérée comme représentant les intérêts " communs " des syndicats adhérents.

Appelante de cette décision, la Fédération (dont la nouvelle dénomination est Fédération des industries de la parfumerie) prie la Cour :

- De l'infirmer,

- De dire qu'elle a qualité et intérêt à agir en exerçant devant toutes les juridictions les droits réservés à la partie civile,

- De dire que le terme " cosmétique " est un terme générique regroupant des produits variés, touchant aussi bien le domaine de la parfumerie que les produits capillaires, de toilette et d'hygiène dont la Fédération représenta la quasi-totalité des fabricants,

- De dire que la diffusion du slogan incriminé constitue un dénigrement par omission et porte atteinte à l'intérêt commun des professions représentées par la Fédération,

- De condamner la société CPF à lui payer la somme de 500 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

- D'interdire la diffusion de cette publicité,

- De dire que la société CPF sera tenue de la détruire,

- De lui faire défense de continuer à user du slogan en cause sous astreinte de 5 000 F par jour,

- D'autoriser la Fédération à publier dans cinq journaux et aux frais de la société CPF la décision,

- De condamner la société CPF à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle soutient, en sus des arguments adoptés par le tribunal :

- Que la Fédération ne peut agir qu'en réparation d'un préjudice résultant d'une infraction pénale ce qui n'est pas le cas,

- Que si le discrédit allégué était établi, il porterait sur les circuits de distribution autres que la pharmacie et non sur les produits cosmétiques eux-mêmes, de sorte que l'intérêt des fabriquants de cosmétiques n'est pas atteint,

- Que la preuve d'une baisse du chiffre d'affaires des fabricants de cosmétiques ensuite de la campagne de publicité n'est pas apportée,

- Que la plupart des fabricants, membres d'un des syndicats de la Fédération, vendent leurs produits par le canal de la distribution des pharmacies,

- Que le message publicitaire en cause n'a pas de caractère dénigrant, qu'il ne dit pas que les cosmétiques sûrs ne peuvent être acquis qu'en pharmacie,

- Qu'aucun concurrent n'est identifié ni identifiable,

- Que si le BVP a condamné ce slogan, il a attendu plus de huit mois pour le faire, car à l'époque, il ne lui apparaissait pas critiquable.

La Fédération a répondu à cette argumentation et maintenu ses prétentions.

La société CPF ayant été mise en règlement judiciaire, la Fédération a fait assigner Me Sauvan, son administrateur judiciaire, et Me Bécheret, représentant des créanciers.

Ceux-ci ont déclaré intervenir dans l'instance.

La Fédération, indiquant alors qu'aucun règlement n'était à espérer, a conclu à l'allocation de la somme symbolique de 1 franc de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Ultérieurement, la société CPF a été mise en liquidation judiciaire et Me Bécheret a été assigné en qualité de mandataire liquidateur.

Ce dernier a demandé acte de ce qu'il s'associait aux écritures déposées par la société CPF.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la Fédération justifie avoir déclaré sa créance entre les mains du représentant des créanciers, après avoir bénéficié d'un relevé de forclusion ;

Considérant sur la recevabilité de l'action, que la Fédération, conformément à l'article II de ses statuts, a qualité pour représenter les entreprises membres des syndicats adhérents dans tous les domaines où une action commune est jugée nécessaire et en prenant plus généralement toute initiative utile aux membres des professions concernées, notamment dans le cadre des pouvoirs prévus par l'article L. 411 du Code du travail ;

Considérant qu'il ne résulte pas des termes de l'article L. 411-11 du Code du travail que le droit d'ester en justice d'un syndicat soit limité même devant la juridiction civile à la réparation d'un préjudice résultant seulement d'une infraction pénale ;

Considérant dès lors que l'article L. 658-1 du Code de la santé publique donne une définition étendue du terme " cosmétique ", la Fédération qui regroupe les syndicats de fabricants de produits cosmétiques, a un intérêt commun à agir en justice pour s'opposer à une campagne publicitaire susceptible de jeter un doute dans l'esprit du consommateur sur les produits acquis en dehors d'une pharmacie ;

Que le jugement déféré sera donc infirmé ;

Considérant, sur le fond, que le slogan " En pharmacie on achète des cosmétiques sûrs " implique à l'évidence pour un consommateur moyen que les cosmétiques acquis autrement peuvent ne pas être sûrs, alors qu'en réalité le circuit de distribution, quel qu'il soit, n'a pas d'incidence sur la qualité de ce produit ; que les remarques du BVP dans sa lettre du 28 mars 1991 étaient donc justifiées et qu'il existe, en l'espèce, un dénigrement par omission ;

Que de ce fait, il a été porté atteinte à l'ensemble des fabricants de cosmétiques représentés par la Fédération ;

Que la demande est ainsi fondée en son principe ;

Qu'en raison de la liquidation judiciaire de la société CPF, la Cour ne peut prononcer aucune condamnation pécuniaire et se bornera à fixer à 1 franc le montant du préjudice subi par la Fédération ;

Considérant que compte tenu de cette même liquidation judiciaire et de la cessation d'activité de la société CPF, les autres demandes de la Fédération tendant à obtenir l'interdiction de la diffusion de la publicité et sa destruction, l'interdiction sous astreinte de l'usage du slogan incriminé et la publication de la décision, sont caduques ou sans objet ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Que les dépens d'instance et d'appel seront mis à la charge de Me Bécheret, ès qualités.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement rendu le 10 mars 1992 par le Tribunal de grande instance de Nanterre, Et statuant à nouveau, Déclare la Fédération recevable à agir et bien fondée dans le principe de son action, Fixe à 1 franc le montant du préjudice subi par elle du fait du dénigrement par omission imputable à la société CPF, Rejette comme caduques, sans objet ou mal fondées toutes les autres demandes des parties, Laisse les dépens d'instance et d'appel à la charge de Me Bécheret, ès qualité de mandataire liquidateur de la société CPF, Admet la SCP Merle Doron Carena, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.