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Décisions

CA Limoges, 1re et 2e ch. réunies, 10 mai 1995, n° 459-93

LIMOGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Berry Distribution Centre Leclerc (Sté)

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA), Parfums Givenchy (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulquie

Conseillers :

MM. Thierry, Etchepare, Leflaive, Payard

Avoués :

Me Garnerie, SCP Coudamy

Avocats :

Mes Reye, Jourde, Sauvage, Casalonga.

T. com. Châteauroux, du 21 oct. 1987

21 octobre 1987

La société des parfums Givenchy et la société des parfums Christian Dior commercialisent leurs produits par des réseaux dits de distribution sélective, c'est-à-dire des distributeurs agréés qui s'engagent par contrat à certaines obligations pour assurer les promotions des produits.

Ces deux sociétés ont assigné la société Berry Distribution, qui exploite un Centre Leclerc au Blanc (Indre) aux fins suivantes :

- dire que la société Berry Distribution s'est rendue coupable de concurrence fautive en vendant des produits sans être distributeur agréé et en s'affranchissant des contraintes attachées à cette qualité et a commis des actes de publicité mensongère,

- condamner la société Berry Distribution à payer à chacune d'elle 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois quotidiens au choix des demanderesses sans que le coût global des insertions dépasse 25 000 F,

- interdire la réitération des agissements reprochés sous astreinte définitive de 10 000 F par infraction constatée.

La société Berry Distribution a conclu au débouté de la demande en faisant valoir notamment que les contrats de distribution étaient illicites.

Par jugement du 21 octobre 1987 le Tribunal de commerce de Châteauroux a dit que la société Berry Distribution a commis des actes de concurrence fautive et de publicité mensongère, l'a condamnée à payer aux demanderesses 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déclaré sans objet la demande de nouvelles astreintes et ordonné la publicité du dispositif du jugement dans les journaux locaux aux frais de la société Berry Distribution sans que le montant ne dépasse 2 500 F.

La société Berry Distribution a relevé appel de ce jugement le 23 novembre 1987.

Devant la Cour d'appel de Bourges, elle a conclu au débouté des demandes dirigées contre elle et a réclamé reconventionnellement 100 000 F en réparation de son préjudice commercial et 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Parfums Christian Dior et parfums Givenchy ont formé appel incident et ont repris les termes de leurs prétentions formulées en première instance.

Par arrêt du 3 juillet 1989 la Cour d'appel de Bourges a confirmé le jugement en ce qu'il a dit que la société Berry Distribution a commis des actes de publicité mensongère et prononcé condamnation contre elle à dommages-intérêts et à indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. En revanche, elle a réformé le jugement en ce qu'il a dit que la société Berry Distribution s'était rendue coupable d'actes de concurrence fautive. Elle a constaté que les contrats de distribution sélective conclus par les sociétés Parfums Christian Dior et Givenchy sont licites mais les a déboutés de leur demande pour concurrence déloyale.

Sur un pourvoi de la société Berry Distribution et un pourvoi incident des sociétés Parfums Christian Dior et Givenchy la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Bourges en toutes ses dispositions par un arrêt du 23 février 1993.

La cassation n'est intervenue que sur un moyen soulevé par la société Parfums Christian Dior. La cour d'appel, pour rejeter le grief dit de marque d'appel, avait dit que la société Berry Distribution, bien qu'elle n'ait en stock que les parfums que l'huissier avait achetés, avait la possibilité de s'approvisionner auprès d'une société qui lui avait procuré dans le passé des parfums Dior.

La Cour de cassation a estimé que la cour d'appel aurait dû s'assurer que cette entreprise pouvait immédiatement se réapprovisionner de façon licite en parfums Dior et Givenchy.

La Cour d'appel de Limoges, qui avait été désignée comme cour de renvoi, a été saisie, le 12 mars 1993 par la société Parfums Christian Dior.

Par conclusions déposées le 3 décembre 1993 la société Parfums Givenchy reprend les termes de ses prétentions formulées précédemment en réclamant toutefois 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose l'argumentation suivante au soutien de ses prétentions.

Elle doit apporter la preuve de la licéité de ses contrats de distribution sélective tant en droit français qu'en droit communautaire.

Par une jurisprudence constante, la Cour de cassation a admis que, dès lors qu'il remplit certaines conditions, un contrat de distribution sélective peut licitement avoir pour effet de rendre juridiquement indisponible à l'égard des tiers la marchandise détenue par le fournisseur agréé. Les contrats Givenchy sont conformes à ces conditions. En effet, le distributeur est choisi en fonction de critères précis et objectifs garantissant un meilleur service à des clients d'autant plus exigeants qu'ils achètent un produit de luxe jouissant d'une renommée mondiale et il a une entière liberté de fixer ses prix.

Au regard du droit communautaire, la société Givenchy a notifié son contrat type à la Commission, qui a procédé à un classement sans suite puis a rendu le 24 juillet 1992 une décision d'exemption.

L'attitude de la société Berry Distribution est assimilable à une voie de fait sanctionnée par l'article 1382 du Code civil. Plutôt que de faire une demande d'ouverture de compte, elle a préféré s'approvisionner directement par des voies détournées en produits Givenchy, qui ne pouvaient être acquis qu'auprès d'un distributeur agréé.

Dès lors que l'étanchéité du réseau est démontrée par la production des contrats, il existe une présomption d'irrégularité de l'acquisition des produits Givenchy. La société Berry Distribution s'est toujours refusée à dévoiler le nom de son fournisseur, ce qui, d'après la jurisprudence de la Cour de cassation, constitue une faute. Il a été jugé en outre que la vente de produits revêtus d'une mention aux termes de laquelle ils ne peuvent être vendus que par un distributeur agréé relève de la concurrence déloyale et de la publicité mensongère.

La société Berry Distribution s'est livrée à du parasitisme économique, qu'il y a lieu de sanctionner, en se servant de la réputation et de l'image de marque de la société Givenchy.

Par conclusions déposées le 15 décembre 1993, la société Parfums Christian Dior demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute de la société Berry Distribution et de condamner celle-ci à lui payer 100 000 F " HT " à titre de dommages-intérêts et 50 000 F " HT " au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose l'argumentation suivante au soutien de ses prétentions.

Le fait d'exposer comme étant en vente des produits dont on ne dispose pas de stocks constitue la pratique de produits d'appel et de publicité mensongère. Vendus dans un réseau de distribution sélective, les produits Christian Dior sont associés dans l'image du consommateur à une image de luxe et à un type de service. La société Christian Dior a le droit de s'opposer à une utilisation dévalorisante de l'image de marque eu égard aux conditions de leur commercialisation par la société Berry Distribution. En revanche, celle-ci fait preuve de parasitisme économique en s'appropriant illégitimement le bénéfice d'une image de marque créée et entretenue par d'autres sans se soumettre à leurs contraintes habituelles.

La société Parfums Christian Dior commercialise ses produits par deux réseaux tout à fait distincts, les boutiques d'aéroport en duty free et dans les pays de la CEE par une filiale ou un concessionnaire par pays, qui s'interdisent de vendre à d'autres que des distributeurs agréés. Ces deux réseaux sont parfaitement étanches et elle poursuit tout distributeur qui livre le marché parallèle en fraude de son contrat. La jurisprudence a admis la licéité de ces réseaux au regard de la législation française et du traité de Rome, spécialement les articles 50 de l'ordonnance de 1986, 10 de l'ordonnance de 1945, 85-1 et 85-3 du traité de Rome.

Si le seul fait de commercialiser des produits relevant de réseaux de distribution sélective ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, les conditions de leur acquisition et de leur commercialisation constituent des actes de parasitisme économique répréhensibles au même titre. Le contrat de distribution sélective n'engage pas les tiers mais constitue un fait juridique qui leur est opposable en ce sens que les tiers ne sauraient entraver les obligations souscrites par chacun des co-contractants.

En effet, en raison du principe de l'étanchéité du réseau, la société Berry Distribution se fournit nécessairement sur un marché parallèle alimenté par des détaillants qui violent leurs obligations. Le refus de la société Berry Distribution de justifier de la provenance des produits prouve son irrégularité. Par ailleurs, le fait de vendre un produit portant la mention " ne peut être vendu que par des distributeurs agréés " constitue un acte de publicité mensongère. Le fait que la mention est portée par le fabricant est sans importance dès lors qu'il ne livre les produits qu'à des distributeurs agréés dont la qualité résulte d'un contrat souscrit par les parties.

Par conclusions déposées le 7 juin 1994 la société Berry Distribution demande à la cour de débouter la société Parfums Christian Dior et Parfums Givenchy de leurs prétentions et de les condamner chacune à lui payer la somme de 60 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose l'argumentation suivante au soutien de ses prétentions.

Par trois arrêts du 16 février 1988, la Cour de cassation a dit qu'il incombe aux parfumeurs de prouver que leurs réseaux et leurs contrats de distribution sélective sont licites. Cette licéité doit s'apprécier au regard du droit interne mais aussi du droit communautaire.

La licéité suppose que le fournisseur et les grossistes qu'il approvisionne s'interdisent de vendre à d'autres personnes qu'aux distributeurs agréés. Or, il apparaît que les parfumeurs et leurs intermédiaires vendent les produits en dehors du réseau.

Le but de la distribution sélective est d'assurer un meilleur service au consommateur. Le caractère luxueux des magasins et les marges importantes ne répondent pas à cette condition.

Les parfumeurs doivent recourir à des critères objectifs dans le choix de leurs distributeurs et ne pas privilégier des canaux de distribution par rapport à d'autres.

Enfin les contrats de distribution sélective ne doivent pas limiter la liberté pour le distributeur de fixer ses prix.

La société Berry Distribution produit aux débats des pièces qui établissent que les produits Dior ou Givenchy sont directement proposés à la vente à des comités d'entreprises ou des coopératives de salariés, les commandes du personnel étant groupées et transmises au parfumeur et aucun contact n'existant entre le consommateur et le détaillant. Le consommateur ne bénéficie pas du contact personnalisé avec le vendeur ni de ses conseils ni du cadre prestigieux du magasin de parfumerie. L'exigence d'un meilleur service au consommateur n'est donc pas respectée.

Le refus d'agrément, quand il est injustifié, traduit une discrimination dans le choix des distributeurs et contrevient donc à une condition de licéité.

L'effet relatif des conventions affirmé par l'article 1165 du Code civil s'oppose à ce qu'une grande surface se voit interdire de vendre un produit dès lors qu'elle s'en est régulièrement approvisionnée. La faute n'existe que, si, pour s'approvisionner, la grande surface s'est rendue complice de la violation d'engagements contractuels par le distributeur agréé. C'est au demandeur à l'action d'apporter la preuve d'une telle complicité. Or, les parfumeurs sont dans l'incapacité d'apporter une telle preuve. En revanche, la centrale d'achat des centres Leclerc produit des factures attestant de la provenance de ses approvisionnements. Les grossistes européens auprès desquels elle s'est fournie n'ont fait l'objet d'aucune action en violation d'obligation contractuelle. C'est au fournisseur qui se prévaut d'un réseau de distribution sélective de prouver qu'il ne comporte aucune faille. Même si un réseau de distribution est licite, le Centre Leclerc ne peut pas être contraint à respecter l'obligation convenue entre les parfumeurs et les distributeurs.

La Cour de cassation a jugé que la concurrence déloyale ne saurait résulter de la seule vente des produits par une grande surface dès lors que celle-ci, qui n'est pas tenue par les contrats de distribution sélective qui lui sont étrangers n'a usé d'aucun procédé illicite pour se les procurer. La convention de distribution sélective n'a pu créer à l'égard des tiers une interdiction d'approvisionnement. La responsabilité du tiers ne pourra être invoquée que dans la mesure où il se sera rendu complice d'un distributeur agréé dans la violation de ses engagements contractuels. En l'espèce, les contrats de distribution sont des contrats de porte-fort par lesquels les parfumeurs s'engagent auprès de leurs distributeurs à ce que les tiers respectent le droit consenti aux distributeurs agréés d'être les seuls à procéder à la commercialisation des produits. Or, il est incontestable que les tiers n'ont jamais ratifié cette promesse de porte-fort et dès lors c'est la responsabilité de ceux qui se sont portés fort, c'est-à-dire des parfumeurs qui peut être engagée ; c'est ce qu'a jugé la cour de Bourges le 3 juillet 1989.

Les sociétés Dior et Givenchy formulent trois griefs sur le fondement de l'article 1382 du Code civil à la société Berry Distribution :

- pratique de la marque d'appel,

- présentation de leurs produits dans des conditions dénigrantes,

- approvisionnement frauduleux.

Aucun de ces griefs n'est fondé.

Les parfumeurs ne peuvent pas prétendre que les conditions qu'ils imposent à leurs détaillants s'imposent à des tiers et il n'est pas démontré que la société Berry Distribution ait adopté pour leurs produits une présentation de moindre qualité que pour les autres marques qu'ils commercialisent.

Si le réseau est illicite le parfumeur ne peut pas refuser de vendre des produits de sa marque à quelque commerçant que ce soit, de sorte qu'on ne peut reprocher à la société Berry Distribution de ne pas détenir de stock.

La société Berry Distribution n'a jamais fait un secret de ses approvisionnements. Une expertise ordonnée par la cour de Limoges avait conclu à la licéité de l'approvisionnement. Admettre que le silence gardé équivaudrait à une reconnaissance d'approvisionnement frauduleux serait dispenser les parfumeurs de la charge de prouver l'étanchéité de leurs réseaux. Le défaut d'étanchéité serait exclusivement imputable aux parfumeurs et impliquerait de surcroît l'illicéité du réseau.

La mention " ne peut être vendu que par un distributeur agréé " est le fait des parfumeurs et non des centres Leclerc. Cette situation résulte donc de la volonté des parfumeurs, qui écoulent ou laissent écouler leurs produits sans assurer et vérifier l'exactitude du message publicitaire dont ils sont les auteurs. C'est donc à eux que doit être imputée la publicité mensongère. En l'espèce, il n'est pas établi que ce message ait été effectivement perçu par les consommateurs ni qu'il ait été un facteur déterminant dans leur démarche. La jurisprudence de la Cour de cassation a subi sur cette question deux revirements et sa position actuelle apparaît critiquable. Ce sont les parfumeurs qui veulent donner aux consommateurs l'idée que leurs produits ne peuvent être vendus que dans certaines conditions, alors qu'ils les vendent dans des conditions très éloignées de l'idée de prestige. L'imposture est donc le fait des parfumeurs et spécialement de Dior.

Par conclusions déposées le 24 novembre 1994, la société Givenchy réplique comme suit à l'argumentation de la société Berry Distribution.

La licéité de son réseau a été confirmée par de nombreuses décisions de la Cour de cassation et de cours d'appel de 1992 et de 1993. Les pièces versées aux débats par la société Berry Distribution n'établissent nullement que la société Givenchy ne respecte pas ses propres critères de licéité. Tous les affiliés du groupe Leclerc acquièrent les produits par l'intermédiaire de leurs centrales d'achats Siplec et Galec. La déloyauté de ces procédés a été mise en évidence par divers arrêts de 1992, 1993 et 1994, dont il résulte que les sociétés Galec et Siplec se procuraient des produits de grande marque en diffusant des annonces dans des quotidiens étrangers.

Par conclusions déposées le 30 novembre 1994, la société Parfums Christian Dior réplique comme suit à l'argumentation de la société Berry Distribution.

La société Berry Distribution ne répond pas aux griefs tenant à l'application d'un taux de TVA minoré, qui lui donne un avantage concurrentiel déterminant. Elle ne répond pas non plus au grief de marque d'appel puisqu'il n'est pas contesté qu'elle n'avait en stock que les produits exposés. Si certains distributeurs, généralement sollicités par les Centres Leclerc, enfreignent leurs obligations, la société Parfums Christian Dior n'a pas d'obligation de résultat et ne possède pas de pouvoirs de police. Seules les ventes par correspondance ou celles au cours desquelles le consommateur ne se rend pas sur un point de vente sont prohibées mais la diffusion d'un catalogue par un commerçant est licite. Les produits de parfumerie et cosmétique sont vendus dans des circuits de distribution objectivement et qualitativement concurrentiels, le consommateur étant libre de s'adresser à tel ou tel réseau. En revanche, dès lors que les réseaux de distribution sélective disparaissent, le consommateur n'a plus le choix et se trouve contraint d'acquérir le produit exempt de service.

Les centres Leclerc ont mis au point un système sophistiqué pour blanchir la marchandise acquise auprès de distributeurs agréés qui n'avaient pas le droit de leur vendre. La société Galec, leur centrale d'achats, faisait passer des annonces en vue d'acquérir les produits. Pour se les procurer, elle faisait intervenir la société Siplec, dont l'objet est l'importation de produits pétroliers, laquelle les faisait acheter par la société Becklodge, dont le siège social est à Jersey et les actionnaires inconnus. On ignore où cette dernière société exerce son activité : elle n'avait réalisé aucune opération en 1983 et n'avait pas déposé ses comptes sociaux en 1984. Son papier à lettre et ses factures ne comportent de numéro de téléphone ou de télex. Les conditions des transactions étaient tout aussi mystérieuses et les importations ont eu lieu en violation des dispositions de l'article 658-2 du Code de la santé publique. Le recours à des sociétés fictives et de telles conditions commerciales démontre l'irrégularité de l'acquisition.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 1994.

Sur quoi, LA COUR :

Attendu qu'un huissier autorisé à cet effet par le président du tribunal de commerce s'est transporté le 18 juin 1985 au Blanc (Indre) au Centre Leclerc, exploité par la société Berry Distribution, a constaté la présence de quatre produits Givenchy et Dior dans une vitrine située près de l'entrée et a procédé à leur achat :

- un savon de bain Givenchy au prix de 34,50 F,

- une eau de toilette Christian Dior au prix de 238 F,

- une eau de toilette Christian Dior au prix de 125,50 F,

- un savon Christian Dior au prix de 79 F ;

Que sur l'emballage du produit Givenchy est portée la mention : " ne peut être vendu que par les distributeurs agréés " ;

Que sur l'emballage des produits Christian Dior est portée la mention : " Cet article ne peut être vendu que par les distributeurs agréés des Parfums Christian Dior " ;

Que, sur l'interpellation de l'huissier, qui leur a donné un délai jusqu'au lendemain à cet effet, les responsables du magasin n'ont pas été en mesure de présenter les factures des fournisseurs ni de préciser le nom et l'adresse de ces derniers et ont simplement indiqué que les produits en cause venaient d'une centrale d'achats ;

Que, sur interpellation de l'huissier il a été indiqué par un responsable du magasin que les seuls produits de parfumerie disponibles étaient dans la vitrine et qu'il n'y en avait pas d'autre en dépôt dans le magasin ;

Attendu que les sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior soutiennent que la société Berry Distribution a commis à leur préjudice des actes de concurrence déloyale en vendant des produits qui ne pouvaient l'être que par des distributeurs agréés par elle et de publicité mensongère, les produits portant la mention qu'ils ne pouvaient être vendus que par des distributeurs agréés ;

Attendu que la société Berry Distribution fait valoir qu'il incombe aux sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior d'apporter la preuve de la licéité du réseau de distribution qu'elles ont mis en place et que cette preuve n'est nullement rapportée en l'espèce, ce qui retirait tout caractère fautif à ses agissements ;

Attendu qu'un réseau dit de distribution sélective constitué par des contrats passés entre la société qui fabrique les produits ou ses filiales et les distributeurs agréés, est licite dans la mesure où les prix de vente restent libres, où les distributeurs sont choisis en fonction de critères objectifs et où le marché européen de ces produits reste soumis à une vive concurrence entre les marques (en ce sens Chambre commerciale 27 octobre 1992 D 1995 J 505, 1er arrêt, note Benabent) ;

Attendu que les sociétés Givenchy et Christian Dior justifient de la mise en place de tels réseaux de distribution sélective par la production de contrats de concession et de distribution ;

Que les obligations imposées aux distributeurs sont notamment les suivantes :

- qualification professionnelle du distributeur en parfumerie,

- localisation du magasin ou du rayon dans un environnement correspondant au prestige de la marque,

- présence d'un service de démonstration et de conseil,

- conditions de stockage assurant la conservation et la disponibilité du produit,

- interdiction de vendre même à prix réduit des produits défraîchis, périmés ou altérés,

- interdiction de vendre des produits retirés de la vente par le fabricant,

- interdiction de vendre les produits autrement qu'au détail et à des consommateurs directs, notamment à des collectivités ou des grossistes, le distributeur étant tenu en outre de prendre les précautions nécessaires pour que les produits livrés ne quittent pas le réseau des distributeurs agréés et de conserver ses factures de revente à la disposition du fabricant ;

Attendu qu'il ressort d'une étude versée aux débats (European Forecasts) que de 1976 à 1989 la société Givenchy représentait de 2,8 à 3,4 % du marché européen des produits de parfumerie et la société Parfums Christian Dior de 6,4 à 7,1 % ;

Attendu que la société Berry Distribution verse aux débats huit documents qui lui paraissent établir que les sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior ne respectent pas le principe d'étanchéité de leur réseau ;

Que, si ces documents établissent des violations du principe d'étanchéité du réseau, rien ne démontre que ces violations soient le fait des sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior, la société Berry Distribution n'apportant pas la preuve qui lui incombe que les coopératives ou autres organismes en cause se sont fournis directement auprès des sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior ou en dehors des réseaux de distribution mais avec l'accord de celles-ci ;

Attendu en conséquence que la société Berry Distribution n'est pas fondée à soutenir que les réseaux de distribution en cause sont illicites ;

Attendu que la société Berry Distribution soutient que le fait d'avoir commercialisé des produits faisant l'objet d'une distribution sélective ne constitue pas une concurrence déloyale dans la mesure où elle s'est approvisionnée auprès d'un distributeur qui n'était pas contractuellement tenu de ne vendre qu'à certaines catégories de clients ;

Mais attendu que, l'étanchéité du réseau n'ayant pas été utilement contestée, il lui incombait alors d'établir que ses fournisseurs pouvaient librement lui vendre les produits en cause, ce qu'elle avait toute latitude de faire en produisant les factures de ses fournisseurs;

Qu'en fait, aucune facture n'a été remise à l'huissier chargé d'effectuer le constat et il lui a été simplement dit que les produits en cause venaient de la centrale d'achats, sans autre précision ;

Que devant la cour, la société Berry Distribution ne s'explique pas sur ces sources d'approvisionnement, se bornant à renvoyer à un rapport d'une expertise diligentée dans une autre instance, qui est inopposable aux intimées;

Que, dans ces conditions, en proposant à la vente les produits fabriqués par ces dernières, la société Berry Distribution a commis un acte de concurrence déloyale;

Attendu qu'il est constant que les emballages desdits produits portaient une mention aux termes de laquelle ils ne pouvaient être vendus que par des distributeurs agréés ;

Que cette mention est de nature à induire en erreur la clientèle de la société Berry Distribution en lui faisant croire qu'elle est distributeur agréé;

Que la société Berry Distribution fait valoir que les mentions litigieuses ne lui sont pas imputables puisqu'elles ont été portées par les fabricants,lesquels ont ainsi formulé au profit de leurs distributeurs une promesse de porte-fort, que les tiers, en l'espèce, elle-même n'ont jamais ratifiée ;

Maisattendu qu'une telle mention est à l'évidence destinée au consommateur,qui est ainsi informé que les produits ne peuvent être vendus que dans des conditions précisées par le fabricant qui a agréé à cet effet des distributeurs ;

Que, l'existence d'un réseau de distribution sélective a été ainsi portée à la connaissance du consommateur par cette mention, qui était de nature à faire croire que la société Berry Distribution en faisait partie;

Attendu qu'il résulte du constat que la société Berry Distribution a ainsi mis en vente des produits des sociétés Givenchy et Parfums Christian Dior en s'affranchissant totalement des conditions qu'elles avaient organisées pour leur commercialisation, dont il n'est pas contestable au vu des contrats versés aux débats qu'elles comportaient de très nombreuses contraintes pour garantir la qualité, l'assortiment et la disponibilité des produits, la compétence de ceux qui les vendent et, d'une manière plus générale, leur image de marque ;

Que le préjudice des intimées, dont les agissements litigieux compromettent gravement la crédibilité à l'égard des consommateurs, n'est pas contestable et il peut être fait droit à leur demande;

Attendu que la société Berry Distribution succombe en ses prétentions et doit être condamnée aux dépens, y compris aux frais irrépétibles supportés par les intimées ;

Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement, en audience solennelle, sur renvoi de cassation, Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 23 février 1993 ; Confirme le jugement du tribunal de commerce de Châteauroux en date du 21 octobre 1987 en toutes ses dispositions à l'exception du montant de la condamnation à dommages-intérêts ; Statuant à nouveau : Condamne la société Berry Distribution à payer à titre de dommages-intérêts : - Cent mille francs (100 000,00 F) à la société Givenchy, - Cent mille francs (100 000,00 F) à la société Parfums Christian Dior ; Condamne la société Berry Distribution à payer sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : - Dix mille francs (10 000,00 F) à la société Givenchy, - Dix mille francs (10 000,00 F) à la société Parfums Christian Dior ; Condamne la société Berry Distribution aux dépens d'appel et accorde à la SCP Coudamy, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.