CA Montpellier, 2e ch. A, 6 avril 1995, n° 93-2302
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Laguiole Coutellerie (SARL)
Défendeur :
Durand, Jean Sauzede - Biguet (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Otavy
Conseillers :
Mme Plantard, M. Torregrosa
Avoués :
SCP Salvignol, Mes Rouquette, Baugil
Avocats :
Mes Simon, Mendras.
Les faits, la procédure et les prétentions :
Le 11 mars 1992, la Société Laguiole SARL dont le gérant est M. Boissins a assigné M. Durand et l'EURL Jean Sauzede devant le Tribunal de Commerce d'Espalion pour voir constater que le modèle de couteau Starck-Alu créé par M. Philippe Stark à la demande de la Société Laguiole, qui est titulaire des droits d'auteur, est protégeable par les dispositions de la loi du 11 mars 1957, et par celles de la loi du 14 juillet 1909 puisque le modèle a été déposé le 25 juillet 1987.
Il était demandé au Tribunal de Commerce de constater que les agissements de M. Durand et de la Société Sauzede étaient constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire.
Ces derniers devaient, selon l'assignation, se voir interdire la poursuite de leurs agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée et des dommages et intérêts à hauteur de 200 000 F étaient sollicités, outre la publication de la décision à intervenir et la destruction des couteaux contrefaisants.
Par jugement en date du 16 février 1993, le Tribunal de Commerce d'Espalion a prononcé un débouté global au motif notamment que la Société Laguiole " n'apporte pas la preuve d'une œuvre dont l'aspect général soit nouveau et se distingue des réalisations antérieures tombées dans le domaine public ".
La Société Laguiole a interjeté appel et sollicite dans ses conclusions du 1er juillet 1993 l'infirmation dans toutes ses dispositions du jugement rendu le 16 février 1993 par le Tribunal de Commerce d'Espalion. L'ensemble des demandes formulées en première instance est repris devant la Cour, avec demande d'admissions au bénéfice de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à hauteur de 35 000 F.
Elle expose que dans le but de réimplanter à Laguiole la fabrication des couteaux ayant fait la notoriété de cette localité et d'exploiter cette notoriété pour relancer leur commercialisation à travers le monde, les dirigeants de la société appelante ont décider de faire redessiner le couteau par les designers les plus connus et notamment M. Starck.
Monsieur Starck a créé un modèle qui, par les caractéristiques qu'il présente, constitue incontestablement, bien qu'il s'inspire d'une forme traditionnelle tout en la modernisant, une œuvre nouvelle marquée de l'empreinte personnelle de son auteur et donc résultant d'un effort créateur.
Les droits d'auteur ont été transférés à la Société Laguiole (loi du 11 mars 1957) sur ce modèle commercialise sous la référence Starck Alu dont la nouveauté et l'originalité ont été consacrés par les professionnels et qui a rencontré un succès considérable.
Ce modèle a été déposé le 25 juillet 1989 en vertu des dispositions de la loi du 14 juillet 1909.
En 1991, la Société Laguiole a eu la surprise de constater que des couteaux reproduisant de manière quasi servile le Starck Alu étaient fabriqués par l'EURL Sauzede et commercialisés par Monsieur Durand dans le cadre d'un commerce qu'il exploite à Laguiole, accompagnés d'une argumentation figurant sur un panneau et parfaitement dénigrante pour les produits de la Société Laguiole.
Le jugement dont appel est ainsi critiqué :
- pour qu'un modèle soit protégeable, il n'est pas nécessaire qu'il soit nouveau dans chacun de ses éléments ; doit être jugé protégeable un modèle empruntant certains de ces élément au domaine public mais résultant d'une interprétation ou d'une adaptation marquée de l'empreinte personnelle de son auteur. Le simple fait que le modèle Starck Alu résulte d'une adaptation et d'une interprétation du couteau traditionnel Laguiole n'est pas en soi de nature à exclure la protection de la loi sur la propriété artistique et sur les dessins et modèles réunis dans le code de la propriété intellectuelle.
Le modèle a une configuration tout à fait particulière et reconnaissable qui se distingue de l'ensemble des autres modèles du couteau Laguiole préexistants. Ainsi, les défendeurs ont été dans la totale incapacité de produire une antériorité de toutes pièces avant date certaine. Le Starck Alu a été qualifié de " symbole de la création française " et c'est donc manifestement à tort que les premiers juges ont dénié toute originalité et nouveauté à ce modèle.
- Le couteau incriminé mis en vente par Durand est une contrefaçon, ayant été conçu par copie servile, ou à tout le moins quasi-servile, du modèle Starck Alu.
Les différences sont mineures et inopérantes dès lors que la contrefaçon s'apprécie d'après les ressemblances et non les différences. Les différences de montage relevées par le Tribunal sont inopérantes dès lors qu'elles n'affectent par l'identité de l'aspect extérieur des couteaux et qu'elles ne peuvent donc être prises en compte.
- A supposer même que le modèle n'est pas protégeable au plan de la propriété intellectuelle, il sera fait droit aux demandes formées sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil et sur les principes en matière de concurrence déloyale. La reproduction servile ou quasi-servile d'un produit constitue un acte de concurrence déloyale caractérisé.
- A ces agissements de contrefaçon se sont ajoutés des agissements de concurrence déloyale et parasitaire. L'offre de couteaux contrefaisants accompagnée d'un panneau comportant un texte désignant les produits de la Société Laguiole est constitutive de concurrence déloyale caractérisée.
- L'entreprise Sauzede est tout aussi responsable que Monsieur Durand car il n'est pas contestable qu'elle a participé à la fabrication des produits incriminés qui comportent sa marque de fabrique.
Honoré Durand (conclusions du 4 janvier 1994) sollicite la confirmation du jugement dont appel. Il demande à la Cour de compléter ce jugement en ordonnant la radiation du dépôt de modèle effectué le 25 juillet 1989 à l'INPI sous le numéro 89.4934. L'arrêt à intervenir sera publié aux frais de Laguiole Société, et une somme de 50 000 F est sollicitée au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Monsieur Durand expose que le modèle Starck Alu reprend le modèle ancestral, communément appelé le Laguiole et tombé depuis longtemps dans le domaine public. Il produit de nombreuses attestations et de multiples modèles anciens attestant la fabrication et la commercialisation depuis près d'un siècle de modèles de ligne similaire aux modèles litigieux et notamment des modèles présentant des manches métalliques. Il existe donc une antériorité indubitable de nature à ôter toute nouveauté au modèle revendiqué par l'appelante. Même si l'on admettait que le Starck Alu soit le premier modèle a manche métallique, il est de jurisprudence constante que le simple changement de la composition d'un modèle n'entraîne pas la création d'un nouveau modèle appropriable. Il en a été jugé ainsi lorsqu'un fabricant a voulu s'adjuger la paternité d'un manche en bois. Monsieur Starck n'a jamais prétendu être à l'origine de la création d'un modèle, et la Société Laguiole est bien en peine pour expliciter l'originalité du Starck Alu, qualifié platement lors de son dépôt à l'INPI de " modèle de couteau fermant " sans qu'aucune spécificité ne soit énoncée. La Société Laguiole confond originalité et notoriété et les articles de presse n'ont pas valeur juridique.
Il y a donc un abus manifeste à qualifier de création l'association du nom d'un designer à un objet traditionnel local, sauf à permettre sous le couvert de droits d'auteur de s'approprier des produits qui appartiennent au domaine public.
Monsieur Durand se fonde sur une ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Rodez pour dénier tout caractère distinctif au Starck Alu ; ni au titre de la forme, ni au titre des matériaux utilisés, la Société Laguiole ne saurait revendiquer une quelconque nouveauté, originalité et antériorité pour le couteau qu'elle commercialise et médiatise sous le nom de Starck Alu.
Il n'y a pas concurrence déloyale car l'appelante n'est nullement en mesure de démontrer que la partie adverse a utilisé des moyens de concurrence qui sont contraires aux usages normaux du commerce et de justifier en quoi par ces moyens il a du encourir seul les frais de commercialisation du produit.
Par ailleurs, rien ne permet de rapprocher les méthodes commerciales de la Société Laguiole et de Monsieur Durand.
Par conclusions en date du 8 août 1994 et du 22 août 1994, l'EURL Jean Sauzede Biguet sollicite la confirmation en ce que le premier jugement l'a mise hors de cause. Une somme de 20 000 F est réclamée à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Subsidiairement, la Société Laguiole sera déboutée.
L'EURL n'est intervenue ni comme industriel ni comme fournisseur dans la fabrication du plein manche aluminium, lequel selon la Société Laguiole constituerait l'élément de nouveauté protégeable du seul fait de l'estampille de Monsieur Starck.
Subsidiairement, l'EURL fait siennes les observations de Monsieur Durand dans ses écritures versées aux débats. Le couteau de Laguiole est tombé dans le domaine public.
La Société Laguiole (conclusions responsives du 8 septembre 1994) maintient ses prétentions en précisant qu'aucune des prétendues antériorités produites par Durand ne présente une configuration identique. Il n'y a pas lieu de limiter la création de Monsieur Starck à l'adoption d'un manche en métal identique à celui de la lame, en faisant abstraction de l'épuration des lignes, de l'accentuation des galbes ou de la stylisation de certains éléments tels que la mouche verrouillant la lame.
La Société Laguiole ne prétend pas s'approprier un droit privatif sur la forme générale du couteau traditonnel de Laguiole, mais entend revendiquer légitimement les droits qu'elle détient sur cette interprétation particulière incontestablement marquée de l'empreinte personnelle de son auteur.
Il sera fait droit, au surplus, à l'action en concurrence déloyale, les explications de Monsieur Durand étant confuses et embarrassées et ce dernier étant dans la totale impossibilité de fournir la moindre explication ou justification sur l'usage de ce panneau auquel il ne fait pas référence dans ses écritures.
Monsieur Durand (conclusions additionnelles du 10 octobre 1994) sollicite le rejet de cette argumentation en précisant qu'il commercialise depuis 1987 des couteaux parallèlement à son activité de photographe et que c'est en 1991 que la Société Laguiole a implanté son propre magasin en face du sien. Par ailleurs, la Cour constatera que les caractéristiques de ligne, galbe et stylisation revendiquées étaient déjà celles du Modern'Laguiole en 1910, et d'autres modèles anciens.
Si l'on devait admettre qu'une " interprétation particulière " du couteau traditionnel est pourvue d'originalité, il faudrait aussi considérer que le couteau de Monsieur Durand ainsi que les autres couteaux similaires disponibles sur le marché représentent autant d'interprétations particulières protégeables. En aucun cas, les nombreuses différences existant entre le Laguiole Prestige de Monsieur Durand et la Starck Alu ne permettent de voir dans le premier une copie servile.
Enfin, il n'y a pas concurrence déloyale car les couteaux diffèrent et que le panonceau, retiré dès décembre 1991 dans un souci d'apaisement, entendait informer le consommateur des modalités de fabrication du couteau (technique du moulage au sable) afin d'éviter toute confusion préjudiciable dans l'esprit du public.
L'EURL Sauzede Biguet (conclusions du 13 octobre 1994) expose que c'est à tort qu'il lui est reproché d'avoir participé à la fabrication des couteaux incriminés. Elle s'est bornée à fournir divers matériaux, à l'exception notable du manche. Il est faux de prétendre que la fabrication du couteau Laguiole avait été abandonnée dans le site de Laguiole, la maison Calmels n'a jamais cessé de produire des couteaux à Laguiole depuis 1829.
Honoré Durand demande à la Cour dans ses conclusions du 3 novembre 1994 de dire et juger irrecevables les demandes de la Société Laguiole relatives à la prétendue violation d'un texte dont elle n'est pas l'auteur. Il s'agit d'un texte de Monsieur Wolff publié en Octobre 1991 dans un ouvrage intitulé " Saveurs, essences et sens " et en juin 1991 dans un livre intitulé " Le Laguiole édité par Monsieur Saglio ".
Motifs de la décision
Sur la contrefaçon :
Attendu qu'il convient d'observer avant même d'aborder l'examen concret des couteaux litigieux, que la question essentielle est celle de la nouveauté et de l'originalité du Starck Alu au sens de la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles et celle du 11 mars 1957 ;
Attendu que la Cour, si elle doit se livrer à un examen de l'argumentation des intimés, ne saurait pour autant échapper à ce problème juridique central qui se pose en l'espèce selon des termes pour le moins originaux ;
Attendu qu'il ne saurait être en effet contesté par les parties que leurs couteaux respectifs appartiennent à la famille des couteaux de Laguiole, dont le berceau Aveyronnais a toujours existé depuis plus d'un siècle et demi, même si la production de ce type de couteaux a pu et continue de s'effectuer en grande partie dans un département voisin ;
Attendu que c'est dans le cadre du renouveau de ce couteau dans le village même de Laguiole, dont la société appelante affirme avoir été l'initiatrice, que le présent litige s'est noué ;
Attendu que les intimés se prévalent de cette très vieielle existence de couteaux dits de Laguiole pour affirmer qu'il ne saurait y avoir contrefaçon lorsqu'un modèle est tombé dans le domaine public ;
Attendu qu'ainsi et selon les conclusions d'Honoré Durand, il ne saurait y avoir contrefaçon de l'Alpenstock Savoyard, du Boomerang australien ou du béret Basque...
Attendu qu'en pure analyse juridique, le lyrisme de ces conclusions méconnaît le fait que l'interprétation d'un objet tombé dans le domaine public peut constituer une création protégeable au sens des lois précitées dès lors que l'objet revendiquant cette protection se différencie de façon tant soit peu appréciable de celui tombé dans le domaine public ;
Attendu que cette analyse, loin d'étendre considérablement le champ de la protection, intègre le fait artistique reconnu selon lequel toute création repose sur des antécédents mais - à la différence du plagiat ou de la simple reproduction - repense, combine et se réapproprie ces antécédents de façon nouvelle et originale ;
Attendu que le génie Savoyard, Basque ou Australien peut donc encore trouver matière à exercer sa création, y compris sur les objets symboles de ces communautés humaines... mais que demeure pour autant le nécessaire examen de la nouveauté et de l'originalité du Starck Alu, sur le terrain du fait ;
Attendu que le deuxième argument des intimés ne se révèle pas non plus dirimant, puisqu'il est certes possible de combattre la nouveauté et l'originalité d'un modèle, mais à la condition de produire des antériorités de toutes pièces ;
Attendu qu'outre le fait que les intimés ont, sur ce volet précis, fondé leur analyse sur l'antériorité soit du manche aluminium, soit de l'abeille stylisée, soit sur la forme, il est constant que la documentation, les attestations et les modèles produits se réduisent - dès lors que l'on élimine les objets à date non certaine - au Modern'Laguiole Dupeux Bonhomme de 1910 qui n'est pas présenté à la Cour concrètement et dont l'examen sur photo ne permet pas d'y déceler une antériorité de toute pièce (quid de la forme et des dimensions précises, de l'abeille stylisée, de la nervure de chaque côté du manche ?) ;
Attendu qu'à supposer une date antérieure de création, ainsi que le laisse supposer l'état d'oxydation des modèles communiqués aux débats, le Laguiole Massif Baladier est dépourvu d'abeille et présente une nervure différente sur son manche, tandis que le Laguiole Rossignol - outre qu'il soit possible de s'interroger sur la contemporanéité de la lame et du manche - présente une forme de manche et une abeille radicalement différentes du Starck Alu ;
Attendu que l'absence d'antériorité de toutes pièces produites aux débats renvoie néanmoins au nécessaire examen de la nouveauté et de l'originalité du Starck Alu, le dernier argument des intimés qui insistent sur les différences entre le modèle argué de contrefaçon et le Starck Alu devant être rejeté au seul plan juridique dès lors que la contrefaçon éventuelle s'apprécie en fonction des ressemblances et non des différences portant sur des ressemblances et non des différences portant sur les éléments externes de l'objet, seuls revendiqués en l'espèce par l'appelant ;
Attendu que la question centrale de l'originalité et nouveauté du modèle Starck Alu qui doit maintenant être abordée se révèle beaucoup plus épineuse que les réponses ci-dessus motivées aux arguments des intimés ;
Attendu qu'en effet, la SA Laguiole revendique sans ambiguïté l'inscription de son modèle dans le sillage de la tradition des couteaux dits de Laguiole, et n'a pas réfuté l'analyse selon laquelle :
" on dit qu'il réinvente tout ce qu'il touche. Un siège, une passoire, une brosse à dent, un cendrier, un presse citron... (...) exception Starck à la règle - Starck : Le Laguiole. En l'épurant, en enlevant l'inutile de ses lignes, en simplifiant l'abeille-mouche, en supprimant les mîtres comme le faisaient les coutelliers d'autrefois sur les Laguiole du dimanche, en s'effaçant devant l'objet, il lui a redonné son actualité et son éternité ! La preuve peut-être qu'avant Starck, le Laguiole était déjà très starck " ;
Attendu que si ces phrases n'engagent que leur auteur qui n'est pas Monsieur Starck ni l'appelant, elles sont néanmoins tirées d'un livre de Messieurs Saglio et Wolff versé aux débats et qui a été dédié en juin 1991 notamment à Monsieur Boissins Président Directeur Général de la SA Laguiole appelante ;
Attendu que la Société Laguiole a d'ailleurs fait constater par Huissier le 29 septembre 1994 qu'un extrait antérieur du texte de Monsieur Wolff " protégé par des droits d'auteur " et qui figure au même livre, avait été utilisé " sans son autorisation " à Chamonix ;
Attendu que ce texte a le mérite, à la lumière comparée de l'instance dont est aujourd'hui saisie la Cour, de soulever la contradiction qu'il y a à revendiquer une protection légale au nom de la nouveauté et de l'originalité d'une création, alors que l'on revendique, sur un plan esthétique au sens large, le respect absolu d'une tradition, pour ne pas dire le retour à une tradition épurée dans ses lignes et soulagée de l'inutile ;
Attendu que loin de remettre en cause l'importance de Monsieur Starck en sa qualité de designer, il s'agit bien plus de restituer le cadre de son apport en l'espèce à la Société Laguiole SA qu'il a qualifié lui-même (CF sa facture du 15 novembre 1988) de :
- Analyse critique de l'objet et de la gamme laguiole ;
- Etude et dessins des améliorations qualitatives et stylistiques ;
- Création du logo et de la charte d'emplacement ;
- Etude et création de l'emballage de la gamme ;
- Conseil dans la communication des produits eux-mêmes ;
Attendu que Monsieur Starck fait ainsi preuve, en ce qui concerne le couteau lui-même, d'une modestie qui l'honore ;
Attendu que la déclaration de dépôt et dessins et modèles de la SA Laguiole ne laisse pas d'étonner par la simplicité de son intitulé et de son dessin, lorsqu'on la compare dans la présente instance aux conclusions de cette même société qui décrivent :
" Le choix de lignes et de formes stylisées et épurées, combinées à l'adoption de métaux particuliers conférant une unicité d'aspect à l'ensemble du modèle... ont abouti à ce que ce dernier présente une configuration tout à fait particulière et reconnaissable qui se distinguent de l'ensemble des autres modèles de couteaux de Laguiole préexistants... "
Attendu qu'aucune étude technique précise ou extraite des travaux de Monsieur Starck n'est versée aux débats qui permettrait à la Cour d'évaluer concrètement l'originalité et la nouveauté de cette stylisation et épuration, selon une analyse qui ne relève pas d'une appréciation subjective de la beauté comparée de l'objet ou de son retentissement dans le monde industriel, artisanal, commercial ou politique dont les critères - pour respectables qu'ils soient - n'ont pas de déterminisme ou de finalité juridique ;
Attendu qu'en l'état, force est de constater que le Starck Alu, mélangé à d'autres couteaux dits de Laguiole, se rattache avant tout à la forme traditionnelle et au système de fermeture qui constitue l'originalité foncière du couteau de Laguiole, sans que ni sa stylisation ni l'épuration de sa ligne ne permettent d'affirmer que Monsieur Starck ait fait preuve, dans le genre, d'une créativité qui confère à ce couteau une configuration distincte et reconnaissable, sauf à considérer que la moindre modification apportée au couteau traditionnel est porteuse de nouveauté et d'originalité et mérite en conséquence protection de la loi alors que précisément tous les couteaux de Laguiole se rattachent à un genre bien reconnaissable et tombé dans le domaine public, tout en s'en différenciant par tel ou tel détail, ajout ou suppression, choix de telle ou telle matière ;
Attendu qu'à la vérité, la SA Laguiole ne peut rechercher une protection légale au simple effet de l'incontestable réussite industrielle et commerciale du Starck Alu, tout en revendiquant le rattachement de ce couteau à une tradition plus que centenaire, et donc à un genre bien particulier de couteaux qui tous adoptent une forme reconnaissable entre mille et tombée dans le domaine public, mais qui tous s'en différencient par des détails qui n'oblitèrent pas le rattachement au genre (choix des matières, des aciers, des accessoires, etc.) ;
Attendu que le travail de Monsieur Starck, revendiqué par la SA Laguiole, n'a pas débouché sur une création originale et nouvelle, dès lors qu'il se rattache incontestablement à cette tradition - et qu'il la revendique - sans pour autant avoir dépassé ses limites, ce qui est précisément à l'origine au moins partielle du succès d'un couteau à la fois moderne de lignes mais rattaché très fortement à une tradition ;
Attendu qu'en conclusion, l'impossibilité de la protection légale ne constitue nullement une méconnaissance d'un talent très largement reconnu à Monsieur Starck (sur des bases dont il a été motivé supra l'absence de conséquences juridiques) mais est bien plus l'illustration de ce que toute époque est au plan esthétique traversée de courants traditionnels et modernes, le modernisme étant donc littéralement de toutes les époques ;
Sur la concurrence déloyale :
Attendu que l'absence de protection au titre du code de la propriété intellectuelle n'implique pas l'absence de concurrence déloyale ;
Attendu que la faute de Durand est tout d'abord constituée par l'apposition d'un panonceau dépréciant les " modèles existants " dont les manches sont " moulés industriellement " ;
Attendu que cette faute est d'autant plus évidente que Durand l'a reconnue à tout le moins implicitement en retirant ce panonceau à première sommation ;
Attendu qu'en effet, outre que les faits énoncés restent à vérifier et sont en toute hypothèse subjectifs puisque la limite est peu facile à tracer entre l'industriel et l'artisanal (" méthode ancestrale "), un tel procédé ne peut avoir pour but que de détourner une clientèle potentielle de façon déloyale puisqu'impossible à vérifier et totalement unilatérale ;
Attendu que ce panonceau démontre par ailleurs de façon indiscutable que Durand lui-même a comparé sa production à celle de la SA Laguiole, puisqu'il n'a jamais nié dans ses écritures que cette société s'était sentie concernée à juste titre par ce panonceau...
Attendu qu'il aurait été facile à Durand de lever une ambiguïté générée par ce panonceau lui-même, en démontrant qu'il a commencé à produire ce type de couteaux avant le dépôt à l'INPI du Starck Alu, ce qu'il n'a jamais même tenté de conclure ;
Attendu que des ressemblances objectives existent entre le Starck Alu et le Laguiole Prestige, à savoir :
- les encoches sur le plat de la lame,
- les nervures de chaque côté du manche du haut,
- la couleur et brillance générales de l'aluminium du manche,
- le nombre de rivets de chaque côté du manche ;
- l'impression d'unité que dégage l'ensemble aluminium du manche et acier de la lame ;
Attendu qu'il existe au surplus un détail significatif qui démontre l'acte de copiage de l'abeille du Starck Alu, puisque Durand a obtenu un effet de stylisation en polissant grossièrement des formes d'abeille, au point que subsistent à la base de chaque abeille des Laguioles Prestige communiqués au dossier les restes de rainures des abeilles qui nervuraient le métal ;
Attendu qu'une telle reproduction quasi servile suffit à caractériser la concurrence déloyale, sans que les différences internes de montage ou celles externes - dont aucune ne porte atteinte à l'aspect global qui se rapproche évidemment du Starck Alu - suffisent à contrebalancer cette analyse;
Attendu que la confusion ainsi créée dans l'esprit de l'acheteur potentiel était parachevée par l'annonce de la méthode " artisanale " et aussi par un prix sensiblement inférieur à celui du Starck Alu, qui n'est pas contesté;
Attendu que la preuve est ainsi rapportée au dossier d'une manœuvre ayant consisté à produire un couteau susceptible d'être confondu avec le Starck Alu pour le vendre à moindre prix en profitant de son incontestable succès commercial et des retombées de la stratégie de la SA Laguiole;
Mais attendu que cette action de concurrence déloyale a seulement causé un préjudice qui peut être évalué par l'allocation d'un franc de dommages et intérêts, eu égard aux éléments du dossier et notamment aux différences de structures, de moyens et d'objectifs mis en œuvre par les parties et qui ne permettent pas d'objectiver un préjudice autre que celui à caractère moral que la Cour évalue souverainement ainsi qu'indiqué ci-dessus ;
Attendu que la SA Laguiole sollicite par contre à juste titre la cessation sous astreinte de la mise en vente du Laguiole Prestige, et la publication du dispositif du présent arrêt dans l'édition locale du Journal Midi Libre au frais de Durand ;
Attendu qu'il n'apparaît pas nécessaire à la réparation du dommage de confier les couteaux litigieux à la SA Laguiole aux fins de destruction ;
Sur la mise en cause des établissements Sauzede :
Attendu que l'appelante ne démontre en rien que le rôle des Etablissements Sauzede a outrepassé celui qu'elle reconnaît, à savoir fournisseur de lames, platines, mitres et ressort (à l'exception des manches) ;
Attendu que seul l'assemblage de ces éléments constitue la reproduction servile qui incombe donc au seul Durand, de même que l'acte et les conditions de la commercialisation ;
Attendu qu'il convient donc de mettre les Etablissements Sauzede hors de cause, sans qu'il puisse être considéré que la procédure soit abusive ou que des frais irrépétibles aient été engagés de manière inéquitable ;
Sur les demandes annexes :
Attendu que l'absence de contrefaçon ne confère pas à Durand le droit de solliciter la radiation du dépôt de modèle effectué à l'INPI le 25 juillet 1989, puisque ce dépôt est purement déclaratif et non attributif de droits, et ne peut donc causer à Durand un quelconque grief ;
Attendu que la demande de frais irrépétibles formulées par la SA Laguiole est justifiée à hauteur de 20 000 F ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement du Tribunal de Commerce d'Espalion en date du 16 février 1993 en ce qu'il a débouté la SA Laguiole de ses demandes fondées sur la contrefaçon de son modèle de couteau Starck Alu ; Dit et juge que le modèle de couteau Starck Alu n'est pas protégeable au sens de la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles et de celle du 11 mars 1957 ; Réforme le jugement du Tribunal de Commerce d'Espalion pour le surplus ; Dit et juge que Durand a commis des agissements de concurrence déloyale en commercialisant un modèle de couteau " Laguiole Prestige " constituant une reproduction quasi-servile du Starck Alu et en apposant un panonceau dépréciant les " modèles existants " ; Condamne Durand à payer à la SA laguiole le franc symbolique de dommages et intérêts ; Interdit à Durand la poursuite de cette concurrence déloyale et ordonne en conséquence la suppression du panonceau et l'arrêt de la mise en vente du couteau dénommé " Laguiole Prestige ", sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, chaque infraction étant constituée par la mise en vente d'un seul de ces couteaux ; Met hors de cause les Etablissements Sauzede ; Déboute Durand de sa demande de radiation du dépôt du modèle Starck Alu ; Condamne Durand à payer à la SA Laguiole 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans l'édition locale du Midi Libre mise en vente à Laguiole (Aveyron), sur la page relative à ce chef lieu de canton et aux frais de Durand. Dit que la SA Laguiole pourra procéder à cette publication à ses frais avancés qui ne pourront excéder 4 000 F et seront dans ce cas réclamés à Durand sur justification ; Condamne Durand aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, par application de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.