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Décisions

Cass. com., 4 avril 1995, n° 93-10.341

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ishwar (SA)

Défendeur :

Ehrenreich

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Nicot

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

Me Choucroy, SCP Matteï-Dawance.

T. com. Paris, 18e ch., sect. A, du 8 ma…

8 mars 1991

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 octobre 1992), que M. Ehrenreich, qui exploitait sous diverses enseignes des commerces de tissus pour ameublement a assigné en contrefaçon et en concurrence déloyale la société Ishwar, pour la commercialisation de modèles de robes et de vêtements féminins utilisant des motifs indiens, selon lui, contrefaisants ; que son action en contrefaçon a été rejetée mais son action en concurrence déloyale accueillie ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de M. Ehrenreich : - Attendu que M. Ehrenreich fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en contrefaçon alors, selon le pourvoi, que, désignant simplement l'entreprise commerciale, l'enseigne élément du fonds de commerce, se rapporte nécessairement à la personne physique ou morale qui exploite celui-ci, qu'en l'espèce, il résulte des propres mentions de l'arrêt attaqué que les encarts publicitaires parus dans les magazines Modes et Travaux et Marie Claire avaient pour annonceur les Editions Paule Marrot qui, loin d'incarner une personne morale distincte de l'exposant, personne physique, n'est que l'enseigne sous laquelle M. Ehrenreich exploite son fonds de commerce à titre personnel, qu'ainsi, l'œuvre ayant été divulguée sous le nom de l'exposant, ce dernier est réputé en être l'auteur, que dès lors en se bornant à énoncer, pour décider le contraire, que les encarts publicitaires susvisés ne divulguaient pas le nom de M. Ehrenreich, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses constatations et violé, par fausse application, l'article 8 de la loi du 11 mars 1957 et l'article 1er de la loi du 17 mars 1909 ;

Mais attendu qu'ayant constaté que rien ne démontre que la divulgation des dessins Fortunata, Nora et Flora ait présenté M. Ehrenreich comme son créateur, les publicités versées aux débats ne mentionnant que les éditions Paule Marrot, sauf l'une d'elles où M. Ehrenreich n'est cité que comme ayant redécouvert des dessins attribués, sans d'ailleurs la moindre preuve, à l'artiste peintre Paule Marrot, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, n'étant pas l'auteur, M. Ehrenreich n'avait pas qualité pour agir en contrefaçon ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Ishwar, pris en ses quatre branches : - Attendu que la société Ishwar fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de M. Ehrenreich fondée sur la concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, que l'arrêt a présumé que les ressemblances respectives entre les dessins de Ishwar 2016, 2095 et 2048 et les dessins Fortunata, Nora et Flora ne pouvaient résulter que d'une copie servile, dès lors que la charge de la preuve d'une copie servile incombe au demandeur, qu'aucun motif de l'arrêt sur la contrefaçon écartée n'envisage cette question, que l'expertise de référé non visée n'établit pas cette servilité, et que le défendeur qui n'avait aucune preuve à faire produisait des attestations dont les imprécisions relevées par l'arrêt ne portaient pas sur le fait que le fournisseur indien avait " développé " les dessins incriminés dès 1978/79 pour le dessin 2016, dès 1979/80 pour le dessin 2095 et dès 1984/85 pour le dessin 2048 ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale au regard des articles 1315 et 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que l'action en concurrence déloyale, fût-ce pour agissement parasitaire, ne peut légalement sanctionner la copie servile et sans risque de confusion d'un dessin non protégé, que si cette copie servile émane d'un concurrent ; ce qui ne peut être le cas lorsque les deux entreprises ont une activité commerciale distincte et une clientèle différente et se désintéressent du produit commercialisé par l'autre commerçant ; et qu'en l'espèce l'arrêt, constatant que la société Ishwar et M. Ehrenreich avaient une activité distincte et que leurs fabrications ne s'adressaient pas à la même clientèle sans pour autant relever que celle de M. Ehrenreich était susceptible d'être affectée par la mise sur le marché du prêt à porter des dessins dans les tissus d'ameublement, ne pouvait donc faire droit à l'action en concurrence déloyale, sous peine de violer l'article 1382 du Code civil ; et alors qu'encore l'arrêt a affirmé l'existence d'un préjudice qui était démenti par le fait, rappelé aux conclusions, que la saisie-contrefaçon avait été pratiquée sur des prototypes exposés pour la première fois dans un salon spécialisé du prêt à porter et que ces prototypes avaient été aussitôt retirés de la commercialisation qui n'avait donc pas commencée ; que dans ces conditions il était donc impossible que les produits de M. Ehrenreich aient été avilis et que ses efforts de promotion aient été lésés ; que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que l'arrêt n'a pas indiqué sur quels éléments il se basait pour évaluer le soi-disant préjudice à 200 000 francs, ce montant élevé - à défaut de tout justificatif réel - traduisait qu'il n'est en réalité qu'une peine sanction incompatible avec la notion de dommages-intérêts au sens de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que M. Ehrenreich a le premier diffusé des dessins que la société Ishwar n'a pu connaître que par la commercialisation des tissus de M. Ehrenreich et constaté que les dessins de la société Ishwar référencés 2016, 2095 et 2088 présentent avec certains tissus de M. Ehrenreich des ressemblances qui ne peuvent résulter que d'une copie servile, c'est sans inverser la charge de la preuve, qu'elle a estimée apportée par M. Ehrenreich, que la cour d'appel a écarté comme non probantes les attestations produites par la société Ishwar ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Ishwar, en copiant servilement les dessins des tissus de M. Ehrenreich, a bénéficié " sans bourse déliée " des efforts économiques d'autrui et contribué à un avilissement des produits de M. Ehrenreich, la cour d'appel, par ces seuls motifs, a pu décider que la société Ishwar avait commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil au préjudice de M. Ehrenreich ;

Attendu, de troisième part, que, par un motif non critiqué, l'arrêt retient que la société Ishwar a commercialisé des produits portant les dessins imitants ; qu'elle en a déduit à bon droit que ce fait avait contribué à un avilissement des produits de M. Ehrenreich, constitutif d'un préjudice ;

Attendu, enfin, qu'ayant constaté l'existence d'un préjudice subi par M Ehrenreich, la cour d'appel en a souverainement déterminé le montant par l'évaluation qu'elle en a faite ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : rejette les pourvois tant principal qu'incident.