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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 3 avril 1995, n° 94-12292

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aedes (SARL)

Défendeur :

Spic Ecopic Line (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Varin-Petit, Me Melun

Avocats :

Mes Clemencon, Guez.

T. com. Créteil, 2e ch., du 8 févr. 1994

8 février 1994

LA COUR : - Par arrêt en date du 14 décembre 1994 (auquel il est expressément référé pour plus ample exposé des faits et prétentions des parties) la Cour d'appel a considéré :

- que la lettre circulaire envoyée le 1er juin 1993 par la Société Spic Ecopic Line (SEL) à plusieurs clients ne pouvait s'analyser comme une mise en garde adressée à un contrefacteur indirect, préalable obligé à toute poursuite dirigée contre celui-ci, mais constituait une véritable dénonciation à la clientèle des agissements de la Société Aedes, concurrent nommément désigné comme contrefacteur ;

- que le procédé, exactement qualifié par les premiers juges de " dénigrement " contraire aux usages loyaux du commerce en ce qu'il préjugeait d'une décision de justice, était, en fait, indépendant du procès en contrefaçon ;

- que la Société Aedes, présumée innocente des actes de contrefaçon alléguées jusqu'à ce qu'il ait été prononcé à ce sujet par une décision irrévocable était bien fondée à demander que la juridiction commerciale statue immédiatement sur le préjudice qui avait pu résulter d'une telle manipulation prématurée et sur les mesures à prendre pour que les tiers destinataires de la circulaire puissent recevoir une information objective sur la réalité des faits.

Réformant le jugement entrepris en ce qu'il avait sursis à statuer et, considérant que par l'effet dévolutif de l'appel tous les points du litige soumis au Tribunal étaient déférés à sa connaissance, la Cour a rouvert les débats pour permettre à la Société SEL qui n'avait abordé qu'indirectement le fond, de conclure et à la Société Aedes de répliquer, renvoyant l'affaire à l'audience du 27 février 1995 pour y être plaidée.

Par conclusions des 10 et 23 janvier 1995, la Société SEL prétend que la Cour d'appel a fait une mauvaise application des articles 544, 545, 561 et 562 du Nouveau Code de Procédure Civile en considérant qu'elle pouvait connaître la demande en concurrence déloyale par l'effet dévolutif de l'appel, et lui demande de constater que cet effet dévolutif est limité au sursis à statuer et qu'elle a en conséquence vidé son appel par son arrêt du 14 décembre 1994 en réformant le jugement entrepris sur ce sursis.

Elle conclut subsidiairement, le 16 février 1995, au débouté de son adversaire, contestant la réalité tant du dénigrement que du préjudice invoqué.

Elle se prévaut, en tout état de cause, de l'inadéquation des mesures de publication sollicitées qu'elle estime disproportionnées au regard de la simple " menace " de préjudice allégué et en demande en conséquence, à titre infiniment subsidiaire, la limitation.

Par conclusions du 10 janvier 1995, la Société Aedes sollicite le rejet des écritures de la Société SEL comme étant postérieures au délai imparti par la Cour pour conclure.

Subsidiairement, après avoir précisé que le Tribunal de Grande Instance de Paris venait de rejeter, par jugement du 25 novembre 1994, l'action en contrefaçon entreprise par SEL et d'annuler le brevet invoqué, la Société Aedes sollicite le bénéfice de ses précédentes écritures demandant le paiement d'un franc de dommages-intérêts, la publication de la décision à intervenir et le paiement d'une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce

Considérant que la Société Aedes ne peut valablement prétendre au rejet des conclusions de son adversaire signifiées postérieurement au délai imparti par la Cour dès lors qu'elle a disposé du temps nécessaire pour répliquer à l'argumentation qui lui était opposée et faire valoir ses propres moyens de défense, le principe du contradictoire ayant ainsi été respecté ;

Considérant que la Cour s'étant prononcée, dans son arrêt du 14 décembre 1994, sur l'effet dévolutif de l'appel interjeté par la Société Aedes, il n'y a lieu de statuer à nouveau sur ce point ;

Considérant que le simple fait de dénoncer à la clientèle les agissements d'un concurrent nommément désigné comme contrefacteur, alors qu'aucune décision de justice ne vient en établir la réalité, constitue un " dénigrement " contraire aux usages loyaux du commerce engageant la responsabilité de celui-ci qui y procède;

Considérant qu'en adressant, le 1er juin 1993, à plusieurs clients une lettre circulaire dont les termes ont été précisément rappelés dans le précédent arrêt et qui comporte une telle dénonciation, la Société SEL s'est rendue coupable d'un dénigrement au préjudice de la Société Aedes et doit en conséquence répondre de la faute qu'elle a commise ;

Que la preuve de ce dénigrement résulte suffisamment des quatre lettres circulaires produites aux débats qui, pour peu nombreuses qu'elles soient n'en sont pas moins pertinentes, les réactions que ces lettres ont pu susciter auprès des destinataires étant inopérantes sur la matérialité du fait dénoncé;

Considérant que pour s'opposer à la demande, la SEL conteste également la réalité du préjudice invoqué que la Société Aedes, à l'en croire, serait dans l'impossibilité de chiffrer, et dont elle ne justifierait pas ;

Mais considérant que le préjudice, comme pour tout acte de concurrence déloyale, s'infère du seul dénigrement commis sans qu'il soit besoin de démontrer un détournement effectif de clientèle ou une baise de chiffre d'affaires;

Que la somme symbolique de un franc demandée à titre de dommages-intérêts est amplement justifiée, ne serait-ce qu'en raison du préjudice moral que la Société Aedes, présumée innocente de la contrefaçon alléguée qu'aucune décision de justice ne vient consacrer, est bien fondée à invoquer ;

Que la demande de publication, en ce qu'elle a pour effet de porter à la connaissance des tiers une information objective rendue nécessaire par l'attitude même de celle à l'encontre de laquelle elle est formulée, est également justifiée en l'espèce et doit être ordonnée selon les modalités énoncées au dispositif ci-après ;

Que cette mesure étant toutefois suffisante à réparer le préjudice subi, il n'y a lieu d'ordonner d'autres mesures d'information ;

Considérant enfin qu'il sera inéquitable de laisser à la Société Aedes la charge des frais irrépétibles qu'elle a engagés ;

Que la somme de 30.000 F doit lui être allouée de ce chef ;

Par ces motifs, Vu le précédent arrêt du 14 décembre 1994 ; Dit n'y avoir lieu à statuer de nouveau sur l'effet dévolutif de l'appel interjeté par la Société Aedes ; Dit n'y avoir lieu à rejeter les conclusions de la Société SEL ; Dit qu'en adressant le 1er juin 1993 à plusieurs clients une lettre circulaire ayant pour objet de leur dénoncer les agissements de la Société Aedes, nommément désignée comme contrefacteur de son brevet n° 91.12761, alors qu'aucune décision de justice à caractère irrévocable n'établit la réalité de la contrefaçon alléguée, la Société Spic Ecopic Line (SEL) a commis un acte de concurrence déloyale par dénigrement à l'encontre de ladite Société Aedes ; Condamne la Société SEL à payer à cette dernière la somme symbolique d'un franc de dommages-intérêts sollicitée, en réparation de son préjudice, outre une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Autorise la Société Aedes à faire publier le dispositif du présent arrêt dans trois journaux ou revues de son choix et aux frais de la Société SEL dans la limite de 25.000 F par insertion, ladite publication devant toutefois être faite intégralement et non par extrait ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la Société SEL aux dépens dont distraction au profit de la SCP Varin-Petit conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.