CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 30 mars 1995, n° 4802-93
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ministre de l'Économie
Défendeur :
Uni Son (SARL), Rica (SARL), Compagnie Générale Horlogère (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
M. Boutie, Mme Tribot-Laspiere
Avoués :
SCP Rives-Podesta, SCP Sorel-Dessart, SCP Boyer-Lescat
Avocats :
SCP Camille-Sarramon, Mes Decker, Meyer.
La Compagnie Générale Horlogère (CGH) est le distributeur officiel exclusif pour la France, la Belgique, le Luxembourg, les territoires et départements d'Outre Mer, des montres et pendulettes de marque Seiko.
La CGH assure la distribution des montres Seiko, par l'intermédiaire d'un réseau de revendeurs agréés, choisis en fonction de critères sélectifs, fondés sur des conditions d'environnement, d'accueil et de compétence, conformément à l'image de marque du produit.
La CGH, parmi les services particuliers qu'elle propose à la clientèle par l'intermédiaire de ses revendeurs, procure, outre la garantie contractuelle de la marque mise en œuvre par n'importe quel revendeur agréé Seiko dans le monde entier, une garantie spécifique CGH supplémentaire d'une année pour le territoire français.
La CGH a appris que la société Uni Son proposait à la vente au détail dans son magasin à l'enseigne " Boutique de l'Électronique ", 65 rue d'Alsace Lorraine à Toulouse, des montres de marque Seiko qu'elle s'était procurées auprès de circuits parallèles, accompagnées de bons de garantie, muets sur l'absence de garantie mondiale Seiko, qu'elle refusait d'informer clairement le consommateur sur cette absence et remettait à sa clientèle des documents qui laissaient apparaître le contraire, affichait en vitrine d'importantes réductions de prix sur les montres Seiko. Plus généralement, les conditions dans lesquelles les montres Seiko étaient proposées à la vente par Uni Son paraissaient gravement préjudiciable à CGH et à l'image de marque de son produit.
La CGH apprenait également que la société Uni Son démarchait les horlogers bijoutiers du réseau CGH et ainsi désorganisait, en parfaite connaissance de cause son réseau, et proposait la vente de montres Seiko en dénigrant, par comparaison la CGH.
Il était encore porté à la connaissance de la société CGH, que la société Rica revendait dans ses divers fonds de commerce des montres Seiko, qu'elle s'était procurées également auprès de circuits parallèles, en n'informant pas le consommateur sur l'absence de garantie mondiale Seiko et plus généralement, dans des conditions que la CGH, trouvait gravement préjudiciable à son image ainsi qu'à l'image de marque du produit.
La CGH estimant que les agissements de Uni Son et de Rica constituaient des actes de concurrence déloyale et de concurrence parasitaire, les assignait devant le Tribunal de Commerce de Toulouse pour obtenir l'arrêt de ces agissements et 800 000 francs de dommages et intérêts de réparation.
En cours de procédure, la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, intervenait volontairement, aux côtés des sociétés Uni Son et Rica. Celles-ci soulevaient l'illicéité du réseau de distribution sélective mis en place par CGH et demandaient 500 000 francs à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison du refus de CGH de voir accorder à leur client la garantie internationale Seiko, celle-ci commettant un acte d'entrave à la concurrence contraire à l'article 85, paragraphe 1 du traité de Rome.
Le Ministère de l'Économie et des Finances soutenait également que cette exclusion de la garantie mondiale Seiko pénalisait les circuits d'importation parallèle et constituait une pratique contraire à l'article 85-1 du Traité de Rome. Selon lui, la clause réservant la commercialisation des montres Seiko aux seuls spécialistes horlogers-bijoutiers, ainsi rédigée, était de nature à exclure a priori des formes de distribution et contraire à l'article 7 de l'ordonnance 86-1243, et il en demandait en conséquence la nullité en vertu de l'article 9 de la même ordonnance.
Par jugement du 8 septembre 1993, le Tribunal de Commerce de Toulouse, estimait licite le système de distribution sélective mis au point par la société CGH et retenait que les bons de garantie remis par Uni Son et Rica aux acheteurs de montre Seiko en dehors du réseau officiel de distribution, étaient susceptibles de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle.
En conséquence, il interdisait à ces sociétés l'utilisation de ces bons de garantie sous astreinte de 25 000 francs par infraction constatée et prescrivait que les bons de garantie utilisés ne devaient plus s'intituler " Bon de garantie Seiko " et que serait portée en caractère gras la mention d'exclusion de la garantie internationale Seiko, ainsi que d'une façon claire, la mention du débiteur de l'obligation et son identification commerciale complète, et cela sous la même astreinte.
En outre, le Tribunal ordonnait diverses publicités dans les vitrines et le respect des formes de commercialisation, stipulées dans les articles I, II du contrat de distribution de CGH, ainsi que la saisie des prospectus irréguliers.
La juridiction déboutait cependant CGH de sa demande d'interdiction de vente de montres Seiko par les 2 sociétés qui étaient de plus, condamnées solidairement au paiement de 200 000 francs à titre de dommages-intérêts.
Enfin, le Ministère de l'Économie était débouté de toutes ses demandes, et l'exécution provisoire était ordonnée, les 2 sociétés étant en outre condamnées au paiement de 30 000 francs par application de l'article 700, et le Ministère de l'Économie au paiement de 15 000 francs.
Le Ministre de l'Économie et des Finances relevait appel de ce jugement le 20 octobre 1993, suivi le 21 octobre 1993 par la société Uni Son et le 10 novembre 1993 par la société Rica, de sorte qu'une ordonnance de jonction était rendue le 2 mars 1994.
Le Ministère de l'Économie qui conteste la licéité du contrat de distribution sélective, réaffirme que la lettre de classement dont se prévaut CGH est sans effet sur la licéité du contrat et que la Cour n'est pas liée par l'existence de ce document. Il soutient, notamment à propos de l'application de ce contrat, que la CGH agit de façon discriminatoire, de sorte qu'elle ne peut s'en prévaloir au titre des dispositions de l'article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1966. Il reproche également aux clauses de cet accord d'avoir pour objet ou pour effet d'écarter a priori des formes de commerce pourtant aptes à commercialiser ces produits de façon satisfaisante.
Il rappelle que la société Seiko ne peut s'exonérer d'accorder à sa clientèle sa garantie légale dès l'instant où les montres ont été acquises régulièrement, de sorte qu'il ne peut être reproché aux 2 sociétés d'assurer cette garantie et de remettre au consommateur, parfaitement informé, un bon de garantie portant " garantie un an pièces et main d'œuvre ". Il invoque également l'analyse constante de la Cour de Justice des Communautés Européennes qui estime que lorsqu'une société réserve à sa propre clientèle des avantages qu'elle n'accorde pas aux appareils acquis par le biais d'importations parallèles, elle pénalise les importations parallèles, ce qui peut être regardé comme restreignant la concurrence.
Il souligne que les réseaux d'importations parallèles sont admis et qu'il revient à CGH et sa maison mère, d'assurer l'étanchéité du réseau de distribution mis en place et de rechercher les distributeurs ne respectant pas la clause de protocole interdisant la revente aux distributeurs non agréés.
Il conclut en conséquence à la réformation du jugement déféré, à ce qu'il soit jugé que l'exclusion du bénéfice de la garantie mondiale Seiko vise à pénaliser les circuits d'importations parallèles et est contraire à l'article 85-1, à ce qu'il soit jugé que la clause réservant la commercialisation des montres Seiko aux seuls spécialistes horlogers-bijoutiers, ainsi rédigée est de nature à exclure a priori des formes de distribution et qu'elle est contraire à l'article 7 de l'ordonnance 86-1243 ; au prononcé de la nullité de cette clause par application de l'article 9 de ladite ordonnance et à la condamnation de CGH à lui verser 15 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les sociétés Uni Son et Rica qui reprennent pour l'essentiel l'argumentation soutenue devant le Tribunal soutiennent tout d'abord que le réseau de distribution sélective mis en place par la CGH est illicite et invoquent l'article 85 du traité de Rome, repris par la législation française, notamment à travers l'ordonnance du 1.12.86, dans ses articles 7 et 8. Selon eux, les demandes de la CGH vont à l'encontre de ces principes puisqu'elles tendent à restreindre la libre concurrence en instaurant une discrimination entre les distributeurs dits agrées et les revendeurs de montres Seiko qui se sont approvisionnés auprès du marché parallèle.
Elles estiment de plus, que CGH ne rapporte pas la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective dont elle se prévaut et elles soulignent que la lettre de classement produite est sans effet sur la licéité du contrat et que la CGH n'a jamais obtenu une décision d'exemption. Elles ajoutent au contraire, qu'elles rapportent la preuve de l'illicéité de ce réseau, notamment à propos d'une des clauses du protocole relative à la mise en œuvre d'un réseau de distribution, reposant sur les spécialistes horlogers-bijoutiers et joailliers répondant à des critères sélectifs, qui constituent, selon elles et selon le Ministère de l'Économie, une exclusion a priori, de toute autre forme de distribution, sanctionnée par la jurisprudence.
Elles indiquent encore que certains agents du réseau, comme les Nouvelles Galeries, Carrefour, Inter Discount, Hébert, la Cité du temps ... ne respectent pas les clauses de leur contrat relatives aux conditions d'environnement, d'accueil et de publicité exigées par la CGH. Il leur apparaît, en conséquence, que la société CGH n'est pas fondée à leur reprocher les conditions d'environnement, d'accueil et de publicité, dans la mesure où elle les tolère de son propre réseau.
Ces 2 sociétés déduisent de cette illicéité une double conséquence :
- CGH ne pouvait accorder à ses distributeurs agréés des conditions de vente différentes de celles dont bénéficiaient les distributeurs parallèles, au risque de contrevenir au principe de la liberté de la concurrence,
- aucune demande, au titre d'une concurrence déloyale ne pouvait être accordée à CGH.
Par ailleurs, elles soutiennent que la demande de la société CGH, relative à la garantie des montres Seiko, est dépourvue de base légale, en invoquant la jurisprudence de la Communauté dont il résulte que non seulement, la CGH n'est pas fondée dans ses prétentions, mais encore qu'elle commet un acte d'entrave à la concurrence, en refusant sa garantie internationale aux clients des distributeurs parallèles.
Comme selon les sociétés Uni Son et Rica, la CGH ne peut se prévaloir d'un réseau de distribution sélectif licite, ces 2 sociétés estiment qu'elle ne peut prétendre obtenir la réparation d'acte de concurrence déloyale, car la licéité du réseau est une condition indispensable et donc préalable.
Mais elles soulignent encore, que même si la licéité du réseau était retenue, la société CGH ne rapporte pas la preuve que les sociétés Uni Son et Rica indiquent à leur client qu'ils bénéficient de la garantie du fabricant.
La société Uni Son indique qu'aucun risque de confusion ne peut naître dans l'esprit du public, du fait, qu'elle remet à sa clientèle un bon de garantie muet sur l'absence de garantie contractuelle de la marque Seiko et en remettant un bon de garantie qui lui est propre ; l'énonciation d'une garantie contractuelle accordée par Uni Son ne pouvant en rien, créer une confusion aux yeux du public.
Elles soulignent que CGH, au surplus, n'apporte aucune preuve de réalité de son préjudice et de son étendue et celui retenu par le Tribunal est sans commune mesure avec la taille financière de Uni Son.
En conséquence, les 2 sociétés concluent à l'infirmation du jugement déféré ; à l'illicéité du réseau de distribution sélective mis en place par la société CGH ; à ce qu'il soit constaté que celle-ci se livre à des actes d'entrave à la libre concurrence contraire à l'article 85, paragraphe 1 du traité de Rome ;
Elles demandent également que CGH soit condamnée à leur verser à chacune, 100 000 francs au titre du préjudice subi en raison de ces actes d'entraves, ainsi qu'à délivrer à leurs clients, sous astreinte de 10 000 francs par infraction constatée, la garantie internationale Hattori Seiko. Elles sollicitent encore 100 000 francs chacune au titre du préjudice subi par l'exécution formée du jugement dont appel.
A titre subsidiaire, au cas où la licéité du réseau serait retenue ainsi que l'absence d'entrave à la libre concurrence, elles demandent qu'il soit constaté que CGH n'établit pas la preuve d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage, ni la preuve d'un préjudice, ni des actes de concurrence déloyale ou parasitaire. Enfin, la société Rica demande 30 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et la société Uni Son 20 000 francs sur le même fondement.
La CGH intimée, qui entend relever appel incident, souligne qu'il résulte de la lettre de classement, que les termes du protocole sont conformes aux règles de la concurrence communautaire. Elle prétend ensuite que les caractéristiques des montres Seiko nécessitent l'existence d'un réseau de distribution sélective. Elle invoque également diverses décisions de justice qui ont reconnu la licéité incontestable de son système de distribution, dont la sélection des revendeurs est effectuée à partir de critères qualitatifs relatifs à la qualification professionnelle d'un revendeur, de son personnel et de ses installations.
Elle soutient qu'elle n'applique aucune pratique discriminatoire dès lors que tous les revendeurs horlogers bijoutiers peuvent accéder à son réseau. Selon elle le magasin " Nouvelles Galeries " est un multi-spécialiste, comme le magasin " Au Printemps " ou " Les Galeries Lafayette " et elle affirme que le magasin Hébert répond aux dispositions de l'article 2-1 1 du protocole. Elle précise qu'elle a initié une procédure à l'encontre de Casino, que le magasin Inter Discount est un revendeur parallèle et qu'elle a cessé de vendre des montres au magasin " A la cité du temps ", de sorte qu'il lui apparaît que les exemples cités par l'administration ne concernent que les revendeurs parallèles fautifs dont elle est victime des agissements déloyaux.
Elle conteste également commettre des actes d'entrave à la concurrence et invoque le contrat qui la lie à la société Seiko Corporation dont il résulte que les produits contractuels s'entendent des seuls produits proposés par le fournisseur (société Seiko Corporation) au distributeur (CGH) et qu'elle n'a des obligations en matière de garantie, qu'à l'égard des seuls produits contractuels et en exécution de la seule garantie du fournisseur, soit de la garantie mondiale Seïko. Elle soutient en conséquence qu'elle n'est pas tenue de délivrer aux revendeurs parallèles, la garantie internationale Seiko, alors que selon la jurisprudence l'approvisionnement fait en violation du réseau de distribution sélective constitue une faute caractérisant une concurrence déloyale.
Elle indique encore que son système de distribution sélective étant licite, les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome lui sont inapplicables, de sorte que les décisions invoquées par Uni Son et Rica ne la concernent pas.
Elle reproche également aux sociétés Uni Son et Rica d'avoir refusé d'informer leur clientèle, qu'elle ne bénéficiait pas des avantages de la garantie mondiale Seiko, et qu'ainsi les montres proposées à la vente étaient dépourvues de la garantie contractuelle de la marque. Il lui apparaît en conséquence que ces 2 sociétés trompent volontairement le consommateur.
De plus, elle estime que les conditions dans lesquelles les autres montres Seiko sont revendues par ces 2 sociétés, portent gravement atteinte à l'image de marque du produit, ainsi qu'au réseau de distribution mis en place et que les vendeurs sont dans l'incapacité de faire fonctionner les montres Seiko et donnent de fausses informations.
Il lui apparaît que ces 2 sociétés ont commis des actes de concurrence déloyale et elle demande qu'il leur soit interdit de vendre des montres Seiko.
De plus, elle maintient que ces 2 sociétés pratiquent des actes de concurrence parasitaire en cherchant à tirer un avantage personnel de la notoriété attachée à la marque du produit qu'elles distribuent par des circuits parallèles, et elle demande, à ce titre, également que la vente de montres Seiko soit interdite à ces 2 sociétés dont elle demande la condamnation à 500 000 francs de dommages-intérêts pour ces agissements parasitaires et déloyaux.
Elle estime que l'exécution forcée qu'elle a obtenue était parfaitement légale, alors surtout que la demande de suspension de l'exécution provisoire a été refusée, de sorte qu'elle demande le rejet des demandes de dommages-intérêts fondées sur ce point.
Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé que les sociétés Uni Son et Rica commettaient des actes de concurrence déloyale et que leur système de distribution était incompatible avec le système de distribution sélective de la CGH.
Elle demande la réformation du jugement en ce qu'il a limité à 200 000 francs les dommages-intérêts dus par les sociétés Uni Son et Rica et en conséquence leur condamnation solidaire et conjointe à lui payer 500 000 francs à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire.
Elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné aux sociétés Uni Son et Rica de respecter les conditions de distribution sélective de la CGH et en conséquence qu'il soit interdit à ces 2 sociétés de vendre des montres Seiko, sous astreinte de 5 000 francs par jour et par contravention constatée.
A titre subsidiaire, elle demande :
La confirmation du jugement et à ce qu'il soit jugé que les bons de garantie remis par Uni Son et Rica aux acheteurs de montres Seiko créent la confusion dans l'esprit du public et qu'il leur soit interdit de joindre aux montres Seiko l'intégralité des bons de garantie actuellement en circulation sous astreinte de 25 000 francs par infraction constatée et par jour. Elle demande leur modification, de telle sorte que :
- l'intitulé soit " bon de garantie " tout court et que soit portée en caractère gras la mention d'exclusion de la garantie internationale Seiko, ainsi que d'une façon claire, la mention du débiteur de l'obligation et son identification commerciale complète et cela sous la même astreinte ;
- ordonner l'apposition permanente dans toutes les vitrines exposant des montres Seiko d'un panonceau visible du public aux dimensions de 21 x 29,7 Cher Monsieur, rappelant en caractère gras suffisamment dimensionnés, l'exclusion de la garantie internationale Seiko ;
- ordonner la saisie des prospectus irréguliers et indiquer sous la même astreinte, l'exclusion de la garantie internationale Seiko, dans toutes les publicités.
Y ajoutant,
a) sur les bons de garantie :
Ordonner que le bon de garantie comporte obligatoirement une clause en ces termes : " Les montres Seiko vendues dans notre magasin ne bénéficient pas de la garantie Seiko offerte par les seuls agents officiels Seiko ; elles bénéficient de notre seule garantie assurée exclusivement dans notre magasin, à l'exclusion de tout autre revendeur ".
b) sur les panonceaux :
Ordonner que les panonceaux portent également la mention suivante " Les montres Seiko vendues par notre magasin ne bénéficiant pas de la garantie mondiale Seiko, offerte par les seuls agents officiels Seiko ; elles bénéficient de notre seule garantie assurée exclusivement dans notre magasin, à l'exclusion de tout autre revendeur ".
Elle demande également la condamnation conjointe des sociétés Uni Son et Rica, ainsi que celle de la direction de la concurrence à lui payer 50 000 francs HT au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ses conclusions responsives, la société Uni Son qui maintient ses conclusions précédentes en soulignant que l'application de l'article 85 al 1° du traité de Rome ne peut être écartée par la lettre de classement, qui ne constitue pas une décision. Elle maintient que le réseau de la CGH est manifestement illicite, car le mode de recrutement des revendeurs ne repose pas sur des critères objectifs et parce que les modalités d'application du contrat type de distribution n'excluent pas toute forme de discrimination. Selon elle, il y a exclusion de tous les commerçants dont le fonds de commerce n'est pas exclusivement consacré à la vente au détail de produits horlogers de hautes et moyennes gammes.
Elle critique également le comportement commercial réel qui sous-tend la distribution sélective de la CGH à propos des Nouvelles Galeries et de la société Hébert en invoquant un constat d'huissier.
Elle souligne qu'elle a les qualifications nécessaires pour procéder à n'importe quelle réparation et qu'en certaines occasions, elle sous-traite la réparation en s'adressant à un atelier agréé par CGH, de sorte qu'elle ne saurait se voir reprocher une concurrence déloyale. De plus, l'illicéité du réseau interdit à CGH de prétendre obtenir une réparation pour une concurrence déloyale.
Le bon de garantie qu'elle distribue n'entraîne aucune confusion, puisqu'il lui a été imposé par la CGH dans le cadre d'un référé précédent.
Il lui apparaît encore que la concurrence parasitaire ne peut lui être reprochée dans la mesure où la Seiko Corporation ne procède à aucune interdiction, à l'encontre du marché parallèle et autorise les distributeurs hors réseau à profiter de sa marque.
De plus, elle soutient que CGH ne justifie ni du montant, ni de la réalité du préjudice, dont elle demande réparation et qui en tout état de cause n'est pas en rapport avec les sommes allouées par le Tribunal.
Elle souligne qu'en poursuivant l'exécution forcée, la CGH a agi à ses risques et périls, de sorte qu'Uni Son, victime de sa poursuite intempestive, a droit à réparation.
Dans ses conclusions responsives du 9 février 1995, le Ministre de l'Économie maintient l'ensemble de ses conclusions initiales.
Dans ses dernières écritures du 14 février 1995, la CGH réaffirme le principe de la licéité de son réseau de distribution sélective et invoque divers arrêts, et soutient que celui-ci n'est pas appliqué de manière discriminatoire.
Selon elle la société Uni Son est avant tout une société d'électronique dont l'activité est la radio, la télévision et la photo et qu'elle n'est pas horloger bijoutier et qu'ainsi il ne peut y avoir de pratique discriminatoire à son égard.
Elle soutient encore qu'il a été constaté par huissier que les bons de garantie mondiale Seiko et que les panonceaux portaient une information inexacte et trompeuse.
Selon elle, son préjudice résulte de la perte du chiffre d'affaires comme de l'atteinte à l'image de sa marque, qui justifie l'attribution de dommages-intérêts. Elle maintient ses arguments justifiant, selon elle le rejet de la demande reconventionnelle de la société Uni Son.
Sur quoi, LA COUR
Attendu que le principe de la distribution sélective est conforme au droit communautaire et à la législation nationale ;
Qu'il appartient néanmoins à la société CGH de rapporter la preuve de la licéité du réseau qu'elle a établi ;
Qu'il résulte de la procédure, que la CGH est le distributeur officiel exclusif pour la France, la Belgique, le Luxembourg, les départements et territoires d'Outre-mer, des montres et pendulettes de marque Seiko fabriquées par la société japonaise Seiko Corporation ;
Que la CGH assure la distribution des montres Seiko par l'intermédiaire d'un réseau de revendeurs agréés, choisis en fonction de critères sélectifs, objectifs, fondés sur des conditions d'environnement, d'accueil et de compétence, conformes à l'image de marque du produit ;
Qu'il résulte des pièces produites que les montres et pendulettes Seiko doivent être tenues pour des produits de haute qualité technique, présentant un caractère luxueux ou de haut de gamme ;
Que le contrat de distribution qui rappelle la haute qualité technologie des produits exige notamment :
- que la surface de vente soit située dans une artère commerçante ou dans un centre commercial ;
- que le fonds soit consacré en permanence à la vente du détail de produits horlogers, notamment de haut de gamme et le cas échéant, d'autres articles de luxe avoisinant traditionnellement le commerce d'horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie ;
- que le distributeur dispose, en permanence d'un stock représentatif de la gamme, d'un service de conseil reposant sur une connaissance de la gamme Seiko, du fonctionnement des produits avec les compétences techniques nécessaires pour assurer l'entretien et la réparation des produits et maintenir le stock de pièces détachées nécessaires ; qu'il ait une parfaite connaissance de la garantie internationale Seiko et des garanties contractuelles complémentaires délivrées ;
- que toute campagne publicitaire reçoive, au préalable l'agrément de la CGH.
Attendu que de son côté, la CGH s'engage en contrepartie :
- à fournir les conseils commerciaux quant à la composition du stock et des informations sur les nouveautés technologiques des produits vendus ;
- à promouvoir, à l'échelle nationale, la marque Seiko, cette promotion s'effectuant dans le cadre d'un plan média, conçu en fonction des objectifs de développement des ventes dans le respect de l'image de prestige s'attachant à la marque.
Attendu que les membres du réseau sont choisis en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif portant sur les éléments rapportés ci-dessus :
- aménagement du point de vente et de son environnement,
- capacité professionnelle du revendeur,
- technicité des services pour le suivi,
- satisfaction de la clientèle
Que de telles obligations, résultant de l'accord de distribution ont pour finalité de rechercher l'amélioration de la commercialisation des produits, dans l'intérêt de l'utilisateur et n'ont pas pour effet d'imposer aux entreprises les restrictions qui ne seraient pas indispensables aux buts ainsi poursuivis ;
Attendu de plus que la société CGH a obtenu en juin 1989 de la Commission des Communautés Européennes, une lettre de classement qui, si elle ne prive pas le juge national de son pouvoir d'appréciation, permet de constater que les modifications apportées, par CGH, à la demande de la Commission, au contrat type peuvent être considérées comme satisfaisantes au regard des règles de concurrence communautaire;
Qu'il en résulte au surplus, que la Direction générale de la concurrence n'estime pas nécessaire de poursuivre la procédure formelle en proposant à la commission d'adopter une décision d'exception au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité.
Attendu qu'il convient de retenir, dans ces conditions que la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective est rapportée, tant au regard du droit interne, qu'au regard du droit communautaire.
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats et notamment de constat d'huissier, que les montres Seiko sont revendues par les sociétés Uni Son et Rica dans des magasins proposant au public des articles de bas de gamme où les produits ne peuvent être considérés comme relevant du commerce BHJO ;
Attendu que si le fait pour un revendeur de s'approvisionner sur le marché parallèle ne constitue pas en tant que tel, une pratique de concurrence déloyale, encore faut-il que ce revendeur informe clairement le consommateur des différences caractérisant les produits et services qu'il offre par rapport à ceux du réseau de la marque etqu'il en est notamment ainsi à propos de l'absence de garantie mondiale qui s'attache aux produits vendus dans le réseau CGH, et dont sont dépourvus ceux commercialisés dans d'autres réseaux;
Attendu qu'il résulte également des pièces produites que la société Uni Son proposait à la vente des montres Seiko dans l'enceinte de son fonds de commerce à l'enseigne " Boutique de l'Électronique " accompagnées de bons de garantie muets sur l'absence de la garantie mondiale Seiko,
Qu'il était remis à la clientèle des documents laissant apparaître le contraire ;
Qu'il était affiché en vitrine d'importantes réductions de prix sur les montres Seiko ;
Attendu qu'il est encore établi que la société Rica revendait des montres Seiko, qu'elle s'était, elle aussi, procurées auprès de réseaux parallèles, sans informer la clientèle sur l'absence de la garantie mondiale Seiko ;
Attendu que les produits Seiko, ainsi revendus l'étaient dans des conditions de nature à dévaloriser son image de marque, alors que ces ventes étaient accompagnées de mesures publicitaires et de remises de bons de garantie ambiguës, évidemment susceptibles de créer une confusion dans l'esprit du consommateur ;
Qu'il s'en suit que les sociétés Uni Son et Rica, par ces agissements commis en connaissance de cause, se sont livrées à des actes de concurrence déloyale et ont ainsi causé à la société CGH un préjudice dont elles doivent réparation ;
Attendu qu'il est vainement reproché à CGH une application discriminatoire du protocole de distribution sélective dès lors qu'il résulte des explications de celle-ci, sans qu'elles soient utilement contredites, que le magasin à l'enseigne " Les Nouvelles Galeries " est un multispécialiste, comme le sont d'ailleurs les magasins " Au Printemps " ou " Les Galeries Lafayette " ; qu'il est en effet possible de trouver dans un grand magasin le rayon spécialisé dans l'horlogerie, ou le rayon spécialisé dans la parfumerie ; et qu'ainsi il existe effectivement un rayon spécialisé dans l'horlogerie aux " Nouvelles Galeries ", consacré en permanence à la vente au détail de produits horlogers, y compris de haute gamme ;
Qu'il convient encore d'observer que le magasin Hébert est un fonds de commerce d'horlogerie, répondant donc aux dispositions du protocole de distribution sélective, et dans lequel sont proposées des montres de haut technicité, alors qu'il a été constaté par huissier que le magasin était bien agencé et propre ; que les produits y étaient bien présentés avec les marques apparentes et que le service après-vente des montres Seiko était assuré conformément aux termes du protocole de distribution sélective ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les griefs invoqués à propos d'une application ségrégationniste du protocole de distribution sélective ne sont pas fondés ;
Attendu que la société CGH, distributeur exclusif des produits Seiko est fondée à se prévaloir de la notoriété des produits qu'elle commercialise pour démontrer et établir le préjudice que les sociétés Uni Son et Rica n'ont pas manqué de lui occasionner par leurs actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
Que ce préjudice résulte tant de la perte du chiffre d'affaires subie par la CGH que de l'atteinte délibérée à son image de marque, comme à celle de la marque Seiko ; que l'ensemble de ce préjudice peut être évalué, au vu des éléments d'appréciation dont la Cour dispose à 200 000 francs ;
Attendu que la société Uni Son et la société Rica ont eu le même comportement fautif et ont donc également contribué à ce préjudice ; que chaque société sera donc condamnée à verser, à ce titre 100 000 francs à la CGH ;
Attendu, contrairement à ce que soutient la CGH, que le seul fait, pour un revendeur de s'approvisionner sur le marché parallèle, ne constitue pas, en tant que tel, une pratique de concurrence déloyale ; que de plus les produits Seiko proposés à la revente étaient des produits authentiques ; qu'ainsi la demande présentée par CGH tendant à ce qu'il soit purement et simplement interdit aux sociétés Uni Son et Rica de vendre des montres de marque Seiko, sera rejetée ;
Qu'en revanche, les ventes auxquelles ces 2 sociétés pourront procéder devront être accompagnées des mesures énoncées par le Tribunal et expressément confirmées ;
Attendu que les sociétés appelantes, qui succombent ne sont pas fondées, ainsi que le Ministère de l'Économie, à solliciter l'allocation de dommages-intérêts ou une somme au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu qu'il convient dans ces conditions, de confirmer le jugement déféré, de condamner Uni Son, Rica et la Direction de la Concurrence aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la CGH la somme de 30 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs : LA COUR, reçoit les appels jugés réguliers ; les déclare mal fondés, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, condamne la société Uni Son, la société Rica, et le Ministère de l'Économie aux dépens d'appel, autorise la SCP Boyer-Lescat, Avoué, à recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir obtenu provision suffisante, les condamne en outre à lui verser 30 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.