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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 14 mars 1995, n° 94-14712

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

De Choiseul

Défendeur :

Mazet de Montargis (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun

Conseillers :

MM. Albertini, Garban

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Parmentier, Hardouin

Avocats :

Mes Escande, Menage.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 25 mai…

25 mai 1994

M. Jean De Choiseul a interjeté appel du jugement rendu le 25 mai 1994 par le tribunal de grande instance de Paris qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Mazet de Montargis.

Référence étant faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure et des motifs retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler les éléments suivants nécessaires à la compréhension du litige :

Le 5 mai 1911, M. Mazet confiseur à Montargis, a déposé les marques Véritables Praslinés du Duc de Praslin, Praslinés Du Duc De Praslin.

Le 11 juillet 1912, M. Praslin a signé le document suivant :

" Bon pour autorisation à Monsieur Mazet de se servir du titre de mon aïeul et de libeller l'enseigne ainsi : " au maréchal de Praslin Duc de Choiseul ".

La société Mazet de Montargis, constituée en 1961, ayant pris la suite de l'activité de confiserie-chocolaterie de luxe exercée par M. Mazet, vend ses produits à Montargis, lieu de son siège social, et à Paris (avenue Victor Hugo) sous l'enseigne " Au Duc de Praslin ".

M. De Choiseul qui, par arrêté du ministre de la Justice en date du 17 juin 1980, a été reconnu comme successeur au titre de duc de Praslin dont son oncle, décédé le 8 septembre 1937, était investi, a fait délivrer assignation à la société Mazet de Montargis pour, principalement, lui interdire d'utiliser de quelque manière de ce soit le patronyme de " Praslin " accompagné ou non du titre de " duc " sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard.

Le jugement déféré ayant été rendu, M. de Choiseul en poursuit l'infirmation. Il estime que le titulaire d'un nom patronymique est en droit de s'opposer à toute utilisation qui en est faite sans son autorisation et que celle donnée à M. Mazet le 11 juillet 1912 étant précaire et personnelle, ni les ayants droit de ce dernier ni la société Mazet de Montargis ne peuvent s'en prévaloir.

Il demande à la Cour de :

- interdire à la société Mazet de Montargis d'utiliser le patronyme de Praslin accompagné ou non du titre de duc sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard,

- condamner la société Mazet de Montargis à lui payer la somme d'un franc en réparation du préjudice moral que lui cause l'utilisation à des fins commerciales de son nom et de son titre nobiliaire,

- prononcer la nullité de tous dépôts de marques comportant la dénomination " Duc de Praslin " effectués pour le compte de la société Mazet de Montargis,

- interdire à la société Mazet de Montargis, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, d'utiliser la ou les marques comportant la dénomination " Duc de Praslin ".

La société Mazet de Montargis, pour solliciter la confirmation du jugement sans contester qu'un nom patronymique soit inaliénable, imprescriptible et hors du commerce, estime qu'il est impossible d'admettre que toute personne portant un patronyme similaire à un nom exploité commercialement puisse prétendre en interdire l'usage à tout moment. Selon elle, la limitation de l'utilisation commerciale du patronyme d'un tiers exige qu'il s'agisse d'un nom rare et célèbre et qu'un préjudice soit établi par son titulaire.

Attribuant la célébrité actuelle du nom Praslin à l'exploitation de la marque " Duc de Praslin " et estimant que la preuve d'aucun préjudice n'est rapportée, elle soutient que la demande n'est pas fondée. Au surplus, elle souligne qu'elle n'a commis aucune faute, ayant obtenu en 1912 l'autorisation d'utiliser ce titre sans limitation dans le temps, autorisation tacitement confirmée. Elle souligne que le fait de ne plus pouvoir utiliser cette dénomination aurait pour elle des conséquences économiques dommageables considérables.

Les parties sollicitent réciproquement l'attribution de sommes en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le représentant du ministère public conclut oralement à la confirmation du jugement.

Sur ce, LA COUR :

Considérant, au point de vue de la chronologie des faits, qu'il convient de relever qu'en mai 1911 lorsque M. Mazet a déposé la marque " Au Duc de Praslin " pour la première fois, ce titre n'était pas porté; qu'il en était de même en 1961 quand la société Mazet a succédé à M. Mazet;

Qu'en effet l'oncle de l'appelant, Jean Baptiste Gaston de Choiseul-Praslin n'a été lui-même autorisé à porter ce titre, comme successeur de son aïeul au 6ème degré décédé le 12 février 1906, que par arrêté du 4 juillet 1911 ;

Qu'après le décès de celui-ci, le 8 septembre 1937, l'appelant a été autorisé à succéder au titre par arrêté du 17 juin 1980 ;

Considérant que, même si le titre en cause est unique, il résulte tant de la chronologie ci-dessus rappelée que de l'autorisation consentie par l'oncle de l'appelant que M. Mazet, puis la société Mazet de Montargis, n'ont commis aucune faute en l'utilisant pendant plus de 80 ans sans protestations de quiconque;

Considérant que la renommée des praslines Mazet vendues dans les magasins " Au Duc de Praslin " est établie et qu'il n'est pas davantage contesté que l'épouse de l'appelant s'est rendue, en 1987, au magasin " Au duc de Praslin " situé alors avenue Montaigne à Paris ;

Que l'autorisation, expresse en 1912 et ne contenant aucune clause de précarité ou de révocabilité, s'est donc poursuivie en faveur de la société Mazet de Montargis ; qu'elle ne saurait être révoquée sans motif par l'appelant;

Considérant qu'il ne démontre pas que l'utilisation par la société Mazet, pour les besoins de son activité de confiseur, soit de nature à engendrer pour lui un préjudice quelconque ou à créer une confusion, la société Mazet de Montargis ne suggérant pas l'existence d'un lien entre les produits vendus par elle et le porteur actuel du titre de duc de Praslin;

Que, dans ces conditions, l'utilisation par la société Mazet de Montargis des dénominations " Au Duc de Praslin " ou " Au Maréchal Duc de Praslin ", " Praslines du Duc de Praslin " dans ses activités commerciales, notamment comme enseigne ou comme marque, ne aurait lui être interdite dès lors qu'elle se rapporte au commerce de la confiserie; qu'il s'en suit que M. De Choiseul doit être débouté de toutes ses demandes ;

Considérant qu'il y a lieu d'allouer la somme de 20 000 F à la société Mazet de Montargis pour l'indemniser des frais non compris dans les dépens exposés en appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Condamne M. Jean De Choiseul à payer à la société Mazet de Montargis la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Condamne M. Jean De Choiseul aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP G. et F. Teytaud, avoués, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.