CA Paris, 1re ch. A, 14 mars 1995, n° 94-12505
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Canal Plus (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hannoun
Conseillers :
MM. Albertini, Garban
Avoués :
SCP Bourdais Virenque, Me Bolling
Avocats :
Mes Dauzier, Cornut-Gentille.
La Société Automobiles Peugeot est appelante du jugement rendu le 6 avril 1994 par le tribunal de grande instance de Paris qui l'a déboutée de la demande qu'elle a intentée contre la société Canal Plus sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.
Référence étant faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure et des moyens retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler que :
Dans le cadre de l'émission intitulée " Les Guignols de l'Info " qu'elle diffuse quotidiennement sur son antenne, la société Canal Plus a, à plusieurs reprises, projeté des séquences au cours desquelles elle a notamment présenté Monsieur Jacques Calvet, président du groupe PSA, comme un automobiliste en retard qui a eu " un problème de voiture ".
Filiale du groupe PSA, la société Automobiles Peugeot affirme que cette présentation mensongère et tendancieuse des véhicules automobiles qu'elle fabrique dévalorise nécessairement la marque sous laquelle elle les commercialise et que ce dénigrement systématique qui manifeste une intention délibérée de lui nuire lui occasionne un important préjudice.
Par une assignation à jour fixe du 30 décembre 1993, elle a cité la société Canal Plus à comparaître pour le faire constater et obtenir réparation de son dommage.
Le Tribunal ayant rendu le jugement ci-dessus rappelé, elle en poursuit l'infirmation.
Rappelant " ... que la présente instance a pour objet la réparation des dénigrements abusifs et répétés de sa production... ", elle soutient notamment que la répétition systématique de la phrase " j'ai eu un problème de voiture ", régulièrement prononcée par M. Calvet, suggère l'image d'un " utilisateur de véhicule déficient qui, même quand aucune marque n'est citée, ne peut être que l'un de ceux produits par le groupe PSA ".
S'indignant de cette " ... entreprise insidieuse et renouvelée ", elle ajoute qu'indépendamment de ce dénigrement du signe distinctif dont elle est titulaire, le 10 février 1993, la partie intimée s'est en outre livrée à une publicité comparative au profit de trois marques étrangères et elle fait observer " ... qu'une campagne déloyale engagée par un concurrent sournois n'emprunterait pas d'autre voie... ".
Critiquant la décision rendue par les premiers juges, elle conteste que les émissions litigieuses puissent constituer la caricature ou la transposition humoristiques de prises de position adoptées publiquement par le président de son groupe, M. Calvet.
Elle soutient également que même en l'absence d'une intention de nuire, celle de faire rire n'est pas exclusive d'une faute dès lors que, comme en l'espèce, " ... l'abus emprunte les mêmes voies et produit nécessairement les mêmes effets que s'il avait été le fait d'un concurrent ou d'une personne soucieuse de peser sur le choix des consommateurs... ".
Elle fait observer que la présentation humoristique mais avantageuse et répétitive d'un produit de consommateur par " Les Guignols de l'Info " se traduisant incontestablement par une progression de ses ventes, celle humoristique, dénigrante, tout aussi répétitive des véhicules automobiles qu'elle commercialise, produit nécessairement un effet inverse.
Elle précise enfin que le préjudice qu'elle subit du fait des émissions de Canal Plus atteint de nombreuses autres personnes, notamment ses salariés.
Outre le paiement de 3 622 500 F de dommages-intérêts et celui de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la Société Peugeot SA sollicite la publication du présent arrêt dans les conditions indiquées au dispositif de ses conclusions.
Maintenant que les scènes et propos incriminés par son adversaire ne sont constitutifs d'aucun dénigrement ni acte de concurrence déloyale, la société Canal Plus conclut au contraire à la confirmation de la décision entreprise et au paiement à son profit de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle affirme que les séquences litigieuses ne caricaturent pas la société Peugeot mais, M. Calvet, Président du groupe PSA, qui est " ... un des rares personnages médiatiques du monde industriel et économique français... " et elle s'étonne que, compte tenu de l'argumentation développée par son adversaire, celle-ci n'ait pas cru bon de présenter sa demande sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881.
Elle conteste, en effet, que la caricature à laquelle elle reconnaît s'être livrée, puisse, comme le soutient la société Automobiles Citroën, constituer un dénigrement fautif, une reproduction illicite de la marque notoire de cette partie ou une mesure de publicité comparative prohibée par la loi.
Invoquant le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression, elle fait également observer qu'en l'absence de toute concurrence entre elle et la société appelante, tous les griefs articulés par cette dernière sont dépourvus de fondement.
Le représentant du ministère public conclut oralement à l'infirmation du jugement.
Cela étant exposé :
Considérant que la caricature est un des aspects de la liberté d'expression ;
Que, comme toutes les créations qui ont pour but avoué la satire ou la parodie, du fait de l'excès même de son contenu volontairement irrévérencieux et provocateur, elle n'est prise au sérieux par personne;
Qu'à ce titre, elle peut altérer l'image ou la personnalité de ceux qu'elle représente à condition de ne pas dépasser les limites du genre dont le bon goût n'est pas toujours la caractéristique essentielle ;
Or, considérant qu'il est constant que l'émission " Les Guignols de l'Info ", diffusée quotidiennement sur la chaîne de télévision Canal Plus, est une séquence humoristique et satirique, qui, à l'occasion d'un journal d'information imaginaire, met en scène des marionnettes représentant des personnages publics ou célèbres volontairement placés dans des situations comiques, destinées à provoquer le rire des téléspectateurs ;
Que les propos qui y sont tenus, comme l'invraisemblance des situations décrites, ne peuvent donc pas prêter à confusion ;
Considérant que c'est dans un tel cadre qu'une marionnette censée représenter M. Jacques Calvet, président du groupe PSA, décrit comme quelqu'un qui a " un problème de voiture ", a été mise en scène au cours de brèves séquences généralement d'une durée totale de quelques secondes atteignant rarement et dépassant exceptionnellement une minute ;
Considérant que chacune de ces diffusions représente principalement M. Calvet et fait référence à des prises de position publiques, notoires et déjà commentées de celui-ci, qui, bien que toujours nommément désigné et directement concerné et brocardé, n'a pas présenté de demande en son nom personnel ;
Considérant que comme la Cour a pu le constater au cours de la projection des séquences litigieuses mises bout à bout alors qu'un laps de temps de plusieurs semaines les sépare pourtant habituellement, nul ne peut se méprendre sur le caractère uniquement humoristique et caricatural de l'émission ;
Qu'il s'ensuit, que, quel que soit son ton volontairement outrancier et sarcastique, celle-ci qui ne dépasse pas les limites du genre, revêt un caractère de pure fantaisie, exclusif de toute prétention de sérieux et n'est manifestement inspirée par aucune intention de nuire à la société appelante ;
Que privé de toute signification réelle et de toute portée en raison des excès mêmes qui le caractérisent et de la volonté délibérément provocatrice affichée de ses auteurs, le contenu des séquences litigieuses n'a pu jeter de discrédit sur la marque ou l'un des autres signes distinctifs dont la société Automobiles Peugeot est titulaire;
Que, pour les mêmes raisons, il ne constitue pas non plus un dénigrement fautif, ni une mesure de publicité comparative prohibée par la loi ;
Que, n'engendrant pas de confusion, même dans l'esprit du téléspectateur le moins averti, et n'émanant pas d'une société concurrente de l'appelante, les faits dénoncés par celle-ci ne tombent pas non plus sous le coup des dispositions des articles L. 713-2 et suivants du Code de la propriété industrielle et n'ont aucune des autres caractéristiques fautives alléguées par cette partie ;
Que c'est donc à bon droit, pour des motifs pertinents que la Cour adopte, que les premiers juges ont débouté la Société des Automobiles Peugeot de toutes ses demandes, aucune des dispositions légales invoquées par celle-ci ne pouvant recevoir application en la cause ;
Considérant au surplus que la Société Automobiles Citroën, qui n'a notamment pas qualité pour représenter ses salariés ou les concessionnaires de sa marque, ne rapporte pas la preuve objective du fait que, comme elle l'affirme, la diffusion des séquences litigieuses lui a occasionné un préjudice matériel ;
Considérant qu'aucune des circonstances de la cause ne le commandant, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise ; Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes les demandes formées ; Condamne la Société Automobiles Peugeot aux dépens ; Autorise Maître Bolling, avoué, à procéder à leur recouvrement dans les conditions prévues à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.