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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 23 février 1995, n° 93-4741

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sonauto (SA), Porsche AG (SA)

Défendeur :

Sport Autogalerie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Derdeyn, Thibault-Laurent

Avoués :

SCP Jougla Gandini, SCP Argellies

Avocats :

SCP Durand-Bouvier-Escaravage, SCP Haussmann-Loco-Couzinet.

T. com. Montpellier, prés., du 3 juin 19…

3 juin 1993

Faits et procédure

La société Sonauto importateur en France des voitures de marque Porsche, commercialise ces véhicules par un réseau de concessionnaires exclusifs qui pour le département de l'Hérault et pour une partie du département du Gard est la société Ets Mourier.

En décembre 1991, la société Sonauto s'apercevait qu'il paraissait, dans une revue " Echappements ", une publicité au nom de la société Sport Autogalerie dans laquelle cette société se présentait comme " le spécialiste de la Porsche 911 en France ".

Par courrier du 10 décembre 1991, la société Sonauto mettait en demeure la société Sport Autogalerie de faire cesser cette publicité qu'elle considérait comme étant de nature à créer une confusion dans l'esprit des utilisateurs des voitures de marque Porsche.

Par lettre du 19 décembre 1991, la société Sport Autogalerie s'engageait à faire cesser ce genre de publicité, avisant toutefois la société Sonauto que pour les publicités du mois suivant aucune rectification ne pouvait être faite. La société Sonauto donnait son accord à cette ultime parution des publicités.

En avril 1992, paraissait une publicité dans la revue " Flat 6 Magazine " présentant la société Sport Autogalerie comme étant le " Spécialiste de la Porsche 911 en France ".

Par la suite, dans les numéros de février et de mars 1993 de la revue " Flat 6 Magazine " paraissaient encore des publicités pour la société Sport Autogalerie portant les mentions " Spécialistes Porsche ".

Arguant de telles publicités étaient de nature à donner faussement aux usagers l'idée que la société Sport Autogalerie avait des liens étroits avec la société Porsche, constructeur des véhicules, qu'il y avait une concurrence déloyale vis à vis de l'importateur et du concessionnaire exclusif, et qu'enfin, une telle publicité pouvait créer un dommage imminent aux utilisateurs des voitures Porsche, la société Sonauto et la société Ets Mourier assignaient Sonauto et Sport Autogalerie en référé afin notamment de lui faire interdire, sous astreinte, l'utilisation du nom Porsche et la référence à la qualité de Spécialiste Porsche.

Par ordonnance du 3 juin 1993, le juge des référés du Tribunal de Commerce de Montpellier a rejeté les demandes et dit n "y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile .

Le 29 juillet 1993, la société Sonauto et la société Ets Mourier ont relevé appel de cette décision.

La société Porsche AG, société de Droit Allemand, est intervenue volontairement devant la Cour.

La société Sonauto a conclu le 9 septembre 1993 comme la société Porsche intervenante volontaire.

La société Ets Mourier a conclu le 26 novembre 1993.

La société Sport Autogalerie a notifié des conclusions le 31 mai 1994 et les sociétés Sonauto et Porsche ont conclu en réponse le 17 octobre 1994.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 1994.

Par conclusions du 21 novembre 1994, la société Sport Autogalerie a sollicité le rejet des conclusions déposées par les sociétés Sonauto et Porsche le 17 octobre 1994 et des pièces versées aux bordereaux notifiés les 3, 17 et 26 octobre 1994 .

Prétentions et moyens des parties

La société Sonauto demande à la Cour de réformer la décision déférée et de faire défense à la société Sport Autogalerie d'utiliser à l'occasion de son activité commerciale les mentions " Spécialiste Porsche " ou " Spécialiste 911 " sans que cela puisse porter atteinte au droit de la société Sport Autogalerie d'indiquer qu'elle offre à la vente des véhicules Porsche mais sans mention pouvant laisser penser qu'elle appartient à un réseau officiel de distribution de la marque.

Elle demande également à la Cour de condamner la société Sport Autogalerie à lui payer la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Sonauto fait valoir que la société Sport Autogalerie avait pris des engagements à son égard et ne les a pas respectés, que par l'utilisation des expressions " Spécialiste Porsche " et " Spécialiste 911 " elle se livre à une publicité mensongère qui est une concurrence déloyale à son égard et à l'égard de la société Ets Mourier son concessionnaire exclusif, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.

La société Ets Mourier demande à la Cour de réformer la décision déférée, de faire interdiction à la société Sport Autogalerie d'utiliser à l'occasion de son activité commerciale la mention " Spécialiste Porsche " et de la condamner à lui payer la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A l'appui de ses prétentions, la société Ets Mourier soutient comme la société Sonauto, que la société Sport Autogalerie avait pris des engagements à son égard et qu'elle ne les a pas respectés, que par l'utilisation de l'expression " Spécialiste Porsche " la société Sport Autogalerie se livre à une concurrence déloyale à son égard par utilisation d'une publicité mensongère.

La société Porsche demande à la Cour de dire recevable son intervention volontaire et de dire que en utilisant l'expression " Spécialiste Porsche " la société Sport Autogalerie se livre à une utilisation illicite et frauduleuse des marques lui appartenant et d'adjuger à la société Sonauto l'entier bénéfice de ses demandes.

La société Sport Autogalerie demande à la Cour de dire irrecevable l'intervention volontaire de la société Porsche AG, de confirmer la décision déférée et de condamner solidairement les sociétés Sonauto et Ets Mourier à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et celle de 30 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Sport Autogalerie fait valoir que la société Porsche demande à la Cour de dire qu'il y a utilisation frauduleuse de sa marque et que cette demande est un litige nouveau qui ne peut justifier une intervention en cause d'appel.

Elle soutient également qu'il existe des contestations sérieuses rendant le juge des référés incompétent et qu'il n'y a aucun trouble illicite puisque sa publicité ne fait allusion à aucune qualité de concessionnaire distributeur et que, bien au contraire, cette publicité est exacte puisqu'elle emploie au sein de son personnel un homme extrêmement compétent pour préparer les voitures de marque Porsche, qu'elle utilise un matériel adéquat et qu'elle possède un stock de pièces de rechange important dont certaines livrées par la société Sonauto.

La société Sport Autogalerie soutient enfin, que sa lettre du 19 décembre 1991 est la suite d'un courrier particulièrement comminatoire du conseil de la société Sonauto et qu'elle n'avait pas la compétence nécessaire pour apprécier la portée de ce courrier.

Discussion

Sur la demande de rejet des conclusions du 17 octobre 1994 et des pièces versées aux bordereaux des 3, 17 et 26 octobre 1994 de la société Sonauto.

Il apparaît que contrairement à ce qu'elle affirme la société Sport Autogalerie, dont la spécialité au vu du dossier semble être la vitesse, ainsi que son conseil pouvaient parfaitement, avec les moyens modernes de communication, prendre connaissance, en temps utile, tant des conclusions notifiées le 17 octobre 1994 que des pièces versées aux bordeaux du 3 et 17 octobre 1994 et pouvaient y répondre, si nécessaire, avant l'ordonnance de clôture.

En conséquence, les conclusions notifiées le 17 octobre 1994 par les sociétés Sonauto et Porsche ainsi que les pièces versées aux bordereaux notifiées les 3 et 17 octobre 1994 seront déclarées recevables.

En revanche, la pièce versée au bordereau notifié le 26 octobre 1994, soit six jours avant l'ordonnance de clôture, étant, de plus, observé que sur ces six jours deux correspondent à une fin de semaine et un autre à un jour férié, devra être écartée du débat comme ayant été communiquée trop tardivement et dès lors sans respect du principe du contradictoire.

Sur l'intervention volontaire de la société Porsche AG

Dans ses conclusions, la société Porsche AG demande à la Cour de dire et juger qu'en utilisant l'expression " Spécialiste Porsche " la société Sport Autogalerie se livre à une utilisation illicite et frauduleuse des marques lui appartenant.

De plus, dans les motifs de ses conclusions, la société Porsche soutient que la société Sport Autogalerie utilise un graphisme identique à celui qui a fait l'objet d'un dépôt de marque, et que son intérêt à agir résulte de ses droits exclusifs sur les marques déposées.

Il apparaît ainsi que la société Porsche AG demande à la Cour de trancher un litige concernant l'utilisation qu'elle estime frauduleuse des droits qu'elle possède sur des marques. Il s'agit là d'un nouveau litige qui n'a pas été soumis à l'épreuve du premier juge, et, en conséquence, cette intervention de la société Porsche, en cause d'appel, doit être déclarée irrecevable.

Sur le fond

Il convient de replacer le débat dans le cadre juridique qui est le sien, à savoir l'appel d'une ordonnance de référé, et la Cour, en l'espèce, ne saurait aller au delà des caractères spécifiques de cette instance en usant de sa plénitude de juridiction comme l'y invitent les appelants.

Dans le présent litige la Cour doit donc, déterminer s'il y a un trouble manifestement illicite à utiliser les dénominations " Spécialiste Porsche " ou " Spécialiste 911 " lorsque l'on n'est pas concessionnaire de l'importateur des véhicules de cette marque, et, au cas où ce trouble existerait, ordonner les mesures de nature à le faire cesser.

La société Sonauto et la société Ets Mourier soutiennent que les mentions " Spécialiste Porsche " et " Spécialiste 911 " sont des utilisations abusives de la marque qui créent dans l'esprit de la clientèle une confusion lui laissant croire que la société Sport Autogalerie aurait des liens privilégiés avec le constructeur et qu'il s'agit donc d'une concurrence déloyale. Ces sociétés soutiennent également que cette publicité serait de nature à porter atteinte à la sécurité puisque la société Sport Autoservice qui n'appartient pas au réseau de concessionnaires n'est pas informée d'éventuelles actions de rappel du constructeur ni des modifications qu'il préconise.

La société Sport Autogalerie soutient, au contraire, qu'il ne peut lui être fait interdiction d'utiliser une marque qu'elle vend et qu'elle répare, ce d'autant qu'elle possède le matériel nécessaire à ses interventions et qu'elle emploie un personnel compétent. Elle fait également valoir que la publicité qu'elle a faire paraître a essentiellement trait à la préparation des véhicules Porsche afin de leur donner des qualités supplémentaires.

Il convient d'observer, et cela n'est d'ailleurs pas contesté par la société Sport Autogalerie, que le chiffre 911 se rattache, lorsque l'on parle automobile, avec évidence, à la marque Porsche. Il n'y a donc pas lieu de distinguer les formules " Spécialiste Porsche " et " Spécialiste de la 911 ".

A titre anecdotique, la Cour remarque que pour démontrer un trouble manifestement illicite, c'est à dire un trouble dont le caractère illicite s'impose immédiatement, clairement et avec certitude à l'esprit, la société Sonauto a cru devoir notifier des conclusions de huit pages, puis des conclusions de sept pages auxquelles il convient d'ajouter les conclusions de la société Ets Mourier ce qui pourrait laisser penser que l'évidence du trouble illicite ne soit pas parfaitement apparente.

Il n'est pas contesté par les sociétés appelantes que la société Sport Autogalerie emploie en M. Aubertin une personne compétente pour les moteurs de marque Porsche. D'ailleurs, ni le sérieux ni la compétence de cette personne ne saurait être discutés dans le cadre strict d'une instance en référé.

Il n'apparaît pas à l'évidence et sans discussion possible que le terme spécialiste Porsche soit de nature à créer dans l'esprit de la clientèle une confusion avec le concessionnaire exclusif local ; ce d'autant, qu'il est versé au débat par la société Sport Autogalerie le livret " Porsche Service " remit à chaque acheteur d'un véhicule de marque Porsche qui mentionne, pour chaque pays, la liste des ateliers des concessionnaires pour réparation, et que, rien ne permet de penser que les acheteurs de véhicule de cette marque soient illettrés et ne se servent point de cette brochure pour connaître le concessionnaire.

De surcroît, les publicités litigieuses parues dans des revues spécialisées, qui restent relativement confidentielles, s'adressent, sinon à des passionnés, au moins à des amateurs avertis, lesquels restent à même de distinguer le concessionnaire de la marque, d'un motoriste-préparateur, ce d'autant que les publicités en cause font état d'une part d'un atelier spécialisé et, d'autre part, d'une galerie d'exposition de véhicules d'occasion.

En outre les publicités incriminées ne portent aucune mention de nature à laisser supposer que la société Sport Autogalerie aurait des rapports suivis et privilégiés avec le constructeur.

Il convient aussi d'écarter l'argument tiré de la sécurité et du risque créé par la société Sport Autogalerie.

En effet, outre qu'il n'est pas soutenu par les appelantes que le risque serait imminent, il y a lieu de penser que si la société Porsche, dont le sérieux ne peut être mis en doute, s'apercevait d'un dysfonctionnement dangereux de ses véhicules, elle ne diffuserait pas, aux seuls concessionnaires, une note confidentielle mais utiliserait largement les médias afin de faire cesser ce dysfonctionnement dangereux.

De même, si l'intervention sur les véhicules n'est pas nécessitée par la sécurité mais représente une amélioration, laquelle serait préconisée par note confidentielle, on peut également penser qu'un garagiste compétent, s'étant spécialisé dans la réparation, la mise au point et l'amélioration des véhicules de cette marque, serait à même d'effectuer cette amélioration.

Enfin, la Cour saisie en matière de référé ne saurait non plus statuer sur le point de savoir si le courrier adressé par la société Sport Autoservice a été obtenu, comme cette dernière le soutient, à la suite de manœuvres ayant altéré son consentement.

Il y a seulement lieu de considérer que le seul fait de ne pas respecter un engagement pris par courrier est insuffisant pour caractériser un trouble manifestement illicite, permettant le référé, lorsque les conditions de l'obtention de cet engagement sont contestées.

C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré qu'il n'y avait pas lieu à référé. Son ordonnance doit donc être confirmée.

La société Sport Autogalerie ne justifie d'aucun préjudice lié à une procédure qui par ailleurs, n'a pas excédé le cadre normal du débat judiciaire, permettant de lui allouer les dommages et intérêts qu'elle sollicite.

L'application, en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, conduit à allouer à la société Sport Autogalerie une somme de 3 500 F.

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement : - en la forme reçoit l'appel ; - Au fond ; - Dit l'intervention de la société Porsche AG irrecevable en cause d'appel, - Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé ; - Condamne in solidum la société Sonauto et la société Ets Mourier à payer à la société Sport Autogalerie la somme de 3 500 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. - Laisse les dépens de son intervention à charge de la société Porsche AG. - Condamne la société Sonauto et la société Ets Mourier aux autres dépens de première instance et d'appel ; ces derniers pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.