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Décisions

Cass. com., 21 février 1995, n° 92-13.688

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Comité national contre le tabagisme

Défendeur :

Reynolds Tobacco Company (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Mes Cossa, Guinard, SCP Célice, Blancpain.

TGI Paris, prés., du 24 oct. 1991

24 octobre 1991

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu en référé (Paris, 28 janvier 1992), que, dans le cadre d'une campagne anti-tabac organisée par la municipalité de Quimper sur le thème " La pub tue ", il a été demandé à des élèves d'un collège de cette ville de réaliser des affiches en procédant à des " détournements graphiques " de cinq des marques de cigarettes les plus connues ; qu'exposant qu'elles avaient appris que deux associations, le Comité national contre le tabagisme (le CNCT) et le Comité national contre les maladies respiratoires et la tuberculose (le CNCMRT), se proposaient d'éditer ces affiches et de les diffuser, les sociétés Reynolds tobacco, Philip Morris products et SEITA (les sociétés), titulaires de quatre des marques concernées (Camel, Marlboro, Gitanes, Gauloises), ont saisi le juge des référés ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches (sans intérêt) ;

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, et sur le second moyen ; - Attendu qu'il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir statué comme elle a fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que si l'existence d'une contestation sérieuse n'interdit pas au juge des référés de prendre les mesures prévues à l'article 809, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, l'appréciation même de l'imminence du dommage ou du caractère illicite du trouble ne doit pas donner lieu à une contestation sérieuse, à peine d'excès de pouvoir du juge des référés ; qu'en l'espèce, après avoir constaté qu'une discussion s'était élevée entre les parties sur le caractère illicite du trouble allégué par les sociétés en ce qui concerne la compatibilité du droit à la marque dont bénéficiaient ces dernières avec les droits fondamentaux consacrant la liberté d'expression et de critique que le CNCT exerçait en concourant à la sauvegarde de la santé publique et à l'information du consommateur, la cour d'appel devait à tout le moins s'interroger sur le point de savoir si elle n'était pas en présence d'une contestation sérieuse susceptible de lui interdire de prendre la mesure d'interdiction sollicitée ; qu'en interdisant l'usage des affiches sans procéder à cette recherche nécessaire, la cour d'appel n'aurait pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 809, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, la cour d'appel, en se bornant à relever l'existence d'un risque de discrédit engendré par la diffusion des affiches litigieuses, n'aurait pas également donné de base légale à sa décision au regard du même article du nouveau Code de procédure civile et de l'article 30 de la loi du 10 janvier 1978 relative à la protection et à l'information du consommateur qui autorise les titulaires de marques à s'opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leurs marques soient diffusés lorsque l'utilisation de cette marque vise à tromper les consommateurs ou qu'elle est faite de mauvaise foi ; qu'en l'espèce, en effet, la cour d'appel, après avoir constaté que le CNCT tendait à mettre le consommateur en garde contre la nocivité du tabac et que les affiches litigieuses reproduisant les marques de cigarettes qu'il entendait utiliser tendaient également à cette finalité, la cour d'appel, invitée à lui en interdire l'utilisation, aurait dû rechercher si celle-ci visait à tromper le consommateur et était faite de mauvaise foi ; alors, qu'enfin, la diffusion par le CNCT d'affiches, qui par des détournements graphiques parodiaient ou caricaturaient différentes marques de cigarettes, n'outrepassait pas le droit de libre critique reconnu à un non-concurrent ; qu'en considérant, dès lors, cette diffusion comme constitutive d'un dénigrement fautif de nature à porter atteinte aux marques de cigarettes, la cour d'appel aurait violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt constate que les affiches litigieuses étaient des contrefaçons des marques Gauloises et Marlboro et des imitations des marques Camel et Gitanes ; que, relevant que les associations sont irrecevables à invoquer la liberté de création artistique pour des affiches dont elles ne sont pas les auteurs, il énonce que si ces associations n'exercent pas une activité commerciale concurrente de celles des sociétés titulaires des marques en cause, elles poursuivent un objet social tendant à freiner la vente de leurs produitset que, dès lors, elle ne peut s'exercer que dans le cadre des dispositions légales régissant l'activité économique et sociale; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a pu décider que la diffusion d'affiches destinées à discréditer auprès de leur clientèle des marques choisies par les sociétés pour identifier leurs produits et sous lesquelles elles sont légalement autorisées à les vendre, même par les lois relatives à la lutte contre le tabagisme, présentait un caractère manifestement illicite; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Par ces motifs, rejette.