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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 février 1995, n° 95-015415

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Girard (ès qual.), Philippot (ès qual.), Bip (SARL)

Défendeur :

Loufrani

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Varin-Petit, Bernabe Ricard, Menard Scelle Millet

Avocats :

Mes Mrejen, Boespfug, Mollet Vieville.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 6 mars …

6 mars 1991

Le 1er octobre 1971, Franklin Loufrani a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 120.846 la marque figurative dite Smile, constituée d'un cercle comportant deux yeux et une bouche en forme de sourire, laquelle a été enregistrée sous le n° 832.277 pour désigner les produits et services des classes 1 à 42.

Ce dépôt a été renouvelé et enregistré le 26 mars 1982 sous le n° 1.199.662 et le 27 septembre 1991 sous le n° 1.695.779.

Par contrats du 17 mars 1989, Franklin Loufrani et sa mandataire, la SA Prestige European Groups PEG ont concédé les droits exclusifs d'exploitation de cette marque à la SA Loifrak et à la SARL "La Coque de Nacre".

Alléguant que les sociétés Lady Bijoux (Bijoux Diffusion) GM Export (Gemcor), Bijoux Center et la société Bijoux Import Paris BPI commercialisaient différents articles sur lesquels était frauduleusement apposée la marque figurative du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris du 31 mars 1989, a fait dresser les 5 et 6 avril suivant procès-verbal de saisie-contrefaçon aux sièges de ces sociétés.

Le 20 avril 1989, Franklin Loufrani et les sociétés Loifrak et "La Coque de Nacre" ont assigné celles-ci devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et sollicité outre les mesures habituelles d'interdiction, de confiscation et de publication, réparation de leur préjudice à fixer après expertise.

Le Tribunal de Commerce de Paris ayant ouvert par jugement du 1er juin 1989 une procédure générale de redressement judiciaire à l'égard des sociétés Lady Bijoux, GM Import et Bijoux Center et nommé Me Gérard Philippot, administrateur judiciaire et Me Jean-Claude Girard, représentant des créanciers, les demandeurs ont assigné les 2, 8 et 14 août 1989, outre ces sociétés, Me Philippot, ès-qualités.

Par jugement du 6 février 1990, le Tribunal a déclaré parfait le désistement d'instance et d'action des sociétés Loifrak et La Coque de Nacre (consécutif à la résiliation du contrat de licence avec effet au 30 septembre 1989).

Le 13 mai 1991, Franklin Loufrani a assigné Me Girard ès-qualités, en validité de sa production de créance du 25 juillet 1989 et en intervention forcée.

La société BIP, bien que régulièrement assignée, n'a pas constitué avocat.

Les autres défendeurs ont conclu à la mise hors de cause de Me Philippot dont la mission avait pris fin par l'adoption d'un plan de continuation homologué par décision du 16 août 1990 et à l'irrecevabilité de la demande.

Par jugement réputé contradictoire du 6 novembre 1991, le Tribunal relevant notamment :

- sur la recevabilité, que Franklin Loufrani avait effectué par lettre recommandée avec avis de réception du 26 juillet 1989 une production de créance pour un montant de 2.430.000 F entre les mains de Me Girard, et que celui-ci ne démontrait pas avoir régulièrement notifié le rejet de la créance,

- sur le fond, que les actes de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale poursuivis étaient établis

a :

- mis hors de cause Me Philippot, ès-qualités,

- fait interdiction aux défendeurs d'utiliser sous quelque forme que ce soit la marque litigieuse, sous astreinte de 50 F par article contrefaisant constaté à compter de la signification du jugement,

- désigné Me Lachkar, huissier de justice, afin de recueillir tous éléments d'information nécessaires à l'appréciation du préjudice,

- fixé la provision à la somme de 8 000 F (TVA incluse) et la date de dépôt du rapport à six mois de la saisine,

- fixé à une somme provisionnelle de 100 000 F le montant de la créance due par chacune des sociétés Bijoux Center, GM Import et Lady Bijoux et condamné la société BIP à payer une somme de 50 000 F à titre de provision au demandeur,

- ordonné la publication du jugement dans trois journaux aux frais des défenderesses dans la limite d'un coût total de 20 000 F,

- ordonné l'exécution provisoire des mesures d'interdiction, d'expertise et de la condamnation au versement d'une provision de 50 000 F,

- condamné in solidum les défenderesses au paiement d'une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Bijoux Center, GM Import, Lady Bijoux d'une part, la société BIP d'autre part ont respectivement interjeté appel de cette décision les 8 et 29 janvier 1992.

Par conclusions des 22 avril et 17 juin 1992, elles ont fait valoir :

- sur la contrefaçon ou imitation illicite de marque : qu'elles ont mis en vente selon un catalogue exclusif des "badges Smilly" qui ne seraient pas compris dans les classes de produits ou services énumérés par Franklin Loufrani au titre du dépôt de sa marque et qui se référeraient non pas au mot "Smile" mais au terme de maçon "Smille" lequel aurait été anglicisé par l'adjonction d'un "y" final "pour lui donner plus de consistance",

- sur la concurrence déloyale : que les "badges smillés" figurant au catalogue font l'objet d'une création particulière dont elles avaient l'exclusivité et "s'inspirant des différentes saisons climatiques et des divers éléments météorologiques, en suggérant les planètes personnalisées", ne constituent pas les incitations à la violence et à la toxicomanie de nature à dévaloriser la marque de l'intimé, retenues par les premiers juges.

Elles ont en outre soutenu que Franklin Loufrani ne prouvait "en aucun cas qu'il aurait subi un quelconque préjudice en prenant prétexte de l'attitude commerciale des sociétés appelantes".

Elles ont en conséquence conclu à la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et sollicité l'attribution à chacune d'elles de la somme de 7 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le Tribunal de Commerce a par jugement du 23 septembre 1992 :

- prononcé la résolution du plan de continuation des sociétés Bijoux Center, GM Import et Lady Bijoux et ouvert une procédure de redressement et liquidation judiciaire,

- mis fin à la mission de Me Philippot en qualité de commissaire à l'exécution du plan,

- désigné en qualité de représentant de créanciers et de liquidateur de Me Jean-Claude Girard.

Celui-ci est intervenu en la procédure par conclusions du 9 juillet 1993.

Aux termes de ses écritures du 6 décembre 1993, il allègue que l'ouverture de cette nouvelle procédure a entraîné en vertu des dispositions d'ordre public de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 l'arrêt des poursuites individuelles et qu'il appartenait à tout créancier de déclarer conformément à l'article 50 de cette loi sa créance entre les mains du représentant des créanciers dans le délai prévu à l'article 66 du décret du 27 décembre 1985.

S'associant aux conclusions signifiées par les appelantes, il conclut en tout état de cause à l'irrecevabilité de toute demande de condamnations pécuniaires.

Franklin Loufrani réplique :

- sur la contrefaçon de marque : que l'examen du catalogue diffusé par les sociétés adverses révèle la contrefaçon servile de sa marque au sens de l'article 27 de la loi du 31 décembre 1964,

- sur la concurrence déloyale : qu'indépendamment de la vente des objets contrefaisants, les appelantes :

. "n'ont pas hésité à commercialiser en utilisant le signe contrefaisant les mêmes articles que (lui-même) commercialise sous sa propre marque, à savoir des badges",

. ont fait figurer sur leur catalogue publicitaire la mention "importation directe - pas d'intermédiaire" qui laissait "planer un doute sur les droits de M. Loufrani, véritable titulaire de la marque",

. ont commercialisé des "badges" sur lesquels ladite marque bien que tout à fait reconnaissable était totalement dénaturée par l'adjonction "entre les deux yeux, d'un trou noir sanguinolent, stylisant un impact de balle" ou d'un sourire inquiétant découvrant des dents carnassières" et de "la mention Acid qui pourrait éventuellement évoquer la drogue du même nom".

Se fondant sur la commercialisation de quantités non négligeables d'articles contrefaisants, il invoque l'existence d'un préjudice incontestable "dans la mesure où l'utilisation abusive de sa marque par les défenderesses lui a retiré toute chance de signer certains contrats et notamment de développer la commercialisation de sa marque".

S'il conclut à la confirmation du jugement déféré en ce que celui-ci l'a dit recevable et bien fondé en ses demandes en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et a fait défense sous astreinte aux appelantes d'utiliser la marque n° 1 199 660, il sollicite :

- la condamnation "'conjointe et solidaire" des appelantes à lui payer chacune la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues et à lui verser la somme de 35 000 F HT en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- la publication du présent arrêt dans cinq journaux de son choix, aux frais in solidum des appelantes dans la limite de 15 000 F HT par insertion.

Sur ce,

Sur la contrefaçon de marque

Considérant que Franklin Loufrani a déposé la marque figurative dite Smile dans les classes 1 et 42 pour désigner notamment des articles de joaillerie, de matière plastique, des accessoires pour cheveux, des vêtements et des jeux.

Que les procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés les 5 et 6 avril 1989 ont révélé que les appelantes avaient fabriqué et mis en vente - outre des "badges" dont elles soutiennent qu'ils ne seraient pas protégés par le dépôt susvisé mais qui constituent des objets similaires aux articles de joaillerie ou de matière plastique et des accessoires aux vêtements sur lesquels ils sont placés - des broches, colliers, boucles d'oreilles, porte-clefs, articles pour cheveux, casquettes et vêtement dits "tee-shirts" sur lesquels était apposé un cercle comportant deux yeux et une bouche en forme de sourire.

Que le tribunal a retenu à juste titre que les diverses adjonctions apportées à la reproduction ainsi effectuée de la marque ne lui retirait pas son caractère servile.

Qu'elles ne présentent en effet par rapport à la marque originale qu'une différence si faible que celle-ci laisse subsister l'apparence d'une identité totale entre la marque et la contrefaçon, la marque reproduite ne perdant dans l'ensemble formé par elle et les adjonctions apportées ni son individualité ni son pouvoir distinctif.

Qu'enfin, les appelantes ne sauraient valablement soutenir que la dénomination "badge Smilly" serait une référence anglicisé au mot "Smille" désignant un marteau de forme pointue en ses deux extrémités.

Sur la concurrence déloyale

Considérant que le fait pour les sociétés appelantes d'avoir imité la présentation des objets commercialisés par l'intimé, d'avoir diffusé un catalogue publicitaire les représentant comme l'importateur exclusif des "badges Smilly" et insinué ainsi un doute dans l'esprit de la clientèle sur la réalité et l'étendue des droits de Franklin Loufrani, d'avoir apposé sur les articles contrefaisants des mentions évoquant la violence ou la toxicomanie susceptibles de dévaloriser gravement la marque de l'intimé, constitue autant de fautes au sens de l'article 1382 du Code Civil.

Sur les mesures réparatrices

Considérant que Franklin Loufrani a produit le 26 juillet 1989 au redressement judiciaire des sociétés Lady Bijoux, GM Import et Bijoux Center pour un montant de 2 430 000 F entre les mains de Me Girard.

Que les premiers juges ont exactement relevé que celui-ci ne démontrant pas avoir régulièrement notifié le rejet de sa créance à l'intimé, la demande de celui-ci était recevable en ce qu'elle tendait à fixer le montant de ladite créance.

Considérant que si la résolution du plan de redressement oblige le créancier à déclarer l'intégralité de ses créances, déduction faite des sommes perçues, cette obligation n'est pas sanctionnée par l'extinction de la créance.

Considérant que la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants eu égard à l'importance de la masse contrefaisante pour fixer le montant de la réparation mise à la charge de chacune des sociétés appelantes à la somme de 100 000 F.

Que les mesures complémentaires d'interdiction et de publication, prononcées par le Tribunal, seront maintenues.

Sur les frais non taxables

Considérant qu'il est équitable d'allouer à Franklin Loufrani une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Que les appelantes qui succombent, seront déboutées de ce chef.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit les demandes de Franklin Loufrani en contrefaçon de marque et concurrence déloyale recevables et bien fondées, et ordonné des mesures de publication lesquelles viseront le présent arrêt, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Fait défense aux sociétés Bijoux Center, Lady Bijoux, GM Import et BIP d'utiliser pour désigner les produits visés dans les motifs le signe incriminé à titre de marque, d'enseigne ou de nom commercial, sous astreinte de 50 F par article contrefaisant constaté à compter de la signification du présent arrêt, Fixe à la somme de 100 000 F le montant de la créance en dommages et intérêts due par chacune des sociétés Bijoux Center, Lady Bijoux et GM Import à Franklin Loufrani, Condamne la société BIP à payer à l'intimé la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, Condamne in solidum les appelantes à payer à Franklin Loufrani la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Condamne in solidum les appelantes aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais de procédure de saisie-contrefaçon, Rejette toutes autres demandes, Admet la SCP Menard Scelle Millet, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.