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Décisions

CA Paris, 21e ch. C, 31 janvier 1995, n° 32604-95

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nordson France (SA)

Défendeur :

Lamour

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rippert

Conseillers :

MM. Choen, Meridas (venant d'une autre chambre pour compléter la cour)

Avocats :

Mes Meunier, Le Noury.

Cons. prud'h. Meaux, sect. encadrement, …

20 décembre 1993

LA COUR est saisie des appels principal et incident respectivement interjetés par la SA " Nordson France et Christian Lamour d'un jugement contradictoire du Conseil des Prud'hommes de Meaux (section encadrement) du 20 décembre 1993, dont les dispositions sont les suivantes :

" Condamne la SA Nordson France à payer à Monsieur Christian Lamour les sommes suivantes :

- TRENTE MILLE HUIT CENT CINQUANTE NEUF France (30.859 F) au titre des commissions.

- TROIS MILLE QUATRE VINGT CINQ FRANCS (3.085 F au titre des congés payés afférents à ces commissions).

- DEUX MILLE CINQ CENT FRANCS (2.500 F) TTC au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Les deux premières sommes avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil et l'autre à compter de la notification du présent jugement.

Dit que la clause de non-concurrence sera limitée aux seuls départements dont la liste est reprise dans le jugement.

Déboute Monsieur Lamour de sa demande de paiement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

Déboute la SA Nordson de sa demande reconventionnelle et la condamne aux entiers dépens ".

Dans le corps du jugement, il était effectivement spécifié qu'il convenait " de réduire la clause de non-concurrence aux seuls départements du secteur géographique de M. Lamour à savoir : 14, 22, 27, 28, 29, 35, 36, 37, 41, 44, 49, 50, 53, 56, 61, 72, 75, 76, 78, 79, 85, 91, 92, 93, 94 et 95 " ;

C'est à dire la Région parisienne et une partie de l'ouest de la France.

Exposé des faits

La relation de travail

Selon la définition qu'elle en donne elle-même, la société " Nordson France " a " notamment pour activité la commercialisation d'équipements pour l'application de peintures et autres produits similaires ". Aux termes d'un contrat en date du 27 Mai 1989, prenant effet le 1er juin, Christian Lamour entrait au service de cette société en qualité d'ingénieur technico-commercial. La rémunération était composée d'un fixe mensuel de 15.000 F auquel s'ajoutaient une commission et un " bonus de performance ", l'entreprise occupe plus de 10 salariés.

Une annexe au contrat définissait plus précisément les fonctions de l'intéressé ;

" 3°) Il assure :

- la sélection des clients potentiels

- les appels téléphoniques sélectifs,

- les contacts commerciaux avec les clients,

- les essais de matériels au laboratoire du siège social ou chez les clients

- la rédaction des offres

4°) Il est responsable :

- de l'installation des équipements vendus

- de l'information du personnel chez le client, sur l'entretien et les réparations du matériel Nordson,

- du service et du suivi de tous les équipements Nordson installés sur son territoire.

5°) A la demande de son supérieur, il prépare et présente les plans à court et moyen terme sur toutes les activités de son territoire.... "

Ce territoire était en fait ainsi indiqué au jugement (voir plus haut)

L'acte comportait une clause de non-concurrence :

" a) Le salarié interdit, pendant une période de deux ans, à compter de la fin du préavis, qu'il soit effectué ou non, sous réserve des dispositions du paragraphe concurrente de celles de la société Nordson, d'entrer au service de toute entreprise exerçant en France une activité similaire ou concurrente de celle de la société, directement ou indirectement, comme administrateur, directeur employé ou associé d'une société ou d'une entreprise ou de toute autre manière : de prendre contact et de traiter avec tout concurrent, client ou fournisseur de la société Nordson pour des affaires se rapportant aux activités exercées à ce moment par la société Nordson.

b) Sous réserve des dispositions du paragraphe (Article XII c), ci-dessous la société Nordson versera au salarié, aussi longtemps que son obligation de non-concurrence, visée au paragraphe (Article XIII a) ci-dessus, restera en vigueur et sera respectée une indemnité de non-concurrence égale au quart de son salaire mensuel brut...

d) Dans le cas de violation par le salarié de son obligation de non-concurrence, la société Nordson lui réclamera, outre la cessation immédiate de l'infraction, la réparation de son préjudice sous la forme de dommages et intérêts d'un montant équivalent à 24 fois le salaire mensuel moyen de tous ses douze derniers mois d'activité. Le salarié devra en outre rembourser le montant de l'indemnité de non-concurrence qu'il aura le cas échéant perçue en application du paragraphe (XIII b) ci-dessus et il ne percevra pas d'indemnité pour la durée d'application de la clause restant à courir. "

La rupture et ses suites

Le 2 Janvier 1992, Christian Lamour donnait sa démission pour convenances personnelles. L'employeur accusait réception de celle-ci, et en réponse rappelait au salarié son obligation de non-concurrence, ainsi que le délai de préavis expirant le 3 avril. A partir de cette date, précisait ensuite la société dans un courrier du 13 février, et jusqu'à l'expiration de la période de 2 ans fixée au contrat, serait versée à l'intimé une indemnité mensuelle brute de 8.734 Francs.

Dans le même temps, ayant appris que M. Lamour était entré en contact avec une entreprise concurrente la société " Wagner " " Nordson " mettrait celle-ci en garde à propos de la clause de non-concurrence. S'ensuivait entre les deux sociétés un échange de correspondance marquée notamment par un courrier du 17 Avril 1992, adressé par le nouvel employeur à son prédécesseur, et ainsi conçu :

" Nous avons reçu votre courrier du 14 avril 1992 qui a retenu toute notre attention.

Monsieur C. Lamour nous a rendu visite sur notre stand de la Foire de Hanovre afin d'étudier les possibilités d'une collaboration.

Monsieur C. Lamour a été engagé par notre société le 13 avril 1992 en qualité de Directeur des Ventes Secteurs EST ; SUD-EST, SUD-OUEST.

Afin qu'il n'ait aucune activité dans le secteur qui était le sien, nous avons utilisé la carte de France indiquant le secteur de C. Lamour en qualité de vendeur.

Par ailleurs, Monsieur C. Lamour nous a fait part de ses réserves sur la validité de la clause de non-concurrence, ce qu'il vous exposera directement.

Cette échange de lettre était suivi par l'enclenchement de 2 procédures :

- le 21 mai 1992, le salarié saisirait, à l'encontre de la société Nordson, le Conseil des Prud'hommes des chefs de réclamation ci-après :

- Indemnité pour clause de non-concurrence 148.478,00 F

- Commissions 30.859,00 F

- Congés payés y afférent 3.085,90 F

- Article 700 du Nouveau code de Procédure Civile 10.000,00 F

- Exécution provisoire

demande qui suscitait une demande reconventionnelle en paiement de 838.464 Francs pour violation de la clause de non-concurrence ; et qui allait déboucher sur le jugement susvisé du 20 Décembre 1993, déféré à la Cour.

- De son côté la société Nordson faisait attraire la société Wagner devant le Tribunal de Commerce de Corbeil-Essonne, en paiement à titre principal, de la même somme de 838.464 Francs à titre de dommages-intérêts pour " concurrence déloyale "

Cette demande allait être rejetée par jugement du 16 juin 1993, également frappé d'appel.

Moyens et prétentions des parties

La société " Nordson " qui précise limiter son appel à la clause de non-concurrence qu'elle estime valide, telle que définie au contrat et aux conséquences de cette validité, estime que son étendue à l'ensemble du territoire national n'avait rien d'exorbitant, ni de particulièrement dommageable pour le salarié. Elle expose

" M. Lamour aurait pu continuer à travailler dans le domaine de la peinture en vendant :

- des peintures ;

- des convoyeurs ;

- des systèmes de traitement de surface ;

- des étuves etc...

Il importe, au surplus, de rappeler qu'avant son engagement par Nordson, en 1989, M. Lamour n'avait aucune connaissance de ce secteur d'activité et du marché.....

Ecartant toute requalification en contrat de VRP, écartant également tout versement du chef de la contrepartie financière, la société appelante prie la Cour de :

" lui donner acte de ce qu'elle entend limiter ledit appel et acquiescer aux chefs du jugement entrepris realtifs au solde de commissions et aux congés payés afférents dus à M. Lamour.

Lui donner acte de ce qu'elle a, d'ores et déjà, payé les sommes correspondantes en principal et intérêts.

Débouter M. Lamour du surplus de ses demandes.

Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la clause de non-concurrence devrait être limitée au secteur ouest du territoire français.

Tout au contraire, dire et juger valable ladite clause de non-concurrence telle que souscrite par M. Lamour au profit de la société Nordson France

Condamner M. Lamour à payer à la société Nordson France le franc symbolique à titre de dommages-intérêts pour violation de son engagement de non-concurrence. "

Sur question de la Cour à la société appelante, affirmant que M. Lamour avait exercé son activité pour le compte de la société Wagner bien au-delà du territoire indiqué par Wagner dans sa lettre du 17 avril 1993, la société répond ne pouvoir en apporter la preuve ;

De son côté, Christian Lamour intimé, estime qu'en réalité, ses fonctions au sein de la société Nordson étaient celles d'un VRP. En application des règles du statut et de la convention collective, mais en tout cas état de cause en vertu de la plus élémentaire équité, il convenait de réduire le champ d'application de la clause de non-concurrence. Et d'ajouter ;

" Attendu que M. Lamour respecte la clause de non-concurrence en ne travaillant pas dans le secteur qui était le sien, qu'il peut donc prétendre au paiement de l'indemnité compensatrice de mai 1992 à octobre 1993 soit 17 mois pour un montant mensuel de 8.734 francs (montant fixé par la Société elle-même) soit : 148.478,00 F

Christian Lamour demande à la Cour de

" confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'étendue de la clause de non-concurrence,

Recevoir M. Lamour en son appel incident et condamner la société à verser :

- 148.478,00 F à titre d'indemnité compensatrice de clause de non-concurrence

- 10.000,00 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile. "

Sur question de la Cour, l'intimée précise qu'il est resté environ 1 ans chez WAGNER et y exerçait les fonctions de " Directeur des ventes ". Sa rémunération était sensiblement équivalente à celle perçue chez Nordson, même peut-être un peu supérieure.

Il ne possède pas de carte VRP

Sur quoi LA COUR

Sur la demande d'application du statut VRP

Considérant que la simple lecture de la définition des fonctions attribuées au salarié, telle qu'énoncée à l'annexe au contrat de travail du 27 mai 1989, ci-dessus reproduite, montre que les dites fonctions étaient très éloignée de celle d'un VRP ;

Qu'en toute hypothèse celle-ci excluaient la prise d'ordre et de commandes de marchandises ;

Que l'intéressé, qui d'ailleurs n'a jamais été titulaire de la carte de VRPn'exerçait pas cette activité, en tout cas pour le compte de la société Nordson ;

Sur la clause de non-concurrence et les conséquences de sa limitation

Considérant que celle-ci, conçue pour une durée de 2 ans, s'étendait à la totalité du territoire nationale ;

Quecontrairement à ce que soutient la société Nordson, la clause était d'une acceptation très large, puisqu'elle visait toute activité directement ou indirectement " similaire ou concurrente " ; qu'elle prétendait même interdire au salarié " de prendre contact et de traiter avec tout concurrent " ;

Considérant que le maintien d'une telle clause, avec application, pour la durée prévue, sur toute l'étendue du territoire national, aurait constitué une entrave caractérisée à la liberté du travail;

Que cette circonstance justifiait, soit l'annulation de la clause, soit la réduction de son champ d'application, solution ayant droit de cité et adoptée en l'occurrence à bon escient par les premiers juges, dont la décision sur ce point sera purement et simplement confirmée ;

Considérant qu'il n'est pas établi que la clause, ainsi limitée, ait été enfreinte ; que sera donc rejeté la demande formée en ce sens par la société " Nordson ", même réduite à un franc ;

Considérant que cette solution conduit à écarter également l'application de la contrepartie financière ;

Considérant en effet, qu'indéniablement cette contrepartie, dont l'existence est nullement obligatoire, la validité d'une clause de non-concurrence ne lui étant peu subordonnée, n'avait de raison d'être qu'au regard de la lourdeur de l'obligation de non-concurrence imposée au salarié ;

Considérant que, dès lors que cette lourdeur disparaît pour laisser place à une clause de non-concurrence raisonnable et peut gênante, la contrepartie stipulée ne saurait lui survivre ;

Considérant qu'en décider autrement reviendrait à porter atteinte à l'économie du contrat de travail, à rompre son équilibre ; et solliciter la volonté des parties ; dont on ne peut préjuger ce qu'elles auraient décidé si la clause de non-concurrence, avait dès l'origine, été limitée, dans les termes de la décision de justice prononcée ;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile

Considérant que chacune des parties succombant pour une part notable de ses prétentions n'interdit pas de laisser à leur charge les frais qu'elles ont respectivement exposés ;

Par ces motifs, Pour partie substitué à ceux des premiers juges, Statuant dans les limites de l'appel. Confirme le jugement entrepris du 21 décembre 1993 en ce qu'il réduit l'étendue de la clause de non-concurrence inscrite au contrat de travail du 25 mai 1989 aux départements qui y sont indiqués ; Confirme le dit jugement en ce qu'il a débouté la SA Nordson France de sa demande de dommages-intérêts pour violation alléguée de la clause de non-concurrence ; Et déboute Christian Lamour de sa déclaration relative à la contrepartie financière. Déboute l'un et l'autre des parties de toute autre demande ou prétention. Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés à concurrence des 2/3 par la société appelante, d'1/3 par l'intimé.