CA Paris, 5e ch. C, 26 janvier 1995, n° 93-024171
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Génération Peinture Entreprise (SA)
Défendeur :
Germot et Crudenaire (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Couderette
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Narrat, Peytavi
Avocats :
Mes Bessis, Spitzer
LA COUR, statue sur l'appel formé par la SA Génération Peinture Entreprise dite " GPE " à l'encontre d'un jugement rendu le 20 septembre 1993 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la Société Nouvelle Germot et Crudenaire la somme de 350 000 F majorée des intérêts au taux légal courus à compter de la signification de la décision ainsi que celle de 10 000 F fixée en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
La Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les Premiers Juges ;
Il suffit de rappeler que le litige porte sur l'existence d'actes de concurrence déloyale qui aux dires de la Société Nouvelle Germot Crudenaire prise en sa qualité d'acheteuse de plusieurs éléments du fonds de commerce de la Société Germot Crudenaire en redressement judiciaire, auraient été commis par la Société Génération Peinture Entreprise dont le dirigeant exerçait auparavant la fonction de directeur commercial de la Société en redressement et avait en outre la qualité d'associé de la Société cédée ;
Ces actes consisteraient en des détournements de commandes cédées à la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, de savoir-faire technico-commercial, de fichier et d'offres de prix ;
La Société GPE appelante reproche aux Premiers Juges de l'avoir condamnée au paiement susvisé sur le seul fondement d'une infraction à " la décence commerciale " qui aurait dû la " conduire à respecter l'esprit du plan de cession qui conduisait à donner une priorité à la Société Nouvelle sur ces travaux ", alors que par des motifs que GPE approuve, la même décision avait examiné pour les rejeter, chacun des éléments constituant pour la Société Nouvelle Germot et Crudenaire un acte de concurrence déloyale ;
Aussi la Société GPE appelante prie-t-elle la Cour, après infirmation du jugement entrepris, de constater qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et plus généralement, aucun acte dommageable n'entrant pas dans le jeu de la libre concurrence commerciale à l'égard de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, de débouter celle-ci de ses demandes en la condamnant au paiement de la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Formant appel incident du chef du rejet de sa demande de provision et de mesure d'instruction, la Société Nouvelle Germot et Crudenaire prie la Cour de constater l'existence de faits graves de concurrence déloyale nés tant de la violation du jugement homologuant le plan de cession que des agissements du dirigeant de la GPE, qui avait été associé et salarié de la Société Germot et Crudenaire et de condamner l'intimée à lui payer la provision de 1 838 898 F 98 en désignant un expert ayant pour mission l'examen de l'étendue de son préjudice, en interdisant à la GPE de démarcher la clientèle de l'ancienne société Germot et Crudenaire sous peine d'astreinte définitive de 50 000 F par infraction constatée, en ordonnant la publication de l'arrêt dans trois journaux au choix de la société Nouvelle et en condamnant la Société GPE à lui régler la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
A ces fins, l'intimée soutient que le PDG de la société GPE s'est livré à une campagne de dénigrement de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, qu'il a détourné à son profit des commandes cédées à la Société Nouvelle, les marchés concernés étant celui du " logement Dyonisien ", de la Sonacotra, de Bouygues et de la Sergim en créant volontairement une confusion en utilisant les renseignements techniques et commerciaux recueillis à l'occasion de ses anciennes fonctions, et en faisant disparaître des dossiers d'étude de la société Germot et Crudenaire.
Sur ce, LA COUR :
1°) Sur les agissements de Monsieur Denis Champetier de Ribes pris en ses qualités de président, associé et administrateur de la GPE et d'ex-salarié, d'ex-associé, et ex-candidat repreneur de la société Germot Crudenaire :
Considérant que pour stratégique qu'ait été la position de Monsieur Denis Champetier de Ribes dans la société cédée du fait de sa triple qualité, elle n'en est pas pour autant par elle-même susceptible de faire tomber la Société qu'il a créée, sous le coup d'une concurrence déloyale de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, ce même si ces deux nouvelles sociétés avaient dans la région Parisienne un objet social identique ;
Qu'en effet, pour ce qui concerne la qualité d'ex-salarié susvisée, la Société appelante soutient à tort que la Société GPE dont le début de l'activité a été déclaré au Tribunal de Commerce comme se situant le 1er décembre 1991, a été créée alors que Monsieur Denis Champetier de Ribes avait encore la qualité de salarié de la Société Germot et Crudenaire puisque la lettre de licenciement notifiée par l'administrateur Judiciaire Maître Valliot lui offrait la possibilité d'une convention de conversion refusée en l'espèce par l'intéressé ; que la même lettre précisait qu'en cas de refus, le jour de la première présentation de la lettre de licenciement constituerait le point de départ de la période de préavis de trois mois, mais dispenserait Monsieur Denis Champetier de Ribes d'effectuer le préavis ;
Qu'il s'ensuit que dès la notification du 18 novembre 1991 de cette lettre, l'intéressé avait la faculté de créer une entreprise fut-elle concurrente de celle de son ex-employeur, faculté dont il a usé à partir du 1er décembre 1991, son contrat de travail n'ayant pas en outre prévu de clause de non-concurrence ;
Considérant que pour ce qui concerne la qualité d'ex-associé de la Société Germot et Crudenaire, les Premiers Juges ont à bon droit retenu que la création de la GPE par Monsieur Denis Champetier de Ribes n'avait pas fait grief à la Société Germot et Crudenaire mais à la Société Nouvelle du même nom, repreneuse de la Première ;
Qu'ils ont donc justement rejeté le moyen tiré par l'intimée de la qualité d'ex-associé de Germot et Crudenaire occupée par Monsieur Denis Champetier de Ribes ;
Considérant que l'existence d'actes de concurrence déloyale ne peut davantage être déduite du fait que ce dernier a été candidat à la reprise de la Société Germot et Crudenaire, sauf à prouver la réalité de la campagne de dénigrement, d'actes de nature à établir une confusion entre la Société Germot et Crudenaire et la Société GPE, de faits de disposition des fichiers clients de Germot et Crudenaire et d'utilisation de renseignements techniques et commerciaux détenus sur celle-ci, enfin, de tentative volontaire de désorganisation de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, dont se plaint cette dernière ;
Considérant que la Société GPE fait utilement observer que la seule pièce justificative de la campagne de dénigrement dénoncée par l'intimée, est la lettre adressée le 1er juin 1992 par Maître Valliot pris en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession à l'avocat de la Société Germot et Crudenaire, mais que son auteur a ultérieurement précisé que ce courrier n'avait fait que reproduire les propos du Président de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, sans constatation réelle de sa part ; qu'il s'ensuit que la preuve du dénigrement n'est aucunement rapportée par l'intimée ;
Considérant quen'est pas davantage établi le fait pour la Société GPE d'avoir créé dans l'esprit des clients de l'ancienne Société Germot et Crudenaire une confusion entre les activités commerciales de celles-ci et celles de la Société GPE; qu'en effet, Monsieur Denis Champetier de Ribes ne peut être sanctionné ni du port de son nom patronymique connu comme détenteur de la propriété des capitaux et des pouvoirs de direction de la Société Germot et Crudenaire par l'intermédiaire de l'ensemble des membres de sa famille, ni de sa fonction de directeur commercial de cette même société, deux éléments qui pouvaient inciter les clients de cette société à faire une confusion entre les activités sus-décrites;
Que d'ailleurs la Cour constate que la Société Nouvelle Germot et Crudenaire se limite à souligner cette tendance normale à confusion, sans rapporter la preuve de ce que l'intéressé ait eu une attitude démontrant sa volonté de créer la confusion dans l'esprit de ses clients, par l'envoi notamment de courriers en qualité de repreneur des affaires de l'ancienne société Germot et Crudenaire;
Considérant que pour ce qui concerne la disparition de nombreux fichiers clients durant l'année 1991, c'est par des motifs exacts que la Cour adopte que les Premiers Juges ont estimé insuffisantes les preuves de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire quant à la responsabilité de Monsieur Denis Champetier de Ribes de ce fait ;
Qu'il s'agit d'ailleurs d'accusations graves dont la réalité ne peut être démontrée par une attestation qui constate objectivement ces disparitions en précisant que du fait de l'absence de leur valeur marchande, les dossiers disparus " n'ont pu être détournés que par une personne ayant la possibilité de les exploiter dans le futur et ce dans un service commercial dans le but de négocier des marchés ", et par une autre attestation qui précise que seule la secrétaire du directeur commercial de l'époque avait les connaissances techniques nécessaires à l'effacement de certaines données informatiques ;
Considérant qu'enfin, l'utilisation des connaissance techniques et commerciales de Monsieur Denis Champetier de Ribes et la tentative volontaire de désorganisation de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire reprochée à la Société GPE, sont fondées sur le détournement de quatre clients que cette dernière estime être les siens, ce comme l'aurait admis la décision adoptant le plan de cession de l'entreprise Germot et Crudenaire ; que ces agissements seront donc analysés dans le respect de ce jugement dont le caractère définitif n'est contesté par aucune des parties ;
2°) Sur les conséquences de l'adoption du plan de cession de la Société Germot et Crudenaire et sur les actes de détournement de clientèle :
Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier, qu'au Printemps 1991 et à des dates antérieures à l'ouverture de la procédure collective, la Société Germot et Crudenaire avait obtenu des marchés de travaux pour le lot peinture conclu avec le maître de l'ouvrage de l'opération intitulée Pleyel en vue de la construction des logements Dyonisiens et avec le maître de l'ouvrage La Sergim pour ce qui concerne une construction à édifier à Rueil ;
Considérant qu'en application de l'article 37 de la Loi du 25 janvier 1985, Maître Valliot qui exerçait les fonctions d'administrateur judiciaire depuis l'ouverture en Juin 1991 de la procédure collective, a exigé en Juillet 1991 de ces maîtres de l'ouvrage, la poursuite de ces contrats ;
Mais, considérant que contrairement à ce que suggère implicitement la Société Nouvelle Germot et Crudenaire, l'exercice et le bénéfice de ce droit ne peuvent concerner que la période durant laquelle la Société en redressement a été autorisée à poursuivre son activité, laquelle a pris fin en l'espèce le 7 novembre 1991 jour de l'adoption du plan de cession de l'entreprise ; qu'à compter de cette date, seules les dispositions des articles 31 et suivants de la Loi susvisée et 81 et suivants étaient applicables, ce dans le respect des dispositions du jugement adoptant le plan de cession ;
Considérant que la discussion des parties sur l'application de l'article 86 aux contrats susvisés dont la poursuite a été exigée par l'administrateur s'avère en l'espèce inutile ; qu'en effet, la cession des contrats concernée par ce texte, porte exclusivement sur les conventions nécessaires au maintien de l'activité de l'entreprise rachetée, et non sur les contrats conclus en exécution de l'objet social de l'entreprise ;
Considérant que les marchés susvisés faisant partie de cette dernière catégorie de contrats, il était normal que le jugement adoptant le plan de cession s'abstienne de les citer ; qu'il s'ensuit qu'en dépit du rachat de la clientèle de la Société Germot et Crudenaire et du rachat du carnet de commandes, des situations de travaux acceptés de septembre et octobre 1991 tels que visés expressément par le jugement du 7 novembre 1991, les cocontractants avaient la possibilité de refuser au concessionnaire, la société Nouvelle Germot et Crudenaire la poursuite de ces marchés ;
Considérant que comme le souligne à bon droit la GPE, cette possibilité a été utilisée en l'espèce pour les logements Dyonisiens ;
Qu'en effet, l'échange des courriers permet de comprendre que pour l'obtention de ce marché, la Société Germot et Crudenaire avait adhéré à un groupement d'entreprises après l'obtention d'un agrément auprès de la CNPME bâtiment générant pour toutes les entreprises titulaires d'un des lots de cette construction, le bénéfice d'une assurance bâtiment ;
Considérant que la Société cessionnaire Société Nouvelle Germot et Crudenaire n'ayant pas sollicité cet agrément avant le 6 mai 1992, à la différence de la GPE qui l'avait déjà obtenu, le maître de l'ouvrage lui a refusé la poursuite du contrat ;
Considérant que même si en sa qualité d'ancien négociateur du contrat, Monsieur Denis Champetier de Ribes était informé de la nécessité d'obtenir cet agrément, le choix par le client, de sa société GPE en vue de la poursuite du marché dont était antérieurement titulaire la Société Germot et Crudenaire, ne peut être qualifié d'acte de concurrence déloyale puisque du fait de sa carence, la Société Nouvelle ne pouvait obtenir ce marché, la qualité d'ex-candidat repreneur de la GPE ne modifiant en rien la solution à donner au litige ;
Considérant que pour ce qui concerne la poursuite du marché de construction conclu avec la Sergim, la Société Nouvelle Germot et Crudenaire affirme en avoir perdu le bénéfice sans même rapporter la preuve de ce que la Société GPE lui a succédé ; que le silence de cette dernière ne saurait tenir lieu de preuve ;
Considérant que les deux marchés intitulés par les parties " Sonacotra " et " Bouygues " n'étaient pas signés au jour du jugement adoptant le plan de cession, que les maîtres de l'ouvrage ont ensuite refusé de contracter avec la Société Nouvelle Germot et Crudenaire après la cession de la Société Germot et Crudenaire, qui avait pourtant reçu de ces maîtres de l'ouvrage des compte-rendu de chantier pouvant lui laisser croire qu'elle obtiendrait ces marchés ; Considérant que sauf à apporter la preuve d'actes déloyaux commis par la GPE du chef de ces échecs, laquelle est inexistante en l'espèce, la Société Nouvelle Germot et Crudenaire ne peut qu'être déboutée de sa demande d'indemnisation pour ces chantiers ; que ne constitue pas en lui-même un acte de concurrence déloyale le fait pour Monsieur Denis Champetier de Ribes d'avoir tiré profit de la connaissance du directeur de production de la maison Bouygues pour obtenir le marché intitulé " Bouygues " ;
Qu'enfin, il n'existe aucune preuve de ce que la GPE ait conclu un marché avec la Sonacotra, ce que dénie d'ailleurs l'intimée ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des constatations faites par la Cour que la GPE n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ; qu'il échet en conséquence d'infirmer la décision entreprise qui par des motifs contradictoires, a rejeté à bon droit l'ensemble des éléments qualifiés à tort par la Société Nouvelle Germot et Crudenaire d'actes de concurrence déloyale, pour reconnaître le comportement fautif de la GPE du chef du non respect d'une " décence commerciale " et de " l'esprit du plan de cession " alors que ces notions sont inexistantes en droit et n'avaient en outre pas été envisagées par la Société Nouvelle Germot et Crudenaire qui avait fondé son action sur l'existence d'actes de concurrence déloyale ; qu'il échet en conséquence de débouter cette dernière de ce chef et de l'ensemble des demandes accessoires ;
Considérant que l'intimée qui succombe et qui sera condamnée aux dépens ne peut utilement prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Considérant que, l'équité ne commande pas de faire au profit de l'appelante une application de ce texte ;
Par ces motifs : LA COUR, - infirme en toutes ses dispositions la décision déférée ; Et statuant de nouveau - Dit que la GPE n'a commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la Société Nouvelle Germot et Crudenaire ; - Déboute en conséquence cette dernière de l'ensemble de ses demandes,- Déboute l'appelante de ses demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue, en ce comprises celles formées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la Société Nouvelle Germot et Crudenaire aux dépens de Première Instance et d'appel, et admet pour ces derniers la SCP Bommart-Forster, titulaire d'un Office d'Avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.