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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 1995, n° 92-005197

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vraco (SA)

Défendeur :

Soceti (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Gaultier Kistner, SCP d'Auriac Guizard

Avocats :

Mes Amar, Soubrenie Fabrello.

T. com. Corbeil-Essonnes, 3e ch., du 11 …

11 décembre 1991

Par jugement en date du 11 décembre 1991 (auquel il est expressément référé pour plus ample exposé des faits et prétentions des parties) le Tribunal de Commerce de Corbeil :

- a condamné la société Vraco à payer à la société Soceti au titre de prestations impayées :

* la somme de 443 213,26 F avec intérêts de droit à compter du 15 avril 1990

* la somme de 80 111,53 F avec intérêts de droit à compter du 15 juin 1990

et ordonné la capitalisation des dits intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- a débouté la société Vraco de l'ensemble de ses demandes aux fins de dommages-intérêts et d'expertise et rejeté sa demande de compensation ;

- a débouté la société Soceti de sa demande afférente au sigle et logo par elle utilisé et de sa demande de dommages-intérêts ;

- a condamné la société Vraco à payer à la société Soceti la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- a ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par acte du 16 janvier 1992, la société Vraco a interjeté appel de cette décision.

Rappelant que les deux sociétés étaient étroitement liées jusqu'au début de l'année 1990 pour avoir le même Président Directeur Général, M. Courtin, le même siège social à Andilly où comptabilité et facturation étaient effectués au même endroit, la société Vraco expose qu'à la suite d'un important différend opposant en son sein M. Courtin à M. Constantin (alors Directeur Général), un protocole d'accord a été signé le 16 janvier 1990 entre les deux hommes aux termes duquel M. Courtin cédait à M. Constantin les actions qu'il détenait au sein de la société Vraco, M. Constantin devenant PDG de ladite société.

Ensuite de ce protocole d'accord, le siège de la société Vraco a été transféré à Savigny sur Orge, lieu d'exploitation de la société, et les deux sociétés ont poursuivi de façon totalement indépendante leurs activités.

La Société Soceti se prétendant créancière de la société Vraco a assigné celle-ci devant le Tribunal de Commerce de Corbeil qui a rendu la décision ci-dessus évoquée.

Au soutien de son appel la société Vraco qui conteste être redevable d'une quelconque somme envers la société Soceti en raison de la mauvaise qualité des prestations fournies, prétend subir un préjudice particulièrement important tant en raison du peu de qualité des dites prestations et des retards apportés dans la livraison des commandes qu'en raison des actes de concurrence déloyale graves auxquels la société Soceti se serait livrée, selon elle, à son détriment.

S'estimant fondée à en demander réparation et concluant de ce fait à l'infirmation de la décision entreprise et à la restitution des sommes versées en son exécution, la société Vraco sollicite ;

- le paiement d'une somme de 928 859,80 F à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice d'ores et déjà déterminé ;

- le paiement d'une somme de 400 000 F de dommages-intérêts au titre du préjudice commercial et du dénigrement dont elle se prétend victime ;

- " toutes mesures d'investigations " pour permettre de déterminer l'étendue des actes de concurrence déloyale auxquels s'est livrée la société Vraco, actes de concurrence déloyale qui devront cesser sous astreinte de 50 000 F par jour de retard ;

- à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour ne s'estimait pas suffisamment informée, une mesure d'expertise pour évaluer le préjudice subi du fait de la société Soceti à raison de mauvaises prestations de fournitures, de retards de livraison imputables à Soceti " et surtout de tous les actes de concurrence déloyale dont Vraco a été victime du fait de Soceti "

Sollicitant enfin la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de son adversaire, la société Vraco réclame paiement d'une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Pour s'opposer aux prétentions de son adversaire, la société Soceti fait valoir que la société Vraco, si elle entend en réalité opposer la compensation judiciaire en raison des sommes qu'elle estime lui être dues à titre indemnitaire, ne conteste pas, selon elle, sérieusement être redevable de la traite de 443 213,26 F à échéance du 15 avril 1990, qu'elle a acceptée et dont elle ne démontre pas, selon elle, qu'elle ne correspondrait pas à des prestations réelles.

S'agissant de la facturation complémentaire, partiellement admise par le Tribunal, la société Soceti, formant appel incident, en demande le paiement intégral pour un montant de 200 164,96 F mais sous déduction (déjà antérieurement admise) d'une somme de 73 476,96 F, montant d'un véhicule revendu par Vraco à Soceti, ce qui représenterait, en raison des sommes allouées en première instance et payées par Vraco, la somme complémentaire de 46 677,03 F, sur laquelle elle réclame en outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juin 1990 (Assignation en référé) et capitalisation de ceux-ci.

Prétendant qu'à tout le moins la confirmation de la décision entreprise s'impose puisque la société Vraco s'était contentée en première instance de solliciter la seule compensation judiciaire, la société Soceti poursuit son argumentation pour contester les demandes reconventionnelles formées par son adversaire à défaut de les justifier.

Estimant que la demande d'expertise ne peut avoir pour objet de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, la société Soceti conclut au rejet de celle-ci ainsi que de toute autre " mesure d'investigation ".

Prétendant enfin que la société Vraco persiste à utiliser le logo qu'elle a déposé le 24 janvier 1990 à l'INPI, la société Soceti réclame paiement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts.

Dénonçant la mauvaise foi de son adversaire, la société Soceti estime que l'appel interjeté est injustifié et abusif et justifie la condamnation de la société Vraco à lui payer à ce titre la somme de 150 000 F de dommages intérêts outre celle de 30 000 F pour les frais irrépétibles en cause d'appel.

Sur ce

I Sur la créance de la société Soceti

1° Au titre de la lettre de change du 15 avril 1990 :

Considérant que pour condamner la société Vraco au paiement de la lettre de change du 15 avril 1990 d'un montant de 443 213,26 F les premiers juges ont à juste titre relevé que celle-ci, émise le 16 février 1990, avait été acceptée par la société Vraco sans la moindre réserve ;

Que la société Vraco était mal fondée, pour contester la réalité de cette dette, à prétendre que les travaux correspondant étaient défectueux alors que ces défectuosités n'avaient fait l'objet d'aucun constat et que la preuve de leur existence n'étaient pas rapportée en justice ;

2° Sur les facturations annexes

Considérant que le Tribunal de Commerce se livrant à la vérification des facturations produites a, à bon droit, considéré qu'au vu des deux liasses de factures en date des 22 février 1990 et 15/30 mars 1990, d'un montant global de 153 587,90 F, la créance de la société Soceti n'était justifiée qu'à concurrence de ce montant ;

Que ladite société qui ne fournit devant la Cour aucune pièce nouvelle ni même n'indique en quoi la vérification effectuée par les premiers juges serait erronée alors que les autres liasses de factures figurant aux débats concernent celles de créances qui ont été couvertes par les lettres de change depuis lors honorées, ne peut valablement prétendre au paiement d'une somme complémentaire de 46 677,03 F ;

Que la société Vraco qui ne rapporte pas plus, en ce qui concerne cette créance, la preuve des défectuosités qu'elle invoque pour s'opposer à son paiement est mal fondée à demander l'infirmation sur ce point de la décision entreprise ;

II. Sur les prétentions de la société Vraco

Considérant que pour s'opposer au paiement de la créance de la société Soceti, la société Vraco prétend essentiellement avoir subi un " immense " préjudice tenant tant au peu de qualité des prestations de la société Soceti qu'aux actes de concurrence déloyale graves et réitérés dont elle lui fait grief ;

Qu'elle invoque, pour se faire, un certain nombre d'éléments, qui, pour incomplets qu'ils seraient, l'autoriseraient, selon elle, à demander d'ores et déjà, à titre de dommages-intérêts, paiement des sommes visées dans sa demande ci-dessus exposée ainsi que des mesures d'investigations complètes pour déterminer l'étendue des actes dont elle aurait été victime ;

Que la société Soceti conteste les reproches qui lui sont adressés voyant dans l'argumentation, selon elle, fallacieuse de l'adversaire la recherche d'un moyen pour ne pas payer ses dettes ;

Considérant, s'agissant des prestations fournies par la société Soceti, que la société Vraco se contente d'en dénoncer le peu de qualité ou leur exécution tardive sans produire aux débats le moindre constat ou la moindre expertise permettant d'en attester ou d'en imputer la responsabilité à la société Soceti ;

Qu'elle ne saurait ainsi, à propos du dossier Denver se plaindre des retards que la société Soceti aurait provoqués, dont la preuve n'est au demeurant pas rapportée, alors qu'elle ne justifie pas avoir été pénalisée de ce fait par le client final ;

Que s'agissant du dossier ILL, la société Vraco ne démontre nullement que la commande adressée à Soceti, qui produit aux débats le plan comportant la mention "Bon pour exécution ", n'ait pas reçue une exécution conforme aux seules caractéristiques demandées par la cliente ni que la responsabilité des difficultés rencontrées pour l'exécution du chantier de l'Institut Laue Langevin, ou les erreurs de conceptions commises, soient imputables à cette dernière ; qu'elle ne saurait, en conséquence, rendre la société Soceti responsable des surcoûts qu'elle a dû supporter ;

Qu'il en est de même en ce qui concerne le dossier Sampex dont la société Vraco ne démontre pas qu'il ait donné lieu de la part du client à une quelconque réclamation ni que les surcoûts dont elle aurait assumé la charge aient été imputables à la société Soceti ou rendus nécessaires du fait de la carence ou de l'incompétence de celle-ci ;

Qu'elle ne saurait non plus prétendre à un quelconque préjudice financier dû à une variation du cours du dollar en raison de retards dont elle n'établit pas qu'ils seraient imputables à son adversaire ;

Qu'elle ne saurait non plus tenir grief à la Société Soceti de l'erreur commise au sujet des facturations Roy à défaut d'en avoir assuré la charge, l'erreur ayant donné lieu de la part de la société Soceti à une rectification ;

Qu'en ne rapportant pas la preuve des dysfonctionnements dont elle se plaint, la société Vraco ne saurait pallier à sa carence en sollicitant une mesure d'expertise pour en établir la réalité, ces dysfonctionnements, à les supposer établis, n'ayant au demeurant fait l'objet d'aucune plainte de la part des clients finals ;

Considérant, s'agissant des actes de concurrence déloyale, que la société Soceti rappelle à bon droit que les deux sociétés, contrairement à ce qu'affirme sans le démonter la société Vraco, avaient la même activité, même si, en raison des relations particulièrement étroites qu'elles entretenaient tant en raison d'une communauté de direction que d'infrastructure, une certaine spécialisation s'était instaurée ;

Que la société Vraco ne rapporte pas la preuve de la titularité de droits de création ou de tout autre droit privatif exclusif sur les plans et dessins qu'elle revendique, ainsi que sur les photographies qui auraient servies à l'élaboration du catalogue de la société Soceti sous la dénomination Promex ;

Que si elle fait état de divers brevets dont son actuel PDG serait titulaire soit à titre exclusif soit avec M. Courtin, elle ne produit aucun document de nature à établir l'étendue de ses droits et les conséquences en résultant ;

Qu'elle ne saurait, sans rapporter la titularité des droits qu'elle revendique, se prévaloir valablement d'un quelconque préjudice du fait qu'ils seraient exercés par son adversaire ;

Qu'elle ne saurait pas plus prétendre que la société Soceti commettrait une faute en utilisant les mêmes listes de références pour des produits dont elle ne démontre pas qu'elle serait créatrice, et qui, en raison d'une communauté d'activité, et de la parfaite osmose ayant existée entre les deux sociétés jusqu'en janvier 1990, se retrouvent au sein des deux sociétés ;

Qu'elle ne saurait voir dans les courriers adressés par la société Soceti pour informer la clientèle de la nouvelle situation la preuve d'un dénigrement, le souhait exprimé, dans des termes modérés, par cette dernière d'améliorer ses services auprès de la clientèle, n'excédant pas ce qu'autorise la libre concurrence qui préside aux rapports commerciaux;

Qu'elle ne peut, non plus, valablement se plaindre de ce que la société Soceti détiendrait, à tort des films lui appartenant, à défaut de rapporter, là encore, la preuve des droits qu'elle revendique ;

Qu'elle voit, à tort, dans l'utilisation qui aurait été faite postérieurement au 16 janvier 1990, de son papier à en-tête de Vraco, pour procéder, en son nom et pour son compte, à des commandes, entre le 17 janvier et le 12 février 1990, de 1368 pièces d'un montant de 289 000 F un acte de concurrence déloyale destiné à la déstabiliser par la constitution de " stocks " dépourvus de tout intérêt, alors qu'elle ne conteste pas par d'ailleurs avoir pris livraison de la marchandise, qu'elle détient et qui est sa propriété, sans émettre la moindre réserve, ratifiant ainsi l'opération, à supposer même qu'elle ne l'ait pas mandatée ;

Qu'il convient en effet de noter qu'à cette époque les deux sociétés entretenaient encore des relations particulièrement étroites qui n'ont été dénoncées que début mars 1990 et que la constitution des stocks relevait, ne serait-ce que pour partie, de la compétence de la société Soceti dont l'intention de nuire n'est nullement démontrée, pas plus que le préjudice qui en serait résulté pour Vraco qui l'invoque sans en justifier ;

Qu'aucun autre élément pertinent n'étant produit, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société Vraco ne produisait pas de justifications suffisantes ;

Qu'elle ne saurait valablement prétendre, pour pallier à cette carence, solliciter " toute mesure d'investigation " de nature à établir la réalité d'un préjudice qu'elle invoque sans fournir d'éléments probants ;

Que les prétentions de la société Vraco tant au regard de la concurrence déloyale qu'au regard du préjudice commercial, n'étant pas fondées, il y a lieu de les rejeter ;

III. Sur l'utilisation du logo de la société Soceti

Considérant s'agissant de son logo, que la société Soceti n'a pas fourni, à l'appui de sa demande, les justificatifs du préjudice qu'elle invoque ;

Qu'il convient en conséquence de rejeter celle-ci ;

Considérant que s'il y a lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts formulée par la société Soceti à défaut pour celle-ci de démontrer le caractère abusif de l'appel interjeté par son adversaire, il convient en revanche de lui allouer une somme de 20 000 F au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

Que la société Vraco qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de la demande qu'elle a formulée à ce titre ;

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Corbeil en date du 11 décembre 1991 en toutes ses dispositions ; Condamne la société Vraco à payer à la société Soceti la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette la demande formée à ce titre par la société Vraco ; Déboute la société Soceti de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif ; Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties ; Condamne la société Vraco aux dépens dont distraction, au profit de la SCP d'Auriac et Guizard conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.