Livv
Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 2, 12 janvier 1995, n° 3016-93

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Scotch Whisky Association (Sté)

Défendeur :

Mac Cain Sunnyland France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner

Conseillers :

M. Jacquin, Mme Arnaud

Avoués :

SCP Fontaine-Tranchand, Me Gerbay

Avocats :

Mes Marque, Borysewicz.

TGI Mâcon, du 27 sept. 1993

27 septembre 1993

Exposé de l'affaire

La Société Mac Cain Sunnyland France (société Mac Cain), venant aux droits de la société BSA et de la société Distillerie Bouhy, titulaire de la marque Glen Jerby's, déposée le 13 septembre 1984, fabrique et commercialise sous cette dénomination une boisson appelée " spiritueux au Whisky " composée d'alcool d'origine agricole et de 2 % de malt importé.

Soutenant d'une part que le dépôt et l'utilisation de cette marque pour désigner un spiritueux au whisky, qui n'est pas d'origine écossaise, est déceptive, d'autre part que les articles 5.1 et 9 du règlement n° 1576-89 du 29 mai 1989 établissant les règles générales relatives à la définition, la désignation et la présentation des boissons spiritueuses ne sont pas respectées, la société The Scotch Whisky Association (SWA), ayant pour objet d'assurer la protection et la promotion des intérêts des producteurs de whisky écossais, a assigné la société Mac Cain devant le tribunal de grande instance de Mâcon pour obtenir :

- la nullité de la marque en raison de son caractère déceptif et sa radiation partielle,

- que la société défenderesse soit déclarée coupable de publicité mensongère et de concurrence déloyale et condamnée en conséquence à lui verser 100 000 F à titre de dommages-intérêts,

- qu'il soit interdit à cette société d'apposer cette marque ou toute autre comportant le préfixe Glen sur tout produit autre que du whisky écossais, dans les huit jours de la signification du jugement et sous astreinte,

- qu'il soit dit que la société Mac Cain contrevient au règlement communautaire n° 1 576-89 et qu'il lui soit enjoint de cesser toute utilisation du terme whisky pour désigner une boisson ne répondant pas à la définition de l'article 1-4 d/ de ce règlement.

Elle demandait en outre la publication de la décision dans trois journaux et 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 27 septembre 1993, le tribunal de grande instance de Mâcon a :

- dit que la marque Glen Jerby's n'est pas une marque déceptive et rejeté la demande d'annulation,

- jugé que ne sont pas établis ni actes de publicité mensongère ni concurrence déloyale et débouté la société demanderesse de sa demande de dommages-intérêts,

- constaté que la dénomination " spiritueux au whisky " contrevient aux articles 5-1 et 9 du règlement communautaire n° 1 576-89 et ordonné la cessation de l'utilisation irrégulière du terme " whisky ",

- dit n'y avoir lieu à publication du jugement.

Appelante de cette décision, la société SWA maintient que la marque Glen Jerby's a un caractère déceptif puisque le terme " Glen " est associé à l'Ecosse tandis que la dénomination Jerby's évoque nécessairement une origine anglo-saxonne. Elle réitère sa demande d'annulation et soutient que l'utilisation d'une telle marque constitue des actes de concurrence déloyale et de publicité mensongère, ce qui doit conduire à faire droit à sa demande de dommages-intérêts.

Elle conclut à la confirmation des autres dispositions du jugement et souhaite obtenir 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Mac Cain déclare en premier lieu que la commercialisation du spiritueux au whisky " Glen Jerby's " est actuellement terminée.

Elle considère que la marque ne présente aucun caractère déceptif en l'absence de correspondance nécessaire entre le préfixe " Glen " et l'Ecosse, la reproduction d'un château médiéval sur l'étiquette n'étant au surplus pas significative.

Elle soutient qu'il n'y a ni concurrence déloyale ni publicité mensongère et que la société appelante ne justifie d'aucun préjudice.

Elle fait encore valoir qu'elle a respecté la législation européenne ainsi que l'admet une note d'information du 15 novembre 1991 de la Direction de la concurrence et de la Consommation, qui autorise l'utilisation du terme whisky pour un mélange de distillat d'origine agricole et de whisky, et forme appel incident pour obtenir la réformation du jugement sur ce point.

Elle réclame 6 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société appelante invoque encore, à l'appui de son argumentation, une enquête de la Sofres qui a démontré, selon elle, que la marque Glen Jerby's est bien trompeuse. Elle ajoute que la mention sur l'étiquette de la fabrication française du produit est pratiquement illisible et relève que la cessation de la commercialisation ne fait pas disparaître son préjudice constitué par une perte de clientèle, une atteinte à l'image de marque du whisky écossais et une banalisation de noms typiquement écossais entraînant une perte de pouvoir attractif.

Elle maintient que le Règlement Communautaire n° 1 576-89 n'a pas été respecté, et déclare qu'il n'est pas démontré que la boisson litigieuse soit composée de 98 % de distillat d'origine agricole mais que même dans ce cas la mention " spiritueux au whisky " ne pourrait être utilisée, ainsi que le rappelle la communication de la Commission Européenne du 18 décembre 1991, qui contredit l'interprétation du 15 novembre 1991 invoquée.

Elle demande que toute violation de l'interdiction soit sanctionnée par une astreinte de 1 000 F et que l'arrêt soit publié dans trois journaux ou magazines de son choix.

Dans ses dernières écritures, la société Mac Cain conteste l'utilisation qui est faite du sondage de la Sofres et l'utilise pour dire que la perte de clientèle subie par les producteurs de Whisky écossais résulte de l'évolution des goûts et du comportement du consommateur et non d'une concurrence déloyale. Elle affirme que la preuve d'un lien de causalité entre son activité et le préjudice allégué n'est pas démontrée et qu'en tout état de cause, ce préjudice est hypothétique.

Motifs de la décision

1) Sur le caractère déceptif de la marque

Attendu que la SA Distillerie Bouhy, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société Mac Cain, a déposé le 13 septembre 1984 la marque Glen Jerby's, destinée à désigner un whisky ;

Attendu que l'article L. 711-3 du code de propriété intellectuelle interdit d'adopter comme marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ;

Attendu que le produit désigné par la marque Glen Jerby's n'est pas un whisky mais un spiritueux au whisky fabriqué en France, contenant 2 % de malt ;

Attendu qu'il ne peut sérieusement être soutenu que les mots " Glen " et " Jerby's " ont été choisis innocemment ou utilisés par inadvertance alors que le premier, d'origine gaélique est employé habituellement pour désigner les whiskies d'origine écossaise de qualité et que la consonance du second ne pouvait avoir pour but que de fortifier l'origine anglo-saxonne du produit ;

Que l'apposition sur une bouteille, d'apparence semblable à celles contenant du whisky écossais, d'une étiquette comportant la marque incriminée, illustrée du dessin d'un château, avait manifestement pour objet de créer dans l'esprit du consommateur avisé mais non spécialiste une confusion entre le produit proposé et un véritable whisky écossais ;

Attendu que la mention sur l'étiquette d'une élaboration du produit en France n'est pas susceptible de dissiper cette confusion, le caractère minuscule de cette inscription révélant au contraire la volonté d'attirer le client par la seule référence à une origine anglo-saxonne exprimée par la marque ;

Attendu que la société intimée soutient à tort que la marque n'est pas déceptive parce que la consonance anglaise peut suggérer aussi bien l'Irlande, le Canada ou les Etats-Unis que l'Ecosse ;

Qu'en effet le terme Glen évoque principalement, pour le consommateur français un whisky d'origine écossaise, ce qui suffit à justifier la réclamation de la société SWA, même si certains ont pu envisager une origine anglo-saxonne différente ;

Attendu que l'enquête effectuée par la Sofres, confirme cette analyse puisque 84 % des personnes auxquelles la bouteille litigieuse a été montrée, ont considéré que la boisson était du whisky tandis que 54 % ont estimé qu'elle était fabriquée en Ecosse ;

Attendu qu'il suit de là que la dénomination Glen Jerby's est de nature à tromper le public sur la provenance géographique du produit contenu dans la bouteille ;

Qu'il y a lieu dès lors de prononcer la nullité de cette marque déceptive et d'en ordonner la radiation partielle, ainsi que le demande la société appelante ;

2) Sur les actes de concurrence déloyale et de publicité trompeuse

Attendu que le fait d'utiliser pour un spiritueux au whisky fabriqué en France une marque déceptive et une étiquette fortement évocatrice d'un produit différent, de qualité supérieure, fabriqué en Ecosse, constitue une publicité de nature à induire en erreur le consommateur sur la nature, la composition et les qualités substantielles du produit, et un acte de concurrence déloyale ;

Que l'utilisation de cette marque et de cette étiquette pour ce produit ne peut d'ailleurs pas s'expliquer autrement que par la volonté de créer la confusion dans l'esprit du consommateur et d'attirer sur un produit de faible qualité celui qui n'est pas un connaisseur attentif mais qui recherche un whisky d'origine écossaise;

Attendu qu'ainsi qu'il l'a été dit précédemment, le caractère difficilement lisible de la mention relative à l'élaboration du produit en France confirme encore la volonté de confusion;

Que la publicité mensongère et les actes de concurrence déloyale doivent être retenus ; qu'ils ont entraîné pour les producteurs de whisky écossais, représentés par la société SWA, un préjudice qui doit être indemnisé, même s'il a en grande partie pris fin à la suite de la cessation de la commercialisation du spiritueux litigieux ;

Attendu que ce préjudice résulte d'une part de la perte de clientèle qui est démontrée par les documents versés aux débats révélateurs d'une diminution des ventes de whisky écossais ; que la société Mac Cain n'est évidemment pas responsable de la totalité de cette perte mais doit s'en voir imputer une partie, les éléments versés aux débats, et notamment plusieurs décisions juridictionnelles (tribunal de commerce de Charolles 4 octobre 1994 - tribunal de Mâcon 27 juillet 1993) démontrant que cette société a été sanctionnée à plusieurs reprises pour des agissements semblables ;

Attendu que le préjudice est encore constitué par une atteinte à l'image de marque du whisky écossais, dont risquent de se détourner les clients ayant requis le spiritueux au whisky " Glen Jerby's " en pensant se procurer un véritable whisky de qualité ;

Attendu enfin que la commercialisation de spiritueux sous des marques à connotation écossaise contribue à banaliser le whisky écossais et à lui faire perdre son caractère attractif, ce qui constitue également un préjudice certain ;

Qu'en tout état de cause la déloyauté concurrentielle et les agissements parasitaires de la société Mac Cain sont générateurs d'un trouble commercial et doivent être sanctionnés ;

Qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la somme de 50 000 F doit être accordée à la société appelante ; qu'il doit être ordonné à la société Mac Cain, en tant que de besoin, de cesser ses agissements ;

3) Sur la violation du règlement communautaire

Attendu que le tribunal a exactement rappelé les dispositions de l'article 1-4 b/ du Règlement n° 1 576-89 du 29 mai 1989, établissant les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses ;

Attendu que, selon l'article 5-1 du Règlement : " Sans préjudice des dispositions prises en application de l'article 6, les dénominations visées à l'article 1er paragraphe 4 sont réservées aux boissons spiritueuses qui y sont définies, compte tenu des exigences prévues aux articles 2, 3, 4 et 12. Ces dénominations doivent être utilisées pour les désigner ;

Les boissons spiritueuses qui ne répondent pas aux spécifications arrêtées pour les produits définis à l'article 1er paragraphe 4 ne peuvent pas recevoir les dénominations qui y sont retenues. Elles doivent être dénommées " boissons spiritueuses " ou " spiritueux ".

Que l'article 9 précise enfin que les boissons spiritueuses qu'il énumère, et notamment le whisky, lorsqu'elles sont additionnées d'alcool éthylique d'origine agricole, ne peuvent pas porter dans leur présentation sous quelque forme que ce soit, le terme générique réservé aux boissons précitées " ;

Attendu que la société Mac Cain soutient que la boisson Glen Jerby's est un mélange de distillat d'origine agricole et de whisky et invoque une note d'information établie le 25 novembre 1991 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, selon laquelle l'interdiction de l'article 9 ne s'applique pas lorsqu'il s'agit d'un mélange de distillat d'origine agricole et de whisky ;

Mais attendu que cette société a toujours présenté un produit comme un mélange de 2 % de malt importé et d'alcool (et non de distillat) d'origine agricole ;

Qu'il s'agit de deux produits différents, définis respectivement par l'article 1-3-h et 1-3 i du Règlement n° 1 576-89, si bien que la société appelante ne peut, à son gré, substituer l'un à l'autre ;

Qu'au surplus une communication de la Commission Européenne en date du 18 décembre 1991 a clairement affirmé que le mélange du whisky et d'alcool éthylique d'origine agricole, qu'il corresponde ou non à la définition donnée à l'article 1-3-h, ne peut en aucun cas comporter le terme whisky dans sa présentation, sous quelque forme que ce soit, même sous forme de " spirituel au whisky ", la seule dénomination acceptable étant " boisson spiritueuse " ou " spiritueux " ;

Attendu que le jugement mérite dès lors confirmation sur ce point ;

Qu'il est nécessaire d'ajouter à l'interdiction prononcée une astreinte de 1 000 F par infraction constatée ;

Attendu que le présent arrêt devra être publié dans trois journaux ou magazines du choix de la société SWA, aux frais de la société Mac Cain, sans que le coût de chaque insertion puisse être supérieur à 10 000 F ;

Attendu que la société appelante doit enfin recevoir une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que la société intimée, qui succombe, ne peut prétendre bénéficier de cet article ;

Par ces motifs :

LA COUR : Réformant pour partie le jugement entrepris, Dit que la dénomination Glen Jerby's utilisée pour désigner un " spiritueux au whisky " élaboré en France et composé d'alcool d'origine agricole et de 2 % de malt importé, est déceptive ; Prononce en conséquence la nullité de la marque Glen Jerby's enregistrée sous le numéro 1284600 et ordonne la radiation partielle de cette marque sur simple présentation d'une expédition du présent arrêt passé en force de chose jugée ; Dit que la société Mac Cain Sunnyland a commis des actes de publicité mensongère et de concurrence déloyale et la condamne en conséquence à verser à la société The Scotch Whisky Association la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ; Interdit à la société Mac Cain Sunnyland d'apposer à quelque titre que ce soit, sur toute étiquette, bouteille ou emballage de spiritueux autre que du whisky écossais le nom Glen Jerby's, et ce, dans les huit jours de la signification du présent arrêt sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée ; Confirme les dispositions du jugement relatives à la violation du Règlement Communautaire n° 1 576-89 ; Ajoutant, Dit que toute utilisation du terme " whisky " par infraction aux articles 1-4 b 5-1 et 9 du Règlement Communautaire n° 1 576-89 sera sanctionnée par une astreinte de 1 000 F ; Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, dans trois journaux ou magazines du choix de la société SWA, aux frais exclusifs de la société Mac Cain Sunnyland France, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 1 000 F ; Condamne la société Mac Cain Sunnyland France à payer à la société The Scotch Whisky Association la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La condamne aux dépens d'instance et d'appel.