CA Paris, 4e ch. B, 15 décembre 1994, n° 92-12372
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
France Télécom (SA)
Défendeur :
Girard (ès qual.) ; Elypse (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
Me Baufume, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, Avocats : Mes Lauret, Potot.
France Télécom a interjeté appel d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris, le 9 mars 1992, par lequel elle a été déboutée de sa demande en concurrence déloyale introduite à l'encontre de la société Elypse ;
La Cour fait siennes les circonstances de fait qui ont été exactement exposées par les premiers juges ; il convient seulement de rappeler que France Télécom fait grief à Elypse d'avoir dans le cadre d'une campagne de commercialisation d'un télécopieur " Intelcom " utilisé des arguments publicitaires relevant du dénigrement notamment dans une lettre circulaire du 10 janvier 1991 alors qu'elle même en novembre et décembre 1990, avait procédé à d'importantes campagnes publicitaires destinées à promouvoir ses nouveaux services et matériels de télécopie ;
France Télécom demande d'infirmer la décision ; elle reproche aux premiers juges, d'une part, d'avoir méconnu les dispositions des articles 5, 6, 7 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile s'étant essentiellement penchés sur l'organisme de France Télécom et sur les mérites de la procédure d'agrément préalable des matériels de télécopie, tous éléments qui n'étaient pas l'objet du débat et d'autre part, d'avoir rejeté sa demande en concurrence déloyale sans motivation précise ;
Elle sollicite en conséquence, d'ordonner la cessation de tout acte de concurrence déloyale, d'ordonner le retrait et la destruction à ses frais des documents publicitaires en date du 10 janvier 1991 et de tout document et message publicitaire, sous astreinte, de condamner Elypse à payer la somme de 300 000 F à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice commercial subi par France Télécom et du préjudice résultant de l'atteinte portée à son nom et à son image ainsi que paiement de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; elle conclut enfin au débouté d'Elypse de toutes ses demandes et sollicite la publication de la décision ;
Elypse conclut à la confirmation du jugement excepté sur le montant des dommages intérêts pour procédure abusive ; formant appel incident de ce chef, elle sollicite paiement de 50 000 F à titre de dommages intérêts et 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
La SNC Elypse a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire du 25 novembre 1993 ; son liquidateur, Maître Girard, assigné en intervention, a demandé que lui soit adjugé le bénéfice des conclusions précédemment signifiées par Elypse.
Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel ;
Considérant que s'il est exact que les premiers juges ont examiné avec une grande attention le statut de France Télécom et la procédure d'agrément des appareils de télécopie, cette analyse n'a pas eu d'incidence sur le bien fondé de la demande en concurrence déloyale ; qu'en effet, il n'a pas été discuté tant en première instance que devant la Cour que les deux entreprises commercialisant toutes deux des appareils de télécopie, étaient en concurrence ; que le moyen tiré de l'irrespect par le Tribunal des dispositions susvisées du Nouveau Code de Procédure Civile, à le supposer exact est inopérant, n'ayant aucune incidence sur l'examen du bien fondé de la demande en concurrence déloyale qui repose sur des propos dénigrants tenus dans la lettre circulaire du 10 janvier 1991 et des documents publicitaires annexes ;
Considérant que les premiers juges ont à bon droit estimé que les mentions de la lettre circulaire du 10 janvier 1991 portant sur une comparaison de prix ne comportent aucun terme diffamatoire, malveillant ou assimilable à du dénigrement ; qu'en effet, il est seulement souligné que l'appareil commercialisé par Elypse, est non agréé selon la norme française et qu'elle s'engage en conséquence à reprendre les télécopieurs Intelcom si " vous rencontrez le moindre problème avec l'administration française de télécommunications (France Télécom) " ; que les mentions suivantes ne contiennent que des éléments d'information pour le consommateur : " Rappelons qu'il existe des appareils rigoureusement identiques - intérieurement et extérieurement - affichant clairement la même marque et dont le prix diffère de 3 à 4 000 F HT selon qu'ils ont ou non l'étiquette verte de France Télécom " ; " France Télécom n'intervient, à juste titre, qu'en cas d'utilisation répétée du matériel perturbant et détériorant les lignes téléphoniques (rappelons que les lignes restent la propriété de l'Etat, l'utilisateur n'a aucun droit à les détériorer). La norme européenne veille à ce qu'aucune perturbation ne soit possible. Mais pour les télécopieurs ayant seulement l'agrément européen, France Télécom ne perçoit pas 1 F sur les appareils vendus ") ;
Considérant que c'est en revanche à tort que les premiers juges ont estimé que " les autres textes où le nom de France Télécom n'était pas cité relèvent de la publicité commerciale banale et cherchent à mettre en valeur les avantages et services offerts sans que les termes employés, prudents et vagues, ne visant aucun concurrent en particulier, s'écartent du style communément pratiqué dans ce type de littérature " ;
Qu'en effet, dans le libellé de ces passages " les vendeurs de matériels agréés, beaucoup plus chers, essaient bien de faire peur à chacun mais plus personne n'est dupe " " il est préférable de ne pas acheter à un revendeur de matériels téléphoniques qui vend de la télécopie mais dont l'activité d'origine est différente ; il ne s'agit pour lui que d'une activité accessoire. Ses compétences ne pourront être que limitées ", " la proximité d'un tel revendeur rassure mais ce qui est vraiment important, c'est être efficace ; la convivialité n'a pas le droit de servir à faire accepter des compétences trop moyennes ", même si France Télécom n'est pas citée, sa désignation est transparente; qu'il est, en effet, fait référence aux termes repris par cette société dans sa publicité (la proximité, la convivialité) ce qui permet d'identifier parfaitement la personne visée et d'autant plus facilement que son nom est cité dans cette même lettre ;
Considérant qu'ainsi,en indiquant que les prestations fournies par France Télécom étaient plus chères et moins efficaces, parlant systématiquement de compétences limitées ou moyennes, Elypse a donné des informations malveillantes de nature à jeter le discrédit sur un concurrent ; que ces propos dénigrants sont constitutifs de concurrence déloyale; que la décision sera donc infirmée ;
Considérant que France Télécom ne justifie d'aucun préjudice commercial résultant de ces actes, que ces propos ont cependant porté atteinte à son nom et à son image ; que le préjudice résultant de cette atteinte sera réparé par l'allocation de la somme de 50 000 F et par la publication de la décision dans les termes de dispositif ci-dessous énoncé compte tenu du prononcé de la liquidation judiciaire et France Télécom justifiant de sa déclaration de créance ;
Considérant qu'il convient en outre, de faire droit aux mesures d'interdiction et de retrait des documents revêtus des mentions incriminées dans les termes du dispositif ci-après indiqué ;
Considérant qu'Elypse qui succombe sera déboutée de sa demande en procédure abusive ;
Considérant qu'il échet en équité d'allouer à France Télécom la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs, Infirme la décision, Dit France Télécom bien fondée en sa demande en concurrence déloyale, Vu le prononcé de la liquidation judiciaire de la SNC Elypse, Fixe la créance de France Télécom à la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts, Ordonne à Maître Girard, es qualité de cesser tout acte de concurrence déloyale, Ordonne à Maître Girard es qualité de retirer et détruire, aux frais de la liquidation judiciaire, les documents publicitaires en date du 10 janvier 1991 et de tout document et message publicitaire contenant les propos dénigrants, quel que soit le support utilisé sous astreinte de 500 F par jour de retard passé le délai de deux mois de la signification du présent arrêt, Ordonne la publication de la présente décision dans trois quotidiens aux choix de l'appelante aux frais du liquidateur, ès qualité, dans la limite globale de 30 000 F TTC, Condamne Maître Girard, ès qualité, au paiement de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Le condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Autorise Maître Baufume, avoué, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toutes autres demandes.