CA Paris, 5e ch. C, 15 décembre 1994, n° 93-22187
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dolimag France (SARL), Alvie France (SARL), Association Médicale Kousmine, Fondation du Docteur Kousmine (Sté)
Défendeur :
Provence Régime (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Couderette
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
Me Ribaut, Me Olivier, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
SCP Franc-Valluet, Me Denel.
La société Provence-Régime a fabriqué et commercialisé des huiles vierges de première pression à froid, de tournesol notamment.
Le Docteur Kousmine-Meyer, spécialiste en la matière, a écrit des ouvrages de diététique et d'hygiène recommandant l'usage de l'huile vierge de tournesol, ordinaire ou biologique.
La Fondation Docteur Catherine Kousmine a été créée pour faire connaître les travaux de sa fondatrice.
Est née ensuite l'Association médicale Kousmine s'adressant dans le même but aux médecins.
La société Alvie-France commercialise sous sa marque une huile de tournesol fabriquée par l'huilerie Vigeau, qui est distribuée aux commerçants par la société Dolimag.
C'est cette huile qui a fait l'objet en 1988 et 1989 d'une publicité particulière à l'initiative du docteur Kousmine relayée par la fondation et l'association médicale de même nom, ainsi que par les sociétés Alvie et Dolimag.
Se prétendant lésée dans ses activités par cette concurrence et invoquant les agissements déloyaux et fautifs de ses auteurs qui auraient dénigré ses produits et fait usage de publicité mensongère et comparative à son encontre, la société Provence-Régime a par exploits des 26 juillet et 19 août 1990 fait assigner le Docteur Kousmine, l'Association Médicale Kousmine, la Fondation Kousmine, la société Alvie et la société Dolimag en paiement d'une somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts outre intérêts et application de l'article 1154 du Code Civil, au prononcé de mesures d'interdiction sous astreinte et de mesures de publication, au paiement d'une idemnité de 50 000 F pour frais irrépétibles.
Les sociétés Alvie et Dolimag ont conclu au débouté de la société Provence-Régime et formé à son encontre une demande de dommages-intérêts pour le préjudice matériel et moral résultant des accusations portées à leur encontre, ainsi qu'une demande d'expertise.
L'Association Médicale Kousmine a conclu à sa mise hors de cause et sollicité une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le Docteur Kousmine et la Fondation du Docteur Kousmine n'ont pas comparu.
Par jugement réputé contradictoire du 20 mars 1991 le Tribunal de Grande Instance de Paris a déclaré la société Provence-Régime bien fondée en sa demande de concurrence déloyale dirigée contre tous les défendeurs, a condamné ceux-ci in solidum à lui payer en réparation du préjudice causé une somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts, a interdit aux mêmes défendeurs tout dénigrement des produits de Provence-Régime un mois après la signification du jugement sous astreinte de 500 F par infraction constatée et avec exécution provisoire, a ordonné la publication du jugement dans cinq revues au choix de la demanderesse sans que le coût total des insertions dépasse 50 000 F, a débouté les sociétés Alvie et Dolimag de leur demande reconventionnelle, a condamné les défendeurs in solidum à verser à Provence-Régime une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700, a débouté les défendeurs de semblable demande et les a condamnés in solidum aux dépens.
Les sociétés Dolimag et Alvie ont régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision.
Elles concluent à l'infirmation du jugement et au débouté de la société Provence-Régime, ainsi qu'à la condamnation de cette dernière au paiement de un franc de dommages-intérêts pour dénigrement, de un franc de dommages-intérêts pour publicité mensongère, de 100 000 F de dommages-intérêts pour le préjudice causé par la publicité donnée au jugement non définitif et de 10 000 F sur le fondement de l'article 700.
Régulièrement assignées puis réassignées dans les formes légales le docteur Kousmine et l'Association médicale Kousmine n'ont pas comparu. Maître Olivier s'est constitué pour la Fondation Kousmine mais n'a pas conclu. Il sera statué en conséquence par arrêt réputé contradictoire.
La société Provence-Régime a demandé acte de la transaction conclue entre elle et l'Association Médicale Kousmine et a formé pour le surplus un appel incident, après avoir signifié régulièrement ses conclusions au docteur Kousmine et à la Fondation Kousmine, concluant à la confirmation du jugement sur le plan des principes avec élévation à 1 500 000 F du montant des dommages-intérêts et à 50 000 F de l'indemnité de l'article 700 qui lui ont été accordés.
Le Docteur Kousmine est décédée le 24 août 1992 et la procédure a été retirée du rôle par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 24 juin 1993.
Elle a été réinscrite à la demande des sociétés Alvie et Dolimag qui ont demandé la disjonction en ce qui concerne la partie de la procédure intéressant le docteur Kousmine ou ses héritiers, ce qui a été accepté par la société Provence-Régime.
Par ordonnance du 14 janvier 1994 le Conseiller de la mise en état a ordonné la disjonction de l'instance concernant le docteur Kousmine-Meyer et dit que la Cour restait saisie de l'appel formé par les sociétés Alvie et Dolimag à l'encontre de la société Provence-Régime, de l'Association Médicale Kousmine et de la Fondation du Docteur Catherine Kousmine.
C'est en cet état qu'une ordonnance de clôture a été rendue le 21 octobre 19994 après que la société Provence-Régime ait déposé de nouvelles conclusions demandant le bénéfice de ses conclusions antérieures.
Considérant qu'il y a lieu de donner acte à la société Provence-Régime de ce qu'elle déclare avoir transigé avec l'Association Médicale Kousmine, ce qui implique qu'il n'y a plus lieu de statuer entre ces deux parties. Et qu'eu égard à la disjonction de la procédure concernant le docteur Kousmine et ses héritiers, la Cour n'a à se prononcer que sur l'appel principal des sociétés Alvie et Dolimag et sur l'appel incident de la société Provence-Régime vis à vis d'Alvie, de Dolimag et de la Fondation Kousmine.
Considérant qu'il est établi par les documents versés au débat et qu'il a été exactement analysé par les premiers juges, d'une part que le docteur Kousmine a adressé à ses " élèves " des lettres circulaires diffusées par l'Association Médicale Kousmine indiquant que la meilleure huile vierge de tournesol est distribuée par Alvie France et que toutes les autres, dont celle de Provence-Régime pourtant présentée comme numéro 2, sont pressées à une température trop élevée ce qui rend la vitamine F fragile et contiennent des traces de solvant organique - et d'autre part que la société Alvie-France se disant mandatée par la Fondation Kousmine et la société Dolimag ont précisé ces éléments à des commerçants détaillants, notamment de Villeuneuve sur Lot et Montpellier, qui cherchaient à acquérir une huile de tournesol vierge.
Que le Tribunal a exactement déduit de ces éléments de fait que les caractéristiques de la concurrence déloyale étaient établies.
Que sans doute, ainsi que le soutiennent les sociétés Alvie et Dolimag, la libre critique est ouverte dans le domaine scientifique et on ne peut reprocher à quiconque de mettre en valeur les qualités intrinsèques du produit qu'il commercialise ou qu'il recommande.
Mais que les faits établis à l'encontre des sociétés Alvie et Dolimag comme à l'encontre de la Fondation Kousmine révèlent que les agissements qui leur sont reprochés avaient pour finalité de détourner les commerçants acquéreurs de l'huile Provence-Régime au bénéfice de l'huile Alvie.
Que c'est par conséquent à bon droit que leur responsabilité a été retenue en ce sens.
Considérant qu'une autre méthode employée au détriment de la société Provence-Régime a consisté à diffuser auprès de la clientèle des éléments de comparaison, sinon expressément mensongers, au moins dépourvus de toute valeur probante, toujours dans le but de favoriser la diffusion de l'huile Alvie au détriment de celle de Provence-Régime.
Que c'est ainsi qu'il a été indiqué dans des correspondances ou sur les emballages que l'huile Provence était pressée à trop haute température, que l'huile Alvie n'était pas préchauffée ce qui laissait supposer que l'autre l'était ou était pressée à moins de 40 ou de 50 ° ce qui impliquait que l'autre devait l'être à une température supérieure.
Qu'enfin la diffusion par Alvie d'une publicité comparative la situant en première position et Provence-Régime seulement en numéro deux procède du même esprit de concurrence déloyale, alors surtout que les analyses invoquées n'ont pas été contradictoires et n'offrent aucune garantie de véracité.
Considérant que le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a déclaré bien fondée l'action de la société Provence-Régime en concurrence déloyale à l'encontre d'Alvie, de Dolimag et de la Fondation Kousmine.
Considérant que les sociétés Alvie et Dolimag font de leur côté grief à la société Provence-Régime d'actes de dénigrement et de publicité mensongère.
Qu'il est exact que la société Provence-Régime a envoyé à ses clients des dossiers expliquant sa façon de travailler, en ajoutant " contrairement à la Fondation Kousmine et à la marque Alvie muette en la matière ".
Maisqu'il s'agissait en l'espèce d'une réponse et d'une défense aux actes reprochés à ses concurrents et dûment établis.
Que l'attitude de la société Provence-Régime ne peut être considérée comme fautiveet que c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté les sociétés Alvie et Dolimag de leur demande reconventionnelle fondée sur le dénigrement ainsi que de leur demande subsidiaire d'expertise.
Qu'il n'est pas établi davantage à la charge de Provence-Régime des faits de publicité mensongère et que les sociétés Alvie et Dolimag seront également déboutées de leur demande de dommages-intérêts fondée sur cet élément.
Considérant qu'en cause d'appel les sociétés Alvie et Dolimag font encore grief à Provence-Régime d'un acte supplémentaire de dénigrement ayant consisté à faire paraître dans un journal professionnel un extrait du jugement frappé d'appel.
Que le fait est exact, maisqu'il n'est pas démontré que ledit jugement, d'ailleurs partiellement assorti de l'exécution provisoire en ce qui concerne l'interdiction faite aux sociétés Alvie et Dolimag de poursuivre leurs agissements, ait été présenté de manière tronquée de façon à nuire et porter préjudice aux deux sociétés justement condamnées par ailleurs.
Que de chef supplémentaire les sociétés Alvie et Dolimag doivent être déboutées comme elles l'ont été précédemment.
Considérant, sur le préjudice invoqué, que les premiers juges en ont fixé la réparation au chiffre de 300 000 F en retenant que la société Provence-Régime a connu une perte sur la vente des huiles vierges entre les années 1988 et 1989 ; et que la chute du chiffre d'affaires correspondant coïncidait avec la campagne de dénigrement dont elle avait été victime.
Que la société Provence-Régime estime que ce préjudice a été sous-évalué, qu'il s'est poursuivi après 1989 et porte sa demande à la somme de 1 500 000 F.
Que par contre les sociétés Alvie et Dolimag soutiennent que la preuve d'un lien de causalité n'est pas rapportée, que les chiffres ne sont pas justifiés et qu'il y a confusion entre chiffre d'affaires et bénéfice, concluant au rejet de toute indemnisation.
Considérant que les faits de concurrence déloyale dont les sociétés Alvie et Dolimag comme aussi la Fondation Kousmine se sont rendues coupables se situent dans le courant de l'année 1989 suite à la lettre circulaire du docteur Kousmine de décembre 1988.
Qu'il convient donc de rechercher si les résultats de Provence-Régime dans le domaine de la vente des huiles de tournesol vierge ont régressé par rapport à ce qu'ils étaient en 1988.
Que les documents produits révèlent une chute modeste en matière de tournesol vierge et une chute plus importante en matière de tournesol bio, mais pour cette dernière huile avec la particularité qu'il y a d'abord eu une augmentation en 1989.
Qu'il s'en déduit que la concurrence déloyale n'a pas eu un effet immédiat sur les résultats de ventes mais un effet différé avec un an de retard, les chiffres de 1991 étant pratiquement analogues à ceux de 1990.
Que sans doute comme le soulignent les sociétés Alvie et Dolimag l'évolution de la vente des huiles de tournesol par la société Provence-Régime peut avoir subi d'autres aléas que la concurrence déloyale exercée par le groupe Kousmine, mais que les éléments de fait ci-dessus rappelés sont insuffisants pour conclure à l'existence d'un lien de causalité entre la concurrence déloyale et l'évolution du chiffre d'affaires après 1988, alors qu'aucun autre élément de régression n'est invoqué pour les combattre.
Qu'il est évident d'autre part que l'appréciation du préjudice est davantage basée sur la perte d'un bénéfice que sur celle d'un chiffre d'affaires.
Qu'en retenant un chiffre de 300 000 F les premiers juges ont tenu compte de l'ensemble des aléas existants et qu'il convient de confirmer leur appréciation qui se recoupe avec l'ensemble des documents fournis et en particulier les documents fiscaux.
Considérant que la société Provence-Régime fait également valoir que pour rétablir son image de marque auprès de sa clientèle elle a dû accroître considérablement ses dépenses de publicité, d'où un préjudice supplémentaire.
Qu'elle présente un tableau comparatif selon lequel les frais en question, qui étaient de l'ordre de 400 000 F en 1988 et 1989, auraient atteint et même dépassé 500 000 F en 1990 et 1991.
Mais que l'évolution d'une publicité répond à d'autres normes qu'à celles invoquées en l'espèce et que surtout il n'est versé au débat aucun document qui permette d'établir la réalité des frais dont s'agit.
Que ce chef de préjudice ne peut donc être retenu et que la condamnation in solidum d'Alvie, de Dolimag et de la Fondation Kousmine sera confirmée à la somme de 300 000 F seulement.
Que s'agissant de dommages-intérêts, les intérêts au taux légal ne peuvent courir sur cette somme qu'à compter de la décision constitutive de droit et que les conditions d'application de l'article 1154 du Code Civil ne sont pas réunies.
Que seront également confirmées l'interdiction à peine d'astreinte de toute pratique déloyale de dénigrement des produits Provence-Régime et la publication de la décision dans cinq revues au choix de Provence- Régime sans que le coût total des insertions dépasse 50 000 F.
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Provence-Régime les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits. Qu'elle s'est vue allouer à juste titre une indemnité compensatrice de 10 000 F par les premiers juges, mais que les frais dont s'agit se trouvent accrus en raison de l'appel infondé des sociétés Alvie et Dolimag et qu'il convient de condamner ces sociétés au versement d'une indemnité supplémentaire de 5 000 F.
Considérant que les sociétés Alvie et Dolimag, qui succombent dans leur recours et seront condamnées aux dépens d'appel, ne peuvent prétendre à une indemnité pour frais irrépétibles.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, Reçoit l'appel principal des sociétés Alvie et Dolimag et l'appel incident de la société Provence-Régime, Statuant dans la limite de ces appels, Constate la disjonction de la procédure concernant le docteur Kousmine et ses héritiers, Donne acte à la société Provence-Régime de ce qu'elle a transigé avec l'Association Médicale Kousmine, Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 20 mars 1991 dans toutes ses dispositions en ce qu'elles concernent les sociétés Alvie et Dolimag et la Fondation du Docteur Kousmine, Y ajoutant, déboute les sociétés Alvie et Dolimag de leurs demandes de dommages-intérêts sur lesquelles il n'a pas été statué par les premiers juges, ainsi que de leur demande l'indemnité pour frais irrépétibles devant la Cour, Déboute la société Provence-Régime de tous chefs de demandes plus amples ou contraires à la motivation du présent arrêt, Condamne les sociétés Alvie et Dolimag à verser à la société Provence-Régime une indemnité supplémentaire de 5 000 F au titre de ses frais d'appel non compris dans les dépens, Les condamne aux dépens d'appel et autorise Maître Ribaut avoué à poursuivre les recouvrement de ceux qu'il a exposés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.