Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 12 décembre 1994, n° 2107-93

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Atempo (SARL), Bouton

Défendeur :

Omeifra Toulouse Inter Services (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Lebreuil, Milhet

Avoués :

SCP Rives Podesta, Me de Lamy

Avocats :

Mes Galvez, Costes.

T. com. Toulouse, du 24 mars 1993

24 mars 1993

Gilbert Bouton est entré dans la société Toulouse Inter Services, qui exerce une activité de travail temporaire, le 1er juin 1974.

Après être devenu gérant salarié, puis directeur d'agence, G. Bouton démissionne de ses fonctions par lettre du 18 octobre 1990. Sa démission prit effet le 31 décembre suivant.

Par acte d'huissier en date du 8 septembre 1992, la société Omeifra Toulouse Inter Services ci-après dénommée Omeifra TIS assignait G. Bouton et la société de travail temporaire qu'il avait créée - la SARL Atempo - devant le Tribunal de Commerce de Toulouse, afin que cette juridiction constate que ces derniers s'étaient livrés à des actes de concurrence déloyale (débauchage de salariés et détournement de clientèle) qui justifiaient l'octroi de dommages-intérêts pour un montant de 819.000 F.

Par jugement en date du 24 mars 1993, le Tribunal de Commerce jugeait que G. Bouton " avait soigneusement préparé son départ " et que ses agissements étaient constitutifs d'actes de concurrence déloyale.

G. Bouton et la SARL Atempo étaient condamnés à payer à la société Omeifra TIS la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Prétentions et moyens des appelants

G. Bouton soutient d'abord n'être lié à son ancien employeur par aucune clause de non-concurrence, et ensuite qu'aucun manquement ne peut lui être reproché sur le fondement de l'article 1382 et 1383 du Code civil.

Il ajoute que les mouvements de clientèle dénoncés par la société intimée ne résultent que du jeu normal de la concurrence sans que puisse lui être reproché un quelconque acte de détournement.

Les appelants concluent en conséquence à la réformation du jugement et réclament 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Prétentions et moyens de la société intimée

La société Omeifra TIS fait valoir :

- que les parties étaient liées par une clause de non-concurrence,

- qu'à supposer qu'aucune clause ne les ait liés, des actes déloyaux peuvent être relevés tels le débauchage de salariés, le détournement de clientèle.

Elle insiste sur la rapidité de la constitution de la société Atempo (1er janvier 1991) alors que G. Bouton était lié à son ancien employeur jusqu'au 31 décembre 1990 et sur la nécessaire absence de loyauté pendant le préavis.

Elle estime qu'elle établit le lien de causalité entre les actes déloyaux et le préjudice qu'elle a subi et réclame la somme de 819.000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que 40.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Sur quoi, LA COUR :

Attendu sur le fondement juridique de la demande formée par la société Omeifra TIS, que les parties n'étaient liées par aucune clause de non-concurrence puisqu'il est établi par les pièces de la procédure que G. Bouton n'avait pas signé le nouveau contrat qui lui avait été proposé le 22 mars 1990, et qui envisagerait une telle disposition ;

Attendu que l'action engagée par la société intimée ne peut donc avoir un fondement contractuel, et se trouve donc régie exclusivement par les articles 1382 et 1383 du Code civil ;

Attendu que les éléments constitutifs de l'action en concurrence déloyale sont ceux de la responsabilité civile et qu'il convient donc d'examiner si la société intimée établit l'existence d'un fait générateur de responsabilité, un préjudice et un lien de causalité entre un tel fait et le dommage ;

Attendu au fond qu'il est de principe que la liberté du travail et de la concurrence autorisent un salarié qui recouvre son indépendance à la fin de son contrat de travail, de s'établir à son propre compte pour exercer une activité similaire s'il n'est pas lié par une clause contractuelle de non-concurrence;

Attendu en l'espèce que G. Bouton a créé la société Atempo dont l'activité de travail temporaire est identique à celle de la société Omeifra TIS, immédiatement après la fin des relations contractuelles ; que la simple constatation de la concomitance de ces faits ne suffit pas, en l'absence de tous autres éléments, à établir l'existence de manœuvres déloyales constitutives d'une faute;

Que de même ne peuvent être qualifiés d'agissements contraires aux usages commerciaux le simple fait d'aviser une clientèle de son départ et de la création d'une nouvelle société alors que cette clientèle est libre de choisir l'entreprise avec laquelle elle veut travailler;

Qu'enfin, la société intimée n'établit pas plus que des salariés intérimaires aient mis fin à leur contrat avant son terme et ce sous la pression de la société Atempo, alors qu'il n'est pas contraire aux usages de la profession que des salariés aient des relations contractuelles avec plusieurs sociétés fournisseurs d'emplois ;

Attendu en conséquence qu'il ne peut être reproché à G. Bouton d'avoir décidé de mettre la compétence et l'expérience qu'il avait acquis auprès de son ancien employeur, à son seul service et pour son seul bénéfice, dès lors que son installation ne s'est entourée d'aucun acte fautif mais s'est seulement manifestée par un service licite et sans concession d'une concurrence normalement admise par les usages du commerce ;

Attendu dans ces conditions sur le jugement querellé sera réformé et que la société Omeifra TIS sera déboutée de ses prétentions ;

Attendu enfin sur la demande de dommages-intérêts que le droit d'agir en justice ne peut donner lieu au paiement de dommages-intérêts que s'il est exercé dans l'intention de nuire, c'est-à-dire s'il dégénère en abus de droit ; que tel n'est pas le cas de l'espèce ; que les appelants seront donc déboutés de leur réclamation à ce titre ;

Attendu que l'équité commande qu'il soit fait application, dans son principe à la demande des appelants au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Par ces motifs : LA COUR : Déclare Gilbert Bouton et la SARL Atempo recevables et bien fondés en leur appel ; Réforme la décision déférée et statuant à nouveau : Déboute la société Omeifra Toulouse Inter Services de ses demandes ; Déboute G. Bouton et la société Atempo de leur demande en dommages-intérêts ; Condamne la société Omeifra Toulouse Inter Services à payer à G. Bouton et à la société Atempo la somme de 10.000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ; Et condamne la société Omeifra Toulouse Inter Services aux entiers dépens de l'instance donc distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Rives Podesta, avoués.