CA Colmar, 2e ch. civ., 18 novembre 1994, n° 240-91
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Garage Franco Suisse (SARL)
Défendeur :
Garofalo
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Samson
Conseillers :
Mmes Sanvido, Gebhardt
Avocats :
Mes Heichelbech, Schneider, Richard, d'Ambra, Boucon, Wolf.
Faits et procédure
En juin 1988, Joseph Garofalo, propriétaire du garage Auto-Land à Altkirch a obtenu un contrat d'agent de la marque automobile japonaise " Nissan ". En l'espace d'un an, il a vendu une cinquantaine de véhicules neufs ou d'occasion fournis par le concessionnaire, la société Garage Franco-Suisse à Hesingue.
Les relations entre les deux garages se sont détériorées. Le concessionnaire a fait paraître dans l'édition du dimanche 21 janvier 1990 des deux journaux locaux, les " Dernières Nouvelles d'Alsace " et " L'Alsace ", l'encart publicitaire suivant :
EMPLACEMENT TABLEAU
N'ayant pas été avisé officiellement de la résiliation de son contrat d'agent, Joseph Garofalo a réagi en faisant publier un rectificatif à une date qui n'a pas été précisée.
Le 7 février 1990, il a assigné la société Garage Franco-Suisse en concurrence déloyale et a réclamé la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.
Le 31 mars 1990, Joseph Garofalo a fermé son garage et a procédé à une liquidation sans dépôt de bilan.
Par jugement du 10 décembre 1990, la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Mulhouse a constaté que la société Garage Franco-Suisse avait commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de Joseph Garofalo et l'a condamnée à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'un montant de 4 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le 18 janvier 1991, la société Garage Franco-Suisse a interjeté appel de cette décision.
Prétentions et moyens des parties
La société Garage Franco-Suisse conclut à l'infirmation du jugement entrepris et réclame reconventionnellement la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'un montant de 3 000 F en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle conclut également au rejet de la demande de Joseph Garofalo.
Elle fait valoir que la publication litigieuse était nécessaire en raison du comportement même de Joseph Garofalo qui n'utilisait pas les pièces d'origine lors des réparations faisant ainsi perdre la garantie Nissan aux clients. Elle estime n'avoir commis aucune faute mais au contraire n'avoir fait que son devoir de concessionnaire agréé en informant la clientèle du retrait de la qualité d'agent du garage Auto-Land.
Elle produit un constat d'huissier du 7 mars 1990 selon lequel le garage Auto-Land continuait à utiliser la qualité d'agent Nissan perdue depuis janvier 1990.
Elle conteste tout préjudice et fait remarquer que la fermeture du garage résulte plutôt des carences de Joseph Garofalo.
Joseph Garofalo, quant à lui, a formé appel incident et réclame à nouveau la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'un montant de 4 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Il conclut au rejet de l'appel principal.
Il indique qu'à la suite d'irrégularités dans le paiement de ses commissions, il a demandé en décembre 1989 une vérification des comptes par un inspecteur de la marque et que le concessionnaire a réagi en faisant paraître les annonces publicitaires incriminées. Il souligne qu'un seul client s'était plaint en octobre 1988 auprès de l'importateur.
Il déclare qu'il n'a été informé officiellement de la rupture du contrat d'agent que par la lettre du concédant, la société Richard Nissan, du 3 mai 1990. Il était donc, selon lui, parfaitement en droit de maintenir le panonceau Nissan.
Il affirme que le dénigrement l'a privé de sa clientèle en laissant entendre que le retrait de la marque était la sanction de fautes.
Motifs de l'arrêt
Comme le rappelle le jugement, l'action en concurrence déloyale relève de la responsabilité délictuelle de droit commun fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code Civil ; elle suppose l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre ces deux éléments.
La concurrence déloyale est admise lorsqu'un commerçant commet dans l'exercice et au bénéfice de son commerce, à l'encontre d'un autre commerçant exerçant une activité similaire, un acte fautif susceptible de porter préjudice à ce dernier et dans le but de détourner sa clientèle.
Constitue une faute, même en l'absence d'intention de nuire, le dénigrement, c'est-à-dire le fait de jeter le discrédit sur un concurrent en répandant à son propos ou au sujet de ses services des informations malveillantes.
En l'espèce,le fait de révéler au public par la voie de la presse et mettre en lumière la fin du contrat d'agent, alors que la rupture unilatérale du contrat n'était pas notifiée à l'intéressé, constitue une manœuvre destinée à détourner la clientèle.
De plus, l'annonce suggère, comme l'a relevé le jugement, une comparaison défavorable au garage Auto-Land et laisse entendre à la clientèle que le retrait de la marque est la sanction de fautes commises par ce garage.
Celui qui entend informer le public ne doit pas avoir un intérêt personnel quant à l'objet de l'information.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que le contenu de cette publicité manifeste une volonté de dénigrement et excède les limites d'une information légitime.
Le comportement postérieur de Joseph Garofalo est sans incidence sur la faute de la société Garage Franco-Suisse qui est établie.Enfin, la Cour remarque que le seul document produit concernant la rupture du contrat d'agent est une lettre de l'importateur du 3 mai 1990.
Pour ce qui est du préjudice, la Cour ne peut que constater, comme l'a fait le Tribunal, que Joseph Garofalo ne verse aux débats aucun document comptable. Certes, la fermeture du garage n'est pas contestée.
Cependant, la liquidation du garage Auto-Land, dont il n'est pas justifié, en saurait être imputée intégralement à la société Garage Franco-Suisse. L'importance du préjudice matériel n'est pas démontrée.
Par contre, le préjudice moral subi par Joseph Garofalo, qui s'est vu notifier par la presse la fin de son contrat d'agent, est certain. La somme de 30 000 F allouée par le Tribunal apparaît raisonnable.
La demande principale ayant abouti du moins partiellement, la demande reconventionnelle doit être rejetée.
Le jugement doit donc être intégralement confirmé, les deux appels, principal et incident, étant mal fondés.
Chaque partie supportera donc ses propres frais et dépens de l'instance d'appel ; il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Déclare les appels recevables mais mal fondés, Confirme le jugement rendu le 10 décembre 1990 par le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse, Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel. Rejette les demandes d'indemnité de procédure à hauteur d'appel.