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Décisions

Cass. com., 15 novembre 1994, n° 92-21.560

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Pompes funèbres montluçonnaises, Pompes funèbres vichyssoises, Pompes funèbres et marbrerie du centre Chanut et fils

Défendeur :

Pompes funèbres du Sud-Est Roblot (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Léonnet

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

Mes Foussard, Luc-Thaler.

T. com. Cusset, du 31 mars 1992

31 mars 1992

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Riom, 18 novembre 1992) que la société Pompes funèbres générales du Sud-Est Roblot, (société Roblot), a respectivement assigné devant les présidents du tribunal de commerce de Cusset, d'Aurillac et de Montluçon, statuant en référé, les sociétés Pompes funèbres vichyssoises, Pompes funèbres et Marbrerie du centre Chanut et fils et Pompes funèbres montluçonnaises pour qu'il leur soit interdit d'utiliser dans leur publicité commerciale le nom de Michel Leclerc ; que les trois juges de référé ayant fait droit à cette requête, les sociétés se sont pourvues en appel ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés Pompes funèbres montluçonnaises, Pompes funèbres vichyssoises et Pompes funèbres et Marbrerie du centre Chanut et fils, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande de la société Roblot alors, d'une part, que selon le pourvoi, en cas de confusion due à l'utilisation d'un nom patronymique, seuls les homonymes, qui sont seuls en mesure d'invoquer un intérêt légitime juridiquement protégé, peuvent agir en réparation ; d'où il suit que l'arrêt attaqué a été rendu en violation des articles 31 et 873 du Code de procédure civile, 1382 du Code civil, 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 85 et 86 du Traité de Rome ; alors, d'autre part, que les transferts de clientèle imputables à la confusion due à l'utilisation d'un nom patronymique ne sont susceptibles d'affecter, en tout état de cause, que l'activité des homonymes ; qu'en omettant de rechercher en quoi la société Roblot pouvait souffrir de l'utilisation par les sociétés litigieuses du patronyme Leclerc, bien que cette utilisation ne puisse concerner, en tout état de cause, que les activités de M. Edouard Leclerc, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 873 du Code de procédure civile, 1682 du Code civil, 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 85 et 86 du Traité de Rome ; et alors, enfin, qu'une concurrence déloyale n'est caractérisée, à raison de l'utilisation d'un patronyme, que si une confusion est créée avec les activités d'un homonyme exerçant dans le même secteur d'activité ; qu'en omettant de rechercher si l'activité des trois sociétés recoupait l'activité de M. Edouard Leclerc, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 873 du Code de procédure civile, 1382 du Code civil, 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 85 et 86 du Traité de Rome ;

Mais attendu, en premier lieu, ainsi que l'a exactement énoncé la cour d'appel, que la société Roblot avait qualité pour agir à l'encontre des trois sociétés litigieuses, l'objet du litige concernant le trouble illicite qui lui était propre par suite de l'utilisation par sa concurrente d'une publicité fallacieuse susceptible de laisser croire que celle-ci appartenait au réseau de distribution des centres Leclerc ;

Attendu, en second lieu, qu'il découlait nécessairement des actes déloyaux constatés par la cour d'appel, l'existence d'un préjudice pour la société Roblot résultant des procédés fautifs utilisés par les trois sociétés concurrentes ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches : - Attendu que les sociétés Pompes funèbres montluçonnaises, Pompes funèbres vichyssoises, Pompes funèbres et Marbrerie du centre Chanut et fils, font encore grief à l'arrêt de les avoir condamnées alors, selon le pourvoi, d'une part, que le recours à la publicité, qui est une manifestation de la liberté d'expression, est garanti par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ce droit, qui doit être égal pour tous en application de l'article 14, comporte celui d'user de son nom comme élément publicitaire ; que si les Etats peuvent l'assortir de formalités, de conditions ou de restrictions, ce droit ne peut faire l'objet d'une interdiction ; que l'entreprise à laquelle le titulaire d'un nom patronymique a conféré le droit d'utiliser son nom patronymique dispose des mêmes droits que ce dernier ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont violé les articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; et alors que, d'autre part, à supposer même qu'une interdiction soit légalement possible au regard des articles 10 et 14, de toute façon, elle n'aurait pu être opposée que sur la base de règles de droit interne suffisamment précises et accessibles ; que l'interdiction retenue ici ne résultant d'aucune règle répondant à ces caractères, l'arrêt attaqué ne peut échapper à la censure pour violation des articles 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que s'il est vrai que l'utilisation de ses nom et prénom, à des fins publicitaires est ouverte à tout commerçant, faut-il encore que ce droit s'exerce de façon loyale sans entraîner dans l'esprit des clients une confusion avec d'autres entreprises; qu'ayant constaté que les sociétés litigieuses utilisaient le nom de " Michel Leclerc, directeur commercial " à côté ou au-dessus de leur raison sociale, ce qui, selon l'arrêt était " un subterfuge " de nature à entraîner une confusion dans le public avec le réseau des centres Leclerc qui leur était étranger, la cour d'appel, qui a énoncé de façon précise la règle de droit au soutien de son arrêt, sans porter atteinte à la liberté d'expression de tout individu ni rompre l'égalité devant exister pour chacun à l'occasion de l'exercice de ce droit, n'a pas violé les textes susvisés ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident : - Vu l'article 873 du nouveau Code de procédure civile : - Attendu qu'après avoir constaté que l'entreprise Roblot avait caractérisé l'existence du trouble illicite qui lui était causé du fait de l'utilisation par ces trois sociétés du nom de Michel Leclerc dans leurs documents publicitaires, la cour d'appel leur a interdit d'utiliser ce patronyme sous peine d'astreinte pendant un délai de trois mois, l'interdiction devant cesser au-delà de ce délai ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a limité dans le temps les mesures propres à garantir l'effectivité de la bonne exécution de sa décision, n'a pas tiré les conséquences légales découlant de ses propres constatations concernant l'existence du trouble illicite auquel elle entendait mettre fin ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi principal, casse et annule, mais seulement en ce qu'il a limité à trois mois, l'interdiction prononcée, l'arrêt rendu entre les parties le 18 novembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.