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Décisions

Cass. com., 15 novembre 1994, n° 92-21.597

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Segafredo Zanetti France (SA)

Défendeur :

Luchart

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

Me Luc-Thaler, SCP Defrenois, Levis.

TGI Avesnes-sur-Helpe, du 16 avr. 1992

16 avril 1992

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 septembre 1992), que la société Segafredo Zanetti France (société Segafredo), ayant pour activité la distribution en France de café et de produits annexes, a engagé en 1987 M. Luchart comme agent commercial pour les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de l'Aisne et de la Somme ; que deux salariés de cette société, MM. Durez et Trouillez ont été mis à la disposition de M. Luchart respectivement en mai 1988 et avril 1989 ; que, le 18 avril 1990, la société Segafredo a mis fin au contrat qui la liait à M. Luchart avec effet au 31 décembre 1990 ; qu'elle a licencié M. Trouillez à compter du 7 janvier 1991 et M. Durez à compter du 9 avril 1991 ; que ces deux salariés étaient tenus par une clause de non-concurrence d'une durée respectivement de deux années et d'une année dans leur secteur d'intervention situé dans le Nord ; que la société Segafredo a assigné M. Luchart en concurrence déloyale pour s'être approprié sa clientèle dans son ancien secteur d'intervention et pour avoir embauché MM. Durez et Trouillez ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Segafredo fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en écartant des débats des sommations interpellatives établies par huissiers à sa demande relatant le démarchage dont ses clients avaient été l'objet de la part de M. Luchart et de ses salariés alors, selon le pourvoi, qu'il incombe aux juges de se prononcer sur tous les documents soumis à son examen, dès lors qu'ils ont été régulièrement soumis aux débats contradictoires, même s'ils ont été établis à la demande d'une seule partie ; que les huissiers de justice ont qualité pour procéder à des sommations interpellatives, dont les résultats ne valent qu'en tant que simples renseignements ; que dès lors que l'huissier n'a pas excédé les limites d'une autorisation judiciaire qui lui aurait été donnée, n'a pas porté atteinte à la vie privée des personnes et, s'étant régulièrement présenté, n'a pas surpris par fraude les déclarations recueillies, le juge ne peut refuser d'apprécier la valeur probante desdites déclarations ; qu'en écartant des débats les sommations interpellatives sans relever à la charge des huissiers qui y avaient procédé aucune des fautes précitées, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et 1353 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté, à la lecture des sommations interpellatives versées aux débats, que plusieurs huissiers de justice se sont présentés, sans autorisation de justice, dans divers débits de boissons afin de soumettre les personnes interpellées à un interrogatoire à l'aide de questionnaires manifestement préétablis impliquant dans certains cas la nécessité pour le questionné de se reporter à des documents détenus par ses soins et que l'un des officiers ministériels a même exigé la production de factures pour vérifier par qui elles avaient été délivrées, l'arrêt retient à bon droit que les huissiers diligentés par la société Segafredo se sont livrés à une véritable enquête, hors toute constatation matérielle, seul acte autorisé par l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que, pour rejeter la demande de la société Segafredo fondée sur l'embauche de ses deux anciens salariés, l'arrêt retient que le seul fait d'avoir repris dans un secteur identique des activités similaires en employant d'anciens salariés de Segafredo dont il n'est pas établi qu'ils se soient livrés à des actes à eux prohibés, n'est pas à lui seul constitutif d'une faute ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que toute personne qui, sciemment, emploie un salarié en violation d'une clause de non-concurrence souscrite par ce dernier, commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Segafredo Zanetti France de son action en concurrence déloyale à l'encontre de M. René Luchart fondée sur l'embauche de MM. Durez et Trouillez en violation de la clause de non-concurrence qui la liait à la société Segafredo Zanetti France, l'arrêt rendu le 9 septembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.