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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 10 novembre 1994, n° 93-018835

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Internationale de la Chaussure (SA), Chaussures André et Cie (SNC), Chaussures André (SA)

Défendeur :

Bernard Mahou (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Couderette

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

Me Careto, SCP Parmentier Hardouin

Avocats :

Mes Chevalier, Calandre.

T. com. Paris, 17e ch., du 26 mai 1993

26 mai 1993

Le 11 septembre 1984 un contrat de franchise a été signé entre le groupe des sociétés André (SNC CUUF et Cie, Cie internationale de la chaussure SA Chaussures André, SNC Chaussures André et Cie) et la SARL Bernard Mahou pour l'exploitation d'un magasin que la société Mahou ouvrait au centre commercial Auchan à Buchelay (78). Le contrat, établi après une étude de marché réalisée par le franchiseur, précisait les obligations de celui-ci et plus précisément un engagement de non-concurrence dans un rayon de 2 kilomètres autour du centre Auchan, ainsi que celles du franchisé portant notamment sur le paiement d'un droit d'entrée et de redevances. Ce contrat était conclu pour une durée de deux ans à compter du 1er décembre 1984 et renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation. Les conditions de résiliation du contrat étaient également précisées.

Dès le début de l'exploitation la société Mahou, qui n'a pas réalisé le chiffre d'affaires espéré, a connu des difficultés ; et le 10 mars 1986 elle a confié la gérance de son fonds à la SNC Chaussures André et Cie en qualité de mandataire pour une durée de 3 ou 6 années avec liberté de résilier à la fin d'une période triennale moyennant un préavis de 6 mois. Ce second contrat maintenait expressément la franchise instaurée en 1984 et stipulait que la SNC Chaussures André et Cie serait rémunérée par un pourcentage de 10 % sur le chiffre d'affaires TTC réalisés.

Par exploit du 7 juin 1990 la société Mahou a fait assigner les sociétés CUUF et Cie, Chaussures André et Chaussures André et Cie aux fins de résiliation du contrat de franchise aux torts du franchiseur et paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts ; subsidiairement, en constatation de la nullité du contrat de franchise avec restitution des sommes versées au franchiseur et paiement de dommages-intérêts. Ultérieurement, la société Mahou a demandé la production par le groupe André des comptes d'exploitation du fonds de commerce au titre de la gérance à peine d'astreinte.

Par un premier jugement en date du 26 mars 1991, le Tribunal de commerce de Paris a, avant dire droit au fond, ordonné une mesure d'expertise confiée à Mme Rausch aux fins de rechercher tous éléments d'appréciation sur les contrats litigieux ainsi que sur la concurrence déloyale invoquée par la société Mahou ; et déterminer tous chefs de préjudice éventuellement subis.

L'expert a déposé le rapport de ses opérations au greffe le 15 janvier 1992.

Il estime que dans le cadre du contrat de franchise le groupe André n'a pas rempli ses obligations tant au niveau de l'étude de marché qu'à celui de l'assistance technique et a causé à la société Mahou un préjudice qu'il fixe à 458 000 F HT.

Il évalue, dans le cadre du contrat de gérance-mandat, à 866 000 F le montant du résultat qui aurait dû revenir à la société Mahou, montant sur lequel 455 000 F ont été versés, et donc à 411 000 F le solde restant dû après rectification des comptes établis par le groupe André.

Sur la concurrence déloyale, tout en reconnaissant que le groupe André a ouvert dans le périmètre réservé par le contrat de franchise un magasin concurrent, il dit qu'il n'existe pas d'éléments formels, compte tenu de la disparition en fait de la franchise et de ce que les produits proposés par le magasin concurrent sont différents de ceux vendus par le magasin Mahou, capables de constituer la concurrence déloyale.

Au vu de ce rapport, le Tribunal de commerce de Paris par jugement du 25 mai 1993 a dit que le contrat de franchise initial n'avait été résilié qu'à la date du 20 novembre 1990 par la conjonction de l'intention commune des parties, qu'il y avait bien eu concurrence déloyale et que la société Mahou avait droit à une indemnité de 30 000 F pour frais irrépétibles.

Il a en conséquence condamné solidairement les sociétés CUUF et Cie, Chaussures André et Chaussures André et Cie à payer à la société Mahou les sommes de 458 000 F au titre du contrat de franchise, 455 000 F au titre du contrat de franchise (sic, en réalité du contrat de gérance) et 200 000 F au titre de la concurrence déloyale, soit au total 1 113 000 F. Il a ordonné en outre l'exécution provisoire et a condamné le groupe André aux dépens.

La Compagnie internationale de la Chaussure, la société Chaussures André et Cie et la SA Chaussures André ont régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision.

Elles concluent à l'infirmation du jugement et sollicitent une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elles font valoir que le contrat de gérance du 10 mars 1986 a obligatoirement mis fin au contrat de franchise du 11 septembre 1984 et qu'on ne peut leur imputer cinq ans plus tard les prétendues infractions qu'elles auraient commises aux obligations du franchiseur ;

Elles précisent qu'elles ont procédé à une étude de marché et que le franchisé ne peut leur faire grief de l'existence dans le centre Auchan de Buchelay d'un magasin concurrent à l'enseigne Bata ;

A propos du contrat de gérance elles indiquent que seul l'expert qui aurait outrepassé sa mission est à l'origine de la réclamation de la société Mahou qui n'explicite pas le chiffre du solde de résultat qui lui resterait dû ;

Elles affirment enfin que la concurrence déloyale qui leur est reprochée ne peut exister que si le contrat de franchise a été maintenu, ce qu'elles contestent ; et que les produits et services mis en œuvre par la Halle aux Chaussures, le magasin dit concurrent sont différents de ceux commercialisés par la société Mahou.

La société Bernard Mahou conclut pour sa part à la confirmation du jugement et sollicite par un appel incident que soit réparée l'erreur commise par les premiers juges à propos de la condamnation au paiement de la somme de 455 000 F due en réalité pour le contrat de gérance et non pour le contrat de franchise ; et qu'il lui soit alloué une indemnité de 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur le contrat de franchise :

Considérant qu'il peut sans doute paraître étrange que les sociétés André, liés à la société Mahou par un contrat de franchise aient conclu avec leur franchisé un contrat de gérance laissant subsister la franchise.

Mais que les termes employés dans le contrat de gérance sont explicites ; la société Mahou se décharge sur son mandataire la société Chaussures André et Cie de la direction et de la gérance de son commerce mais conserve tous les risques de cette exploitation - il est expressément prévu que le résultat revenant à la société Mahou sera déterminé après déduction de divers éléments dont les redevances versées au titre du contrat de franchise.

Que l'expert a relevé que pour la période du 15 mars au 31 août 1986 la redevance due au titre du contrat de franchise a été effectivement imputée au compte des charges supportées par l'exploitation de la société Mahou ; et qu'aucune résiliation du contrat de franchise n'était intervenue entre les parties avant l'introduction du présent procès.

Et que de ces éléments les premiers juges ont exactement déduit que le contrat de franchise s'était poursuivi jusqu'à ce que les parties aient manifesté une volonté contraire, ce qui a été le cas pour Mahou dans son assignation du 7 juin 1990 et pour André dans ses conclusions du 20 novembre 1990, cette dernière date étant justement retenue comme manifestant par la conjonction des volontés la fin du contrat de franchise.

Considérant qu'il s'en suit que la société Mahou est en droit comme elle l'a fait de soulever le non respect de ses obligations par le franchiseur et d'invoquer le préjudice qui en serait résulté pour elle.

Qu'il convient donc d'examiner les griefs formulés à l'encontre du franchiseur.

Que, sur l'étude préalable de marché, l'expert relève que le franchiseur avait pris en compte un chiffre d'affaires potentiel de 3 millions de francs sans relever l'existence du concurrent Bata et sans faire d'objection au départ sur une proposition de stock de 623 360 F insuffisante pour la réalisation du chiffre d'affaires envisagé puisqu'après instauration de la gérance ce stock a dû être porté à 1 300 000 F puis 1 440 000 F.

Et qu'au vu de ces éléments, que le groupe André ne contredit pas en se bornant à affirmer que Mahou aurait pu s'apercevoir de lui-même de l'existence de Bata, la faute préalable du franchiseur est établie, car Mahou aurait été à même de s'abstenir de contracter s'il avait connu la mise de fonds réelle à laquelle il devrait faire face.

Que cette faute explique à elle seule qu'en un peu plus d'un an la société Mahou n'ait pas pu faire face à ses obligations financières et ait dû rechercher une autre solution.

Que d'autre part le franchiseur s'était engagé à faire effectuer à son franchisé un stage de formation de trois mois préalablement à l'ouverture du magasin, ce que d'après l'expert il n'a pas fait.

Que compte tenu de ces deux fautes imputables au franchiseur et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres manquements invoqués par Mahou à l'encontre du groupe André et que l'expert n'a pas étudiés, le contrat de franchise doit être résilié aux torts du franchiseur ainsi que les premiers juges en ont décidé à bon droit.

Considérant qu'il convient donc de déterminer le préjudice qu'à subi la société Mahou du fait de cette rupture imputable à son cocontractant.

Que ce préjudice évalué par l'expert à 458 000 F se décompose ainsi :

- droit d'entrée et redevances versées en pure perte : 133 000 F.

- frais engagés pour l'installation du magasin : 255 000 F ramenés équitablement à 183 000 F eu égard à l'amortissement.

- perte d'exploitation : 284 000 F ramenés à 142 000 F eu égard à une part de responsabilité de moitié à la charge du franchisé qui aurait pu réagir plus tôt et ne pas attendre d'être en cessation de paiement pour se retourner contre le groupe André.

Que ces chiffres ne sont pas contestés en eux-mêmes.

Considérant que c'est dans ces conditions à bon droit que les premiers juges ont condamné le groupe André à payer à la société Mahou la somme de 458 000 F au titre du contrat de franchise et que le jugement dont appel sera confirmé de ce chef.

Sur le contrat de gérance :

Considérant qu'il est inexact de dire comme le fait le groupe André que la réclamation de la société Mahou fondée sur le contrat de gérance du 10 mars 1986 aurait été provoquée par l'expert agissant au-delà de sa mission.

Que la société Mahou en effet avait demandé avant que soit ordonnée l'expertise la production par le groupe André des comptes d'exploitation de la gérance qu'elle mettait en doute. Que le jugement du 26 mars 1991 a ordonné une expertise générale portant sur les conditions d'exécution des deux contrats. Et que l'expert en redressant la comptabilité relative à l'exploitation du fonds de commerce entre 1986 et 1990 dans les termes du contrat de gérance a parfaitement et exactement rempli sa mission.

Que selon ce contrat la société André percevait une rémunération égale à 10 % du chiffre d'affaires et devait remettre à la société Mahou propriétaire, après règlement des diverses charges énumérées au contrat, le solde subsistant.

Que l'expert a relevé que la gérance avait incorporé à tort dans les charges supportées par Mahou un certain nombre de frais communs à tous les magasins du groupe ; et a redressé les compte en établissant, ce qui ne fait pas l'objet de contestation, que le solde revenant à la société Mahou était en réalité de 866 000 F.

Qu'il a établi en outre (page 38 de son rapport) que le groupe André avait versé à Mahou au titre du contrat de gérance la somme de 455 000 F et qu'il lui restait dû 411 000 F.

Mais que par suite d'une erreur il a interverti les deux chiffres pour aboutir à la conclusion que c'étaient 455 000 F qui restaient dus, ce qu'à entériné le tribunal à tort.

Considérant qu'il y a lieu de réparer cette erreur et, réformant de ce chef le jugement entrepris, de condamner le groupe André à payer à la société Mahou au titre du contrat de gérance la somme de 411 000 F seulement.

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que le contrat de franchise du 11 septembre 1984 comportait une exclusivité réciproque de l'enseigne André dans un rayon de 2 kilomètres autour du centre commercial de Buchelay ; et qu'il est constant, puisque le contrat de franchise n'a pris fin qu'au mois de novembre 1990, que la violation de cette exclusivité par l'une ou l'autre des parties peut être retenue comme un élément de concurrence déloyale.

Que la société Mahou fait grief au groupe André d'avoir pratiqué à son égard une concurrence déloyale, non pas en invoquant l'existence dans le centre Auchan de Buchelay d'un magasin concurrent du groupe Bata sur l'ouverture duquel le groupe André ne peut avoir aucune responsabilité, mais l'ouverture en 1987 dans la zone d'exclusivité d'un magasin de vente en discount appelé la Halle aux Chaussures.

Que la société Mahou a fait état de ce chef d'un préjudice de 200 000 F que les premiers juges ont admis sans autre commentaire.

Que selon l'expert il n'y avait pas en réalité concurrence, d'une part en raison de la différenciation des services offerts : vendeurs compétents dans le magasin Mahou, libre service à la Halle aux Chaussures ; d'autre part en raison du fait que les produits offerts à la clientèle étaient différents.

Que les premiers juges ont rejeté ce point de vue en disant que la qualité des services offerts était de peu d'importance dans la vente des chaussures et que celles vendues aussi bien dans le magasin Mahou qu'à la Halle aux Chaussures portaient toutes la marque André.

Que sans doute le fait du libre service ou du service par vendeurs professionnels est de peu d'importance dans l'appréciation de la concurrence.

Mais qu'il résulte du procès-verbal de constat dressé le 23 octobre 1990 à la requête de la société Mahou que, si les chaussures vendues au magasin Mahou portaient effectivement la marque André, celles mises en vente à la Halle aux Chaussures n'ont pas de marque ou une autre marque et que les descriptions faites par l'officier ministériel révèlent d'importantes différences dans les chaussures présentées aux deux points de vente.

Considérant que dans ces conditions et contrairement à l'avis des premiers juges on ne peut pas dire que le groupe André ait exercé à l'encontre de la société Mahou une concurrence déloyale telle qu'interdite par les stipulations du contrat de franchise du 11 septembre 1984.

Considérant au surplus que la société Mahou ne verse au débat aucun document dont on puisse déduire que l'ouverture au public de la Halle aux Chaussures ait eu une incidence sur le chiffre d'affaires réalisé par le magasin Mahou.

Considérant que le jugement dont appel doit être infirmé en ce qu'il a condamné le groupe André à payer à la société Mahou, qui se verra déboutée de ce chef de demande, une somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Mahou les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer en raison de la procédure mais qu'eu égard à l'ampleur de ses demandes initiales non intégralement retenues l'indemnité compensatrice lui revenant sera ramenée au chiffre de 20 000 F au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Considérant que les sociétés du groupe André, qui succombent pour l'essentiel et restent redevables de sommes importantes, se verront déboutées de leur demande d'indemnité du même chef et seront condamnées aux dépens de la procédure.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels principal et incident réguliers en la forme. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 mai 1993 en ce qu'il a dit que le contrat de franchise conclu le 11 septembre 1984 entre les sociétés du groupe André et la société Mahou n'avait été résilié qu'à la date du 20 novembre 1990 et en ce qu'il a condamné solidairement la Compagnie Internationale de la Chaussure, la SA Chaussures André et la SNC Chaussures André et Cie à payer à la société Bernard Mahou la somme de 458 000 F au titre de contrat de franchise, ainsi qu'aux dépens de première instance. L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne solidairement les sociétés CIC, Chaussures André et Chaussures André et Cie à payer à la société Bernard Mahou la somme de 411 000 F au titre du contrat de gérance du 10 mars 1986. Déboute la société Mahou de sa demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Condamne solidairement les sociétés du groupe André à verser à la société Mahou une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Déboute les parties de tous chefs de demandes plus amples ou contraires à la motivation du présent arrêt. Condamne solidairement les sociétés CIC, Chaussures André et Chaussures André et Cie aux dépens d'appel et autorise la SCP Parmentier Hardouin, titulaire d'un office d'avoué, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'elle a exposés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.