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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 4 novembre 1994, n° 94-20667

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour France (SNC)

Défendeur :

Avance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cottin

Conseillers :

M. Valantin, Mme Desolneux

Avoués :

SCP Barrier-Monin, Me Olivier

Avocats :

Mes Lenoir, Montravers.

T. com. Corbeil-Essonnes, du 10 août 199…

10 août 1994

LA COUR statue sur l'appel à jour fixe formé par la société Carrefour à l'encontre d'une ordonnance de référé rendu le 10 août 1994 par le Président du Tribunal de Commerce de Corbeil qui a notamment :

- fait défense à la société Carrefour de poursuivre dans l'un quelconque de ses magasins la vente des articles textiles reproduisant les personnages de Tex Avery et ce sous astreinte de 200 F par infraction constatée ;

- désigné Monsieur JP Stein en qualité d'expert aux fins de déterminer le nombre d'articles reproduisant le personnage " Tex Avery " vendus par la société Carrefour et évaluer le préjudice subi par la société Avance.

La société Avance fabrique et commercialise sous licence différents articles et en particulier des vêtements.

Dans le cadre de cette activité elle a signé, le 11 août 1992, avec la société Turner Home Entertainment un contrat de licence l'autorisant à utiliser le personnage " Droopy " de la bande dessinée " Tex Avery ".

Ce contrat prévoit l'exclusivité pour la société Avance de la diffusion en France, Espagne, Grande-Bretagne, Irlande, Allemagne, Portugal, Grèce, Italie, Danemark et Bénélux.

Au mois de juillet 1994, la société Avance a été informée de la vente par la société Carrefour d'articles portant la marque dont elle a la licence exclusive.

Elle a fait établir le 27 juillet 1994 un constat d'huissier aux termes duquel il apparaît que la société Carrefour a vendu dans le Supermarché de Châlon-sur-Saone divers tee-shirts et sweat-shirts reproduisant le personnage de Droopy pour un prix de 69,50 F et 50,00 F.

Alléguant que ces ventes constituaient des actes de concurrence déloyale, elle a saisi le juge des référés afin d'obtenir l'interdiction par la société Carrefour de commercialiser ces articles.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue l'ordonnance déférée.

La société Carrefour, appelante, soutient que la demande de la société Avance est irrecevable.

Elle prétend que l'interdiction de commercialiser sollicitée constitue la sanction d'un acte de contrefaçon que seul le titulaire des droits de propriété intellectuelle a qualité à demander, le licencié ne bénéficiant que d'une simple autorisation d'exploiter lesdits droits.

Elle affirme qu'aucun acte de concurrence déloyale ou trouble illicite ne peut lui être reproché, les produits textiles qu'elle a commercialisés étant des produits authentiques.

Elle précise qu'elle s'est procuré les vêtements litigieux auprès de la société Magic, cette société les ayant elle-même acquis auprès de la société Funday le 30 juin 1992.

Elle expose que la société Funday était titulaire d'une licence exclusive des produits d'exploitation des personnages de " Tex Avery " concédés par la société Tuner Home Entertainment le 18 décembre 1989 qui a expiré le 31 mars 1992, et qu'elle a eu l'autorisation d'écouler ses stocks jusque dans le courant du mois de juillet 1992.

Elle reproche au premier juge d'avoir ordonné une expertise servant à évaluer le préjudice subi du fait d'une contrefaçon qui n'a pas encore fait l'objet d'une décision au fond.

Elle prétend enfin que la société Avance ne peut se plaindre des prix pratiqués, les articles ayant été revendus lors des soldes saisonnières, ceux-ci ne peuvent être qualifiés de prix de revente à perte.

Elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance et à la condamnation de la société Avance à lui payer une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Avance, intimée, conclut à la confirmation de l'ordonnance et par appel incident sollicite la condamnation additionnelle de la société Carrefour à lui payer une somme provisionnelle de 20.000 F à valoir sur son préjudice et une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient que la société Carrefour n'établit pas que les marchandises qui lui ont été livrées courant 1993 et 1994 proviennent du lot d'articles acquis par son fournisseur la société Magic avant le 30 juin 1992 auprès de la société Funday qui disposait de son droit d'écouler les stocks jusqu'au mois de juillet 1992.

Elle affirme que son préjudice s'est aggravé par la revente à perte par Carrefour de ces articles, acquis pour la somme de 109 F et revendus entre 69,50 F et 50 F sans justifier qu'il s'agit de produits pouvant être soldés.

Sur ce, LA COUR

Sur la recevabilité de l'action

Considérant que la société Avance, titulaire de la marque " Studio Aventure " sous laquelle elle commercialise différents articles, notamment le textile, a signé le 11 août 1992 avec la société Tuner Home Entertainment, un contrat de licence exclusif l'autorisant à utiliser le personnage " Droopy " de la bande dessinée " Tex Avery " dans les principaux pays d'Europe dont la France ;

Considérant qu'en sa qualité de licencié exclusif elle est recevable à solliciter la cessation des agissements de concurrence déloyale qu'elle invoque à l'encontre de la société Carrefour ; qu'il s'agit d'une action distincte de l'atteinte aux droits privatifs de la société Tuner Home Entertainment;

Sur l'authenticité des produits

Considérant que pour soutenir que les produits commercialisés courant août 1994 sont authentiques, la société Carrefour expose qu'elle les a acquis, selon la confirmation de commande du 29 juin 1992 auprès de la société Magic, cette dernière les ayant elle-même acquis suivant facture du 30 juin 1992 auprès de la société Funday ;

Considérant qu'il résulte, notamment, des factures produites aux débats ;

* qu'une société X Line a livré à la société Carrefour :

= le 28 décembre 1992, suivant commande n° 1992-3137 : 9.000 tee-shirts au prix unitaire de 66,25 F

= le 18 février 1993, suivant commande n° 1992-3136 : 9.000 tee-shirts au prix unitaire de 66,25 F

* que la société Magic a livré à la société Carrefour :

= le 29 juin 1993, suivant commande n° 1993-064 : 9.000 sweat-shirts au prix unitaire de 102 F

= le 30 novembre 1993, suivant commande n° 6E941545 et 6E941544 : 8.990 sweat-shirts au prix unitaire de 102 F

= le 28 décembre 1993 suivant ordre n° 6E941557 : 9.000 tee-shirts au prix unitaire de 66,25 F

= le 14 février 1994 suivant commande n°6E941556 : 6.800 tee-shirts au prix unitaire de 66,25 F ;

Considérant qu'il convient de constater que les tee-shirts livrés courant 1993 et 1994 ont été facturés par la société Magic au prix de 66,25 F, ce prix ne correspondant pas avec le prix unitaire de 59 F prévu dans la confirmation de commande du 29 juin 1992 dont se prévaut la société Carrefour ;

Considérant que la société Funday a bénéficié d'un contrat de licence exclusif jusqu'au 31 mars 1991, reconduit jusqu'au 31 mars 1992 que cette reconduction prévoyait que la société Funday disposait du droit d'écouler ses stocks jusqu'au mois de juillet 1992 ;

Considérant que la sociuété Carrefour n'établit pas la preuve que tous les articles de textile vendus en 1992, 1993 et 1994 par ses soins appartiennent au lot acheté par la société Magic à la société Funday par un approvisionnement licite antérieurement au mois de juillet 1992 ;

Sur le trouble manifestement illicite

Considérant qu'en commercialisant, en violation des droits du licencié exclusif, des produits dont elle n'établit pas l'authenticité et à un prix inférieur à celui auquel elle les avait acquis, la société Carrefour cause à la société Avance un trouble manifestement illicite et a volontairement cherché à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle; que les actes de concurrence déloyale sont établis;

Que la société Avance justifie par les documents versés aux débats que cette commercialisation n'a pas été limitée au seul magasin de Châlon-sur-Saone et qu'elle s'est produite également dans les centres d'Evry II, Athis-Mons et Cesson Chevigné ;

Qu'il convient de confirmer l'ordonnance ayant fait interdiction à la société Carrefour de poursuivre la vente des articles litigieux et ce sous astreinte de 200 F par infraction constatée et ayant désigné un expert ;

Sur la demande de condamnation provisionnelle

Considérant qu'un expert a été désigné aux fins de déterminer le nombre d'articles vendus et d'évaluer le préjudice subi qu'en l'absence d'éléments précis il n'y a pas lieu d'accorder à la société Avance la provision réclamée ;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Avance la totalité des frais irrépétibles, engagés en cause d'appel pour lesquels il lui sera alloué la somme de 5.000 F ;

Que la société Carrefour qui succombe doit être condamnée aux dépens et ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance déférée, Et y ajoutant : Condamne la société Carrefour à payer la somme de 5.000 F à la société Avance, en cause d'appel, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Condamne la société Carrefour aux dépens d'appel ; admet Maître Dominique Olivier, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.