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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 octobre 1994, n° 92-021812

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Roan srl (Sté)

Défendeur :

Distribeauté (Sté), Paris Look (Sté), Lamotte Taurelle (SA), Dalia France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

Me Baufume, SCP Bollet Baskal

Avocats :

Mes Karsenty, Budry.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 20 mai …

20 mai 1992

Statuant sur l'appel interjeté par la société Roan du jugement rendu le 20 mai 1992 par le Tribunal de Grande Instance de Paris (3e chambre 1re section) dans un litige l'opposant aux sociétés Dalia France, Distribeauté, Paris Look et Lamotte ensemble sur l'appel incident des sociétés Distribeauté, Paris Look et Lamotte.

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société de droit italien Roan est titulaire de la marque complexe internationale " Pupa " déposée à l'OMPI le 19 novembre 1981 sous le numéro 464 590 sous le bénéfice d'un dépôt italien en date du 1er décembre 1975 et désignant la France.

Cette marque est enregistrée pour désigner divers produits des classes 3, 5 et 14 et notamment la parfumerie, les cosmétiques.

De son côté la société Dalia France a déposé le 29 décembre 1988 à l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque dénominative Poupon enregistrée sous le numéro 1 505 793 pour désigner divers produits des classes 3 et 21 et en particulier la parfumerie, les cosmétiques.

Cette marque est exploitée en France par les sociétés Distribeauté, Lamotte Taurelle et Paris Look qui offrent à la vente et vendent un parfum d'enfant sous la dénomination Poupon.

Estimant que cette marque portait atteinte à ses droits, la société Roan a, après avoir adressé le 21 juin 1990 une mise en demeure à la société Lamotte Taurelle, assigné le 3 mai 1991 les sociétés défenderesses en contrefaçon, à tout le moins imitation illicite de la marque Pupa.

Outre la nullité de la marque Poupon elle sollicitait paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur son préjudice à déterminer par expertise, diverses mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication et le bénéfice de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Distribeauté, Paris Look et Lamotte Taurelle concluaient au débouté et formaient chacune une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Dalia France ne constituait pas avocat.

Le Tribunal par le jugement entrepris retenant d'une part qu'il n'existait aucun risque de confusion entre les deux dénominations compte tenu de leurs différences sur le plan phonétique et intellectuel d'autre part que Roan avait usé légitimement de son droit d'ester en justice et n'avait pas agi avec une légèreté blâmable, a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes principales et reconventionnelles et condamné Roan à payer à chacune des sociétés Distribeauté, Lamotte Taurelle et Paris Look la somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Appelante selon déclaration du 7 septembre 1992, Roan prie la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes, de dire que la dénomination Poupon constitue la contrefaçon ou à tout le moins l'imitation illicite de la marque Pupa, d'en prononcer la nullité, de l'autoriser à faire procéder à sa radiation, de faire interdiction sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée aux sociétés défenderesses d'utiliser ladite dénomination, d'ordonner la confiscation et la destruction de tous objets, emballages et documents publicitaires la comportant, de condamner solidairement les défenderesses à lui verser la somme de 200 000 F à titre d'indemnité provisionnelle, de nommer un expert aux fins d'évaluation de son préjudice, d'ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux ou revues, de lui allouer la somme de 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Distribeauté, Paris Look et Lamotte Taurelle poursuivent la confirmation du jugement sauf en ce qu'il les a déboutées de leur demande reconventionnelle.

Formant appel incident de ce chef, elles réclament la condamnation de Roan à leur payer respectivement à titre de dommages et intérêts provisionnels :

- 1 million de francs à Distribeauté

- 200 000 F à Paris Look

- 200 000 F à Lamotte Taurelle

et sollicitent la désignation d'un expert comptable aux fins d'évaluation de leur préjudice outre paiement de la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Roan conclut au débouté des demandes reconventionnelles.

La société Dalia France n'ayant pas constitué avoué et n'ayant pas été assignée, la Cour n'est pas valablement saisie en ce qui la concerne.

Sur ce,

Considérant qu'à titre liminaire il convient de relever qu'eu égard à la date de l'assignation les faits doivent être examinés au regard de la loi du 31 décembre 1964.

Considérant qu'au soutien de son appel Roan fait valoir que :

- la dénomination Poupon constitue la représentation quasi servile de la marque Pupa en particulier sur le plan phontique dès lors que cette marque italienne se prononce " Poupa " conformément aux règles de son pays d'origine,

- qu'il existe en toute hypothèse un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne car au moins une partie du public français prononce la marque Pupa à l'italienne,

- les deux dénominations présentent une similitude intellectuelle.

Mais considérant que Roan ne saurait être suivie en son argumentation.

Que tout d'abord il ne peut être valablement soutenu que la marque Poupon constitue une reproduction servile ou quasi servile de la marque Pupa sur le plan phonétique.

Qu'en effet les premiers juges ont justement retenu que selon les règles de la lecture française, seules applicables en France et connues du consommateur français, la première syllabe de Pupa se prononce Pu comme Puma et non Pou à l'italienne.

Que Roan ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 6 quinquies de la Convention d'Union de Paris qui stipule que " toute marque de fabrique ou de commerce régulièrement enregistrée dans le pays d'origine sera admise au dépôt et protégeable telle quelle dans les autres pays de l'Union " pour en conclure que sa marque doit se prononcer comme à l'italienne Poupa.

Considérant en effet que l'expression " telle quelle " employée dans le texte conventionnel vise la forme de la marque c'est à dire le signe qui la compose.

Que le texte a pour effet d'assurer la protection de la marque dans la forme du signe faisant l'objet de l'enregistrement d'origine.

Que sauf pour les motifs limitativement énumérés par la lettre B de l'article la marque est protégée dans les autres pays de l'Union.

Considérant en conséquence qu'il eut fallu que Roan dispose son signe sous une forme phonétique pour qu'il soit lu en France : Poupa.

Considérant par ailleurs qu'il n'existe aucune ressemblance sur le plan phonétique entre les deux dernières syllabes : Pon étant labiale et faible alors que PA et Gutturale et nettement plus sonore.

Considérant que Roan est tout autant mal fondée à soutenir qu'il existe un risque de confusion entre les deux dénominations pour le consommateur d'attention moyenne aux motifs qu'une partie du public prononce Pupa à l'italienne et qu'il existe une similitude intellectuelle.

Considérant en effet que sur le plan intellectuel tout d'abord, le terme Pupa se présente pour le public français qui ne connaît pas l'italien comme un mot dépourvu de tout sens, comme un simple néologisme.

Qu'en français la voyelle a n'étant pas la marque du féminin et le terme Poupon n'ayant pas d'équivalent féminin, il ne peut être prétendu que Pupa est le féminin de Poupon.

Considérant qu'en revanche le consommateur français sait que le mot poupon désigne un bébé encore au berceau ou un jouet figurant un bébé.

Considérant sur le plan phonétique que le procès-verbal d'huissier produit par Roan pour démontrer que la grande majorité du public français prononcerait la marque Pupa à l'italienne n'est pas probant dès lors d'une part qu'il a été dressé dans deux magasins clients de Roan désignés à l'avance par cette société, d'autre part qu'il se trouve contredit par les termes du constat dressé à la requête des défenderesses.

Qu'au surplus il résulte des propres pièces de l'appelante que le public français ne prononce pas spontanément " Pupa : Poupa " puisque Francine Stoko directrice de Cosmeto France prend le soin dans l'article publié dans " Nouvelles Esthétiques " de mars 1990 de souligner que Pupa se prononce à l'italienne " Poupa ".

Considérant que si les deux dénominations présentent une structure visuelle voisine et ont en commun la même consonne P placée en tête de chaque syllabe, les différences tant intellectuelles que phonétiques existant entre elles sont de nature à prévenir tout risque de confusion pour un consommateur d'attention moyenne qui ne les lit pas ou les entend pas simultanément.

Que dans ces conditions le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté Roan de sa demande du chef d'imitation illicite.

II - Sur les demandes reconventionnelles

Considérant que les sociétés défenderesses font valoir que du fait de l'assignation lancée par Roan et de son action commerciale cette société a dissuadé les revendeurs potentiels d'écouler les parfums Poupon.

Qu'il en est résulté pour elles un préjudice important, Lamotte Taurelle ayant dû retourner pour 741 064 F de marchandises et Distribeauté établir des avoirs pour une somme totale de 982 321,95 F.

Qu'elles estiment que Roan a engagé la procédure avec une légèreté blâmable.

Considérant que Roan réplique qu'en invitant la société Lamotte Taurelle par lettre de mise en demeure du 21 juin 1990 à cesser la commercialisation des produits sous la marque Poupon puis en introduisant la procédure, elle a légitimement usé de son droit d'ester en justice et n'a pas agi avec un légèreté blâmable.

Considérant ceci exposé qu'il résulte de la correspondance produite par les sociétés défenderesses que Roan n'a pas hésité à donner une publicité à la procédure par elle introduite en la faisant connaître courant juillet 1991 aux distributeurs de la marque Poupon tout en les menaçant de les poursuivre en contrefaçon (lettres Satinine, Procosa, Alrodo) et ce alors que les sociétés défenderesses n'avaient encore fait l'objet d'aucune condamnation pour contrefaçon.

Que le comportementde Roan qui s'analyse comme un véritable dénigrement d'un concurrent engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.

Qu'en l'espèce les manœuvres de Roan ont causé un préjudice d'autant plus important aux sociétés Distribeauté et Lamotte Taurelle que bien que l'action en contrefaçon soit rejetée, plusieurs sociétés tierces et notamment les sociétés Satinine, Alrodo et Procosa ont retourné leur stock de produits Poupon et cessé leur distribution auprès des détaillants.

Que si Distribeauté a fait paraître un encart publicitaire pour le parfum Poupon ce n'est qu'en juillet-août 1993 soit postérieurement au jugement entrepris et après avoir arrêté pendant deux ans toute distribution en France.

Que compte tenu des quantités de produits Poupon retournés à Distribeauté par ses différents distributeurs les sociétés Lamotte Taurelle en France Alrodo et Procosa en Suisse et Satinine en Italie (les références portées sur les avoirs permettant en se reportant à la plaquette publicitaire diffusée par Distribeauté de contrôler que tous les produits retournés étaient marqués Poupon), du montant des avoirs établis par Distribeauté et du handicap auquel les sociétés Distribeauté et Lamotte-Taurelle vont devoir faire face avant de pouvoir à nouveau commercialiser les produits Poupon et retrouver la confiance de leurs clients, la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer ainsi qu'il suit leur préjudice sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise :

- Distribeauté : 800 000 F

- Lamotte Taurelle : 100 000 F.

Considérant en revanche que Paris Look dont le rôle n'est pas précisé ne justifiant ni commercialiser des produits marqués Poupon ni avoir retourné son stock à Distribeauté sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

III - Sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile

Considérant que Roan qui succombe sera déboutée de sa demande de ce chef.

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable que les sociétés Distribeauté, Lamotte Taurelle, Paris Look conservent la charge des frais par elles engagés en appel.

Qu'il convient de leur allouer une somme supplémentaire globale de 15 000 F, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation des frais de première instance.

Par ces motifs : Constate que la Cour n'est pas valablement saisie à l'encontre de la société Dalia France, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Distribeauté et Lamotte Taurelle de leur demande reconventionnelle, Le réformant de ce chef et statuant à nouveau, Dit que la société Roan a commis des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Distribeauté et Lamotte Taurelle, La condamne à leur payer à titre de dommages et intérêts : - à la société Distribeauté la somme de Huit Cents Mille Francs (800 000 F), - à la société Lamotte Taurelle la somme de Cent Mille Francs (100 000 F), Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Roan à payer aux sociétés Distribeauté, Lamotte Taurelle et Paris Look une somme globale supplémentaire de Quinze Mille Francs (15 000 F) en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. La condamne aux dépens d'appel, Admet Me Baufume Avoué au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.