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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 24 octobre 1994, n° 93-003317

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

La Baignoire (SARL)

Défendeur :

Guillois, Deciag (Sté), Sajem (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mmes Mandel, Marais

Avoués :

SCP Bernabé Ricard, SCP Menard Scelle Millet

Avocats :

Me Lamoureux, SCP Woog Sari.

T. com. Bobigny, 1re ch., du 1er oct. 19…

1 octobre 1992

Dans des circonstances suffisamment exposées par les premiers juges de la société " La Baignoire " avait attrait Monsieur Guillois, la société Deciag et la société Sajem (depuis devenue Elia) devant le Tribunal de Commerce de Bobigny afin d'obtenir la cessation d'actes qualifiés de contrefaçon de modèles déposés et de concurrence déloyale et la réparation du préjudice qui en serait résulté.

Les défendeurs s'étaient opposés à cette demande et avaient conclu à l'annulation des modèles déposés.

Par son jugement du 1er octobre 1992 auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens, moyens et prétentions antérieurs la première chambre du Tribunal a débouté les parties de leurs demandes respectives et condamné " La Baignoire " aux dépens.

" La Baignoire " a relevé appel par déclaration du 7 janvier 1993 et saisi la Cour le 15 février 1993.

Après des conclusions banales de débouté des intimés, et tendant au paiement de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, " La Baignoire " a conclu à la réformation, à ce qu'il soit jugé que les intimés ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire, au paiement d'une indemnité provisionnelle de 500 000 F à valoir sur la réparation du préjudice à déterminer après expertise, de 25 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et tous les dépens, à la publication de l'arrêt, aux frais solidaires des défendeurs dans cinq journaux aux choix de la demanderesse, dans la limite de 25 000 F HT par insertion, au débouté des défendeurs.

Ceux-ci ont conclu à la confirmation de principe du jugement, à la mainlevée de la saisie-contrefaçon et par voie d'appel incident à l'annulation et à la radiation des dépôts de modèles, au paiement d'une indemnité de 100 000 F, d'une somme de 10 000 F au titre des articles 75.1. de la loi du 10 juillet 1991 et 700 du nouveau code de Procédure Civile et des dépens, subsidiairement au débouté faute de preuve d'un préjudice.

Par ses écritures ultérieures " La Baignoire " a réintroduit le grief de contrefaçon qu'elle paraissait avoir abandonné, et conclu au débouté des prétentions adverses, ce qui a entraîné une dernière réplique, le 9 septembre 1994, des intimés.

L'ordonnance de clôture a été signée le 12 septembre 1994.

Néanmoins les intimés ont cru devoir, le 13 septembre 1994 communiquer trois nouvelles pièces et, le 16 septembre 1994, demander la révocation de l'ordonnance de clôture au motif qu'ils avaient sollicité en vain un report de la clôture et qu'ils avaient communiqué des pièces.

Sur ce,

1 - Sur la demande de révocation de la clôture et des pièces communiquées après clôtures

Considérant que dès lors que les dernières écritures de l'appelante avaient été signifiées le 27 juin 1994, et que celle-ci n'avait, après cette signification, communiqué aucune pièce il appartenait aux intimés, non seulement de conclure avant le 12 septembre 1994, date fixée pour la clôture et qu'ils connaissaient depuis le 27 juin 1994, mais encore de communiquer leurs pièces à une date compatible avec le respect des droits de la défense ;

Qu'ils n'invoquent aucune cause grave ;

Qu'il sera remarqué que l'attestation Ramez a été obtenue le 17 août 1994 ;

Que la demande sera rejetée et les pièces n° 2, 3 et 4 communiqués les 13 et 16 septembre 1994 déclarées d'office irrecevables ;

2 - Sur la validité des dépôts de modèles

Considérant que pour contester la décision du Tribunal qui les ont déboutés sur ce point, les intimés allèguent que " La Baignoire ", qui avait distribué les produits Carbaline, a ensuite commercialisé des produits en tous points identiques à ceux de cette société et qui constitueraient une antériorité de toutes pièces, ce que la Baignoire aurait reconnu devant le juge rapporteur ;

Que La Baignoire soutient au contraire qu'il n'y a pas d'antériorité ayant une date incontestable pour chacun des modèles déposés ;

Considérant, ceci exposé, que le prétendu aveu judiciaire qu'aurait fait La Baignoire n'est en réalité, si on se reporte au jugement page deux, que la reconnaissance de ce qu'avant la date des dépôts de modèles La Baignoire distribuait des produits de la société italienne Carbaline ;

Qu'en effet le jugement ne comporte aucune identification des antériorités alléguées qui permette de la comparer aux modèles déposés ;

Que de plus le débat sur la contrefaçon ne portait, selon le jugement, que sur les étiquettes et non sur le flaconnage qui fait l'objet du dépôt du modèle ;

Considérant que, selon la copie du certificat d'identité, " La Baignoire " a déposé, le 17 décembre 1990, 28 modèles de flacons ;

Que le dépôt a été ouvert le 26 décembre 1990 et les reproductions photographiques exposées le 29 avril 1991 ;

Considérant que les " antériorités " produites par les intimés sont constituées par des documents datés ou non datés ;

Que parmi les documents non datés on remarque :

- le catalogue Carbaline avec une attestation, non traduite, écrite en italien, selon laquelle les produits figurant au catalogue seraient commercialisés depuis 1975,

- une page du " Journal de la maison " reproduisant des flacons " Carbaline ",

- une page d'un catalogue qui serait celui des Galeries Lafayette,

- quatre pages intitulées " Beauté News " qui proviendraient de " Elle ",

- deux pages " envies en vue - coup de coeur " qui proviendraient de " Femme Pratique " ;

Considérant que l'attestation de Carbaline n'étant corroborée par aucune pièce datée de manière incontestable et les pages de revues ou de catalogues n'étant que des feuilles volantes portant une mention de la date qui leur est attribuée écrite par ceux qui les ont produites et qui n'ont pas cru devoir communiquer les revues ou catalogues entiers, ces documents sont dépourvus d'intérêt en ce qu'ils ne prouvent pas que leur contenu est antérieur au dépôt de modèles ;

Considérant que le catalogue Stephen Young and associates pour les produits Carbaline est daté de janvier 1988 ;

Qu'une comparaison attentive, flacon par flacon que la Cour a effectuée révèle que les références 1033, 1057 F et 1062 du catalogue ont des formes proches des modèles portant les références 294 613 et 294 619 pour la première, 294 616 pour la deuxième, 294 639 pour la troisième ;

Mais considérant qu'alors que la référence 1033 est un flacon tronconique à base circulaire, les modèles 294 613 et 294 619, s'ils sont tronconiques, ont une base pratiquement rectangulaire et portent une étiquette en forme de triangle isocèle, à la différence de l'antériorité ;

Que si la référence 1057 F et le modèle 294 616 ont en commun une base carrée et quatre arêtes verticales, les formes du modèle sont beaucoup plus arrondies vers le haut, le bouchon est transparent au lieu d'imiter un cachet de cire, l'étiquette est en forme de demi-cercle au lieu d'être rectangulaire et arrondie vers le haut ;

Qu'entre la référence 1062 et le modèle 294 639 on remarque des différences essentielles quant à la forme du goulot, plus évasée dans le modèle et le bouchage, le bouchon de liège ligaturé par un fil de la référence 1062 étant remplacé par un bouchon en forme de champignon aplati tandis que l'étiquette du modèle passe par-dessus un ruban qui part du goulot ;

Que la nouveauté des modèles n'est pas détruite par ces antériorités qui ne sont pas de toutes pièces ;

Considérant que pour ces modèles, et a fortiori pour les 24 autres auxquels aucune antériorité n'a été opposée par les intimés qui ont la charge de la preuve on se trouve en présence de combinaisons nouvelles de formes connues en elles-mêmes qui portent l'empreinte de la personnalité de l'auteur, le mérite ou la destination des œuvres ne constituant pas des critères de la protection ;

Que la transmission des droits à " La Baignoire ", qui est présumée titulaire des droits en vertu du dépôt de modèles ne fait l'objet d'aucune contestation ;

3 - Sur la contrefaçon alléguée

Considérant que " La Baignoire ", qui n'oppose aucun modèle en particulier aux produits vendus par les intimés fait valoir que les modèles, tous de formes différentes, ont pour caractéristiques essentielles d'être fermés par des bouchons en liège, ligaturés par une cordelette de couleur assortie au liquide contenu dans le flacon et de comporter sur la face avant une étiquette manuscrite à l'encre noire sur papier beige avec une bordure noire tracée à 2 mm des bords ;

Que les intimés s'opposent à cette argumentation ;

Considérant, ceci exposé, que dans la mesure où les écritures de " La Baignoire " seraient interprétées comme invoquant une contrefaçon des flacons déposés comme modèles eux-mêmes une telle demande ne saurait aboutir ;

Qu'en effet, on ne trouve dans aucun des modèles déposés la taille en diamant adoptée pour les " cristallines " Ségolène Valmer saisies alors qu'il s'agit de l'aspect essentiel du flacon ;

Qu'aucun des modèles ne porte le gros bouchon sphérique en bois ou imitation de bois des " cristallines " ;

Que le grief de contrefaçon des étiquettes n'est pas fondé dès lors que dans les antériorités datées Carbaline (1988) on remarque aux références 5509, 5510, 5511, 5512, 5513 des étiquettes rectangulaires correspondant en tous points, tant pour la forme que pour la couleur et le graphisme, à la définition que " La Baignoire " donne de ses propres étiquettes dans ses écritures ;

Que " La Baignoire " ne possède un monopole que sur la combinaison nouvelle et originale de chacun de ses modèles ;

Que ce monopole ne s'étend pas à un élément (étiquette) pris isolément, qui fait partie du domaine public ;

Que faute par les intimés de reproduire la combinaison elle-même il n'y a pas contrefaçon ;

Que la mainlevée de la saisie sera donc ordonnée ;

4 - Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que " La Baignoire " allègue que les défendeurs, qui antérieurement avaient distribué ses produits en France et aux Etats-Unis ont reproduit sans aucune nécessité une présentation d'ensemble et la même gamme de couleurs en fonction des produits entrant dans la composition amenant ainsi la clientèle à confondre les produits ;

Qu'en outre Sajem a vendu en France des produits destinés aux Etat-Unis ;

Qu'ils ont utilisé aussi un flacon à taille diamant que " La Baignoire " avait fait fabriquer par un industriel portugais ;

Que ces pratiques ont permis aux défendeurs de faire l'économie de recherches et d'adopter à coup sûr les produits ayant la faveur du public ;

Considérant que les intimés répondent que leurs flacons sont des " produits-standards " dont la fabrication a débuté en 1925 et a été reprise dans les années 50 ;

Que le bouchonnage est très différent ;

Que les étiquettes sont d'un usage commun ;

Que les gammes ne sont pas entièrement identiques ;

Qu'il n'est pas prouvé que M. Guillois et Sajem aient commis des actes de concurrence déloyale ;

Que Deciag n'a pas la même clientèle que " La Baignoire " ;

Que M. Guillois et Sajem et a fortiori Deciag n'ont jamais eu accès à des informations sur les produits de " La Baignoire " et le marché français ;

Qu'il n'existe aucune obligation de non-concurrence entre Sajem et " La Baignoire " ;

Qu'en toute hypothèse il n'y a pas preuve d'un préjudice ;

Considérant, ceci exposé, que s'il résulte des attestations produites que " La Baignoire " aurait commandé à un industriel portugais des flacons en taille de diamant et même qu'elle en aurait présenté dans ses salles d'exposition, aucun des dépliants de " La Baignoire ", montrant ses productions ne comporte un de ces flacons ;

Qu'en outre, la lettre de la société Waltersperger à Sajem du 23 septembre 1991 montre qu'il s'agit d'une forme déjà fabriquée dans les années 20 et les années 50 ;

Qu'en l'absence de preuve certaine d'une commercialisation antérieure, l'utilisation de tels flacons ne peut être critiquée au titre de la concurrence déloyale ;

Mais considérant qu'alors qu'il est établi par les catalogues de " La Baignoire " que celle-ci a composé une gamme de bains moussants dont la couleur est fonction de l'élément végétal incorporé dans le produit, six sur huit des bains moussants " les cristallines " reprennent sans nécessité la même couleur (à quelques nuances imperceptibles près) pour les mêmes éléments végétaux ;

Qu'à cette gamme de produits dont la couleur est identique s'ajoute le fait que les étiquettes ont la même tonalité, le même graphisme, les mêmes liserés et des mentions quasi-identiques(au nom près du fabricant) ;

Que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, les autres parfumeurs (Chanel, Roger Galet, Paco Rabanne, etc.) ont su trouver des étiquettes qui se distinguent nettement de celles de la concurrence ;

Qu'on ne peut soutenir que " tout le monde " utilise le même type d'étiquette ;

Qu'en dépit de la différence relative aux bouchons, il demeure un risque de confusion pour la clientèle au niveau du produit alors qu'un commerçant honnête doit distinguer ses produits de ceux de ses concurrents ;

Qu'en vain, il est soutenu que la clientèle ne serait pas la même ;

Qu'en effet, les consommateurs qui fréquentent les boutiques de cadeaux n'ignorent pas ce qui se vend en parfumerie et dans les grands magasins, lesquels, au demeurant, abritent aussi des boutiques de cadeaux fort connues ;

Que par ces faits, distincts de la contrefaçon, Deciag, qui vend les produits critiqués, a engagé sa responsabilité ;

Que cette responsabilité se trouve encore engagée du fait de cette commercialisation pour laquelle Deciag s'est mise dans le sillage de " La Baignoire " et s'est appropriée, à moindres frais, une méthode de vente concurrente ce qui lui a permis de profiter du succès de ce concurrent;

Qu'un tel comportement parasitaire est fautif;

Qu'en revanche, il ne résulte, ni du procès-verval de saisie-contrefaçon, ni d'aucune autre pièce, que la responsabilité de Sajem-Elia ou de Monsieur Guillois personnellement puisse être engagée pour les faits ci-dessus exposés ;

Considérant sur les faits de commercialisation par Sajem et France de produits de " La Baignoire " qui étaient destinés à la vente aux Etats-Unis qu'il résulte des propres écritures de " La Baignoire " que ce n'est pas Sajem mais sa filiale, Actuel France, qui avait la distribution des produits de " La Baignoire " aux Etats-Unis ;

Qu'en vendant en France des produits invendus aux Etats-Unis Sajem n'a commis aucune faute, étant observé qu'il n'est pas allégué par " La Baignoire " que Sajem se soit irrégulièrement procuré ces produits ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, tout acte de concurrence déloyale et/ou parasitaire est source de préjudice non pas seulement en ce qu'il entraîne, le cas échéant, une perte de chiffre d'affaires (fait non prouvé en l'espèce) mais en ce qu'il a facilité l'implantation sur la marché de Deciag, concurrent indélicat ;

Que la Cour, sans qu'une expertise soit utile, trouve dans les faits ci-dessus exposés des éléments suffisants pour évaluer à 200 000 F le préjudice subi par " La Baignoire " ;

Que les publications autorisées comme indiqué au dispositif constituent un complément de réparation adéquat ;

Qu'en équité il sera alloué à " La Baignoire " la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

5 - Sur la demande reconventionnelle

Considérant que la demande de " La Baignoire " étant, à l'égard de Deciag admise pour partie elle ne saurait être jugée abusive ;

Considérant que l'abus de procédure n'est pas caractérisé à l'égard de Sajem-Elia et de Monsieur Guillois eu égard aux relations commerciales antérieures entre Sajem et " La Baignoire " et aux fonctions exercées par Monsieur Guillois ;

Considérant qu'en équité, il ne sera pas fait application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile au profit des intimés ;

Par ces motifs : Rejette la demande de révocation de la clôture, Dit irrecevables les pièces 2, 3 et 4, Confirme le jugement du 1er octobre 1992 en ce qu'il a débouté la société " La Baignoire " de ses demandes basées sur la contrefaçon, ainsi que de ses demandes en concurrence déloyale et/ou parasitaire à l'encontre de Monsieur Guillois et de Sajem-Elia, et en ce qu'il a débouté les défendeurs de leurs prétentions reconventionnelles, Réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit que la société Deciag a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société " La Baignoire ", Autorise la société " La Baignoire " à faire publier le présent arrêt dans trois journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la société Deciag sans que le coût total des insertions puisse excéder 60 000 F HT, Condamne la société Deciag à payer à la société " La Baignoire " : - une indemnité de deux cents mille francs (200 000 F), - une somme de dix mille francs (10 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, - les dépens d'instance et d'appel, Admet pour ceux d'appel la SCP Bernabé Ricard Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile, Donne mainlevée de la saisie-contrefaçon du 6 septembre 1991, Déboute les parties de leurs autres demandes comme mal fondées.