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Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 1, 19 octobre 1994, n° 92001968

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tripette et Renaud (Sté)

Défendeur :

Werner Thieme GMBH (Sté), SF Simon Graphic (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

Mme Martin-Pigalle, M. Puechmaille

Avoué :

SCP Parrain-Garnier

Avocats :

Mes Tremblay, Delgrange, Carrion.

CA Orléans n° 92001968

19 octobre 1994

Statuant sur l'appel régulièrement formé par la Société Tripette et Renaud contre un jugement rendu le 13 mai 1992 par le Tribunal de Commerce d'Orléans qui a :

- constaté qu'aucun acte de dénigrement ne pouvait être imputé à la Sté Simon-Graphic, qu'aucun préjudice ne peut être invoqué par Tripette et Renaud suite à son intervention,

- rejeté l'intégralité des demandes de Tripette et Renaud à l'encontre de Simon-Graphic,

- constaté que Thieme avait pris part à la rédaction partielle du courrier contesté, que les termes de la circulaire ne contenaient aucun dénigrement, que Thieme n'avait pas détourné le fichier de Tripette et Renaud, que la connivence sinon la complicité existait entre Thieme et

Simon-Graphic,

- constaté que Thieme fournissait des éléments pour établir un éventuel préjudice mais les a déclarés mal fondés,

- dit que Tripette et Renaud n'a été victime d'aucune manœuvre de concurrence déloyale,

- dit que le Tribunal devait se prononcer et statuer, nonobstant l'instance dont était saisi le Tribunal de Nnaterre,

- condamné la Sté Tripette et Renaud à payer à la Sté Simon-Graphic la somme de 40.000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à la Sté Werner Thieme celle de 20.000 F sur la base du même article.

La Société de droit allemand Werner Thieme fabrique des machines de sérigraphie. En 1978 elle a confié à la Société Tripette et Renaud la distribution en France de ses produits. Courant 1989-90, elle a décidé d'implanter une filiale dans ce pays.

Dans ce contexte, la Société JF Simon-Graphic contactée pour devenir ingénieur-conseil de cette filiale a adressé le 30 mars 1990 aux clients de Tripette et Renaud possesseurs d'une machine Thieme une circulaire rédigée notamment en ces termes :

" Ma fonction auprès de Thieme SA consiste clairement à replacer le constructeur, peut être actuellement le meilleur au monde, au niveau technique et commercial qui doit lui revenir sur notre marché,

Nous allons trouver un agent pour l'Est et le couloir Rhodanien, puis je serai moi-même leur agent à l'Ouest d'une ligne Bordeaux-Metz..

Nous allons effectuer une série de visites techniques gratuites (main-d'œuvre et déplacement à notre charge) sur les machines vendues entre 1981 et 1989,

Le propos est clair : recueillir les critiques, y pallier, repartir sur des bases de coopération avec nos clients que nous souhaitons aider sans intermédiaire, pour nos communs avantages... "

Ayant eu connaissance de ce courrier par ses clients, la Sté Tripette et Renaud s'en est plainte auprès de la Sté Thieme laquelle a prétendu n'en rien savoir.

Par courrier du 5 mai 1990, la Société Thieme a interdit à la Sté Tripette et Renaud de proposer son matériel à compter du 11 mai suivant.

Suivant actes d'huissier des 2 et 18 juillet 1990, celle-ci a fait assigner devant le Tribunal de Commerce d'Orléans la Société Simon-Graphic et la Sté Thieme en réparation du préjudice subi par elle ensuite d'agissements qualifiés d'actes de concurrence déloyale. Sur quoi a été rendue la décision déférée.

Parallèlement Tripette et Renaud a assigné la société Thieme devant le Tribunal de Commerce de Nanterre en rupture abusive du contrat.

Devant la présente Cour, la Société Tripette et Renaud conclut à l'infirmation de la décision déférée et sollicite la condamnation in solidum de Simon-Graphic et de Thieme à lui payer la somme de 1.880.198,28 F au titre du préjudice subi par elle ensuite des agissements de concurrence déloyale commis par ces sociétés, outre la condamnation de la Société Thieme à lui payer 100.000 F à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral.

Elle réclame également la condamnation des deux sociétés à la publication de la décision à leurs frais dans dix journaux ou revues professionnelles et enfin l'allocation de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient que la lettre de Simon-Graphic sus visée qui démontrerait que celle-ci devait assumer une fonction commerciale et était donc en situation de concurrence avec elle comporte plusieurs propos constitutifs de dénigrement à savoir:

- que Thieme n'a jamais eu la place qui devait lui revenir sur le marché par la faute de son concurrent,

- que les visites techniques de l'ancien distributeur étaient trop chères,

- l'existence de critiques qui seraient susceptibles d'être faites à Tripette et Renaud par ses clients,

- qu'aucune coopération n'existait entre Tripette et Renaud et ses clients,

- que l'existence d'un intermédiaire tel que Tripette et Renaud nuirait fortement au service des clients.

Elle indique que en raison de l'étroitesse du marché, des clients choisis et du caractère d'exclusivité des relations Thieme / Tripette et Renaud qu'elle revendique la Société visée par la lettre était parfaitement identifiable.

Se défendant par ailleurs d'avoir commercialisé des produits concurrents, la Sté Tripette et Renaud prétend que Thieme a été complice du dénigrement commis par Simon-Graphic, la circulaire ayant été rédigée en Allemagne par celle-là qui a en outre communiqué à celle-ci les éléments nécessaires à son envoi.

La Société Tripette et Renaud reproche également à Thieme de lui avoir détourné son fichier client et de l'avoir confié à la Société Simon-Graphic sans son autorisation.

S'agissant de son préjudice elle fait état de la baisse du chiffre d'affaires réalisé avec les clients auxquels les circulaires ont été adressées à savoir les acheteurs auprès d'elle de machines Thieme le distinguant selon elle de celui né de la rupture du contrat.

Enfin la Société Tripette et Renaud s'oppose à la demande reconventionnelle de Simon-Graphic en faisant valoir que celle-ci ne peut se prévaloir de ses agissements pour exiger une quelconque indemnisation et qu'en toute hypothèse sa responsabilité dans la rupture des relations entre elle et Thieme n'est pas établie.

La Sté Simon-Graphic conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a débouté la Sté Tripette et Renaud de ses demandes mais par voie d'appel incident réclame la condamnation de cette dernière à lui payer :

- 100.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte du contrat de contrôle des machines Thieme,

- 40.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- 30.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Subsidiairement, elle sollicite la garantie de la Société Thieme.

Affirmant avoir un poids économique négligeable par rapport aux autres sociétés et faisant valoir n'avoir agi en l'espèce qu'en qualité d'agent technique de Thieme qui désirait implanter une filiale en France et en aucun cas comme distributeur de ses matériels, la Société Simon-Graphic prétend que dans le contexte de l'opération de réorganisation, le courrier litigieux ne remettait absolument pas en cause la qualité du travail fourni par l'appelante mais se contentait de présenter les avantages de cette réorganisation. Elle allègue que cette lettre dont l'avant projet aurait été rédigé en Allemagne par Thieme ne présentait aucun caractère commercial mais seulement technique et qu'en toute hypothèse elle n'a tiré aucun profit de son activité avec Thieme.

La société Simon-Graphic soutient aussi que la baisse du chiffre d'affaires alléguée ne découlerait que de la dégénérescence du contrat moral liant Tripette et Renaud à Thieme et de la rupture des relations contractuelles mais non du prétendu dénigrement.

Enfin elle prétend avoir subi une importante baisse de revenus dans la mesure où elle aurait été obligée à la suite de l'attitude de Tripette et Renaud de cesser toutes relations avec Thieme pour éviter l'équivoque.

La Sté Werner Thieme conclut au rejet des prétentions de Tripette et Renaud et à sa condamnation au paiement de 40.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Subsidiairement, elle sollicite la garantie de Simon-Graphic.

Elle fait valoir que le courrier incriminé ne contient aucun dénigrement à l'égard de Tripette et Renaud alléguant que Simon-Graphic qui devait seulement intervenir en tant qu'ingénieur-conseil et non comme distributeur se bornait à y expliciter son rôle, les objectifs visés et les moyens à mettre en œuvre pour assurer un bon début à sa collaboration future avec les possesseurs de machines Thieme et relevant que le nom de l'appelante n'y est pas cité.

La Société Werner Thieme prétendant par ailleurs que Tripette et Renaud ne lui a jamais remis son fichier clients mais seulement copie des factures des machines Thieme vendues en France relève qu'elle s'est bornée à donner à Simon-Graphic une liste élaborée à partir des dites factures en sa légitime possession.

Elle conteste aussi avoir participé à l'élaboration du courrier, prétendant que celui-ci a été réalisé et rédigé de la propre initiative de Simon-Graphic et non sur ses ordres.

Enfin, elle affirme que Tripette et Renaud est incapable d'établir le moindre préjudice et encore moins le lien de causalité entre celui allégué et la diffusion de la circulaire, affirmant que les demandes chiffrées sont tout à fait incohérentes et inacceptables en l'état.

Sur ce,

Attendu qu'il est constant que lorsque Thieme a confié en 1978 la distribution en France de ses produits à Tripette et Renaud, aucun contrat n'a été signé entre les deux sociétés.

Que en 1983, Thieme s'avisant du petit chiffre d'affaires réalisé par Tripette et Renaud s'agissant de ses machines e demandé à son distributeur la possibilité de faire intervenir sur le marché français une autre société : la société Hullmuller.

Que enfin en 1988, Tripette et Renaud a donné son accord pour qu'un concurrent "Europrim" commercialise également les machines Thieme en France.

Attendu que par lettre du 7 septembre 1989, Werner Thieme a avisé la Société Tripette et Renaud de son désir d'implanter en France une filiale destinée à assurer la représentation de ses machines ; Que dans ce courrier par lequel la société allemande proposait à la société française d'étudier des possibilités de travail en commun il était notamment indiqué :

" J'ai pu me rendre compte que vous-même n'êtes pas satisfaits avec la collaboration que nous avons dans le domaine de la vente des machines de sérigraphie et je m'imagine que vous arrivez à la conclusion que cela n'a pas été un succès " ;

Que par lettre datée par erreur du 9 janvier 1989 (en réalité 1990 cf. cachet d'arrivée et mention d'un vendredi 19), Tripette et Renaud a répondu ainsi à Thieme:

" Votre projet de filiale en France je vous comprends à cent pour cent. Je crois cependant qu'il serait favorable pour nos deux sociétés si nous commercialisions tout de même avec exclusivité une partie de votre gamme de produits pour la sérigraphie...

Comme vous le voyez, je cherche toutes les idées possibles qui favoriseraient nos sociétés afin d'oublier les côtés négatifs..

Que c'est dans ce contexte que la Société Simon-Graphic a élaboré la lettre litigieuse dont il est démontré qu'elle a été adressée au moins à trois possesseurs de machines Thieme vendues par Tripette et Renaud: Les Ateliers Réunis, Seretip et Mace Publipac.

Que bien qu'ayant protesté immédiatement auprès de Thieme contre le contenu de ce courrier, Tripette et Renaud a parallèlement poursuivi avec la société allemande ses discussions lesquelles ont abouti à la lettre du 5 mai 1990 de Werner Thieme suivie notamment d'un courrier du 23 mai de Tripette et Renaud.

Sur le dénigrement

Attendu que le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent en répandant à son propos ou au sujet de ses produits ou services des informations malveillantes; Qu'il n'est effectivement pas nécessaire que le concurrent soit désigné pour qu'il y ait dénigrement dès lors que celui-ci est, compte tenu de l'étroitesse du marché, facilement identifiable ;

Attendu qu'à supposer que la Société Simon-Graphic ait été en situation de concurrence avec la Société Tripette et Renaud, il n'en demeure pas moins que les termes utilisés par celle-là même s'ils sont parfois maladroits ne sont pas constitutifs d'un dénigrement.

Qu'en effet la Société Tripette et Renaud n'est jamais désignée dans le courrier ; que dès lors qu'il a été indiqué ci-dessus que d'autres sociétés distribuaient également les machines Thieme sur le marché français, il ne peut être admis que la phrase :

" ma fonction auprès de Thieme SA consiste clairement à replacer le constructeur au niveau technique et commercial qui doit lui revenir sur le marché " la vise personnellement.

Que de même " nous allons effectuer une série de visites techniques gratuites (main-d'œuvre et déplacement à notre charge) sur les machines vendues entre 1981 et 1989 "

n'est nullement répréhensible puisqu'elle ne contient aucun reproche à l'encontre de Tripette et Renaud, et ne peut s'assimiler, dans le contexte sus-évoqué d'implantation de filiale, à un détournement de clientèle.

Qu'il en est de même de la suivante :

" le propos est clair : recueillir les critiques, y pallier, repartir sur des bases de coopération avec nos clients que nous souhaitons aider sans intermédiaire, pour nos communs avantages :

les critiques éventuelles des clients pouvant tout aussi bien concerner la qualité et la fiabilité du matériel fabriqué par Thieme que le service après-vente assuré par les sociétés distributrices de celui-ci quelles qu'elles soient.

Attendu que ce courrier ne dépasse pas en fait les limites autorisées dans une société de Libre concurrence dès lors qu'il était tout à fait. justifié, eu égard aux relations commerciales envisagées, que Simon-Graphic

à avoir une vue exacte de la situation telle qu'elle se présentait objectivement en France en se renseignant directement auprès des possesseurs de machines Thieme.

Que l'interprétation donnée par la société Tripette et Renaud est tendancieuse et résulte à l'évidence d'un sentiment de persécution injustifié.

Sur le détournement de fichier

Attendu que Werner Thieme ne conteste nullement avoir remis à la Société Simon-Graphic la liste des possesseurs de machines Thieme en France.

Mais attendu que cette liste était en la légitime possession de Thieme puisqu'il résulte de ses factures à Tripette et Renaud que le fabricant connaissait le véritable destinataire de la machine achetée par son distributeur, ce que d'ailleurs n'a jamais contesté ce dernier.

Qu'ainsi, la société Werner Thieme pouvait disposer librement de cette liste sans avoir à demander au préalable l'autorisation de Tripette et Renaud ce d'autant que les clients en question étaient surtout et avant tout, même indirectement, les siens propres et que dans le contexte de l'implantation envisagée de la filiale, projet auquel adhérait la société Tripette et Renaud, elle se serait, de toutes façons, servi de ces informations.

Que compte tenu de l'ensemble de ces éléments c'est à bon droit que le premier juge a considéré que les intimés n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de Tripette et Renaud.

Que surabondamment, il convient de relever que l'appelante ne justifie pas d'un préjudice qui serait distinct de celui qu'aurait pu lui causer la rupture du contrat et alors au surplus qu'il n'est démontré en l'état que l'envoi de trois courriers à des sociétés dont on ne sait si cette lettre les a conduites à cesser leurs relations commerciales avec Tripette et Renaud.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par la Société Simon-Graphic

Attendu qu'il n'est nullement prouvé, comme le soutient la société Simon-Graphic,qu'elle ait dû cesser sa collaboration commerciale avec Werner Thieme du fait de l'attitude de Tripette et Renaud ;

Que par ailleurs la même Simon-Graphic n'établit pas la faute qu'aurait commise l'appelante et qui ferait dégénérer en abus le droit de plaider ; Que c'est donc à tort que le premier juge lui a alloué des dommages et intérêts ; Qu'il convient d'infirmer le jugement de ce chef et de débouter la Société Simon-Graphic de ses prétentions.

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a dit que les sociétés Simon-Graphic et Werner Thieme n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Tripette et Renaud et en ce qu'elle a débouté cette dernière de ses demandes, Infirmant pour le surplus, Déboute la société Simon-Graphic de ses demandes en dommages et intérêts, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne la Société Tripette et Renaud aux dépens de première instance et d'appel, Accorde à la SCP Duthoit-Desplanques et à la SCP Laval-Lueger, avoués, le droit prévu à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.