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Décisions

Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-21.087

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Department Store (SA)

Défendeur :

Poloco (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Huglo

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

SCP Gatineau, Me Thomas-Raquin.

T. com. Paris, du 30 mai 1990

30 mai 1990

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er octobre 1992), que la société anonyme Department Store a assigné en refus de vente la société Poloco qui distribue en gros les vêtements d'hommes et d'enfants de la marque Ralph Lauren ; que celle-ci a formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Poloco reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à des dommages-intérêts envers la société Department Store au titre de deux commandes non satisfaites en février et avril 1989, au motif que les ordres présentés par Department Store constituaient des commandes régulières, Poloco ayant sans équivoque renoncé à exiger le strict respect de ses conditions de vente, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il incombe à la partie prétendant que l'autre a renoncé à ses droits d'en rapporter la preuve, qu'en se déterminant par le motif " Poloco n'a pas justifié que, de manière générale, elle exigeait de ses clients le respect strict des conditions générales de vente ", la cour d'appel a interverti la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ; alors, d'autre part, que la renonciation ne peut résulter que d'une attitude dépourvue d'équivoque relative à l'acte en cause ; que la circonstance que la société Poloco, à l'occasion d'autres commandes, n'ait pas exigé le strict respect de ses conditions générales de vente, ne pouvait valoir de sa part renonciation générale et absolue au bénéfice desdites conditions à l'occasion de nouvelles commandes dont rien ne venait lui garantir le paiement effectif de la part d'un client avec lequel les relations étaient difficiles ; qu'en retenant dans ces circonstances une telle renonciation, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et alors enfin, que celui qui adresse un bon de commande ne formule qu'une offre d'achat et que la vente ne devient parfaite que par l'acceptation du vendeur ; qu'à défaut de constater une telle acceptation, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une vente parfaite et a violé de plus fort l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, qu'après avoir constaté que, selon les conditions générales de vente de la société Poloco, toute demande de livraison doit faire l'objet d'un bon de commande revêtu de la signature et du cachet commercial du client et que chaque bon de commande pour livraison à terme donne lieu à établissement d'un accusé de réception de commande qui seul vaut confirmation de l'ordre, l'arrêt constate que de précédents ordres présentés en 1988 par Department Store ne comportaient ni signature ni cachet commercial et n'avaient fait l'objet d'aucun accusé de réception de la part de la société Poloco tandis que la marchandise correspondante avait bien été livrée par elle, que les ordres litigieux de février et avril 1989 comportaient des corrections et des annulations de commandes sur certains articles qui établissaient que des contacts s'étaient maintenus pour aboutir à une commande devant donner satisfaction aux deux parties, et retient que, si la société Poloco avait estimé les ordres litigieux irréguliers, il lui aurait appartenu, compte tenu de la pratique antérieure, d'en informer de manière précise et dans un délai raisonnable Department Store pour que cette société régularise ses commandes, ce qui n'a pas été fait ; que la cour d'appel qui, saisie d'une demande en dommages-intérêts pour refus de vente, n'avait pas à répondre au grief inopérant visé par la troisième branche du moyen, tandis que le motif critiqué par la première branche est surabondant, a déduit de ces constatations que la société Poloco avait renoncé sans équivoque à exiger de la société Department Store le strict respect de ses conditions générales de vente et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses cinq branches : - Attendu que la société Department Store fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour refus de vente au titre de commandes postérieures au 14 novembre 1989, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le fait de procéder à des soldes hors saison ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale dès l'instant où ces soldes ont reçu l'autorisation du maire, ce que celui-ci peut légalement faire à quelque époque de l'année ; qu'en l'espèce, la juridiction pénale a estimé que la seule faute qui pouvait être reprochée à la société Department Store était de ne pas avoir sollicité d'autorisation préalable, et que cette faute n'avait causé aucun préjudice à la société Poloco ; qu'en estimant, que celle-ci pouvait invoquer ce manquement devant le juge civil comme constituant une faute distincte, constitutive de concurrence déloyale, quand cette concurrence n'étant fautive qu'en raison du défaut d'autorisation, fait définitivement jugé au pénal comme n'ayant causé aucun préjudice à la société Poloco, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par le juge pénal et violé l'article 4 du Code de procédure pénale et l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que ne constitue pas un acte de concurrence déloyale le fait de procéder hors saison des soldes à une liquidation à prix réduit, dès l'instant où il est établi que cette liquidation, même intervenue sans l'autorisation municipale préalable, était rendue nécessaire par la cessation de l'activité ; qu'en l'espèce, il avait été reconnu par la juridiction pénale que la liquidation par la société Department Store de la collection été Ralph Laurent, était intervenue " avant transformation ", laquelle avait été rendue nécessaire par la suppression de la commercialisation de cette marque et des rayonnages prévus pour la recevoir ; que l'exposante faisait valoir que cette suppression, dont la clientèle était informée, était inévitable en raison du refus de la société Poloco de lui livrer la moindre marchandise ; qu'en statuant sans avoir égard à ces circonstances, de nature à priver de tout caractère déloyal la liquidation à laquelle avait procédé l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, en outre, qu'aux termes de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le refus de vente ne se justifie qu'en raison du caractère anormal de la demande ou de la mauvaise foi de l'acheteur ; que la mauvaise foi doit exister au moment de la demande objet du refus de vente et ne saurait se déduire d'éléments étrangers à celle-ci ; qu'en jugeant que le fait que la société Department Store ait procédé à des soldes non autorisés, même pendant une très brève période, suffisait à justifier le refus ultérieur et définitif de la société Poloco de satisfaire à l'avenir à toute demande de livraison, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte et de l'article 1382 du Code civil ; et alors, au surplus, que la mauvaise foi de l'acheteur ne peut s'entendre que d'un comportement dirigé contre le vendeur et révélant l'intention d'agir à son détriment ; qu'en se bornant à constater, que les soldes auxquels avait procédé la société sans autorisation avaient causé un préjudice à la société Poloco, sans constater que la société Department Store avait agi ainsi dans l'intention de détourner une clientèle, et particulièrement celle de ce magasin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; et alors, enfin, qu'en tout état de cause, l'exception d'inexécution ne peut être invoquée par celui dont le propre comportement fautif a contraint le défendeur à ne pas respecter ses obligations ; qu'elle faisait valoir qu'en raison du refus de livraison des commandes passées en février et avril 1989, elle avait été contrainte, faute de produit, d'abandonner la commercialisation de la marque Ralph Lauren, et de liquider rapidement les derniers produits de la collection été ; qu'elle faisait valoir qu'elle avait mentionné que les produits étaient vendus " avant transformation ", du fait de la suppression des rayonnages prévus pour recevoir cette marque, ce dont la cour de Paris avait reconnu la réalité en relaxant le gérant du chef de publicité trompeuse ; qu'en se bornant encore à constater que les soldes avaient causé un préjudice à la société Poloco, sans rechercher si cette société pouvait légitimement invoquer un manquement dont son propre comportement fautif avait provoqué la commission, la cour d'appel a privé sa décision au regard des textes susvisés ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le fait pour Department Store d'avoir annoncé et organisé des soldes importants en novembre 1989 pour la collection été Ralph Lauren, sans avoir obtenu l'autorisation administrative nécessaire, fait pour lequel le représentant de la société Department Store a été condamné par la juridiction pénale, constitue une demande anormale justifiant le refus de la société Poloco d'honorer les commandes de la société Department Store postérieures au 14 novembre 1989 ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen, inopérant en ses première, deuxième, quatrième et cinquième branches ayant trait à la concurrence déloyale et non au refus de vente, n'est pas fondé en sa troisième branche ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Department Store fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à des dommages-intérêts pour concurrence déloyale envers la société Poloco, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le fait de procéder à des soldes hors saison ne constitue par en soi un acte de concurrence déloyale dès l'instant où ces soldes ont reçu l'autorisation du maire, ce que celle-ci peut légalement faire à quelque époque de l'année ; qu'en l'espèce, la juridiction pénale a estimé que la seule faute qui pouvait être reprochée à la société Store était de ne pas avoir sollicité d'autorisation préalable, et que cette faute n'avait causé aucun préjudice à la société Poloco ; qu'en estimant que celle-ci pouvait réclamer réparation au civil en se fondant sur le fait distinct de concurrence déloyale, quand cette concurrence n'était fautive qu'en raison du défaut d'autorisation, fait définitivement jugé au pénal comme n'ayant causé aucun préjudice à la société Poloco, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par le juge pénal et violé l'article 4 du Code de procédure pénale et l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que ne constitue pas un acte de concurrence déloyale le fait de procéder hors saison des soldes à une liquidation à prix réduit, dès l'instant où il est établi que cette liquidation, même intervenue sans l'autorisation municipale préalable, était rendue nécessaire par la cessation de l'activité ; qu'en l'espèce, il avait été reconnu par la juridiction pénale que la liquidation par la société Department Store de la collection été Ralph Lauren, était intervenue " avant transformation ", laquelle avait été rendue nécessaire par la suppression de la commercialisation de cette marque et des rayonnages prévus pour la recevoir ; que Department Store faisait valoir que cette suppression, dont la clientèle était informée, était inévitable en raison du refus de la société Poloco de lui livrer la moindre marchandise ; qu'en statuant sans avoir égard à ces circonstances, de nature à priver de tout caractère déloyal la liquidation à laquelle avait procédé l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil : alors, enfin, que, la situation illégitime de la victime est exclusive de toute action en réparation ; qu'en l'espèce, la société exposante faisait valoir qu'en raison du refus de livraison des commandes passées en février et avril 1989 elle avait été contrainte, faute de produit, d'abandonner la commercialisation de la marque Ralph Lauren, et de liquider rapidement les derniers produits de la collection été ; qu'elle faisait valoir qu'elle avait mentionné que les produits étaient vendus " avant transformation ", du fait de la suppression des rayons aménagés pour cette marque, ce dont la cour de Paris avait reconnu la réalité en relaxant le gérant du chef de publicité trompeuse ; qu'en se bornant encore à constater que les soldes avaient causé un préjudice à la société Poloco, sans rechercher si cette société pouvait légitimement invoquer un manquement dont son propre comportement fautif avait provoqué la commission, la cour d'appel a privé sa décision au regard du texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant constaté que Department Store avait pratiqué des soldes sans autorisation, avec des rabais de 20 à 50 % dans le 16e arrondissement, rue de Passy, tandis que Poloco commercialisait les vêtements de la même marque à proximité, avenue Montaigne et qu'un tel fait incitait la clientèle à se diriger de préférence vers le magasin de Department Store, la distance séparant les deux établissements étant relativement faible, la cour d'appel, par ces seuls motifs, a pu en déduire que ces pratiques constituaient des actes de concurrence déloyale ;que le moyen n'est fondé en aucune de ces branches ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu l'article 1153, alinéa 3, du Code civil ; - Attendu que l'arrêt a condamné la société Department Store à restituer certaines sommes à la société Poloco avec intérêts de droit à compter du versement de ces sommes ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société Department Store, détenant en vertu d'un titre exécutoire le montant de la condamnation prononcée à son profit, ne pouvait être tenue, son titre ayant disparu par l'effet de l'arrêt infirmatif, qu'au paiement des intérêts à compter de la mise en demeure délivrée pour l'exécution de cet arrêt, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la Cour de Cassation peut, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen du pourvoi principal : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Department Store à la restitution à la société Poloco de la somme de 621 000 F avec intérêts de droit à compter du 4 septembre 1990, l'arrêt rendu le 1er octobre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Dit n'y avoir pas lieu à renvoi.