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Décisions

CA Riom, ch. civ. et com., 12 octobre 1994, n° 1408-94

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres du Sud-Est (SA)

Défendeur :

Pompes Funèbres Privées (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardel

Conseillers :

MM. Legras, Billy

Avoués :

Mes Mottet, Lecoq

Avocats :

Mes Volat, Duminy, Beaugy.

T. com. Moulins, du 4 mai 1994

4 mai 1994

Exposé du litige

Les 9 et 10 avril 1992 la société des Pompes Funèbres du Sud Est a signé avec la ville de Moulins un contrat de concession pour la réalisation et la gestion d'une chambre funéraire.

Une seconde convention est intervenue entre le Centre Hospitalier de Moulins et la société susnommée le 7 mai 1993. Elle concerne la prise en charge des services Post-Morten relevant du service public et précédemment assurés par le Centre hospitalier.

A proximité immédiate de la Maison Funéraire du Val d'Allier, la société Pompes Funèbres du Sud Est exploite une entreprise de pompes funèbres.

Se plaignant de troubles illicites et dommageables, notamment d'une concurrence déloyale, la société Pompes Funèbres Privées faisait assigner la société Pompes Funèbres du Sud Est devant le juge des référés du tribunal de commerce de Moulins, qui, par ordonnance du 4 mai 1994, ordonnait sous astreinte :

- le prolongement du bardage de l'atelier Mortetti en vue de supprimer le passage direct et l'exposition de monuments funéraires.

- la modification de la couleur du crépissage de la façade des bureaux des Pompes Funèbres Générales.

- le déplacement de la borne (panonceau vertical) " Maison Mortuaire du Val d'Allier " en supprimant le logo " PFG " de son emplacement initial à proximité du trottoir de la Rue de Paris à gauche à l'entrée.

- la création d'une nouvelle plaque explicative du fonctionnement du digicode.

- la réorganisation des procédures internes.

- la prise de dispositions pour l'accueil des entreprises professionnelles utilisant les lieux.

La demanderesse obtenait 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société anonyme des Pompes Funèbres du Sud Est a relevé appel de cette décision. Elle prie la Cour de :

- dire que l'autorité judiciaire est incompétente pour donner des injonctions à un service public et que seul le tribunal administratif peut connaître de la demande.

- dire que les conditions d'application des articles 872 et 873 du Nouveau code de procédure civile ne sont pas réunies.

- déclarer la demande irrecevable et mal fondée.

- lui allouer 20 00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Ses moyens sont les suivants :

1°) La convention du 7 mai 1993 est une convention administrative. La gestion d'une chambre funéraire correspond à la gestion d'un service public distinct du service extérieur des pompes funèbres. La demande méconnaît ainsi le principe de la séparation des pouvoirs puisqu'elle tend à interdire l'exécution normale d'un contrat administratif.

2°) La société Irlinger procède par voie d'affirmations et présente faussement les faits avec la complicité de témoins complaisants. Les griefs allégués sont injustifiés.

3°) Les difficultés de l'intimée ne peuvent être rattachées à la convention passée entre la ville de Moulins et les Pompes Funèbres du Sud Est. Les règles de la concurrence normale ne sont pas faussées. Toutes les précautions ont été prises pour que les familles soient informées de leur libre choix.

La société Pompes Funèbres Privées conclut à l'irrecevabilité de l'appel et de l'exception d'incompétence. Elle demande l'adjudication des prétentions émises dans l'assignation, subsidiairement la confirmation de l'ordonnance entreprise, et 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle répond :

- que l'incompétence n'a pas été soulevée dans les conclusions de première instance ; que le premier juge l'a à juste titre écartée.

- qu'une confusion est entretenue par l'imbrication des constructions et la nécessité d'avoir recours aux employés des Pompes Funèbres du Sud Est pour accéder au local qui porte clairement l'emblème des Pompes Funèbres Générales.

- que cette confusion fait obstacle au libre choix des familles.

- que le numéro de téléphone a été le même du 3 août 1992 jusqu'en avril 1994, le changement intervenu depuis lors n'étant qu'apparent puisque les deux numéros aboutissent à la même personne dans le même local appartenant à Pompes Funèbres du Sud Est.

- que le préjudice est incontestable puisque le nombre des convois traités a baissé de 34 à 22 %.

L'intimée se plaint de l'unité architecturale des bâtiments, de l'existence d'un passage et cour communs, d'un numéro de téléphone commun, de la réception du public par un employé vêtu d'un uniforme Pompes Funèbres Générales, de la présence dans les locaux de tracts Pompes Funèbres Générales, de la présence aux abords des bâtiments de logos et signes Pompes Funèbres Générales.

Dans des conclusions déposées la veille de la clôture le 14 septembre 1994, la société Pompes Funèbres Privées se plaint du refus de communication d'une délibération du Conseil Municipal de Moulins et de l'absence d'indication du nombre de convois traités par Pompes Funèbres du Sud Est. Elle sollicite subsidiairement un transport sur les lieux.

Elle critique le règlement intérieur de la Maison Funéraire établi par la société Pompes Funèbres du Sud Est et observe que certaines dispositions de l'ordonnance ont été exécutées.

Motifs et décision

Attendu qu'il n'est pas justifié en quoi l'appel serait irrecevable ;

Sur la compétence

Attendu que de l'ordonnance critiquée il ressort que le premier juge a bien été saisi d'une exception d'incompétence ; que la procédure étant orale rien ne permet de dire, au vu des éléments dont la Cour dispose, que cette exception n'a pas été soulevée avant toute défense au fond ;

Attendu que la société Pompes Funèbres Privées se plaint des agissements de la société Pompes Funèbres du Sud Est qui se rendrait coupable d'actes de concurrence déloyale et qui méconnaîtrait les règles et usages de la liberté du commerce ; que la Cour n'a pas à connaître des stipulations contenues dans les conventions passées avec la ville de Moulins ou le Centre Hospitalier de cette ville ; que la société Pompes Funèbres du Sud Est est attraite en sa qualité de personne morale de droit privé à laquelle il est reproché des procédés déloyaux, notamment par la création d'une confusion génératrice d'un détournement de clientèle ;

Attendu que la juridiction consulaire était parfaitement compétente pour apprécier l'existence des troubles ainsi reprochés ; que détenant de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile le pouvoir de prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite, son président a à juste titre retenu sa compétence alors surtout qu'une contestation sérieuse ne fait pas obstacle à la prise de mesures conservatoires ;

Sur le fond

Attendu qu'il est constant que la société anonyme des Pompes Funèbres du Sud Est, concessionnaire de la chambre funéraire, service public communal, exploite par ailleurs un fonds de Pompes Funèbres ; que les locaux dans lesquels sont exercées ces deux activités sont situés sur un même tènement immobilier étant cependant précisé que le funérarium et le fonds Pompes Funèbres du Sud Est sont nettement distincts quant à leur emplacement ;

Attendu que les pièces produites (constat d'huissier de Me Bardet du 4 mars 1994) démontrent l'unité architecturale entre les bâtiments dont s'agit (mêmes crépis, toitures de forme pyramidale, corniches de même style) ;

Attendu cependant qu'aucun élément ne permet de dire que la clientèle est trompée par cette particularité et que l'aspect des bâtiments doit la conduire à contracter de préférence avec la société Pompes Funèbres du Sud Est ;

Attendu que rien n'autorise à penser que l'application d'un nouveau crépi ou d'une nouvelle teinte sur les revêtements aurait une quelconque influence sur la clientèle ;

Attendu que le trouble allégué à cet égard n'est pas manifestement illicite ; que le juge des référés ne saurait ordonner la modification de la couleur du crépissage ; qu'il appartiendra au juge du fond éventuellement saisi de statuer sur ce point ;

Attendu que la SA Pompes Funèbres du Sud Est justifie que le 19 août 1993 elle a sollicité une modification de son inscription dans l'annuaire France Télécom, le n° d'appel 70.34.96.29 étant attribué à la Maison Funéraire du Val d'Allier ; que France Télécom a déclaré prendre les mesures pour faire paraître la nouvelle inscription ;

Attendu que l'intimée reconnaît du reste que le changement est intervenu en avril 1994 ; qu'elle fait état d'une convention de transfert d'appel mais n'établit pas que celle-ci, à la supposer existante, soit portée à la connaissance du public et qu'il en résulte une confusion préjudiciable dans l'esprit de la clientèle ;

Attendu que le constat de Me Bardet du 4 mars 1994 et les photographies qui y sont annexées prouvent qu'à cette date, à quelques mètres de la porte d'entrée de la chambre funéraire existe un panonceau comportant l'indication " Maison Funéraire du Val d'Allier " outre le signe Pompes Funèbres Générales; qu'à gauche de la porte d'entrée une plaque est disposée portant notamment la mention " Maison Funéraire du Val d'Allier. Si vous ignorez le digicode adressez-vous pendant les heures d'ouverture au bureau des Pompes Funèbres Générales, hors des heures d'ouverture chez le gardien (appartement au dessus de la marbrerie Moretti) ;

Attendu que l'Officier Ministériel relève encore qu'une exposition de monuments funéraires réalisée par les Pompes Funèbres Générales se trouve à quelque mètres du parking de la chambre funéraire et qu'aucune séparation n'a été disposée ; qu'enfin dans un petit salon d'attente de la maison funéraire sont disposées plusieurs plaquettes de publicité comportant le sigle Pompes Funèbres Générales;

Attendu que ces éléments sont de nature à induire en erreur les familles qui se rendent au funérarium; qu'ils leur donnent en effet à penser que la Maison Funéraire et la société Pompes Funèbres du Sud Est constituent une entité; qu'ils créent un lien entre cette société prise en sa qualité d'entreprise de pompes funèbres et le service public dont elle assume la gestion; que ce lien est susceptible de conduire les familles à contracter avec cette société ou à tout le moins à entrer en contact avec elle et à influencer sur leur choix, ce d'autant plus facilement que ses bureaux sont à proximité immédiate;

Attendu qu'il ne saurait être permis à la société Pompes Funèbres du Sud Est de capter la clientèle de ses concurrents en usant de sa position ; que la société Pompes Funèbres Privées est fondée à solliciter la cessation de ces troubles dont le caractère illicite est indiscutable, les conventions passées avec l'autorité publique n'autorisant nullement la société des Pompes Funèbres du Sud Est à prendre des dispositions rompant l'égalité entre commerçants concurrents et propres à générer une baisse d'activité des entreprises qui n'ont pas la charge de la chambre funéraire ; qu'il y a par suite lieu de prévenir le dommage en résultant ;

Attendu en ce qu'il concerne les autres mesures sollicitées ou ordonnées (réorganisation des procédures internes, prises de disposition pour l'accueil en toute sérénité) que le juge des référés en saurait prescrire des dispositions vagues dont la mise en œuvre est incontrôlable et relève du reste des conventions passées avec la ville de Moulins et le Centre Hospitalier ;

Attendu que l'appelante n'établit au demeurant pas en quoi le règlement intérieur de la Maison Funéraire heurterait le principe de la neutralité imposé à son gestionnaire ; que la société Pompes Funèbres du Sud Est produit une instruction du 4 août 1994 établie à l'intention de ses succursales concernant la gestion des maisons funéraires qui respecte parfaitement les principes de neutralité et de libre choix de l'entreprise de pompes funèbres ;

Attendu que le constat de Maître Bardet du 4 mars 1994 énonce qu'à l'intérieur de la chambre funéraire est apposé un cadre comportant la liste des entreprises de pompes funèbres implantées à Moulins ; qu'ainsi force est de constater que les familles disposent d'une information à cet égard ;

Attendu enfin qu'il est établi par deux attestations que les entreprises de pompes funèbres peuvent librement accéder à la Maison Funéraire (attestations Dragot Auger) où elles sont bien accueillies ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner des mesures sur ces différents points ;

Attendu que la société Pompes Funèbres du Sud Est doit être condamnée aux dépens ; que la somme allouée par le premier juge au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile est suffisante pour couvrir les frais exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Ecarte les pièces communiquées après l'ordonnance de clôture rendue le 15 septembre 1994, à savoir : - constat du 29 juillet 1994 (Me Bardet) - constat du 12 septembre 1994 (Me Bardet) - lettre du secrétaire général de la Préfecture du 8 août 1994. Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a 1°) rejeté l'exception d'incompétence, 2°) ordonné le déplacement d'une borne panonceau vertical et la suppression du logo " PFG ". 3°) ordonné la mise en place d'une nouvelle plaque explicative du fonctionnement du " Digicode ". Modifiant sur ce point dit que la nouvelle plaque faisant apparaître les heures d'ouverture devra préciser les modalités d'obtention du code d'accès en dehors de ces heures sans qu'il soit fait mention du bureau des Pompes Funèbres Générales ou du gardien situé au dessus de la marbrerie Moretti. 4°) ordonné la mise en place de tout dispositif cachant à la vue l'exposition des monuments funéraires. Modifiant sur ce point, dit que ce dispositif peut être constitué par une haie ou une palissade. 5°) statué sur l'astreinte, le délai fixé commençant à courir à compter de la signification du présent arrêt. 6°) statué sur l'application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et sur les dépens. Dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus des mesures ordonnées ou sollicitées. Condamne la société Pompes Funèbres du Sud Est aux dépens d'appel et autorise Maître Lecoq, avoué, à recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.