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Décisions

CA Reims, 1re ch. sect. 1, 5 octobre 1994, n° 2777-92

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Générale d'Applications Ascenseurs (SA), Jouglet (SA), Jouglet, Robotique Champenoise Internationale (SARL)

Défendeur :

Matériel Pera (SA), Crosetto, Ducoin, Husselein, Jonglet (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lambremon-Latapie

Conseillers :

MM. Mericq, Ruffier

Avoués :

SCP Chalicarne-Delvincourt-Jacquemet, SCP Thoma-Le Runigo, SCP Genet-Braibant, SCP Six-Guillaume

Avocats :

Mes Valéry, Piétra, Marteau, Carteret.

T. com. Epernay, du 29 sept. 1992

29 septembre 1992

LA COUR :

La Cour d'appel est saisie d'un litige relatif à la rupture d'accords commerciaux qui oppose :

- en demande :

* la SA Etablissements Jonglet (ci-après Jonglet),

* la SARL Robotique Champeoise Internationale (ci-après RCI),

* la Compagnie générale d'applications ascenseurs (ci-après CG2A) - intervenant volontaire en cause d'appel,

- en défense :

* la SA le Matériel Pera (ci-après Pera),

- en présence de :

* Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Gérard Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Alfred Husselein (intervenants forcés en cause d'appel).

Faits et procédure :

La SA Jouglet, implantée de longue date en Champagne, a pour activité la fabrication, l'installation et la maintenance d'ascenseurs et monte-charges, notamment dans les caves de champagne ; elle s'occupe également de stations de pressurage champenois.

Elle est filiale de la SARL RCI, celle-ci spécialisée dans l'élaboration et la commercialisation de matériels vini-viticoles, dont robots de commande et de manipulation de tels matériels.

Ces deux sociétés ont été reprises courant 1990 par la SA CG2A.

Pour sa part, la SA Pera est une société ancienne, dont l'activité est la fabrication industrielle de pressoirs à vins.

Fin 1988 - début 1989, en suite de contacts noués entre les dirigeants des sociétés Jouglet et Pera, des accords verbaux de collaboration ont été passés entre ces deux sociétés, aux fins de diffuser en Champagne des pressoirs répondant aux normes techniques du pressurage champenois.

Par courrier du 30 octobre 1990, la SA Pera a dénoncé ces accords, moyennant un délai de préavis de trois mois.

Par courrier en réponse du 15 novembre 1990, la SA Jouglet a contesté les motifs allégués pour cette dénonciation.

Selon acte délivré le 26 avril 1991, la SA Jouglet et la SARL RCI ont fait assigner devant le Tribunal de commerce d'Epernay la SA Pera (celle-ci assignée tant à son siège social qu'en son agence commerciale à Plivot - 51) aux fins pour l'essentiel d'obtenir indemnisation des préjudices subis en suite de cette rupture unilatérale et abusive des accords commerciaux, étant reprochés en outre des faits de concurrence déloyale ; était également réclamé le règlement de factures demeurées en suspens.

Pour sa défense, la SA Pera a invoqué son droit discrétionnaire à rompre des accords conclus sans limitation de durée, et contesté les griefs allégués contre elle ; elle a également contesté les factures revendiquées.

Par jugement rendu le 29 septembre 1992, le Tribunal de commerce d'Epernay a débouté la SA Jouglet et la SARL RCI de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, la défenderesse se voyant octroyer une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Appel de ce jugement a été relevé le 26 novembre 1992 par les sociétés Jouglet et RCI ; la SA CG2A est intervenue volontairement en cause d'appel (par conclusions du 4 mars 1994) pour s'associer à l'action engagée par ses filiales.

Moyens et prétentions des parties :

A) Aux termes de conclusions signifiées les 26 mars 1993 et 5 mai 1994, les sociétés Jouglet, RCI et CG2A sollicitent au préalable que soit prononcée l'annulation du jugement dont appel, celui-ci n'étant pas motivé, et que la cour, saisie en application de l'article 562 du Nouveau Code de Procédure Civile, statue sur le fond du procès ; à titre subsidiaire, elles demandent l'infirmation du jugement entrepris.

Au soutien de leur action, elles font valoir pour l'essentiel que les accords passés entre la SA Jouglet et la SA Pera étaient des accords de coopération industrielle et commerciale, afin de :

* fabriquer en commun, notamment par adaptation des produits Pera, des pressoirs conformes aux prescriptions techniques du pressurage champenois,

* commercialiser ces produits en Champagne auprès de la clientèle déjà constituée des sociétés Jouglet et RCI.

Cela posé, les demanderesses reprochent à la SA Pera :

- la rupture brutale (préavis insuffisant), abusive et injustifiée de ces accords, animée par la mauvaise foi et la déloyauté et reflétant la volonté préméditée de capter le savoir-faire et la clientèle des sociétés Jouglet et RCI - cette situation ayant généré pour chacune de ces sociétés un préjudice évalué à 50 000 000 F,

- un comportement qui a dégénéré, en suite de cette rupture, en des agissements de concurrence déloyale (celle-ci caractérisée par des actes de parasitisme, la désorganisation de la SA Jouglet, la captation indue du savoir-faire et de la clientèle, enfin un détournement pur et simple de fonds de commerce) - cette situation justifiant également l'octroi de dommages-intérêts de 50 000 000 F pour chacune des sociétés Jouglet et RCI.

Par ailleurs, la SA Jouglet et la SARL RCI réclament à la SA Pera le paiement de factures correspondant à des frais d'assistance technique pour la conception du pressoir champenois, à une participation aux dépenses de publicité et de foires d'exposition, enfin au coût de prestations techniques (fournitures d'armoires de commandes automatiques) et à un solde de commissions, le tout représentant le chiffre global de 1 347 035,54 F.

Egalement, les sociétés demanderesses réclament qu'il soit fait interdiction sous astreinte à la SA Pera de poursuivre son activité en Champagne, le présent arrêt devant faire l'objet d'une publicité légale.

Enfin, il est demandé la condamnation de la SA Pera au paiement, à chacune des sociétés Jouglet et RCI, d'une indemnité de 100 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

B) De son côté, aux termes de conclusions signifiées le 29 septembre 1993 et tendant à la confirmation (le jugement entrepris, suffisamment motivé, ne devant pas être annulé), la SA Pera expose que, par les accords verbaux de 1988-1989, elle a confié à la SA Jouglet la représentation et la distribution exclusive de ses pressoirs en Champagne (ce service étant rémunéré par des commissions), ceux-ci une fois conformes - ou adaptés - aux contraintes techniques de la région champenoise, et équipés d'armoires de commande fabriquées par (et payées au forfait à) la SARL RCI

Cela posé, et s'agissant d'accords conclus sans limitation de durée, la SA Pera avait le pouvoir discrétionnaire d'y mettre fin, sauf à respecter un délai de préavis raisonnable - ce qu'elle a fait ; elle conteste en conséquence le prétendu abus de droit dont elle se serait rendue coupable vis-à-vis de sa partenaire.

De même, la SA Pera conteste les différents griefs de concurrence déloyale et parasitaire qui sont articulés contre elle.

A titre subsidiaire, elle soutient que les préjudices allégués ne sont en rien démontrés, en ce qu'ils sont calculés uniquement à partir d'éléments de chiffre d'affaires de la seule société Pera, et qu'ils ne pourraient au plus que correspondre à trois mois de marge brute éventuellement perdue par la SA Jouglet avant qu'elle ne passe accord de distribution avec un nouveau fabricant de pressoirs (Diemme, en mai 1991).

Quant aux sommes qui lui sont réclamées, la SA Pera reprend ses éléments de compte tels que fournis en première instance, qui établissent selon elle qu'elle n'est pas débitrice envers les sociétés demanderesses.

Enfin, la SA Pera sollicite paiement d'une indemnité de 100 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

C) En cause d'appel, les sociétés Jouglet, RCI et CG2A ont fait assigner en intervention forcée (selon actes délivrés les 10 et 11 mars - 6, 7 et 9 avril 1994) Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Gérard Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Manfred Husselin, afin que ceux-ci puissent faire valoir leurs explications et que le présent arrêt leur soit déclaré opposable.

Gérard Jouglet d'une part (conclusions du 6 avril 1994), Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Manfred Husselein d'autre part (conclusions du 2 mai 1994) soutiennent l'irrecevabilité de cette mise en cause tardive, justifiée par aucun élément d'évolution du litige ; ils réclament chacune une indemnité de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 9 mai 1994.

Par conclusions signifiées le 11 mai 1994, la SA Pera sollicite le rejet des débats de pièces tardivement communiquées par les demanderesses, ainsi que des conclusions prises le 5 mai 1994.

Par conclusions signifiées le 17 mai 1994, Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Manfred Husselein s'associent à cette démarche de procédure.

Par conclusions signifiées le 20 mai 1994, les sociétés Jouglet, RCI et CG2A sollicitent le rejet de cet incident (d'ailleurs irrecevable), le principe du contradictoire ayant été suffisamment respecté dans la présente instance.

Discussion :

A) Sur l'incident de procédure :

Attendu que les conclusions prises le 5 mai 1994 par les appelantes, de même que leurs pièces communiquées en dernier lieu, ne contiennent aucun moyen nouveau non plus qu'aucune demande nouvelle par rapport aux thèses précédemment présentées ;

Que le principe du contradictoire a ainsi été suffisamment respecté ;

Attendu qu'il ne sera en conséquence pas fait droit aux réclamations pour retrait des débats d'écritures ou de pièces ;

B) Sur l'intervention forcée :

Attendu qu'aucun élément d'évolution du litige n'autorise la mise en cause, au seul stade de l'appel, des six personnes visées par les appelantes ;

Que spécialement le témoignage apporté par certaines d'entre elles aux débats (ainsi d'Armand Crosetto, lequel a répondu à une sommation d'huissier à lui délivrée) ou leur qualité d'anciens actionnaires de la SARL RCI ne caractérisent pas d'évolution au sens de l'article 555 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Attendu en conséquence que l'action engagée contre Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Gérard Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Manfred Husselein sera considérée comme irrecevable ;

Attendu par ailleurs qu'il est justifié d'allouer à chacune de ces parties une indemnité de 2 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

C) Sur le moyen de nullité du jugement :

Attendu que le jugement déféré à la cour est suffisamment motivé au regard des prescriptions des articles 455 et 458 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Qu'il n'y a pas lieu en conséquence de prononcer annulation ;

D) Sur le fond du procès :

1°) Sur le contenu des accords :

Attendu qu'il est constant que des accords ont été passés entre les sociétés Pera et Jouglet / RCI, sans la précaution minimale du moindre écrit ;

Attendu que la SA Pera expose que le fond de ces accords a trait à la distribution en Champagne de ses produits, sans que soit contestée une certaine collaboration industrielle (essentiellement, la sous-traitance à la SARL RCI de pupitres de commande) entre le constructeur/fournisseur Pera et le distributeur Jouglet ;

Qu'au contraire, la SA Jouglet décrit un mécanisme complexe de collaboration industrielle et commerciale, pour création de pressoirs adaptés à la Champagne et diffusion de ces produits (étant fait allusion à la notion de " synergie ") ;

a) Attendu qu'il doit être tout d'abord noté que l'assignation initiale délivrée le 26 avril 1991 indique la SA Pera fit de la SA Jouglet " son représentant et distributeur exclusif en Champagne " - et ce même si les écritures prises ultérieurement en appel par les sociétés Jouglet et RCI ne font plus aucune référence à cette notion ;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins que la première analyse faite par les demanderesses des accords passés en 1988/1989 correspond avec la thèse toujours défendue par la SA Pera, celle-ci n'ayant cessé de faire valoir que ces accords avaient fait trait à la représentation et à la distribution exclusive des matériels Pera en Champagne ;

Que d'ailleurs, dans son courrier du 30 octobre 1990, la SA Pera a indiqué qu'elle entendait " mettre un terme aux accords commerciaux de représentation (...) passés fin 1988, début 1989 " ; que, dans sa réponse du 15 novembre 1990, la SA Jouglet a dénié les différents griefs formulés contre elle, mais n'a pas contesté la qualification/définition (" accords commerciaux de représentation ") donnée par sa partenaire quant aux liens contractuels qui les unissaient ;

b) Attendu encore que toutes les pièces produites au dossier par les appelantes elles-mêmes (dont documents publicitaires - coupures de presse...) mentionnent expressément la qualité de la SA Jouglet comme " distributeur exclusif " de la SA Pera - et ce même s'il est fait état d'une certaine collaboration (par exemple : pièce n° 46, s'agissant d'un article de presse où il est question d'une " association entre constructeur et distributeur " - pièce n° 25, s'agissant d'un contrat d'agence passé avec le revendeur CSGV, contrat dans lequel la SA Jouglet se définit au principal comme " distributrice exclusive pour toute la Champagne des pressoirs Pera ") ;

c) Attendu, quant à la collaboration revendiquée, que seuls les pupitres ou armoires de commande automatique des pressoirs Pera ont été fournis par la SARL RCI ; que ces éléments ne représentaient qu'une partie minime des pressoirs - à preuve la comparaison approximative du coût des pièces : environ 500 000 F HT pour la partie chaudronnerie d'un pressoir - de l'ordre de 36 000 F à 50 000 F HT pour la partie commande automatique ;

d) Attendu encore que la collaboration des sociétés Pera et Jouglet en vue de l'agrément CIVC des matériels Pera n'est sérieusement justifiée que pour un seul pressoir (modèle Pera Eco 4.000), sachant que la SA Pera fabriquait et a commercialisé (par la SA Jouglet) en Champagne d'autres pressoirs (la série Prestige), ceux-ci agréés sans protocole expérimental particulier ;

Qu'aucun autre acte précis de collaboration industrielle n'est caractérisé, spécialement en ce qu'aucun brevet commun n'a été pris - alors au contraire que la SA Pera démontre que certains procédés vantés par la SA Jouglet (tel le système de lavage intérieur des drains) sont le fruit de ses propres recherches (voir brevet pris en commun avec la société Diemme), sans apport des sociétés Jouglet ou RCI ;

e) Attendu que la SA Pera justifie utilement, notamment par des témoignages émanant d'autres régions ou pays viticoles où elle a obtenu des marchés, de son expérience propre et reconnue en matière de robotique de conduite des pressoirs, en sorte que l'aide qu'elle a reçue de la SA Jouglet (ou de la SARL RCI) en vue de l'adaptation de ses matériels aux prescriptions du vignoble champenois n'a pu être que marginale ;

Attendu qu'en l'état de ces considérations, seule la thèse développée par la SA Pera sera retenue ;

2°) Sur la rupture :

Attendu que les accords de représentation et distribution, convenus sans limitation de durée, pouvaient être librement dénoncés par la SA Pera ;

Attendu par ailleurs qu'aucune " indemnité de clientèle ", au sens utilisé en matière d'agents commerciaux, n'est réclamée à la SA Pera - alors pourtant que, dans sa lettre de dénonciation des accords, celle-ci avait offert de " débattre (...) des conditions dans lesquelles pourrait se faire dans les meilleures conditions possibles la cessation de (la) représentation ", ce qui revenait à ouvrir le cadre de négociations quant à un éventuel dédommagement qui aurait pu être consenti à la SA Jouglet ;

3°) Sur l'abus de droit :

a) Sur le préavis :

Attendu que la SA Pera a laissé à ses partenaires un délai de trois mois avant la rupture définitive des accords ;

Attendu que les appelantes soutiennent aujourd'hui que ce délai était insuffisant ;

Que cependant, elles s'étaient expressément refusé, dans leurs écritures de première instance, à " contester, en soi, la durée du préavis " ;

Attendu en réalité que, compte tenu de la brièveté d'application des accords de 1988/1989 - à savoir environ dix-huit mois -, le délai de trois mois décidé par la SA Pera doit être considérée comme suffisant ;

Attendu d'ailleurs qu'il est prouvé que la SA Jouglet a passé un nouvel accord de distribution exclusive avec le fabricant Diemme dès mai 1991 - voire plus tôt, ainsi que l'implique la participation au Salon Viteff de mai/juin 1991 où la SA Jouglet a présenté un pressoir dit Millesim - ce qui a en tout état de cause diminué son éventuel manque à gagner ;

b) Sur la mauvaise foi ou la déloyauté :

Attendu que les appelantes font état de nombreuses manœuvres qu'elles reprochent à la SA Pera, et qui démontreraient sa volonté préméditée de n'utiliser les accords de 1988/1989 qu'à seules fins de s'introduire à peu de frais en Champagne ;

Attendu cependant que les agissements reprochés à la SA Pera ne sont pas sérieusement caractérisés ;

Attendu ainsi que les prétendues manœuvres avec Armand Crosetto, à l'époque où celui-ci était préposé de la SA Jouglet, ne sont pas prouvées ;

Que spécialement, le télex du 15 juin 1990 est trop ambigu pour démontrer une quelconque action déloyale ;

Que de même les propositions de la SA Pera pour assumer la charge des indemnités de retraite d'Armand Crosetto ont été faites officiellement, ce qui exclut la déloyauté alléguée ;

Attendu qu'aucune autre manœuvre de débauchage n'est caractérisée ;

Attendu enfin que le lien établi directement entre la SA Pera et le revendeur CSGV, prouvé par un télex du 14 mars 1991 (pièce n° 40), n'est également pas caractéristique de déloyauté, en ce qu'il n'est pas démontré que, avant la rupture voire pendant le délai de préavis, la SA Pera ait fait autre chose que de préparer - ainsi qu'elle pouvait légitimement le faire - la commercialisation directe de ses produits en région champenoise ;

c) Sur les motifs de la rupture :

Attendu que la SA Pera pouvait librement et discrétionnairement rompre des accords conclus sans limitation de durée, et qu'elle n'était pas tenue de motiver sa décision ;

Que les motifs exposés dans sa lettre du 30 octobre 1990 sont donc superfétatoires ;

Attendu par ailleurs que ces motifs sont, à l'inverse de ce que prétendent les appelantes, suffisamment justifiés par les éléments du dossier, spécialement quant :

* aux craintes perçues de la clientèle (la SA Pera prouve diverses plaintes en matière de maintenance et service après-vente, s'agissant de manquements imputables à la SA Jouglet dans son domaine de compétence),

* aux impératifs économiques, la SA Pera démontrant, par des documents comptables non contestés, la rentabilité insuffisante pour elle du système mis en œuvre avec les sociétés Jouglet et RCI ;

Attendu qu'en l'état des considérations ci-dessus développées, l'action en indemnisation pour cause de rupture abusive des accords ne peut être reçue ;

4°) Sur la concurrence déloyale :

Attendu que les griefs formulés par les appelantes, qui recouvrent partiellement ceux formulés au soutien de la thèse de l'abus de droit dans la rupture, ont trait principalement aux points suivants :

a) Détournement de savoir-faire :

Attendu qu'il a déjà été démontré supra que la collaboration industrielle entre les sociétés Pera et Jouglet / RCI était marginale par rapport à l'accord de distribution ; que spécialement la SA Pera avait déjà, avant 1988, toute compétence nécessaire en matière de robotique; que l'association en vue de l'agrément CIVC (essentiellement pour le seul pressoir Pera Eco 4000) n'a pas été déterminante pour l'entrée des pressoirs Pera dans le vignoble champenois ;

Attendu encore que l'utilisation en sous-traitance des pupitres de commande RCI n'avait été convenue qu'à l'avantage de cette société, alors que la SA Pera fabriquait elle-même de tels matériels;

Attendu en conséquence que ce grief n'est pas fondé;

b) Détournement de clientèle :

Attendu que la SA Jouglet n'a jamais eu de clientèle propre en matière de pressoirs, en ce qu'avant 1988, elle commercialisait des pressoirs non fabriqués par elle (Willmess - et non les pressoirs Dollat dont elle avait pourtant racheté l'activité de fabrication en 1978) - étant précisé qu'elle n'est passée à la fabrication de pressoirs sous son nom Jouglet que postérieurement au présent procès ;

Attendu en fait que la clientèle réunie par la SA Jouglet pour les pressoirs Pera appartient au constructeur Pera, la SA Jouglet ayant conservé la clientèle attachée à son activité ou aux éléments de son fonds de commerce non affectés par le contrat de distribution;

Attendu en conséquence que, même à admettre que la clientèle Pera en Champagne a été créée par la SA Jouglet, cette clientèle récupérée n'a été ni détournée ni " volée ";

Attendu en conséquence que ce grief n'est également pas fondé ;

d) Désorganisation :

Attendu que la SA Jouglet fait valoir qu'un certain de ses préposés ont démissionné en 1990 ou 1991, et ce en suite de manœuvres de la part de la SA Pera ;

Attendu cependant qu'aucune preuve sérieuse n'est apportée sur ce point, alors qu'au contraire l'intimée produit diverses attestations des salariés concernés qui démontrent que leur départ de la SA Jouglet ou de la SARL RCI était sans lien avec la SA Pera ;

Qu'un seul préposé de la SA Jouglet a été embauché par la SA Pera pour diriger la nouvelle agence commerciale créée sur Plivot; que cette seule embauche, d'un salarié par ailleurs non tenu par une clause de non-concurrence, est insuffisante pour caractériser une désorganisation ;

Attendu que, là encore, il ne sera pas fait droit à la thèse des appelantes ;

d) Parasitisme :

Attendu que le seul fait, pour la SA Pera, de commercialiser directement ses pressoirs en Champagne, sur la clientèle des ses produits (même si cette clientèle a été créée grâce à la collaboration avec les sociétés Jouglet et RCI), ne constitue pas une activité commerciale parasitaire au préjudice des appelantes ;

Attendu qu'en l'état des considérations ci-dessus développées, il y a lieu de rejeter l'action en concurrence déloyale formée par les sociétés Jouglet et RCI ;

5°) Sur le compte entre les parties :

Attendu que les sociétés appelantes font état de diverses factures qui leur seraient dues :

a) Sommes réclamées par la SA Jouglet :

Attendu qu'il est fait état de frais de collaboration technique ou industrielle pour l'adaptation des pressoirs Pera aux spécificités du vignoble champenois - lesdits frais correspondant au coût du détachement ponctuel de deux préposés ;

Attendu cependant que, dans le cadre de la collaboration essentiellement commerciale mise en œuvre entre les parties, aucune justification n'est donnée quant au fait que les échanges de services entre les sociétés partenaires auraient dû être rémunérées ;

Attendu, quant aux frais de publicité ou de participation à des foires commerciales, qu'aucune preuve n'est produite de ce que la SA Pera aurait dû les prendre en charge, sachant que la SA Pera ne pouvait à la fois payer des commissions à son distributeur et une participation aux frais de publicité ;

Attendu en conséquence qu'il sera seulement retenu, à la charge de la SA Pera, une somme de 50 000 F - qu'elle admettait devoir régler (voir ses conclusions de première instance et sa référence à la pratique contractuelle adoptée en 1989) et qu'elle n'a par la suite jamais indiqué comme étant payée ;

Attendu enfin, quant aux commissions revendiquées, que la SA Pera justifie utilement avoir réglé l'intégralité de ce qu'elle restait devoir à sa cocontractante (s'agissant d'un solde qui n'était pas exigible au moment de l'introduction de l'instance) ;

b) Sommes réclamées par la SARL RCI :

Attendu que les explications fournies par la SA Pera à propos des factures réclamées sont cohérentes et appuyées de tous justificatifs utiles, spécialement quant :

* aux avoirs à prendre en compte sur deux litiges Poinsot et Robin,

* aux réclamations relatives à des armoires et pupitres de robotique non commandés,

* aux commissions non exigibles lors de l'introduction du procès et réglées ultérieurement ;

Attendu, au vu des diverses considérations ci-dessus développées, qu'il ne sera fait droit à aucune des réclamations formulées par les appelantes - à l'exception de la somme de 50 000 F ci-dessus déterminée ;

Attendu enfin que les éléments du dossier justifient en faveur de l'intimée l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, à hauteur de 20 000 F ;

Par ces motifs : donne acte à la SA CG2A de son intervention volontaire au procès, aux côtés des sociétés Jouglet et RCI ; rejette l'incident de procédure relativement aux écritures prises et pièces communiquées par les appelantes ; dit irrecevable l'action en intervention forcée à hauteur d'appel dirigée contre Michel-Albert Jouglet, Michel-Julien Jouglet, Gérard Jouglet, Armand Crosetto, Jacques Ducoin et Manfred Husselin ; condamne la SA Jouglet, la SARL RCI et la SA CG2A solidairement à payer à chacune de ces parties une indemnité de 2 000 F (deux mille francs) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; les condamne sous la même solidarité aux dépens relatifs à cette intervention forcée, avec faculté de recouvrement direct conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Six-Guillaume et de la SCP Genet-Braibant, avoués ; dit recevable mais pour l'essentiel mal fondé l'appel formé par la SA Jouglet, la SARL RCI et la SA CG2A ; spécialement, les déboute de leur moyen de nullité du jugement ; confirme, sauf en ce qui concerne le coût de la participation de la SA Pera aux frais de publicité, le jugement rendu le 29 septembre 1992 par le Tribunal de commerce d'Epernay ; Et l'émendant dans la mesure utile : condamne la SA Pera à) payer à la SA Jouglet la somme de 50 000 F (cinquante mille francs), outre intérêts au taux légal à compter du 26 avril 1991 ; Et, y ajoutant : condamne la SA Jouglet, la SARL RCI et la SA CG2A solidairement à payer à la SA Pera une indemnité de 20 000 F (vingt mille francs) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; les condamne sous la même solidarité aux dépens de l'instance d'appel, avec faculté de recouvrement direct conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP Thoma-Le Runigo, avoués.