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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 29 septembre 1994, n° 91-14270

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Marek

Défendeur :

Murciani, Eurosymétrie (SARL), Hahnsen, Stawinoga

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Bommart-Forster, Me Olivier

Avocats :

Mes Herode Begue, Schmidt.

TGI Paris, 3e ch., du 28 mars 1991

28 mars 1991

Volker Marek, qui exerçait une activité de traducteur indépendant et qui souhaitait créer une société, a, par l'intermédiaire et d'un expert-comptable, M. Stawinoga acquis des parts sociales d'une société préexistante, la société Paris Séminaire Institut, en 1987 ; c'est ainsi qu'il a acquis 25 parts sociales sur les 51 composant le capital, les deux autres associés majoritaires étant M. Hahnsen et Mme Stawinoga ; par décision du 2 février 1987, cette société changeait de dénomination sociale, s'intitulant alors SARL Cabinet Marek et ayant comme siège social 23, avenue de Wagram à Paris et pour activité " toutes prestations d'ordre linguistique, et plus particulièrement l'organisation de sessions de formation, les prestations de traduction et d'interprétations, l'établissement et la traduction de textes publicitaires " ; M. Marek a été désigné en qualité de gérant ; puis Mme Murciani a été engagée comme traductrice par la société ; des dissensions sont nées entre M. Marek et cette personne qui a été licenciée par le gérant le 12 avril 1988 ; le 13 avril 1988 cependant, au cours d'une assemblée générale, Messieurs Hahnsen et Stawinoga, ce dernier représentant sa femme, ont décidé de révoquer M. Marek de ses fonctions de gérant pour désigner à sa place, Mme Murciani ;

Sa révocation étant intervenue dans des conditions qu'il trouvait anormales - l'assemblée générale n'ayant pas été régulièrement réunie - M. Marek a saisi le juge des référés et a obtenu par ordonnance du 3 mai 1988, la désignation de Maître Chavau en qualité d'enquêteur pour vérifier dans quelles conditions s'était faite sa révocation de gérant puis la désignation de ce dernier, le 28 juin 1988 en qualité d'administrateur provisoire de la société Marek ; par cette même ordonnance, un expert, M. Touchard était désigné pour notamment établir la liste des clients de M. Marek apportés à la société et celle des clients éventuellement apportés par ses co-associés ou développés par la société depuis sa création ;

Par cette ordonnance, il a été également mis fin aux fonctions de gérante de Mme Murciani, l'assemblée du 13 avril 1988 ayant été considérée comme dénuée de toute valeur ; cependant, de fait Mme Murciani a continué à se maintenir à la tête de l'entreprise et par décision d'assemblée générale du 13 novembre 1988 a été nommée gérante ;

Puis, la société Marek a déposé son bilan en janvier 1989 et Maître Daude Brouard désigné en qualité de mandataire liquidateur ; par décision du 1er janvier 1991, la date de cessation des paiements a été fixée au 1er janvier 1988 ;

Mme Murciani a créé avec M. Hahnsen et la société d'investissements Stawinoga représentée par M. Stawinoga son gérant, une autre société ayant également une activité de traduction, la société Eurosymétrie, dans les mêmes locaux que ceux de la société Marek ; cette société Eurosymétrie immatriculée le 22 décembre 1988 a commencé son exploitation le 1er novembre 1988, selon l'extrait K bis mis aux débats ;

Une action en paiement de dommages intérêts pour détournement, comportement fautif et concurrence déloyale a été engagée par Maître Daude Brouard à l'encontre de M. Marek qui a été condamné au paiement de 7 505 F, les autres demandes étant toutes rejetées, ce par décision du 24 janvier 1991 ;

Parallèlement, M. Marek a engagé une procédure à l'encontre de ses ex-associés et de Mme Murciani pour obtenir paiement de dommages intérêts en raison de leurs agissements déloyaux et abusifs résultant notamment de la concurrence déloyale organisée à travers la société Eurosymétrie ; cette société est intervenue volontairement à l'instance et par décision du Tribunal de grande instance de Paris du 28 mars 1991, M. Marek a été débouté de toutes ses demandes ;

M. Marek a interjeté appel de cette décision à l'encontre de M. Hahnsen, Mme Murciani et la société Eurosymétrie puis par déclaration d'appel du 2 octobre 1991 à l'encontre de M. Stawinoga ;

Reprenant partiellement ses griefs développés en première instance, il reproche à M. Hahnsen et M. Stawinoga d'avoir " ourdi un complot " avec Mme Murciani afin de vider de sa substance la société Marek au bénéfice d'Eurosymétrie et de l'avoir privé de manière irrégulière de sa rémunération de gérant. Il sollicite, en conséquence, sur le fondement de leur comportement fautif paiement solidaire de la somme de 3 000 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que paiement de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Eurosymétrie a également fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire en date du 16 novembre 1992 et son liquidateur a été assigné en intervention forcée dans la procédure par acte d'huissier du 17 février 1993 ;

Les intimés qui ont le même avoué ont, d'une part, conclu à l'irrecevabilité de l'appel interjeté à l'encontre de M. Stawinoga pour tardivité de cet appel, à l'irrecevabilité des demandes formées par M. Marek en réparation d'un préjudice subi par le cabinet Marek et, d'autre part, au mal fondé des demandes de M. Marek ; formant appel incident, ils sollicitent paiement de la somme de 200 000 F pour procédure abusive et celle de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel

- Sur la recevabilité de l'appel interjeté à l'encontre de M. Stawinoga

Considérant que selon les dispositions de l'article 552 alinéa 2 du Code civil, en cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance ; qu'il est dès lors indifférent que les appels successifs n'aient pas été formés dans le délai de quinzaine de la signification de la décision ;

Considérant que les demandes formées à l'encontre de M. Stawinoga sont indivisibles de celles formées à l'encontre des autres parties dans le délai légal ; qu'il s'ensuit que ce moyen d'irrecevabilité sera rejeté ;

- Sur les autres moyens d'irrecevabilité

Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu par les intimés, M. Marek ne sollicite pas réparation du préjudice de la société Marek mais de son préjudice personnel ; que ces moyens d'irrecevabilité en raison des demandes formées pour le compte de tiers ne sont donc pas justifiés.

- Sur le bien fondé de l'action de M. Marek

Considérant que si le fondement des demandes n'a pas été modifié par rapport aux demandes de première instance, il n'en est pas de même des griefs ; qu'il est en effet, en cause d'appel, reproché à l'ensemble des intimés d'avoir détourné la clientèle personnelle de M. Marek au profit de la société Eurosymétrie dans laquelle ils étaient associés et qui a été créée, alors que la société Cabinet Marek était encore in bonis, dans les mêmes locaux et en utilisant le même numéro de téléphone ; qu'il est encore fait reproche aux intimés d'être parvenus à ce résultat après son élimination irrégulière, puisque l'accès aux locaux lui a été interdite après avril 1988 et qu'ainsi il n'a pu reprendre possession d'objets personnels qu'il avait laissés dans les lieux tels des dictionnaires nécessaires à son travail de traducteur ;

Considérant que les intimés au contraire exposent n'avoir eu aucun comportement fautif, que, selon eux, la révocation de M. Marek de sa fonction de gérant en avril 1988, est intervenue en raison d'une gestion contestable ; qu'il ne peut d'ailleurs se plaindre d'une telle révocation dans la mesure où il n'a pas sollicité la nullité de cette décision ; que sa gestion a été la cause de la liquidation de la société et qu'Eurosymétrie a été créée pour permettre notamment à Mme Murciani de continuer son travail de traducteur ;

Considérant que les positions des parties étant ainsi exposées, il y a lieu de relever que M. Marek se plaint d'une révocation dont l'irrégularité a été constatée par décision du tribunal de commerce du 28 juin 1988, révocation brutale qui est un des éléments du plan élaboré par les intimés présents dans la cause pour l'éliminer ; qu'en outre, la société Marek a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire en janvier 1989 après création de la société Eurosymétrie en novembre 1988 qui s'est installée dans les mêmes locaux avec un même objet social et un même numéro de téléphone que celui de la société Marek ;

Considérant qu'au regard de cette dernière circonstance de fait, les premiers juges ont à tort estimé que la lettre envoyée par Eurosymétrie à BMW France le 21 novembre 1988 n'avait aucun caractère répréhensible ; qu'en effet, ce courrier était adressé à un client du Cabinet Marek, qui était en fait un client personnel de M. Marek comme l'a constaté l'expert et indiquait que le Cabinet Marek avait modifié sa dénomination sociale, ce qui était erroné et laissait croire que la société Eurosymétrie était la nouvelle désignation du Cabinet Marek ; que cette lettre révèle au contraire la volonté de la nouvelle société d'éliminer le cabinet Marek et donc par là-même de tenter de reprendre toute la clientèle, y compris la clientèle personnelle de M. Marek ;

Qu'il est bien établi en outre qu'en raison des conflits qui avaient éclaté entre M. Marek, les autres associés et Mme Murciani, M. Marek ne pouvait accéder à la gestion de la société et n'avait plus de contrôle sur les relations avec les clients ;

Que ce comportement fautif à l'égard de M. Marek n'est pas imputable à la seule société Eurosymétrie mais également à ses associés, qui étant tout à la fois dans la société Marek, M. Stawinoga représentant son épouse, et dans la nouvelle société ne pouvaient ignorer les circonstances de la création de cette société, née en réalité pour remplacer la société Marek qui, d'ailleurs peu après, déposait son bilan et ainsi éliminer M. Marek sans avoir à racheter ses parts sociales ;

Qu'il en résulte que contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, les intimés ont causé par leur comportement un préjudice personnel à M. Marek puisqu'une partie de sa clientèle personnelle a été démarchée par Eurosymétrie en révélant de plus qu'il avait été révoqué ce qui pouvait laisser supposer que sa gestion n'avait pas été bonne et ainsi le discréditer auprès de clients avec lesquels il travaillait depuis longtemps ; que ce préjudice, compte tenu des éléments versés aux débats et notamment des conclusions de l'expert qui n'a pas relevé un nombre important de clients personnels de M. Marek, sera suffisamment réparé par l'allocation de la somme de 100 000 F ;

Considérant que M. Marek demande que soit pris en compte pour apprécier son préjudice le salaire de gérant qu'il n'a pas perçu depuis sa révocation irrégulière en avril 1988 jusqu'à la date de sa révocation de novembre 1988 ; qu'il soutient pouvoir réclamer cette somme à ses co-associés responsables de cette irrégularité en estimant que cette décision démontre également le comportement fautif des intimés qui ont voulu dès avril 1988 l'éliminer afin de vider la société de toute valeur ;

Considérant, cependant, que l'irrégularité de sa révocation ne démontre pas que ses associés aient voulu en avril 1988 l'éliminer de la société ; qu'en conséquence, le préjudice allégué ne saurait être pris en compte dans le comportement fautif seul retenu et qui résulte du détournement de clientèle au profit d'Eurosymétrie ;

Considérant que M. Marek ne saurait en dernier lieu se plaindre de la détention de documents et livres personnels dès lors que ces effets personnels ont été mis à sa disposition et qu'il ne s'est pas déplacé pour qu'ils lui soient restitués ; qu'il ne peut en conséquence se plaindre d'un préjudice auquel il a lui même contribué ;

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande de dommages intérêts formée par les intimés dès lors qu'il est fait droit pour partie à l'appel de M. Marek ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à M. Marek la somme de 8 000 F au titre des frais non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, Infirme la décision en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Rejette les exceptions d'irrecevabilité, Dit que M. Stawinoga, Mme Murciani, M. Hahnsen et Maître Daude Brouard es qualités sont redevables in solidum de la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts à M. Marek ; En raison de la liquidation judiciaire de la société Eurosymétrie, fixe à la somme de 100 000 F la créance de M. Marek ; Condamne in solidum M. Stawinoga, Mme Murciani et M. Hahnsen au paiement de la somme de 100 000 F ci-dessus indiquée à M. Marek ; Condamne in solidum les intimés au paiement de la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Les condamne in solidum aux entiers dépens qui seront recouvrés pour les dépens d'appel par Maître Olivier, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.