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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 29 septembre 1994, n° 91-15700

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Électricité de France

Défendeur :

Logimat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Parmentier-Hardouin, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Le Foyer de Costil, Michel.

TGI Paris, 16e ch., du 28 mai 1991

28 mai 1991

En 1985, EDF a mis en œuvre un projet intitulé " CASOAR ", ayant pour objet de rationaliser l'exploitation et le transport d'énergie électrique. EDF a sous-traité une partie de son projet à la société Logimat. Un courrier de EDF en date du 20 décembre 1985 précisait que Logimat devait assurer ses prestations jusqu'à l'aboutissement du projet " CASOAR ". L'accord devait être complété par des contrats successifs, établis d'année en année pour adapter les prestations et permettre une réévaluation financière du contrat. L'engagement a été reconduit sans incident de 1986 à 1989. Cependant, en décembre 1989, EDF qui avait pris la décision de gérer directement le projet CASOAR, a fait savoir à Logimat qu'elle désirait mettre un terme aux relations contractuelles. Par avenant du 10 janvier 1990, signé par Logimat, EDF a accordé à Logimat un préavis de trois mois, mentionnant que " les prestations se poursuivront jusqu'au 30 mars 1990. Au terme de cette période, EDF ne proposera pas à Logimat le renouvellement du présent contrat. Au cours de ces trois mois, les deux parties se rapprocheront pour examiner la situation créée par la cessation de ce contrat et trouver une solution qui convienne à chacune d'entre elles ".

C'est dans ces conditions que Logimat a assigné EDF en rupture abusive de contrat et en demandant en réparation de son préjudice la somme de 10 100 000 F.

Le jugement déféré a condamné EDF à payer à Logimat la somme de 1 100 978 F majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, au titre de l'indemnisation de la rupture anticipée du contrat, celle de 1 238 700 F, majorée des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de l'acte de concurrence déloyale, et celle de 40 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

EDF a interjeté appel le 12 juillet 1991, et Logimat le 15 juillet 1991.

Logimat demande la confirmation du jugement en ce qui concerne l'existence des fautes successives commises par EDF (rupture fautive du contrat et concurrence déloyale). Elle en demande l'infirmation du chef de l'estimation des préjudices.

Au titre de la rupture abusive du contrat, elle sollicite la somme de 7 118 500 F, subsidiairement la somme de 6 329 531 F, plus subsidiairement encore la somme de 4 022 430 F, et ce avec intérêts à compter de l'assignation du 2 mai 1990,

Au titre de la concurrence déloyale, constituée par le débauchage massif des collaborateurs et la désorganisation de son entreprise la somme de 9 500 000 F, et ce avec intérêt à compter des conclusions additionnelles signifiées le 5 février 1991. Elle précise avoir reçu, en suite de l'exécution provisoire, la somme de 1 100 788 F. Elle demande enfin la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

EDF conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a alloué à Logimat l'indemnité de 1 100 788 F avec intérêts à compter du 2 mai 1990 au titre de la rupture anticipée du contrat et à l'infirmation pour le surplus, estimant n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale. Elle sollicite une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Sur la rupture du contrat et ses conséquences :

Considérant que Logimat soutient que EDF a rompu de manière brutale, abusive et fautive le contrat-cadre qui les liait pour la durée minimum de dix ans pour la réalisation du projet CASOAR,

Considérant que EDF réplique qu'il ne s'agissait pas d'un contrat-cadre mais de contrats annuels reconductibles, qu'elle a respecté ses obligations et que la rupture n'était ni brutale, ni abusive ou fautive, qu'en effet elle a, par avenant du 10 janvier 1990, prorogé de trois mois le dernier contrat,

Considérant que par courrier du 20 décembre 1985, EDF a confirmé un accord intervenu entre les parties visant à reconduire annuellement leur collaboration jusqu'à la fin du projet CASOAR, que l'objet des prestations futures et leur prix étaient déterminables en fonction d'une commande jointe, que cette lettre du 20 décembre 1985, comme l'ont noté à juste titre les premiers juges, a constitué un contrat-cadre qui devait être complété par des contrats d'exécution appelés " commandes ou avenants " ;

Que d'ailleurs, EDF par son avenant précité du 10 janvier 1990, prolongeant la commande de 1989 de trois mois, s'est placée dans la logique de ce contrat-cadre en indiquant que " les deux parties se rapprocheront pour examiner la situation créée par la cessation de ce contrat " ; que l'expression " ce contrat " ne peut viser en effet que le contrat-cadre du 20 décembre 1985 et non pas la chaîne des contrats annuels successifs qu'évoque EDF, lesquels, dans cette hypothèse, auraient pris fin d'eux-mêmes à leur expiration, sans qu'il soit besoin d'un avenant ;

Considérant que les documents publiés pour le compte de EDF, notamment une publication interne intitulée " Services des mouvements d'exercice 1990 " établissent que le projet CASOAR était prévu pour durer sensiblement dix ans, qu'en vain, EDF soutient-elle que les prestations de Logimat devaient se limiter à des études préliminaires, qu'en effet il résulte des documents versés aux débats que ces prestations comprenaient en particulier la conception, l'analyse et l'écriture de programmes entrant dans la réalisation du projet, que ces missions impliquaient la collaboration des deux entreprises jusqu'à la mise en service des programmes utilisés ;

Considérant que EDF qui était tenue pour la durée du projet CASOAR a rompu le contrat qui la liait à Logimat, sans invoquer de grief à l'encontre de cette dernière, qu'elle lui doit réparation du préjudice causé par cette rupture abusive,

Considérant qu'EDF propose la confirmation de l'estimation retenue par les premiers juges consistant à appliquer une indemnité de résiliation de 20 % sur le montant de la commande annuelle soit 4 640 760 F x 18,6 % x 20 % = 1 100 788 F,

Considérant que Logimat propose à la Cour trois modes de calcul,

Que le premier mode de calcul applique la clause d'indemnité de résiliation de 20 %, non pas sur la base d'un contrat annuel mais sur la base de la totalité du contrat-cadre, c'est-à-dire pour la durée restant à courir sur la base de dix ans, à savoir 5,75 années supplémentaires soit une somme de 6 329 531 F,

Que la deuxième méthode proposée par Logimat consiste à calculer le manque à gagner de Logimat sur la base du résultat net de 1989, multiplié par les 5,75 années à courir, soit 1 238 000 F x 5,75 = 7 118 500 F,

Que le troisième mode de calcul retient la notion de faveur tarifaire consentie à EDF en échange de la stabilité de la commande ; que Logimat verse aux débats un rapport d'expertise amiable de M. Adamsbraum qui chiffre cette " faveur " à la somme de 4 022 430 F,

Considérant que seront écartées les méthodes retenues par les parties et les premiers juges, reposant sur la clause d'indemnité de résiliation de 20 % ; qu'en effet, cette clause était insérée dans les " commandes " ou " avenants " successifs complétant le contrat-cadre, mais non pas dans le contrat-cadre lui-même,

Considérant que sera également écartée la méthode évaluant le préjudice sur la durée du contrat restant à courir, dès lors que le manque à gagner ne peut être calculé sur une période d'exécution contractuelle, correspondant à la durée de réalisation du projet CASOAR, laquelle n'a pas été déterminée avec précision,

Considérant que sera en revanche retenue la méthode de l'expert amiable Adamsbraum, qui établit une corrélation entre les tarifs consentis à EDF et la durée prévue des prestations, qu'en effet EDF ne conteste pas sérieusement que Logimat lui a consenti une faveur tarifaire en échange d'un contrat de longue durée, que dans la mesure où la stabilité de la commande a été remise en cause unilatéralement par EDF, le préjudice de son partenaire est constitué par la sous-facturation opérée sans contrepartie au détriment de ce dernier ;

Considérant qu'il résulte de l'étude circonstanciée et non sérieusement contestée menée par l'expert amiable, au vu d'éléments de comparaison sur la manière dont sont en général facturées à leurs clients les prestations par les sociétés de services équivalentes, et qui aboutit à une sous-facturation pour les quatre années 1986 à 1989, d'application du contrat, de 4 022 430 F ; que ce montant constitue le préjudice de Logimat au titre de la rupture anticipée du contrat, qu'il sera majoré des intérêts légaux, et ce par application de l'article 1153-1 du Code civil, à compter de l'assignation,

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que Logimat expose que EDF a rompu le contrat pour débaucher la quasi-totalité de ses ingénieurs afin de les engager directement, qu'il s'agit d'actes de débauchage par manœuvres frauduleuses, de pillage de connaissances ou de savoir-faire qui ont eu pour conséquence la disparition de son entreprise,

Considérant que EDF réplique que les éléments de la concurrence déloyale ne sont pas réunis en l'espèce, qu'il est licite d'embaucher des salariés libres de tout engagement, que les activités respectives des deux entreprises sont distinctes et qu'il n'existe pas d'intention de nuire de la part de EDF,

Considérant que par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont à juste titre estimé qu'il y avait un rapport concurrentiel entre les deux entreprises qui toutes deux travaillent sur le projet CASOAR,

Considérant qu'il résulte des documents versés aux débats, notamment des demandes d'examen d'embauche des salariés que EDF a embauché six des huit ingénieurs de Logimat, avant que ceux-ci aient notifié à leur employeur l'intention de le quitter et soient libres de tout engagement (lettres de démission des 21 mars, 3 et 12 avril 1990) ,

Considérant que EDF ne pouvait ignorer que ses propositions d'embauche au moment où elle manifestait l'intention de rompre le contrat la liant à Logimat, provoqueraient l'exode massif des ingénieurs de cette dernière; que ces manœuvres déloyales ont été accomplies dans le but de détourner au profit de EDF le savoir-faire des ingénieurs de Logimat, et ont entraîné sa désorganisation, qu'elles constituent des actes de concurrence déloyale dont elle doit réparation à Logimat,

Considérant que Logimat sollicite, sur la base du rapport de M. Adamsbraum, la perte de valeur de son fonds de commerce, évaluée à la somme de 9 519 450 F,

Considérant que EDF estime d'une part que Logimat est à l'origine de son propre préjudice en s'étant abstenue de diversifier ses activités par la recherche d'une autre clientèle et d'autre part que son préjudice doit être minoré, dans la mesure où Logimat a bénéficié : d'un préavis de trois mois, suffisant pour lui permettre la recherche de nouveaux marchés, d'un régime fiscal de faveur qui n'aurait pas duré ; qu'elle ajoute qu'elle lui a évité le paiement de charges de personnel importantes,

Considérant qu'à compter de la fin du préavis, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'une année devait suffire à une entreprise de la taille de Logimat pour former des collaborateurs compétents et reconstituer une clientèle, que sera donc retenu le chiffre de 1 238 000 F, correspondant à son résultat net comptable de 1989, que ce chiffre constitue le préjudice de Logimat au titre des actes de concurrence déloyale majoré des intérêts légaux à compter de la signification du jugement sur ce point confirmé,

Considérant qu'en équité, il y a lieu d'allouer à Logimat une somme de 45 000 F, première instance et appel confondus, sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité due au titre de la rupture anticipée du contrat-cadre, De ce chef, condamne Electricité de France à payer à la société Logimat en deniers ou quittances la somme de 4 022 430 F, majorée des intérêts légaux à compter de l'assignation du 2 mai 1990, Rejette le surplus des demandes, Condamne Electricité de France à payer à la société Logimat la somme de 45 000 F, sur le fondement de l'article 700 du NCPC, première instance et appel confondus, Le condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC par la SCP d'avoués Bommart-Forster.