CA Paris, 1re ch. A, 19 septembre 1994, n° 93-23027
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Labo France Editeur (SARL)
Défendeur :
Biopathologiste (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Conseillers :
MM. Mc Kee, Garban
Avoués :
SCP Barrier, Monin, SCP Parmentier, Hardouin
Avocats :
Mes Labarthe, Korman, Messas.
La société Labo France Editeur est appelante du jugement rendu le 27 septembre 1993 par le Tribunal de commerce de Paris qui, pour des faits de concurrence déloyale à l'égard de l'entreprise de presse Le Biopathologiste, l'a condamnée au paiement d'un franc à titre de dommages-intérêts et ordonné une mesure de publication dans deux revues.
Référence étant faite à cette décision et aux écritures échangées par les parties pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler les éléments suivants nécessaires à la compréhension du litige :
La société Labo France Editeur édite depuis plusieurs années un guide annuaire des principaux laboratoires et centres médicaux. Dans le numéro 240 de la Revue française des laboratoires de septembre 1992, elle a fait paraître un article, intitulé " Pourquoi l'annuaire des laboratoires d'analyses de biologie médicale n'est plus ce qu'il était ", qui expose, notamment, que les données figurant dans son guide ont été utilisées " au mépris des lois " à des " fins mercantiles ", par des " revues comme SB ... OB ... L... LMB " et qu'elle " ne peut plus supporter ce vol qui la prive de revenus ".
Le tribunal, ayant estimé que ces mentions s'analysent en un dénigrement caractérisé, a rendu la décision ci-dessus rappelée.
La société Labo France Editeur en poursuit l'infirmation en faisant valoir qu'aucun acte de dénigrement n'est rapportée dans la mesure où les initiales LMB ne suffisent pas à identifier Le Médecin Biopathologiste, revue qui en raison de sa jeunesse est dépourvue de notoriété.
Dans le dernier état de ses écritures, l'appelante soutient que les faits présentés comme un dénigrement fautif sont exclusivement constitutifs d'une diffamation publique envers un particulier et que, dès lors, l'action du Biopathologiste se trouve forclose par application de la courte prescription de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881.
L'entreprise de presse Le Biopathologiste conclut à la confirmation du jugement déféré sur la concurrence déloyale : les faits de dénigrement résultent tant de la critique de ses méthodes de travail par Labo France Editeur que de l'auto-proclamation par celle-ci de vertus qu'elle dénie à l'intimée.
Elle sollicite cependant une infirmation partielle quant à la réparation de son dommage qu'elle fixe à 100 000 F. Elle demande enfin 10 000 F pour frais irrépétibles d'appel.
Sur ce, LA COUR :
- Sur la qualification de diffamation :
Considérant que la matérialité de la diffusion de l'article litigieux, dont les termes sont rapportés dans le jugement déféré auquel la Cour se réfère, n'est pas discutée ;
Considérant que, par ailleurs, c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont relevé que les initiales LMB permettent d'identifier clairement la revue éditée par l'intimée, que, de plus, la société Labo France Editeur dans ses dernières écritures n'a plus contesté avoir visé la revue Le Médecin Biopathologiste ;
Qu'elle soutient cependant que ses agissements devant être qualifiés de diffamatoires les poursuites sont prescrites ;
Mais considérant que les propos litigieux formulés par la société Labo France Editeur dans la Revue française des laboratoires visent uniquement la revue Le Médecin Biopathologiste, en tant que produit concurrentiel de nature commerciale, à l'exclusion de toute mise en cause personnelle des responsables de ce journal;
Que, de plus, l'utilisation publique de critiques directes par la société Labo France Editeur à l'encontre de la revue Le Médecin Biopathologiste en situation de rivalité avec elle sur le marché de la presse médicale, domaine étroit et spécialisé, ainsi que l'auto-proclamation par l'appelante de la qualité de ses produits opposés sans ambiguïté à ceux nécessairement inférieurs du Médecin Biopathologiste, confortent l'aspect purement mercantile et le contexte commercial du différend dont s'agit;
Qu'ainsi les prétentions de la société Labo France Editeur quant à l'existence d'imputations diffamatoires à l'encontre de l'EURL Le Biopathologiste ne sont pas fondées et doivent donc être rejetées;
- sur les faits de concurrence déloyale :
Considérant que le jugement déféré a relevé, par des motifs justes, adéquats et circonstanciés que la Cour adopte, que la revue Le Médecin Biopathologiste, à supposer même qu'elle soit récente, se trouve en situation de concurrence avec les éditions médicales de la société Labo France Editeur et que les affirmations de l'appelante qui mettent publiquement en cause la crédibilité et le sérieux des méthodes de travail de ce journal tendent clairement à le discréditer et constituent ainsi des actes de concurrence déloyale par dénigrement fautif;
Considérant que c'est également à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'entreprise Le Biopathologiste ne rapporte aucun élément à l'appui du préjudice commercial allégué et lui ont alloué au titre de son préjudice moral une indemnité de 1 F ainsi qu'une mesure de publication ;
Que leur décision sera donc confirmée, sous réserve des mentions précisées au dispositif relatives à la publication ordonnée ;
Considérant enfin que l'équité commande d'allouer à l'intimée la somme de 10 000 F en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Précise cependant que les mesures de publication ordonnées par les premiers juges feront mention du présent arrêt et qu'elles seront effectuées dans les conditions prévues par le tribunal ; Déboute les parties de toutes leurs autres prétentions ; Condamne la Labo France Editeur aux dépens et au paiement à l'entreprise de presse Le Biopathologiste d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Admet la SCP Barrier et Monin, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.