CA Angers, 1re ch. A, 19 septembre 1994, n° 09302375
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Natalys (SA)
Défendeur :
Sorolec (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Panatard
Conseillers :
MM. Chesneau, Jutteau
Avoués :
Mes Vicart, SCP Chatteleyn, George
Avocats :
Mes Pavet, Bendjador.
La Société Natalys est propriétaire de la marque "Natalys", régulièrement déposée, et qu'elle exploite à travers un réseau de détaillants auxquels elle est liée par des contrats de distribution en exclusivité.
Par exploit du 28 août 1991, la société Natalys fit assigner la société Sorolec devant le Tribunal de Grande Instance du Mans, se prévalant d'un constat d'huissier du 25 juin 1991 où il est rapporté que la défenderesse a commercialisé, dans son magasin "Palaf'Sold" au Mans une salopette de coton rayé blanc et bleu, 18 mois, griffée Natalys.
Estimant Sorolec responsable d'usage illicite de marque et de concurrence déloyale, la Société Natalys demandait :
* la condamnation de la défenderesse à lui régler à titre de dommages intérêts :
- 300.000 Francs pour l'usage illicite de la marque et le bénéfice perdu du fait de cet usage.
- 200.000 Francs pour concurrence déloyale
- 15.000 Francs pour frais irrépétibles
x qu'il soit fait défense à la Société Sorolec d'utiliser à l'avenir la marque Natalys, ce sous astreinte provisoire de 500 Francs par infraction constatée et que soit ordonnée la confiscation et la destruction de tout article portant cette marque et qui serait commercialisée par Sorolec.
x que soit ordonnée la publication du dispositif du jugement à intervenir.
La défenderesse a conclu au déboutement et à la condamnation de Natalys à lui régler 15.000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
S'agissant du reproche d'usage illicite de la marque, elle faisait observer qu'elle avait régulièrement acquis la marchandise auprès de la société Obadia qui exerce une activité de grossiste soldeur professionnel ; cette acquisition n'avait été possible que par l'autorisation de Natalys de vendre ses produits de second choix dans une autre filière que la filière protégée.
S'agissant du reproche de concurrence déloyale il n'était pas non plus justifié : il ne pouvait résulter du seul fait d'avoir commercialisé des produits relevant du réseau de distribution sélective en l'absence d'autres agissements tels que dénigrement, confusion de marchandises ou détournement de clientèle.
Sorolec a appelé en garantie la Société Obadia qui elle même a fait attraire à la cause la société Dauphimaille à l'origine de la diffusion des marchandises litigieuses.
Le Tribunal s'est prononcé par jugement du 7 juillet 1993.
Il relève qu'en admettant implicitement que des articles portant sa griffe d'origine puissent être revendus par un circuit extérieur au système de distribution exclusive, la Société Natalys s'oblige à veiller à l'usage que font les intermédiaires des marchandises griffées qu'elle laisse en leur possession. Dès lors, on ne peut reprocher à la Société Sorolec un usage illicite de marque au motif qu'elle a acheté, pour la revendre, la marchandise qui était incluse dans un lot.
Par contre la responsabilité de la Société Sorolec se trouve engagée, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, pour concurrence déloyale. Elle avait connaissance du réseau de distribution sélective pour avoir déjà été condamnée pour des faits similaires ; il lui avait alors été fait défense d'utiliser à l'avenir la marque Natalys par un jugement du Tribunal de Grande Instance du Mans confirmé par un arrêt de la Cour d'Angers.
Le Tribunal déboute dès lors la société Sorolec de sa demande de dommages intérêts, pour l'usage illicite de la marque mais la condamne, pour concurrence déloyale, à régler 30.000 Francs de dommages intérêts à Natalys. Il fait défense à Sorolec d'utiliser la marque Natalys sous astreinte de 500 Francs par infraction constatée et ordonne la confiscation de tout article portant la marque Natalys commercialisée par Sorolec et ordonne sa destruction. Il condamne Sorolec à régler à Natalys 5.000 Francs pour frais irrépétibles et à supporter les dépens.
Le Tribunal estime que les actes de concurrence déloyale retenus contre Sorolec constituent une faute personnelle non susceptible d'être garantie contre son fournisseur. D'ailleurs la société Obadia "conformément aux usages entre fabricants et soldeurs", achète la totalité du lot sans pouvoir en extraire un article, et le réexpédie immédiatement au soldeur détaillant. Il déboute donc Sorolec de son appel en garantie contre Obadia et met par voie de conséquence Dauphimaille hors de cause.
La Société Natalys a fait appel de ce jugement contre Sorolec qui ne reprend pas devant la juridiction du second degré son recours contre Obadia. Celle ci et Dauphimaille sont donc définitivement hors de cause.
L'appelante demande à la Cour de déclarer Sorolec responsable d'usage illicite de marque. Elle conteste avoir retourné à son fabricant des produits marqués pour qu'ils soient revendus parallèlement au réseau de distribution.
Elle sollicite la condamnation de l'intimée à lui régler à titre de dommages intérêts 300.000 Francs pour contrefaçon, usage illicite de marque et perte sur les ventes et 200.000 Francs pour concurrence déloyale outre 35.000 Francs pour frais irrépétibles.
Elle conclut à la confirmation en ce que le Tribunal fait défense à Sorolec d'utiliser la marque Natalys et a ordonné la confiscation de tout article portant cette marque.
Elle sollicite des mesures de publicité du dispositif de l'arrêt.
La société intimée conclut à la confirmation en ses dispositions lui bénéficiant.
Elle sollicite le déboutement de la société Natalys de son appel "ainsi que de toutes ses demandes fins et conclusions".
Elle réclame 10.000 Francs pour frais irrépétibles.
Attendu qu'il résulte du constat d'huissier en date du 25 juin 1991, versé aux débats par la société appelante, que ce jour là était proposé à la vente dans le magasin du Mans dénommé Palaf'Sold de la société Sorolec, un article griffé Natalys, en l'occurrence une salopette de coton rayé blanc et bleu, 18 mois, au prix de 59 Francs ; que ce vêtement d'enfant faisait partie de la collection printemps été 1991 de la société Natalys et était présenté dans son catalogue, page 119 référence D, sous la dénomination pantalon Grand-Pere 100 % coton Référence 06 90008 Marine Blanc au prix de 169 Francs le 6 mois ; 179 Francs le 1 an ; 189 Francs le 18 mois au 2 ans ;
Attendu qu'il est constant et non dénié que la société Natalys est propriétaire et exploite habituellement la marque portant ce nom déposée à l'Institut National de la propriété industrielle le 28 janvier 1963, ce dépôt ayant été ensuite régulièrement renouvelé et en dernier lieu le 16 octobre 1985 ; que le dépôt de la marque (ou son renouvellement) produit ses effets pendant 10 ans (art. 9 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique de commerce ou service) ;
Attendu que la propriété d'une marque est absolue et confère à celui qui en est titulaire une action contre tous ceux qui y portent atteinte en particulier en en faisant usage, sans autorisation du titulaire ;
Attendu que la Société Sorolec fait valoir, pour prétendre qu'elle n'a pas fait un usage illicite de la marque, qu'elle a régulièrement acheté les vêtements litigieux auprès d'un grossiste soldeur, la société Obadia ; et que cet usage illicite, qui lui est reproché, ne peut résulter du seul fait d'une commercialisation au mépris d'un réseau de distribution sélective ;
Attendu que la question n'est pas de savoir si Sorolec a acquis régulièrement ou non ces vêtements ;
Attendu que ce qui est réprimé par la loi pénale (art. 422 2° du code pénal) et justifie, en son principe, l'action civile de la victime, c'est l'usage de la marque sans autorisation du titulaire ;
Attendu que n'ayant pas l'autorisation de proposer à la vente des produits griffés la société intimée avait l'obligation d'enlever tout signe distinctif permettant d'identifier la société Natalys ;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'elle ne l'a pas fait ; qu'il est précisé par l'huissier dans son constat du 25 juin 1991 qu'il a accompagné à la porte du magasin Palaf une vendeuse du magasin Natalys Le Mans ; que celle-ci a effectué à l'intérieur l'achat d'une salopette de coton rayé bleu et blanc, 18 mois, pour 59 Francs ; et que l'huissier a constaté que l'article était griffé Natalys ;
Attendu que la Cour estime dans ces conditions que l'intimée s'est rendue coupable d'usage illicite de marque et que Natalys est fondée à obtenir réparation du préjudice causé par cette faute ;
Attendu que la pratique du réseau de distribution sélectif a pour objet d'assurer l'écoulement de produits de marque selon des méthodes commerciales répondant à des critères de qualité définis précisément par le titulaire de cette marque pour assurer à celle-ci une certaine image aux yeux de la clientèle ;
Attendu que la succursale du Mans de la Société Natalys est située 20 rue Nationale ; que le magasin Palaf Solde est installé quelques immeubles plus loin aux numéros 8 et 10 de la même rue ;
Attendu que Sorolec a ainsi mis en vente des articles griffés Natalys à proximité immédiate du magasin de la société propriétaire de la marque; qu'elle a profité du renom de celle ci et de sa proximité sans avoir à supporter les contraintes de la vente et les charges de publicitéainsi que l'observent à bon droit les premiers juges ; qu'elle a ainsi pu vendre à des prix cassés des produits de cette marque concurrençant d'une manière déloyale la société Natalys ;
Attendu que cette faute a été commise de propos délibéré puisque, à la date du constat du 25 juin 1991, Sorolec connaissait l'existence du réseau de distribution sélective, les problèmes juridiques posés par cette circonstance et l'existence de la marque déposée ; qu'avaient alors en effet été rendus à cette date, plusieurs décisions de justice retenant le principe de sa responsabilité à l'égard de Natalys pour des ventes de vêtements dans les mêmes circonstances : Jugement du Tribunal de Grande Instance du Mans du 20 Février 1990 ; Jugement du Tribunal de Tours du 10 novembre 1988 ;
Attendu qu'à juste titre les premiers juges ont retenu la responsabilité de Sorolec pour concurrence déloyale ;
Attendu qu'il résulte d'une facture du 24 juin 1991 (veille du constat) que Sorolec a acheté à Obadia 673 " articles enfant" pour le prix de 26 Francs TTC l'unité ;
Attendu que l'on ignore le nombre des articles litigieux (salopettes pour enfants) présentés à la vente ;
Attendu que le Tribunal a justement estimé que l'indemnisation ne pouvait être chiffrée que forfaitairement ;
Attendu que Natalys fait observer que Sorolec vit dans son sillage, de façon parasitaire, depuis des années ;
Attendu qu'il est en tout cas exact que, s'agissant des seuls articles concernés dans la présente espèce, leur vente dans un cadre médiocre de solde en détruit l'image que Natalys s'attache à valoriser en imposant des méthodes commerciales dans des magasins à son image;
Attendu que compte tenu de ces considérations et du fait que, à la différence des premiers juges, la Cour retient que Sorolec s'est rendue coupable d'usage illicite de marque, l'intimée sera condamnée au versement d'une indemnité réparatrice globale de 60.000 Francs ;
Attendu qu'à bon droit les premiers juges ont fait défense à la Société Sorolec d'utiliser la marque Natalys et ordonné la confiscation et la destruction de tout article commercialisé par l'intimée ;
Attendu que sera ordonnée la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux locaux au choix de la société Natalys et aux frais de la Société Sorolec mais sans que chaque publication coûte à celle-ci plus de 5.000 Francs ;
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile dans les conditions qui figurent au dispositif.
Par ces motifs : La Cour statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris en ce que le Tribunal a jugé que les faits imputés à la société Sorolec sont constitutifs de concurrence déloyale, fait défense sous astreinte à ladite Société Sorolec d'utiliser la marque Natalys, ordonne la confiscation et la destruction de tout article portant cette marque commercialisé par ladite Société Sorolec, statué sur les frais irrépétibles et la charge des dépens ; Infirmant pour le surplus en ce qui concerne les parties figurant à la cause devant la Cour ; Dit la société Sorolec responsable d'usage illicite de marque ; Condamne la Société Sorolec à régler à la Société Natalys 60.000 Francs à titre de dommages intérêts toutes causes de préjudice confondues outre 6.000 Francs pour frais irrépétibles devant la Cour ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux locaux au choix de la société Natalys, aux frais de la Société Sorolec mais sans qu'il en coûte à celle ci plus de 5.000 Francs par publication ; Condamne la Société Sorolec aux dépens d'appel ; Accorde à Maître Vicart, Avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.