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Décisions

CA Douai, 2e ch., 13 septembre 1994, n° 92-09142

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cabinet Fortin (SA)

Défendeur :

Sofinarex (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vandewyhaeghe

Conseillers :

Mmes Laplane, Rossignol

Avoués :

Mes Masurel-Thery, Le Marc'Hadour Pouille-Groule

Avocats :

Mes Losfeld, Caille,

T. com. Lille, du 18 déc. 1991

18 décembre 1991

Attendu que par jugement en date du 18 décembre 1991, le tribunal de commerce de Lille a condamné la SA Michel Fortin à payer à la Société Sofinarex :

- la somme de 150 000 F en réparation du préjudice subi par cette société,

- la somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que le 16 novembre 1992 la SA Michel Fortin a interjeté appel de cette décision.

Qu'aux termes de conclusions déposées le 15 avril 1992 elle demande de l'infirmer, de débouter la Société Sofinarex de toutes ses demandes fins et conclusions et de la condamner à lui payer la somme de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

Qu'elle expose à l'appui de son recours :

- que fin 1983, la société d'Expertises Comptables CJB connaissait un certain nombre de difficultés tant financières qu'internes et qu'elle devait être reprise ; que les mesures de réorganisation imposées par la Société Sofinarex ont été assez mal ressenties tant par la clientèle de cette société que par un certain nombre de salariés,

- qu'au nombre de ceux-ci, la dame Leclerc a démissionné avec effet au 23 novembre 1984 et qu'elle a été embauchée à compter du 1er décembre 1984 par la Société Michel Fortin,

- qu'un grand nombre de clients ont préféré quitter la Société Sofinarex pour s'adresser à la Société Michel Fortin,

- que la Société Sofinarex faisant état de manœuvres de démarchage et de détournement de clientèle l'a assignée devant le tribunal de commerce de Lille qui a rendu la décision dont elle fait appel.

Qu'elle reproche à la juridiction du premier degré de l'avoir condamnée à des dommages et intérêts après avoir constaté que la preuve n'était pas apportée d'une captation frauduleuse de clientèle de la part de la SA Michel Fortin mais retenu qu'elle devait répondre de fautes par négligence et omission, d'une attitude passive et d'un non respect d'un certain nombre de règles déontologiques qui ont été à l'origine d'un préjudice causé à la Société Sofinarex.

Qu'elle fait valoir :

- que le principe étant celui de la liberté de choix de l'expert-comptable (et par voie de conséquence de la liberté de changer d'expert-comptable) le détournement de clientèle n'est répréhensible que dans la mesure où serait démontrée l'existence de manœuvres positives constitutives de concurrence déloyale,

- que la preuve n'était pas apportée en aucun cas de manœuvres positives et actives en vue de détourner la clientèle d'un concurrent même si la Chambre régionale de discipline de l'Ordre des experts-comptables avait arrêté une sanction pour avoir accepté une nouvelle clientèle, sans l'accord de la Société Sofinarex et sans avoir averti celle-ci ou lui avoir demandé si ces clients ne devaient plus rien,

- que dans tous les cas dont la Société Sofinarex fait état, les clients ont, ou bien retiré leur confiance à la Société Sofinarex, ou décidé d'assurer eux-mêmes leur comptabilité, n'ayant eu recours à la Société Michel Fortin que pour faire viser leurs déclarations.

Attendu que le 29 avril 1994, la Société Sofinarex a conclu à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la Société Michel Fortin au paiement d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Qu'elle fait valoir

- que son action en concurrence déloyale ne requiert pas la constatation d'un élément intentionnel ; qu'elle est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, l'article 1383 relevant que toute personne est responsable du dommage qu'elle a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou son imprudence ; que la négligence de Michel Fortin a largement été relevée dans la décision de la Chambre régionale de discipline de l'Ordre des experts comptables et comptables agréés et qu'elle engage sa responsabilité.

Attendu que l'action engagée le 2 juillet 1991 par la Société Sofinarex à l'encontre de la Société Michel Fortin tendait à obtenir sa condamnation au paiement d'une somme de 600 000 F à titre de dommages et intérêts pour détournement de clientèle consécutif au recrutement de la dame Leclerc qui était antérieurement à son service ; que par le jugement entrepris le tribunal de commerce de Lille y a fait droit à concurrence de 150 000 F.

Attendu qu'il est constant :

- que la société d'expertises comptables CIB et la Société Sofinarex ayant fusionné la dame Leclerc au service de cette société à démissionné avec effet au 23 novembre 1984 pour entrer au service de la Société Michel Fortin le 1er décembre 1984, n'étant pas tenue d'une obligation à l'encontre de son ancien employeur,

- que la Société Sofinarex se plaint de ce qu'à la suite de ce recrutement, un certain nombre de ses clients l'ont abandonnée pour confier leur comptabilité à la Société Michel Fortin ; qu'elle apporte pour preuve un constat d'huissier énumérant les noms de 28 clients qui auraient été accaparés par la Société Michel Fortin.

Attendu que la Société Sofinarex ne fait état que de la seule relation entre la perte de ces 28 clients et le recrutement de la dame Leclerc, à l'exclusion de toute initiative ou manœuvre quelconque ayant accompagné ce transfert de clientèle ; que la Cour trouve dans les dossiers des parties un certain nombre de correspondances des intéressés indiquant qu'ils ne feraient plus appel aux services de la Société Sofinarex pour des raisons explicitées (traitement de leur comptabilité par eux-mêmes) ou non explicitées ; qu'elle y trouve même l'accord de la Société Sofinarex pour certains dossiers suite à la consultation préalable de la Société Michel Fortin.

Attendu que le présent litige a été soumis à la Chambre régionale de discipline de l'Ordre des experts-comptables qui dans sa décision du 20 mars 1990 a relevé 28 transferts de dossiers et que pour certains seulement, il n'y avait pas eu consultation préalable au transfert.

Qu'il n'y a donc eu sanction que pour un manque à la probité et aux règles de conduite de bonne confraternité à l'occasion de transferts de dossiers de clients dont il n'est pas prouvé qu'ils ont été causés ou occasionnés par de quelconques manœuvres ou initiatives de la société Fortin; qu'il n'est apporté aucun élément pour le démontrer.

Attendu que pour le seul manquement relevé à l'égard de la Société Michel Fortin il y a lieu d'allouer à la Société Sofinarex la somme de 1 F en réparation de son préjudice moral ; qu'il convient donc de réformer le jugement entrepris et chacune des parties ayant succombé en ses prétentions, l'une en première instance et l'autre en appel, il y a lieu de dire que chacune supportera la charge des dépens par elle exposés.

Par ces motifs, reçoit la Société Michel Fortin en son appel, réforme le jugement entrepris, condamne la Société Michel Fortin à payer à la Société Sofinarex la somme de 1 F, Laisse à chacune des parties la charges des dépens par elle exposés en première instance et en appel.