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Décisions

CA Riom, ch. civ. et com., 29 juin 1994, n° 2284-93

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Geoexperts (SARL)

Défendeur :

Chaillou, Fondasol (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bardel

Conseillers :

MM. Despierres, Jean

Avoués :

Mes Gutton, Tixier

Avocats :

SCP Reboul Salze, Me Sahuc.

T. com. Clermont-Ferrand, du 10 juin 199…

10 juin 1993

Le litige :

Par jugement du 10 juin 1993, auquel la Cour se réfère expressément pour l'exposé des circonstances et des données du litige, le Tribunal de Commerce de Clermont Ferrand déboutait la société Geoexperts de son action en responsabilité et en paiement d'une somme de 4 500 000 F à l'encontre de la société Fondasol et de M. Chaillou, sur le fondement d'une concurrence déloyale, caractérisée par des actes de débauchage de personnel. Le tribunal considérait qu'il n'était apporté aucun élément, ni document, ni fait particulier prouvant que la société Fondasol se serait livrée à des manœuvres de débauchage à l'égard de ceux-ci et retient que la société Geoexpert ne rapporte pas non plus la preuve que la société Fondasol aurait détourné sa clientèle ni qu'elle aurait utilisé des informations confidentielles, ni commis aucun fait de désagrément.

Préalablement, le tribunal avait dit que l'exception d'incompétence, en ce qui concerne M. Chaillou, était recevable et que les parties étaient renvoyées, en ce qui le concerne, devant le Tribunal de Grande Instance de Clermont-Ferrand.

En outre, la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de la société Fondasol était rejetée.

La Société Geoexperts formait appel. Elle expose que M. Chaillou et la plus grande partie de l'équipe technique et administrative de la société Geoexperts s'est déplacée chez la société concurrente Fondasol en y emmenant leur savoir faire, leurs relations et la renommée de la société Geoexperts. Elle analyse cette attitude en un débauchage massif de personnel, constitutif d'une concurrence déloyale.

Elle décrit son personnel de l'agence de Clermont Ferrand, et sur six personnes, expose que cinq se retrouvaient, au début de l'année 1992, à la société Fondasol. Elle décrit également les conséquences financières résultant.

L'appelante soutient que l'acte de concurrence déloyale résulte des conditions dans lesquelles l'embauche a été réalisée et que le débauchage était principalement motivé par le désir d'exploiter les connaissances acquises par le salarié, qu'il existe une embauche simultanée de plusieurs salariés et que la désorganisation de l'entreprise concurrencée s'en est suivie.

Elle applique ces principes rappelés à son cas, insistant sur les compétences techniques de M. Chaillou ingénieur.

Elle allègue également d'intervention de la société Fondasol auprès des clients détournés ainsi que d'actes de dénigrement.

Contre M. Chaillou, il est soutenu qu'il est associé de la société Geoexperts. Il est dit que sa mère détient des parts de la société Geoexperts.

Il est également développé le fait que des propos diffamatoires ont été tenus envers M. Dardenne, fondateur de Geoexperts.

Le préjudice est fixé à 4 500 000 F, soit deux ans du chiffre d'affaires en Auvergne, ce chiffre d'affaires ayant été réduit à 0 F en décembre 1990, juin août et septembre 1991, à la suite de cas de débauchage et de la concurrence déloyale. Cette somme est réclamée à la société Fondasol et " éventuellement " à M. Chaillou.

Le préjudice de la diffamation est fixé à 100 000 F, réclamé à titre de dommages-intérêts, in solidum, aux mêmes.

Il est demandé d'ordonner la suppression des écrits injurieux, outrageants et diffamatoires.

Enfin une condamnation solidaire est demandée sur le fondement de l'article 700 NCPC, à hauteur de 20 000 F.

Intimés, M. Chaillou et la société Fondasol demandent en premier lieu de dire irrecevable toute demande à l'endroit de M. Chaillou, en l'absence de contredit formé dans le délai légal à l'encontre de la décision et sollicitent, à leur bénéfice, les sommes de :

- 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur la demande en ce qu'elle est dirigée contre la société Fondasol, ils demandent de dire que de l'aveu même contenu dans les écritures de la société Geoexperts, la preuve d'actes déloyaux n'est pas rapportée. Ils dénient qu'aucun dénigrement ait été commis et soutiennent qu'il est licite d'embaucher des salariés libres de tout engagement à l'égard de leurs précédents employeurs. Ils concluent au débouté de toutes demandes, notamment celles tendant à l'imputation de propos diffamatoires.

La société Fondasol développe longuement sa contestation sur les fautes alléguées, ainsi que sa critique de préjudice allégué.

Formant une demande reconventionnelle la société Fondasol demande pour elle-même, à titre de dommages-intérêts une somme de 250 000 F, pour tentative d'intimidation entre concurrents, la société Geoexperts s'étant abstenue de payer des loyers pour des locaux appartenant à M. Chaillou, et en raison des prétendues diffamations.

Elle demande, en outre, la somme de 2 500 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Motivation :

Recevabilité de l'appel :

Attendu qu'en ce qui concerne M. Chaillou, le tribunal s'est déclaré incompétent ;

Attendu que cette décision devait faire l'objet d'un contredit, non d'un appel ;

Attendu que l'appel est irrecevable à son encontre, et par suite toutes demandes ou autres éléments le concernant ;

Attendu que ses propres demandes en dommages intérêts et sur le fondement de l'article 700 du NCPC sont ainsi sans effet et à rejeter, aucune faute pour procédure abusive n'étant par ailleurs à imputer à l'appelante, à son encontre ;

Diffamation :

Attendu que les allégations de propos diffamatoires sont bien dit ne concerner que M. Dardenne, ancien gérant de la société Geoexperts ;

Or, attendu que M. Dardenne n'est pas partie en la cause ;

Attendu, par suite, que l'action de ce chef est irrecevable ;

Attendu, en outre et surabondamment, que d'une part, les faits allégués ne sont pas expressément visés, de sorte qu'il ne pourrait être dit quels écrits doivent être effacés ou " cancellés ", d'autre part, contenus dans des écritures, ils ne sont ni publics, ni caractérisés comme injurieux ou étrangers à la cause ;

La concurrence :

Attendu en droit qu'alors que le principe qui régit les relations commerciales est celui de la libre concurrence, corollaire du principe de la libre entreprise, la limite constituée par la déloyauté doit être caractérisée par qui invoque la faute dans l'exercice de la concurrence ;

Attendu que la déloyauté fautive consiste en une intention non seulement de s'approprier les moyens d'une entreprise et de se substituer à elle sur le marché, ce qui est le jeu de la simple concurrence, mais de le faire par des moyens caractérisant notamment le débauchage, le dénigrement, l'appropriation de moyens propres à l'entreprise concurrencée ou toutes autres formes permettant d'identifier un comportement comme étant déloyal et tendant à la désorganisation de l'entreprise concurrencée ;

Attendu que les faits ainsi allégués sont les suivants :

A) Débauchage :

Attendu que la société Geoexperts a pour activité un bureau d'études de sols et de fondations, et exploitait à Clermont Ferrand, sous l'autorité de M. Chaillou, son directeur régional Auvergne, un établissement de 6 personnes ; que M. Chaillou démissionnait par lettre du 5 juillet 1990 ; que la secrétaire, Mme Rougier, démissionnait également, ainsi que l'ingénieur M. Del Rosso ; que courant 1991, ces trois personnes avaient été embauchées par la société Fondasol, dont l'activité est identique à celle de la société Geoexperts, exerçant à Clermont Ferrand également ; que M. Chaillou était ainsi responsable de l'agence, depuis le 10 septembre 1990 ; que début 1992, deux autres personnes, sondeurs, étaient également passés de l'une à l'autre société ;

Attendu que pour soutenir qu'il y a eu débauchage massif de personnel, la société Geoexperts, après avoir noté que la preuve est impossible à obtenir en l'état, argue de la démission en un temps très restreint des cinq personnes concernées, entre juin et septembre 1990, aux départs entre septembre et octobre 1990, et de leur embauche par la société Fondasol ; qu'elle expose qu'il y a eu désorganisation de l'entreprise ; que par ailleurs, elle insiste sur la préméditation de départ de M. Chaillou, avec l'exécution d'une étude sur le fonctionnement de la société Geoexperts autorisée par M. Chaillou, et aussi par la multiplication des appels téléphoniques de M. Chaillou avant sa démission, à partir des locaux de la société Geoexperts avec la société Fondasol ;

Mais attendu que le départ de M. Chaillou, même prémédité - et évidemment prémédité par lui - n'est pas fautif à quelque titre que ce soit pour la société Fondasol dont il n'est établi aucun élément d'acte de débauchage ;

Attendu que les faits allégués, par exemple au sujet d'une étude faite par des étudiants, sont sans effets pour imputer à la société Fondasol un acte critiquable dans le départ de M. Chaillou ; que la Cour ne peut mieux dire que le tribunal qui a simplement constaté qu'il " n'est apporté aucun élément ni document ni fait particulier prouvant que la société Fondasol se serait livrée à des manœuvres de débauchage " à l'égard de ces personnes, dont il est, par ailleurs, constant qu'elles n'étaient liées à la société Geoexperts par aucune clause de non-concurrence ;

Attendu que ces faits allégués ne peuvent qu'être rejetés ;

B) Attendu, sur les interventions alléguées de la société Fondasol auprès de clients détournés, qu'il est soutenu que deux exemples en témoignent :

- un rapport de M. Chaillou et Del Rosso des 22 mars et 25 juillet 1991, pour le compte de la société Fondasol confirmant une intervention dans un " secteur qui était jadis le client de la société Geoexperts " ;

- une lettre du Maire de Ceyrat à M. Chaillou qui dénonce le détournement de clientèle de Geoexperts à Fondasol... ;

Mais attendu que si le rapport ci-dessus caractérise un fait de concurrence, la déloyauté n'est pas caractérisée et ne résulte aucunement du seul fait d'un passage de client à la seconde entreprise ;

Attendu que le tribunal a bien noté pour rejeter cette lettre de la Mairie de Ceyrat que la relation entre elle et M. Chaillou s'exerçait alors à titre personnel, M. Chaillou étant expert judiciaire ; qu'il n'en résulte pas d'élément caractérisant une déloyauté ou un dénigrement ;

Attendu, au total, que le jugement doit être confirmé ;

Demande reconventionnelle en dommages-intérêts :

Attendu que la demande de dommages intérêts est à rejeter, la faute alléguée relative à des loyers étant sans lien direct établi avec l'action en concurrence déloyale et les " diffamations " alléguées étant dires sans lien également avec les parties à l'instance ;

Article 700 du Nouveau code de procédure civile :

Attendu qu'il est équitable de fixer à 5 000 F la somme due à ce titre par la société Geoexperts à la société Fondasol ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement. Dit irrecevable l'appel interjeté contre M. Chaillou ; Dit irrecevables les demandes concernant les allégations reprochées relatives à M. Dardenne, et la demande en dommages-intérêts afférente ; En ce qu'il est appelé : Confirme le jugement ; Y ajoutant : Condamne la société Geoexperts à payer à la Société Fondasol la somme de Cinq Mille Francs (5 000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Geoexperts aux dépens ; Autorise Me Gutton Avoué à recouvrer ceux dont il aurait pu faire l'avance.