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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 27 juin 1994, n° 92-016913

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Insert France (SARL)

Défendeur :

Lessertois (ès qual.), Barbar Pub (Sté), Penet Weiller (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Laverene, SCP Varin Petit

Avocats :

Mes Valery, de Frouville.

T. com. Paris, 1re ch., sect. B, du 1er …

1 juin 1992

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La Société Insert France a pour activité l'achat et la vente de surfaces publicitaires et la mise en œuvre par tous moyens d'opérations publicitaires et de promotion, et tout particulièrement l'exploitation de réseaux d'emplacements d'affichage chez les commerçants.

La Société Barbar Pub a été constituée le 2 avril 1991 entre MM. Ancellet, Janeau, Lebaudy et Mesdemoiselles Caraisco et Janeau tous anciens salariés d'Insert à l'exception de Mlle Janeau.

Elle a notamment pour objet " l'exploitation la location, la vente de matériel publicitaire, de matériel PLV et de tous dispositifs susceptibles de promotionner une activité commerciale, sociale, administrative bénévole ou non quelle qu'elle soit ".

Insert France faisant grief à Barbar Pub de s'être livrée à son encontre à des actes de concurrence déloyale en plagiant ses matériels et slogans publicitaires, en tentant de débaucher massivement ses salariés et en la dénigrant, l'a assignée à bref délai devant le Tribunal de Commerce de Paris.

Elle sollicitait outre des mesures d'interdiction et de publication, paiement de dommages-intérêts et d'une somme en vertu de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Le gérant de Barbar Pub s'opposait aux demandes, faisant principalement valoir que sa société n'exerçait pas une activité directement concurrente de celle d'Insert France.

Le Tribunal par le jugement entrepris a débouté Insert France de l'ensemble de ses demandes.

Par jugement en date du 1er juin 1992 le Tribunal de Commerce de Paris a ouvert un procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Barbar Pub ; que par un autre jugement en date du 9 juillet 1992 le Tribunal a mis fin à cette procédure et a prononcé la liquidation judiciaire de la société, Me Penet Weiller étant désignée en qualité de représentant des créanciers et de liquidateur judiciaire, Me Lessertois ayant été préalablement nommée administrateur judiciaire.

Insert France a déclaré sa créance le 21 juillet 1992 laquelle a été admise le 15 octobre 1993 par le juge commissaire pour les sommes de 500.000 F et 50.000 F.

Appelante selon déclaration du 17 juillet 1992 Insert France prie la Cour d'infirmer le jugement entrepris

- de dire que Barbar Pub s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale,

- de fixer le montant de sa créance à l'encontre de Barbar Pub à titre de dommages-intérêts à la somme de 500.000 F augmentée des intérêts de droit à compter de l'assignation du 30 décembre 1991,

- de condamner Me Penet ès qualités au paiement de la somme de 50.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de Me Penet ès qualités dans quatre journaux.

Me Lessertois ès qualités a sollicité sa mise hors de cause.

Me Penet Weiller ès qualités poursuit la confirmation du jugement, subsidiairement demande à la Cour de constater éventuellement l'existence des créances alléguées et d'en fixer le montant, de débouter Insert France de ses demandes tendant à voir mettre à la charge des créanciers les frais de publication de l'arrêt à intervenir et de celle formée du chef de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il convient en premier lieu de prononcer la mise hors de cause de Me Lessertois ès qualité dont la mission d'administrateur judiciaire a pris fin compte tenu du jugement de liquidation judiciaire.

I - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

A - Sur la situation de concurrence

Considérant que les premiers juges ont estimé que les activités des deux sociétés en cause n'étaient pas directement concurrentes.

Mais considérant qu'Insert France fait justement valoir que Barbar Pub exerce tout comme elle-même ses activités dans le domaine publicitaire.

Que toutes deux exploitent des emplacements publicitaires plus particulièrement dans les cafés.

Que ces supports publicitaires visent la même clientèle et son achetés par les mêmes annonceurs compte tenu de ce que les panneaux d'Insert France sont visibles tant de l'extérieur que de l'intérieur des cafés comme l'établissent les photographies produites et que les sucriers de Barbar Pub sont placés sur les comptoirs de ces établissements.

Qu'en conséquence les activités de Barbar Pub sont directement concurrentes de celles d'Insert France.

B - Sur les actes incriminés

Considérant que l'appelante fait tout d'abord grief à Barbar Pub d'avoir plagié ses plaquettes publicitaires et ses campagnes d'affichage.

Considérant qu'il résulte des pièces mises aux débats que Barbar Pub a presque servilement copié un des slogans utilisé par Insert.

Qu'en effet alors que la plaquette publicitaire de l'appelante comporte les slogans suivants :

" Pour échapper à une campagne d'affichage Insert, il faut le faire exprès ou ne regarder que ses pieds "

" Une campagne d'affichage Insert a une telle influence que cela crée souvent beaucoup d'affluence ".

Barbar Pub n'a pas hésité à mentionner sur sa propre plaquette dont la postériorité n'est pas contestée les slogans suivants :

" Une campagne d'affichage Barbar à (sic) une telle influence que cela crée beaucoup d'affluence !

... Pour échapper à une campagne d'affichage Barbar il faut ne pas rentrer dans un café et ne regarder que ses pieds ".

Que cette reprise presque mot pour mot de deux slogans dont Barbar Pub ne pouvait au demeurant ignorer l'existence, son dirigeant M. Ancelet et deux des interlocuteurs dont les noms sont mentionnés sur la plaquette (Michel Patrice Janeau et Marie-Laure Caraisco) étant d'anciens salariés d'Insert France, révèle la volonté de se placer directement dans le sillage d'un concurrent et de profiter à moindres frais des efforts par lui entrepris.

Qu'un tel comportement constitue une faute au sens de l'article 1382 du Code Civil.

Considérant en revanche que le simple fait de proposer à la clientèle, tout comme Insert, une campagne d'affichage d'une durée de 7 jours avec livraison 7 jours avant la pause n'est pas en lui-même fautif compte tenu de ce qu'il n'est pas démontré, contrairement à ce que soutient Insert, que Barbar Pub ait adopté des jours de démarrage identiques.

Considérant que l'appelante soutient également que Barbar Pub a cherché à désorganiser son entreprise en recrutant certains de ses anciens salariés à la suite de réunions organisées pour présenter un produit et qu'elle s'est livrée à une tentative massive de débauchage.

Considérant certes qu'il est établi que Mlle Oliphar qui était employée par Insert en qualité de secrétaire de direction a été licenciée pour faute grave pour tentative de débauchage de son personnel.

Mais considérant que ni Mlle Oliphar ni les trois autres salariés démissionnaires MM. Michaud, Croce et Hazael n'ayant été embauchés par Barbar Pub, aucune faute ne peut être imputée à cette société de ce chef.

Considérant que les premiers juges ont justement estimé que les conditions dans lesquelles la société Insert a provoqué en août et septembre 1991 les témoignages d'employés qui auraient été contactés par Barbar Pub appellent des réserves.

Mais considérant qu'il résulte des témoignages de quatre commerçants (L'Esmeralda, Délices de l'Ile Maurice, Le Rubis, L'Armor) que ceux-ci ont été amenés à penser que les sucriers et l'affichage vitrine étaient des produits émanant de la même société compte tenu de ce qu'ils leur avaient été proposés par la même personne.

Qu'en créant ainsi volontairement une confusion dans l'esprit de la clientèle Barbar Pub a commis une faute qui engage sa responsabilité.

Considérant que les actes de dénigrement n'étant rapportés que par M. Bricard salarié d'Insert, ils ne peuvent être retenus faute d'élément objectif complémentaire.

II - SUR LES MESURES REPARATRICES

Considérant qu'Insert évalue son préjudice à la somme de 500.000 F.

Que même si elle ne verse aux débats aucun élément comptable que les agissements de Barbar Pub ont entraîné une baisse de chiffre d'affaires, il est incontestable qu'Insert a subi un préjudice commercial lequel peut être évalué à 100.000 F.

Qu'il convient de relever qu'Insert France ayant précisé dans sa déclaration de créance que celle-ci était faite sous réserve d'une décision de justice définitive à intervenir à la suite de l'assignation du 30 décembre 1991, il y a lieu de retenir que son admission présente le même caractère conditionnel, observation étant faite que la décision du juge commissaire du 15 octobre 1993 n'est pas versée aux débats.

Considérant qu'aucune condamnation pécuniaire ne pouvant être prononcée à l'encontre de Barbar Pub, il y a lieu simplement de fixer le montant de la créance d'Insert France à la somme susvisée.

Considérant que la créance d'Insert France étant une créance de dommages-intérêts évalués au jour de l'arrêt il n'y a pas lieu de faire droit au paiement des intérêts à compter de l'assignation.

Considérant que pour prévenir le renouvellement des actes de concurrence déloyale et à titre de réparation complémentaire il convient d'autoriser les mesures de publication dans les conditions précisées au dispositif.

Considérant qu'Insert France ayant été contrainte d'engager des frais hors dépens pour défendre ses intérêts, il convient de lui allouer en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile la somme de 5.000 F observation étant faite que Me Penet Weiller a repris la procédure devant la Cour.

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris, Met hors de cause Me Lessertois ès qualité d'administrateur judiciaire de la Société Barbar Pub, Dit que la Société Barbar Pub a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la Société Insert France, Fixe la créance de dommages-intérêts d'Insert France à l'encontre de Barbar Pub à la somme de 100.000 F, Autorise la Société Insert France à publier à ses frais le dispositif du présent arrêt dans 3 journaux ou revues de son choix, Condamne Me Penet Weiller en qualité de liquidateur judiciaire de la Société Barbar Pub à payer à la Société Insert France la somme de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ainsi que les dépens. Admet la SCP Roblin Chaix de Laverene Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.