CA Paris, 4e ch. A, 20 juin 1994, n° 92-020784
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie Télétechnique Moderne (SA)
Défendeur :
Infra Plus (Sté), HBP Associés (Sté), Technic Service (Sté), 2 Art (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouge
Conseillers :
Mme Mandel, M. Brunet
Avoués :
Me Olivier, SCP Teytaud, Me Baufume
Avocats :
Mes Monegier du Sorbier, Boespflug, Gautheron.
Statuant sur l'appel interjeté par la société CTM du jugement rendu le 14 mai 1992 par le tribunal de commerce de Créteil (4e chambre, n° 108-89) dans un litige l'opposant aux sociétés Infra Plus, HBP Associés, Technic service, 2 Art, ensemble sur les appels incidents des sociétés HBP, Technic Service et Infra Plus.
Faits et procédure
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
La société CTM se prévalant de ses droits d'auteur sur les formes d'un module de raccordement pour répartiteur téléphonique et estimant que la société Infra Plus et divers autres distributeurs fabriquaient et/ou commercialisaient des dispositifs de raccordement constituant une copie servile de son propre modèle a fait procéder à plusieurs saisies contrefaçon.
A la suite de celles-ci CTM a assigné les sociétés Infra Plus, HBP associés, Technic Service et 2 Art devant le Tribunal de commerce de Créteil en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Outre des mesures de destruction ou de confiscation, d'interdiction et de publication, elle sollicitait paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts, subsidiairement la désignation d'un expert.
La société Infra Plus a conclu au débouté des demandes au motifs que le modèle invoqué n'était pas protégeable par le droit d'auteur et subsidiairement que CTM ne justifiait pas être titulaire des droits d'auteur.
Reconventionnellement elle réclamait paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ainsi que des mesures de publication.
HBP et Technic Service invoquant leur bonne foi et l'absence de mise en demeure de CTM concluaient également au débouté et sollicitaient, outre la mainlevée des saisies contrefaçon paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le Tribunal par jugement avant dire droit du 13 février 1990 a ordonné une mesure d'instruction confiée à M. Adamsbaum avec mission de dire :
- si Infra Plus et autres se sont rendues coupables de contrefaçon à l'égard de CTM dans la réalisation de ses boîtiers de raccordement,
- si lesdits boîtiers pourraient, en raison de leur destination et de leurs composants, être réalisés de façon différente, ou si la forme adoptée par Infra Plus et autres, était une obligation,
- si lesdits boîtiers étaient protégeables par les droits d'auteur,
- au cas où il apparaîtrait une contrefaçon du modèle de CTM déterminer le préjudice matériel subi par cette société.
M. Adamsbaum ayant déposé son rapport le 16 juillet 1991 le Tribunal a été ressaisi par CTM qui a repris les termes de ses précédentes écritures tout en portant sa demande de dommages et intérêts à 5 millions à titre provisionnel.
Infra Plus a conclu à ce qu'il soit :
- jugé que CTM était mal fondée à tout le moins irrecevable en sa demande en contrefaçon et que l'exploitation du module de raccordement n'était pas constitutif de concurrence déloyale,
- jugé que l'acte de concurrence déloyale commis par Infra Plus en utilisant les plans module de raccordement de cette dernière pour établir ceux de son propre module ne peut être sanctionné que par l'allocation d'une indemnité correspondant à la modeste économie réalisée.
Elle a repris sa demande de reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour acte de dénigrement.
HBP et Technic Service ont conclu à ce que CTM soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions, condamnée à leur payer des dommages et intérêts pour procédure abusive et subsidiairement elles ont sollicité la garantie d'Infra Plus.
Le Tribunal par le jugement entrepris a :
- dit qu'il n'y a pas eu contrefaçon et concurrence déloyale de la part d'Infra Plus à l'égard de CTM et débouté celle-ci de l'ensemble de ses demandes de ces chefs.
- condamné Infra Plus à payer à CTM la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts pour utilisation abusive des plans de CTM avec exécution provisoire,
- débouté Infra Plus et CTM du surplus de leurs demandes,
- condamné CTM et Infra Plus au paiement par moitié des dépens y compris les frais d'expertise,
- débouté CTM de ses demandes envers HBP, Technic Service et autres,
- ordonné la mainlevée des saisies contrefaçon diligentées à l'encontre de HBP et Technic Service
- débouté HBP et Technic Service de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts,
- condamné CTM à payer à chacune des sociétés HBP et Technic Service la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Appelante selon déclaration du 7 août 1992, CTM prie la Cour :
- d'infirmer le jugement,
- de dire et juger que les sociétés défenderesses se sont rendues coupables de contrefaçon à l'égard de CTM et de concurrence déloyale et parasitaire,
- d'ordonner sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard ou par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt, la cessation de la fabrication et de la commercialisation des dispositifs incriminés ainsi que la destruction ou confiscation de ceux détenus par les défenderesses directement ou indirectement,
- condamner in solidum les sociétés défenderesses à lui verser à titre de dommages et intérêts provisionnels la somme de 5 millions de francs en réparation du préjudice subi et de lui donner acte de ce qu'elle se réserve de l'actualiser,
- d'ordonner la publication de l'arrêt dans 10 journaux aux frais in solidum des défenderesses et de fixer le coût de chaque insertion à 20 000 F HT,
- de condamner in solidum les défenderesses à lui payer la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens lesquels comprendront notamment les frais de saisie-contrefaçon et d'expertise.
HBP et Technic Service prient la Cour de dire que le module de raccordement revendiqué n'est pas protégeable par la loi du 11 mars 1957, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté CTM de sa demande en contrefaçon et en concurrence déloyale et ordonner mainlevée des saisies contrefaçon.
Formant appel incident pour le surplus elles sollicitent la condamnation de CTM à payer à chacune d'elles une somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts outre 30 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Subsidiairement elles réclament la garantie d'Infra Plus.
Infra Plus poursuit la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a fixé à 250 000 F le montant de l'indemnité allouée à CTM au titre de l'utilisation des plans et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle.
Formant appel incident de ces chefs elle demande à la Cour, d'une part, de réduire le montant de l'indemnité due par elle à CTM pour les plans d'autre part, de condamner CTM pour faits de concurrence déloyale à lui payer une indemnité provisionnelle de 5 millions et de désigner un expert pour évaluer son entier préjudice outre la somme de 100 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
En réplique CTM a conclu à ce que Infra Plus, HBP et Technic Service soient déboutées de leurs demandes.
La société 2 Art, assignée en la personne de Monsieur Treinen, ingénieur commercial, lequel a déclaré être habilité à recevoir l'acte n'a pas constitué avoué.
Sur ce
I. Sur le caractère protégeable du module de raccordement et la demande en contrefaçon.
Considérant que CTM soutient que tant les plans de son module de raccordement que la forme du module sont protégeables par le droit d'auteur dès lors qu'ils ne portent pas sur des éléments techniques mais sur des éléments externes destinés à masquer les parties techniques du module.
Qu'elle ajoute que tant l'expert Adamsbaum qu'Infra Plus ont reconnu l'existence du caractère esthétique du module lequel doit être apprécié dans son ensemble et non pas élément par élément ;
Qu'enfin elle fait valoir qu'Infra Plus elle-même a démontré avec sa deuxième version qu'il était possible de modifier l'esthétique du module tout en lui conservant les mêmes caractéristiques techniques.
Considérant qu'Infra Plus et les Sociétés HBP et Technic Service répliquent que les plans en cause ne peuvent donner prise au droit d'auteur dès lors qu'ils sont purement fonctionnels et qu'aucune des formes du module ne répond à un quelconque souci d'ordre esthétique ou ornemental.
Que selon elles il est évident que la combinaison de formes fonctionnelles présente nécessairement un caractère fonctionnel.
Qu'elles précisent qu'il importe qu'il existe de multiples formes dès lors que le caractère fonctionnel d'une forme s'apprécie en ne considérant que la forme en cause à l'exclusion des autres formes possibles.
Considérant ceci étant exposé que CTM ne précisant pas dans ses écritures les caractéristiques de son module mais ne critiquant pas le définition qu'en a donné l'expert Adamsbaum il convient de s'y référer.
Que selon les constatations de l'expert que la Cour a été à même de vérifier, le module opposé et ses plans ayant été produits, le modèle se présente sous la forme d'un parallélépipède de matière plastique dont les dimensions sont de 145 x 70 x 16 mm équipé de deux rangées de 16 contacts placés face à face deux à deux.
Qu'il est complété par des moyens de fixation par encliquetage sur un rail métallique, l'ensemble étant conçu de telle façon que les différents dispositifs d'un ensemble puissent être placés côte à côte.
Que la partie accessible des contacts a la forme de pinces qui dénudent les fils de leur isolant lorsqu'ils sont placés à l'intérieur des pinces lesquelles les maintiennent par leur propre élasticité.
Que les câbles arrivent jusqu'aux contacts par des puits incurvés dont les dégagements se trouvent de part et d'autre du dispositif de telle sorte que les câbles allant vers les abonnés d'une installation téléphonique puissent sortir d'un côté et les câbles allant vers l'autocommutateur puissent sortir de l'autre côté.
Que des fiches de coupure et les fiches de tests peuvent être insérées entre les contacts et le module peut comporter également des étiquettes et porte étiquettes.
Considérant que si les articles L. 112.1 du Code de la Propriété Intellectuelle protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit et notamment les plans, croquis relatifs aux sciences et toutes créations originales de forme quel qu'en soit le mérite esthétique ou la valeur artistique, il n'en demeure pas moins que l'auteur de l'œuvre doit être animé du souci de donner à celle-ci une valeur nouvelle dans le domaine de l'agrément, de l'esthétique, séparable du caractère fonctionnel de l'objet envisagé ; ce caractère relevant éventuellement des dispositions de la loi du 2 janvier 1968 sur les brevets d'invention.
Considérant que la création doit être commandée par un souci ornemental et non exclusivement par une préoccupation fonctionnelle.
Considérant enfin que s'il est exact qu'un même objet peut être protégé par la loi sur les brevets et celle sur le droit d'auteur encore faut-il que la forme ne soit pas imposée par le résultat technique qu'elle procure.
Or, considérant qu'en l'espèce les éléments caractéristiques du module à savoir la forme des deux pattes d'encliquetage sur le rail, de l'embase, du support de contacts, des contacts auto dénudants et des flasques, même si elles ne sont pas normalisées, sont imposées par des nécessités fonctionnelles et ne répondent qu'au souci d'adapter les formes à leur fonction et au résultat industriel poursuivi à savoir faciliter l'encliquetage sur un rail et l'introduction des fiches de coupure ou de test, permettre le câblage de deux fils, rationaliser la mise en œuvre des fils.
Que de même la présence de guide fils sur le module CTM est également strictement fonctionnelle.
Que la combinaison de ces formes et caractéristiques fonctionnelles à supposer qu'elle existe au sens de la loi sur les brevets est elle-même inséparable du résultat industriel qu'elle procure et ne répond à aucun critère d'ordre ornemental.
Qu'il importe peu qu'il existe des modules de raccordement de forme différente dès lors qu'en l'espèce la forme obtenue et sur laquelle un droit privatif est revendiqué est inséparable du résultat industriel poursuivi et ne répond nullement à une recherche d'ordre esthétique ou ornemental.
Considérant que le simple choix de la couleur grise pour les flasques et de la couleur bleue pour les supports de contact, sans combinaison spécifique n'est pas de nature à conférer au module une physionomie propre susceptible d'être protégée par le droit d'auteur, la loi n'accordant une protection qu'à une disposition particulière de couleurs créant un effet décoratif.
Considérant que les plans du module pris en eux-mêmes ne présentent pas davantage un caractère esthétique.
Qu'ils ne portent que sur des éléments techniques directement liés au caractère fonctionnel du module : côtes, formes de l'embase auto-encliquetable, dessins de la face intérieure de la flasque passe fil et du support de contact.
Que le dessinateur n'a nullement cherché à conférer un caractère artistique à la représentation de ces divers éléments mais simplement voulu les représenter le plus exactement possible pour des nécessités techniques afin d'en permettre la réalisation.
Que rien dans le tracé, la disposition des pièces du module les unes par rapport aux autres ne révèle un effort de création.
Considérant par ailleurs que CTM ne saurait tirer une quelconque de la mention de l'adjectif " esthétique " dans le catalogue 1989 de la société Infra Plus dès lors que celui-ci ne concernait pas le module de raccordement pour répartiteurs téléphoniques mais d'autres produits consistant en un module dit " technique " et en un répartiteur mural.
Considérant enfin que si le dessin du logo CTM sur les flasques du module de raccordement ne relève pas du domaine industriel, n'est pas fonctionnel, il n'en demeure pas moins que ce dessin est entièrement différent de celui adopté par Infra Plus.
Considérant dans ces conditions que le modèle de module de raccordement opposé par CTM n'est pas protégeable par le droit d'auteur et que le seul dessin du logo CTM n'étant pas reproduit par Infra Plus, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté CTM de sa demande en contrefaçon.
II. Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que CTM qui se fonde tant sur l'article 700 du 1382 du Code civil que sur l'article 10 bis de la Convention d'Union de Paris soutient qu'Infra Plus s'est livrée à son encontre à des actes de concurrence déloyale en copiant servilement le module de raccordement qu'elle avait mis au point en 1983 et ce, après avoir débauché son équipe de direction, démarché ses clients et distributeurs, utilisé les mêmes sous-traitants, ainsi que des moules propres aux produits de CTM et travaillé sur les plans qui étaient sa propriété.
Qu'elle précise que tous les autres boîtiers de raccordement réalisés par les sociétés concurrentes à l'exclusion de ceux de Mars Actel, laquelle a conclu un accord avec CTM, ont une forme et une configuration qui les distinguent de manière incontestable de ceux de CTM et qu'Infra Plus ne saurait en aucune façon invoquer un quelconque impératif de base, de comptabilité ou d'interchangeabilité pas plus qu'une norme ou un standard de fait lesquels n'ont jamais existé.
Qu'elle ajoute que le droit à l'interchangeablilité à supposer qu'il existe ne peut autoriser un concurrent à se livrer à un pillage organisé du fruit du travail d'autrui et à copier la forme de ses produits.
Qu'enfin elle fait valoir qu'Infra Plus qui a cherché à réaliser un module identique sans frais d'étude, sans la moindre mise au point en puisant chez CTM ses plans et ses moules s'est livrée à une concurrence parasitaire laquelle est condamnable indépendamment de tout risque de confusion.
Considérant qu'en ce qui concerne les sociétés HBP Technic Service et 2 Art, elle soutient que leur attitude est tout autant condamnable dès lors qu'il s'agit de revendeurs professionnels qui connaissaient le module CTM et qu'elle avait mis en garde avant de les assigner.
Considérant qu'Infra Plus réplique que la reproduction d'un objet fonctionnel n'est pas constitutive de concurrence déloyale et que CTM ne peut lui reprocher d'avoir conçu un module de raccordement interchangeable avec le sien et ce, d'autant plus que le module de CTM constitue un standard de fait sur le marché de sorte qu'un module de raccordement qui ne serait pas interchangeable avec celui-ci serait voué à un échec certain.
Qu'elle ajoute qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux modules et s'appuie sur ce point sur les constatations de l'expert.
Qu'elle reconnaît simplement avoir commis une faute en utilisant les plans de CTM pour établir ceux de son propre module de raccordement mais soutient que cette faute n'est pas de nature à affecter la licéité de son module et ne saurait donc permettre à CTM de demander l'arrêt de son exploitation.
Qu'elle en conclut que sa faute n'a faussé le jeu normal de la concurrence que dans la seule et unique mesure de l'économie par elle réalisée laquelle correspond aux frais qu'elle aurait dû exposer pour établir des plans.
Considérant que HBP et Technic Service font valoir que CTM ne démontre pas qu'elles aient présenté les modules litigieux de manière à provoquer une confusion dans l'esprit des acheteurs potentiels et qu'en outre une telle confusion était impossible compte tenu de l'aspect très différent des deux modules.
Considérant les moyens des parties étant ainsi exposés qu'il convient de rappeler qu'un long contentieux a opposé et oppose soit directement soit indirectement les sociétés CTM et Infra Plus suite au départ de Monsieur Nozick de la Société CTM, de la cession de l'intégralité des actions qu'il détenait à la société Henri Pouyet et à la création par celui-ci d'une société directement concurrente Infra Plus.
Que toutefois, par un précédent arrêt en date du 30 septembre 1992, la 4e Chambre de cette Cour a débouté CTM de l'action en concurrence déloyale qu'elle avait intentée à l'encontre d'Infra Plus et de Messieurs Nozick et Kibler en invoquant des faits de détournement de clientèle, publicité comparative, débauchage de personnel, désorganisation des circuits d'approvisionnement et de distribution.
Que CTM ne peut donc plus faire état de tels griefs dans le cadre de la présente instance et que seuls ceux relatifs à la copie du module de raccordement, aux plans et aux moules peuvent être valablement invoqués.
Considérant qu'en ce qui concerne les modules il est incontestable qu'ils ont les mêmes dimensions, la même forme parallélépipédique, le même nombre de contacts auto dénudants, que les flasques ont le même profil, que les orifices d'entrée et de sortie des fils se présentent à peu près de la même façon dans les deux réalisations.
Mais considérant qu'indépendamment de toute réglementation créant des normes facultatives ou obligatoires des similitudes résultent d'une nécessité fonctionnelle ou de l'élaboration de produits standard.
Considérant qu'ainsi que le remarque M. Adamsbaum (p. 15 du rapport) dans une installation téléphonique quelque peu importante, le répartiteur, qui permet de réaliser les interventions relatives aux différents postes de l'installation sans toucher à l'auto commutateur, est un organe relativement complexe sur lequel les interventions sont fréquentes.
Que des efforts ont donc été faits pour rendre les répartiteurs plus modulaires, pour rendre leur structure plus compréhensible et pour augmenter la productivité des intervenants.
Considérant que le caractère interchangeable des composants est de nature à répondre à cette préoccupation.
Que l'existence d'un standard de fait sur le marché français en matière de câblage des immeubles se trouve confirmée par le document établi par le syndicat National des Installateurs en Télécommunications et courants faibles (SNIT) en octobre 1991.
Que ce document dont l'expert n'a pas eu connaissance et à l'élaboration duquel il n'est pas démontré que Monsieur Nozick ait participé, constate un usage antérieur en matière de câblage (p. 4).
Qu'il précise notamment page 17 que "la connectique de brassage se présente sous forme de modules CAD encliquetables sur un rail aluminium formant le châssis des répartiteurs. Ces modules constituent un standard de fait sur le marché français, leurs formes et dimensions doivent être interchangeables sur le rail TBT."
"Que les modules utilisés sont équipés de 8 paires de contacts autodénudants (CAD) doubles, intègrent des canaux passe fils individuels et s'encliquètent sur le rail TBT au pas de 16 mm. Que leur largeur est de 145 mm et conditionne le pas minimum des fermes de répartiteur de 250 mm."
Que ce document mentionne également qu'il faut veiller pour des raisons d'exploitation à ne pas mélanger sur une même installation des modules qui ne soient pas interchangeables.
Qu'enfin il indique qu'outre un étiquetage latéral intégré aux modules de dimension utile 16 x 8 mm, ceux-ci devront comporter des portes étiquettes individuels de dimensions utiles 130 x 8 mm permettant d'identifier les liaisons ou câbles raccordés.
Qu'il résulte tant du rapport de l'expert (p. 23 et 27) que du document SNIT que la fonction remplie par les modules est identifiée par la couleur des supports de contact : bleu, vert, jaune, rouge.
Considérant qu'il apparaît donc que pour rendre les interventions plus faciles sur les répartiteurs, il était nécessaire d'utiliser des modules interchangeables.
Que de cette interchangeabilité découlent, ainsi que le relève l'expert (p. 24.30.31 du rapport), des ressemblances notamment quant aux dimensions, à la forme parallélépipédique du module, à celle du porte étiquettes, des orifices d'entrée et de sortie des fils, au nombre de contacts autodénudants.
Que ces ressemblances dès lors qu'elles procèdent de nécessités fonctionnelles ne sont pas constitutives de concurrence déloyale.
Que CTM ne saurait se prévaloir du fait qu'il existe d'autres boîtiers présentant une configuration distincte dès lors qu'il n'est pas établi que ces répartiteurs soient interchangeables avec les siens.
Considérant qu'il appartient toutefois à la Cour de rechercher si Infra Plus n'a pas par son comportement manifesté la volonté d'engendrer la confusion entre les fabrications.
Considérant que contrairement à ce que soutient CTM, le module Infra Plus ne constitue pas une copie servile, un surmoulage du sien.
Qu'en effet
- en adoptant pour les flasques en matière plastique la couleur noire alors que CTM utilise le gris,
- en donnant une forme distincte :
* aux dispositifs d'encliquetage sur le rail : 2 pattes identiques et flexibles pour Infra Plus une patte flexible et une fixe chez CTM + butée entre les pattes chez CTM et à l'extérieur chez Infra Plus
* aux guides fils : deux pattes moulées avec les flasques chez CTM et placées côte à côte sur une même ligne - deux pattes moulées avec l'embase chez Infra Plus et placées en biseau,
* aux orifices des supports de contact,
- en prenant soin de faire figurer sa dénomination sur chacune des flasques ainsi que sur le support du contact,
Infra Plus a manifesté sa volonté de différencier son produit de celui de CTM.
Qu'au surplus, l'expert relève (rapport p. 23) que dans le module Infra Plus les orifices permettant l'introduction des fiches de coupure ou de test présentent un biseau qui n'existe pas chez CTM et qui facilite l'introduction des fiches de coupure.
Considérant que les modules de répartition étant des objets destinés à des professionnels, les installateurs en télécommunication, ceux-ci savent que les modules offerts par Infra Plus et CTM sont interchangeables mais ils ne peuvent être trompés sur leur origine dès lors que les modules de raccordement sont individualisés par le nom du fabricant et que celui d'Infra Plus ne constitue pas un surmoulage de celui de CTM.
Qu'ils sont également aptes à percevoir les avantages particuliers à chaque catégorie de modules.
Considérant que CTM ne faisant grief à Infra Plus et aux trois distributeurs mis en cause que d'avoir commercialisé un modèle de raccordement identique au sien, le jugement doit être confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande du chef de concurrence déloyale à l'encontre d'Infra Plus, HBP, Technic Service et 2 Art.
Considérant toutefois que s'il ne peut être reproché à Infra Plus pour les motifs ci-dessus exposés d'avoir fabriqué un module qui soit interchangeable avec celui de CTM, en revanche Infra Plus en recopiant servilement, voire même en photocopiant les plans du module de CTM pour réaliser le sien, en se contentant de gratter la cartouche CTM, a rompu l'égalité dans la compétition économique.
Que grâce à cette manœuvre qui lui a permis d'éviter d'engager des frais de recherche et de mise au point et donc d'être, quelques mois après sa création, directement opérationnelle sur le marché du câblage téléphonique, Infra Plus a réalisé une économie injustifiée qui constitue un acte de parasitisme économique.
Considérant que, s'agissant des moules, aucune faute ne peut être imputée à Infra Plus.
Considérant qu'il résulte certes de la saisie contrefaçon pratiquée le 15 décembre 1988 dans les locaux de la société Girau Guyard façonnier de CTM que celle-ci utilise les mêmes moules pour fabriquer indifféremment les supports de contacts et les flasques Infra Plus et CTM et se contente de changer une barrette placée au fond de chaque empreinte et de remplacer quelques noyaux correspondant à la marque.
Mais considérant que Monsieur Heraud représentant de la société Girau Guyard ayant déclaré à l'huissier que les moules étaient la propriété de sa société, affirmation dont CTM ne démontre pas qu'elle soit fausse, il ne peut être fait grief à Infra Plus d'avoir utilisé les moules de CTM.
Considérant qu'aucun acte de parasitisme ne peut être imputé à HBP, Technic Service et 2 Art simples distributeurs.
Qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et n'étant liées par aucun contrat d'approvisionnement exclusif avec CTM, elles étaient en droit de s'adresser à Infra Plus.
III. Sur les mesures réparatrices
Considérant que le module de CTM n'étant pas protégeable par le droit d'auteur et cette société ne pouvant s'opposer à sa reproduction dès lors que celle-ci n'est pas à l'origine d'un risque de confusion, il ne peut être fait droit aux demandes d'arrêt d'exploitation et de destruction du module Infra Plus pas plus qu'au paiement d'une indemnité au titre de cette exploitation.
Considérant que CTM ne peut demander réparation que du préjudice par elle subi du fait de l'utilisation de ses plans de fabrication ;
Considérant qu'il convient de rappeler que les contacts auto dénudants dont au demeurant les plans n'ont pas été trouvés chez Infra Plus sont couverts par des brevets Mars Actuel, société qui en a concédé la licence à CTM et à Infra Plus.
Considérant qu'en raison du nombre limité, deux, et de la relative simplicité technique des plans en cause, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice de CTM en lui allouant la somme de 250 000 F.
IV. Sur les demandes reconventionnelles
a) d'Infra Plus
Considérant qu'Infra Plus soutient tout d'abord que CTM a fait preuve d'un comportement abusif dans le cadre de la procédure de saisie-contrefaçon d'une part en sollicitant la suspension de la fabrication du module de raccordement, d'autre part, en appréhendant de nombreux documents n'ayant pas le moindre rapport avec les actes de contrefaçon incriminés mais contenant diverses informations d'ordre commercial.
Mais considérant que la saisie des documents ayant été d'une part prescrite par ordonnance en date du 8 décembre 1988, Infra Plus ne saurait qualifier d'abusif le comportement de CTM et ce, d'autant plus qu'un lourd contentieux opposait à cette date les deux sociétés.
Qu'au surplus, il convient de relever que les documents saisis sont soit des factures d'Infra Plus relatives à la vente du module en cause, soit des devis émanant du façonnier Girau Guyard pour la réalisation des moules afférents audit module ou encore des commandes et observations adressées par Infra Plus à Girau Guyard pour ce même objet ou bien des devis ou factures émis par d'autres façonniers pour des moules ou des contacts.
Qu'aucun abus n'a été commis dans la saisie de ces pièces dès lors que le juge des requêtes avait expressément autorisé l'huissier instrumentaire à saisir réellement ou sous forme de photocopie tous documents de quelques nature qu'ils soient permettant de déterminer l'origine, l'étendue et la destination de la contrefaçon alléguée.
Qu'outre le fait que la Cour d'appel de Paris par arrêt du 21 avril 1989, a mis fin à la mesure de suspension, Infra Plus ne rapporte pas la preuve que CTM a cherché à paralyser toutes ses activités, d'autres types de produits étant commercialisés par Infra Plus si on se réfère au tarif 1989 saisi.
Que ce moyen n'est donc pas fondé.
Considérant en revanche qu'Infra Plus soutient à juste titre que CTM a commis une faute en donnant une intense publicité à la mesure de suspension des fabrications.
Considérant en effet qu'il résulte des pièces mises au débat que CTM n'a pas hésité à adresser en décembre 1988 une circulaire à plusieurs distributeurs et clients dans laquelle elle mentionne qu'une petite entreprise récente Infra Plus dont le président est Monsieur Nozick a copié certains de ses produits et dérobé certains outillages, qu'une procédure est en cours et que la suspension des fabrications incriminées a été ordonnée par décision du Tribunal de grande instance de Créteil.
Que bien plus alors que par ordonnance de référé en date du 19 janvier 1989 non frappée d'appel, il avait été fait interdiction sous astreinte à CTM de donner une quelconque publicité aux agissements reprochés à Infra Plus et aux poursuites intentées à son encontre, CTM n'a pas craint de diffuser postérieurement à cette ordonnance, le plus souvent de manière anonyme des exemplaires de l'ordonnance du 8 décembre 1988 du président du Tribunal de grande instance de Créteil ayant suspendu la fabrication du module de raccordement incriminé et de celle du juge des référés du 12 janvier 1989 disant n'y avoir lieu de rapporter cette mesure et ce, alors que cette dernière ordonnance était frappée d'appel.
Considérant qu'en agissant ainsi, CTM a délibérément dénigré publiquement Infra Plus, nommément désignée dans les actes diffusés.
Considérant que les nombreuses lettres produites par Infra Plus démontrent que plusieurs sociétés se sont abstenues de lui passer commande en raison des procédures judiciaires engagées à son encontre ou lui ont demandé des explications.
Qu'il en est résulté pour Infra Plus un préjudice commercial incontestable et d'autant plus important qu'elle venait de commencer ses activités et une atteinte à son image de marque, à la probité commerciale.
Que la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour, s'en qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise, fixer le préjudice d'Infra Plus à la somme de 500 000 F.
b) d'HBP et Technic Service
Considérant que ces deux sociétés font valoir que CTM leur a causé un préjudice moral et financier en propageant auprès de leurs clients l'idée qu'elles vendraient les articles de contrefaçon.
Mais considérant qu'HBP et Technic Service ne versent au débat aucune pièce à l'appui de leurs allégations.
Qu'au surplus, il convient d'observer que les ordonnances diffusées par CTM ne mentionnent nullement les noms d'HBP et Technic Service.
Qu'en conséquence ces deux sociétés seront déboutées de leur demande de ce chef.
V. Sur l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile
Considérant qu'Infra Plus et CTM qui succombent partiellement seront déboutées de leur demande à ce titre.
Considérant que l'équité commande d'allouer à chacune des sociétés HBP et Technic Service pour les frais hors dépens engagés en appel une somme supplémentaire de 2 500 F
Par ces motifs : Confirme par substitution de motifs le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Infra Plus de sa demande en paiement de dommages et intérêts, Le réformant de ce chef et y ajoutant, Condamne la société Compagnie Télétechnique Moderne CTM à payer à la Société Infra Plus la somme de cinq cents mille francs (500 000 F) à titre de dommages et intérêts, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Compagnie Télétechnique Moderne CTM à payer à chacune des sociétés HBP et Technic Service, la somme supplémentaire de 2 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. La Condamne aux dépens. Admet la SCP Teytaud et Me Baufume Avoué au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.