CA Toulouse, 2e ch., 15 juin 1994, n° 3061-93
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Montenay Froid Sud-Ouest Cryo Services (Sté)
Défendeur :
Centre Technique Hôtelier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Darde (faisant fonction)
Conseillers :
Mme Ignacio, M. Cousteaux
Avoués :
Me de Lamy, SCP Malet
Avocats :
Mes Rouzaud, Olhagaray.
Faits, procédure et prétentions
Par acte du 25 février 1993, la société anonyme Centre Technique Hôtelier (CTH) a fait assigner la société Montenay Froid Sud Ouest devant le tribunal de commerce de Toulouse pour qu'il lui soit ordonné sous astreinte de mettre fin à l'emploi de l'un de ses salariés, M. Uhlmann, qu'elle avait elle-même à son service auparavant, et qui a démissionné pour entrer dans la société Montenay directement concurrent, alors qu'il était lié par une clause de non-concurrence qui avait été portée à la connaissance du nouvel employeur, et la faire condamner à lui payer 2 000 000 F de dommages-intérêts ;
Dans son jugement du 7 juin 1993 le tribunal faisait droit à la demande mais en limitant les dommages-intérêts à 50 000 F.
Par déclaration reçue le 14 juin 1993 et inscrite le 30 juin suivant, la société Montenay a interjeté appel de ce jugement et a conclu le 12 octobre 1993 en demandant à la Cour de la réformer en toutes ses dispositions et de condamner la société CTH à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle soutient en premier lieu que la demande est irrecevable puisque la société CTH avait déjà saisi le tribunal aux mêmes fins pour ensuite se désister de l'instance et de l'action, l'ordonnance rectificative obtenue pour dire qu'il y avait seulement désistement d'instance étant nulle pour ne pas avoir été prise contradictoirement.
Elle fait valoir en second lieu sur le fond que M. Uhlmann s'est présenté comme libre de tout engagement et que la clause ne lui a été notifiée qu'après que ce salarié eut pris ses nouvelles fonctions, et surtout qu'elle ne pouvait être condamnée sans que le salarié lui-même ait été condamné par le Conseil des Prud'hommes, le Tribunal de Commerce ne pouvant apprécier la validité et la portée de la clause.
Elle ajoute enfin que dans tous les cas la société CTH ne démontre pas avoir subi un préjudice lié à l'embauche de ce salarié qui l'a quittée le 31 décembre 1992.
Dans ses conclusions du 17 novembre 1993, la société CTH poursuit la confirmation du jugement entrepris et réclame 500 000 F de dommages-intérêts outre 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle rappelle qu'elle ne s'est pas désistée de l'action mais seulement de l'instance en référé et qu'au fond, le Conseil de Prud'hommes a fait droit à sa demande contre M. Uhlmann.
Incidemment elle fait valoir que si ce salarié n'est plus dans la société Montenay il est au service de la société FCS ; qui a racheté la branche d'activité qui faisait litige, de sorte que son préjudice n'a pas cessé, la société Montenay n'ayant usé que d'un stratagème par le biais de l'article L. 122-12 du code du travail, pour perpétuer ses actes de concurrence déloyale par personne interposée.
Sur quoi, motifs de l'arrêt
Vu les débats et les pièces introduites.
Vu l'article 1382 du code civil.
Sur l'exception d'irrecevabilité
Attendu que l'ordonnance rectificative du 25 mars 1993 indique expressément que c'est en raison d'une simple erreur matérielle que la précédente ordonnance du 24 septembre 1992 a constaté le désistement d'action de la société CTH, alors qu'il s'agissait seulement d'un désistement d'instance ;
Attendu que la société Montenay ne saurait actuellement contester la régularité de cette ordonnance rectificative qui n'avait pas, selon elle, été prise contradictoirement, alors qu'elle n'a pas saisi la juridiction qui seule pouvait connaître d'une telle contestation ; qu'en tout cas, la Cour ne peut dans le présent recours, apprécier la régularité d'une décision qui n'est pas celle dont appel est interjeté ;
Qu'en cet état, l'ordonnance rectificative est valable tant qu'il n'en a pas été jugé autrement et l'on ne peut alors que relever que le juge commercial a seulement constaté le désistement d'instance, de sorte que l'exception d'irrecevabilité de la demande actuelle n'est pas fondée ;
Sur le fond
Attendu qu'il ressort du certificat de travail délivréà Michel Uhlmann par la société CTH le 10 juin 1992 que ce salarié a quitté cette entreprise le même jour, libre de tout engagement; qu'ainsi la société CTH par cette déclaration générale et sans réserve a nécessairement renoncé à se prévaloir de la clause de non-concurrence qu'elle avait imposée à ce salarié dans son contrat de travaildu 9 août 1990, auquel elle se réfère, et qu'elle lui avait rappelée dans sa lettre du 21 août 1992, prenant acte de sa démission ;
Attendu qu'en l'état de cette renonciation par une affirmation spontanée et sans réserves, et alors surtout qu'elle ne prouve pas que la société Montenay connaissait la clause litigieuse au moment où elle s'est engagée envers Michel Uhlmann, la société CTH ne peut ensuite deux jours après mettre en garde l'appelante en se référant à ladite clause, alors encore qu'elle ne pouvait ignorer que le certificat de travail qu'elle délivrait pour dire notamment que Michel Uhlmann n'avait plus d'engagement envers elle, allait être porté à la connaissance d'un nouvel employeur ;
Attendu que la sociétéCTH ne peut donc pas fonder sa demande sur une clause dont elle n'entendait plus se prévaloir en libérant son salarié de tout engagement à son égard après la rupture du contrat de travail;
Attendu que le jugement sera donc réformé, pour rejeter toutes les prétentions de la société CTH sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus des moyens développés par l'appelante ; que pour autant l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en faveur de la société Montenay ;
Par ces motifs : LA COUR : Déclare l'appel recevable et fondé ; Réforme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse ; Statuant à nouveau : Rejette la demande de la société CTH ; Condamne la société CTH aux dépens de première instance et d'appel ; Rejette la demande de la société Montenay, fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.