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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 25 mai 1994, n° 93-006729

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Reverchon, Groupe Gaston Reverchon International Design (SA)

Défendeur :

Manufacturas Diester (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoué :

SCP Faure Arnaudy

Avocat :

Me Ménage.

TGI Bobigny, 5e ch., du 15 déc. 1992

15 décembre 1992

Statuant sur l'appel interjeté par Michel Reverchon et la société Groupe Gaston Reverchon du jugement rendu le 15 décembre 1992 par le tribunal de grande instance de Bobigny (5e chambre, n° 199-92) dans un litige l'opposant à la société Manufacturas Fiester.

Faits et procédure :

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et de la procédure de première instance, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

Se prévalant de leurs droits sur un modèle d'auto-tamponneuse déposé par M. Reverchon à l'OMPI le 21 septembre 1990 sous le n° DM/017665 désignant la France et exploité par la Société Reverchon, M. Reverchon et cette société ont, après que M. Reverchon ait fait procéder le 11 décembre 1991 à une saisie contrefaçon sur le stand de la Société espagnole Manufacturas Diester au Salon Forainexpo-Amusexpo au Bourget, assigné cette société devant le Tribunal de Grande Instance de Bobigny en contrefaçon de modèle.

Outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte et de publication, ils réclamaient paiement d'une somme provisionnelle de 200.000 F à valoir sur leur préjudice à déterminer par expertise par ailleurs requise, ainsi que la somme de 30.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La Société défenderesse a soulevé l'irrecevabilité des demandes au fond, elle a conclu au défaut de caractère protégeable du modèle invoqué, à l'absence de tout préjudice et elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages- intérêts et du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Le Tribunal par le jugement entrepris a :

- déclaré irrecevables toutes conclusions et pièces postérieures à l'ordonnance de clôture,

- déclaré recevables les actions de M. Reverchon et de la Société Reverchon,

- débouté ceux-ci de l'ensemble de leurs demandes,

- dit que faute pour les demandeurs d'avoir explicitement fondé leur action sur la concurrence déloyale, il ne pouvait statuer de ce chef,

- dit n'y avoir à application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,

- débouté Manufacturas Diester de sa demande en paiement de dommages-intérêts,

- condamné M. Reverchon et la Société Reverchon aux dépens.

Appelants selon déclaration du 18 mars 1993, M. Reverchon et la Société Reverchon prient la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de dire que Manufacturas Diester a commis des actes de contrefaçon du modèle appartenant à M. Reverchon,

- de dire que cette même société a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la Société Reverchon,

- d'ordonner la cessation sous astreinte de 50.000 F par infraction constatée de l'offre en vente ou de la vente en France de tout modèle contrefaisant ainsi que de toute parution publicitaire dans la presse et de toute remise de la brochure de présentation du modèle,

- de condamner Manufacturas Diester à payer à chacun des appelants la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts,

- d'ordonner dans la limite de 50.000 F la publication de l'arrêt aux frais de l'intimée,

- de condamner Manufacturas Diester à payer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Manufacturas Diester assignée le 19 juillet 1993 et réassignée le 14 janvier 1994 à Parquet n'a pas constitué avoué, étant précisé que deux lettres recommandées avec avis de réception avec copie conforme des actes lui ont été adressées les 19 juillet 1993 et 14 janvier 1994.

Sur ce, LA COUR,

I- Sur la recevabilité des demandes

Considérant que le jugement ne faisant nullement grief à M. Reverchon en ce qu'il l'a déclaré recevable à agir en contrefaçon de modèle sur le fondement de la loi du 14 juillet 1909 dès lors que celui-ci se prévaut d'un modèle déposé à l'OMPI et désignant la France, doit être confirmé sur ce point.

Que d'ailleurs M. Reverchon bien qu'il sollicite l'infirmation du jugement dans toutes ses dispositions ne critique nullement celui-ci de ce chef.

Considérant que devant la Cour la Société Reverchon fait valoir que la société intimée a commis à son égard des actes de concurrence déloyale en commercialisant un modèle similaire à celui par elle vendu et en reproduisant dans sa brochure de présentation un descriptif exactement identique au sien.

Considérant que la société appelante n'étant pas titulaire des droits de propriété du modèle opposé mais se contentant de l'exploiter en France c'est à juste titre qu'elle fonde son action sur l'article 1382 du Code Civil, la concurrence déloyale et non plus sur les dispositions des lois de 1909 et 1957.

Que copie des conclusions contenant cette demande ayant été remise dans le cadre de l'assignation et de la réassignation de la Société intimée et ce conformément aux dispositions de l'article 68 alinéa 2 du nouveau Code de Procédure Civile, celle-ci est recevable.

II- Sur la contrefaçon :

Considérant que les premiers juges ont retenu que "les innovations revendiquées par M. Reverchon ne portent l'empreinte d'aucun effort intellectuel ni la recherche d'une forme esthétique individualisée qui caractérise une création artistique en matière d'arts appliqués " ;

Qu'ils en ont déduit que le modèle n 'était pas protégeable sur le fondement de la loi du 14 juillet 1909.

Considérant que M. Reverchon fait valoir que son modèle comporte une combinaison d'éléments spécifiques lui donnant une configuration distincte et reconnaissable des modèles préexistants dont les effets extérieurs sont constitutifs de nouveauté à savoir :

- une carrosserie avec profil en coin s'élargissant régulièrement vers l'arrière, ce profil étant souligné par deux barres latérales de couleur, d'inclinaison légèrement différentes, ces barres étant prolongées vers l'arrière par une saillie remontante accompagnant le dossier des sièges,

- à l'avant des barres enserrant un feu clignotant latéral avant étroit et prolongé sur la face avant, ces barres soulignant le pourtour de la barre de la carrosserie,

- le capot comporte une large moulure centrale prolongée sur la calandre par un motif triangulaire, cette moulure étant prolongée au delà du capot et recevant le volant de direction,

- les sièges comportent deux repose-tête et des accoudoirs débordant sur la carrosserie,

- une ouverture très large,

- le capot est court et la carrosserie largement découpée sur les côtés.

Qu'il soutient qu'aucune des antériorités produites en première instance ne constitue une antériorité pertinente et il reproche au Tribunal de s'être livré à une comparaison élément par élément.

Considérant ceci exposé que seule une antériorité de toute pièce est susceptible de détruire la nouveauté d'un modèle et qu'un modèle est protégeable alors même qu'il n'inclut que des éléments du domaine public dès lors que leur réunion porte la marque personnelle de son auteur, révèle un effort de création.

Considérant qu'en l'espèce outre le fait qu'aucun des documents produits en première instance et versés aux débats en appel par M. Reverchon n'est daté, il convient de relever qu'aucune des voitures tamponneuses présentées ne reproduit l'ensemble des caractéristiques du modèle opposé.

Qu'une antériorité doit être analysée de manière synthétique et non élément par élément.

Que par ailleurs aucun des modèles ne montre une voiture présentant sur chaque côté latéral deux barres d'inclinaison différentes prolongées à l'arrière par une saillie remontante accompagnant le profil des sièges.

Qu'on ne retrouve pas davantage de modèle où le capot comporte une large moulure centrale prolongée sur la calandre par un motif triangulaire.

Considérant que même si certains des éléments constituant ce modèle sont dans le domaine public, il n'en demeure pas moins qu'en les combinant de manière à donner à son modèle d'auto tamponneuse un aspect futuriste et aérodynamique, une ligne allongée et une impression de légèreté son auteur a fait preuve de création et de recherche, conférant à son modèle un caractère original permettant de le distinguer des autres modèles d 'auto tamponneuse.

Qu'en conséquence le modèle opposé est protégeable au sens de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1909 devenu article L.511-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Considérant que la comparaison entre le modèle opposé tel que déposé et celui incriminé révèle que le deuxième reproduit les éléments caractéristiques du premier et notamment :

- les deux barres latérales d'inclinaison différente se prolongeant vers l'arrière par une saillie remontante,

- à l'avant un feu clignotant latéral avant se prolongeant sur le devant du capot et enserré par deux barres qui soulignent le pourtour de la carrosserie,

- sur le capot une large moulure centrale prolongée tant sur la calandre par un motif sensiblement triangulaire qu'au delà du capot pour recevoir le volant,

- une ouverture latérale très large et un capot court.

Que les quelques différences de détail en ce qui concerne notamment la forme de certains feux tant à l'avant qu'à l'arrière ne sont pas de nature à prévenir un risque de confusion pour un consommateur d'attention moyenne n'ayant pas simultanément les deux modèles sous les yeux dès lors que la reprise des éléments caractéristiques du modèle Reverchon confère au modèle Diester le même aspect d'ensemble.

Qu'au demeurant il convient d'observer que dès avant l'introduction de la présente procédure plusieurs constructeurs de voitures tamponneuses ont fait part aux appelants de leur étonnement devant la présentation en novembre 1990 à la foire de Valence (Espagne) d'un modèle Diester copiant la forme du modèle "Space" (modèle opposé).

Que dans ces conditions la demande en contrefaçon est bien fondée.

III- Sur la concurrence déloyale :

Considérant qu'il résulte du prospectus communiqué que la Société Gaston Reverchon International Design exploite en France depuis 1988 le modèle de M. Reverchon lequel porte la référence "Space".

Qu'en offrant à la vente en France et en vendant ainsi que cela résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon et du prospectus diffusé par son représentant en France, M. Thomas, un modèle contrefaisant celui distribué dès 1988 par la Société Reverchon, la Société intimée a commis à son égard des actes de concurrence déloyale.

Considérant par ailleurs que la Société appelante fait justement observer que la Société Manufacturas Diester n'a pas hésité à reproduire intégralement sur ses prospectus le texte de présentation du modèle Space.

Qu'un tel comportement contraire aux usages loyaux du commerce constitue également une faute au sens de l'article 1382 du Code Civil.

IV- Sur le préjudice :

Considérant que chacun des appelants sollicite paiement de la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts.

Considérant que M. Reverchon n'exploitant pas lui même son modèle, seule doit être indemnisée l'atteinte portée à ses droits privatifs.

Qu'eu égard à la relative publicité faite autour des deux modèles et compte tenu de ce que le modèle contrefaisant a été distribué en France pendant environ un an, la Cour possède des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer le préjudice subi par M. Reverchon à la somme de 10.000 F.

Considérant qu'il est indéniable que la Société Reverchon a subi un préjudice commercial du fait de la présence sur le marché français des modèles contrefaisants.

Considérant toutefois qu'aucune pièce comptable n'ayant été saisie dans le cadre de la saisie contrefaçon et la société appelante ne produisant aucun document justifiant de l'évolution de son chiffre d'affaires en ce qui concerne le modèle "Space" son préjudice sera évalué à la somme de 20.000 F.

Considérant par ailleurs qu'il convient de faire droit aux mesures d'interdiction et de publication dans les conditions précisées au dispositif.

Considérant que l'équité commande d'allouer aux appelants pour les frais hors dépens par eux engagés la somme de 5.000 F.

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré M. Reverchon recevable en son action en contrefaçon de modèle, Le confirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, Dit la Société Groupe Gaston Reverchon recevable en sa demande en concurrence déloyale, Dit que le modèle d'auto-tamponneuse déposé à l'OMPI sous le n° DM/017665 constitue une œuvre protégeable au sens de l'article L. 511-3. du Code de la Propriété Intellectuelle, Dit que le modèle fabriqué et commercialisé par la Société Manufacturas Diester sous la référence Galaxia et dont les photographies sont annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon constitue une contrefaçon du modèle de M. Reverchon, Condamne la Société Manufacturas Diester à payer à M. Reverchon la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts, Dit que la Société Manufacturas Diester a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la Société Groupe Gaston Reverchon International Design, La condamne à lui payer la somme de 20.000 F à titre de dommages-intérêts, Fait interdiction à la Société Manufacturas Diester d'offrir en vente et de vendre en France le modèle contrefaisant sous astreinte de 20.000 F par infraction constatée, Autorise les appelants à faire publier le dispositif du présent arrêt dans deux publications de leur choix et aux frais de la société intimée sans que le coût total des insertions puisse excéder la somme de 30.000 F HT, Condamne la Société Manufacturas Diester à payer à M. Reverchon et à la Société Groupe Gaston Reverchon International Design une somme globale de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, La condamne aux dépens d'instance et d'appel et admet la SCP Faure Arnaudy Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.