Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 19 mai 1994, n° 92-9701

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres de l'Estérel (Sté)

Défendeur :

Delesse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carrie

Conseillers :

M. Degrandi, M. Isouard

Avoué :

SCP de Saint Ferreol & Touboul

Avocat :

Me Cahen.

T. com. Toulon, prés., du 15 avr. 1992

15 avril 1992

La société Pompes Funèbres de l'Estérel a relevé appel d'une ordonnance du Président du tribunal de commerce de Toulon du 15 avril 1992 qui lui a interdit d'utiliser ou de faire utiliser sous quelque forme que ce soit le nom patronymique Leclerc précédé ou non du prénom Michel, seul le nom du gérant pouvant être associé à l'enseigne, sous astreinte de 2 000 F par infraction constatée.

Elle expose qu'elle exerce son activité conformément à un contrat de franchise, notamment sur la marque Roc'Eclerc.

Elle a conclu par ailleurs un contrat de travail avec Michel Leclerc.

Elle soulève le défaut de qualité pour agir de la société Delesse en faisant valoir que cette dernière se prévaut de décisions rendues entre Edouard Leclerc et son frère Michel interdisant à ce dernier l'usage de nom Leclerc à titre de marque, auxquelles elle est étrangère.

Elle invoque l'absence de troubles manifestement illicites et l'existence d'une contestation sérieuse.

Elle soutient que l'utilisation dans son enseigne du nom de Michel Leclerc, directeur commercial et de la marque Roc'Eclerc, ne sont pas de nature à entraîner une confusion avec les Centres Leclerc animés par Edouard Leclerc.

D'autre part, la société Delesse ne rapporte pas la preuve d'un fait dommageable, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice.

De surcroît il n'existe pas de parasitisme entre les Pompes Funèbres de l'Estérel et les Centres Edouard Leclerc, leurs activités étant distinctes.

Enfin la mention du nom Michel Leclerc en qualité de directeur n'apparaît pas trompeuse au sens de la loi du 27 décembre 1973, alors de surcroît que ce dernier a acquis une notoriété dans le secteur des pompes funèbres, que l'usage de son nom ne saurait lui être interdit au regard des dispositions de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, et que les publicités sont conformes aux termes de l'article 1 de la loi du 29 décembre 1979.

L'appelante conclut à la réformation de l'ordonnance et sollicite 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La Société Delesse, régulièrement assignée, n'a pas constitué avoué.

Motifs de la décision

La société Delesse n'a pas fondé sa demande sur le droit de marques, mais sur la concurrence déloyale résultant de l'utilisation du nom de Michel Leclerc, constitutive d'un trouble manifestement illicite.

La société Delesse, qui ne revendiquait pas l'exécution de décisions, rendues entre Edouard et Michel Leclerc, sur l'utilisation du nom Leclerc à titre de marque, avait donc qualité pour agir.

Aux termes de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile, le Président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'ordonnance déférée a relevé que dans une publication du 11 au 17 avril 1992 , les lettres noires du titre Pompes Funèbres de l'Estérel ont une hauteur de 9,5 mm, que le nom du directeur commercial, Michel Leclerc, est en rouge et la hauteur des lettres et de 12,5 mm, que le nom de Michel Leclerc est à nouveau mentionné plus vas en lettres rouges de 4 mm, alors que celui du gérant de la société ne l'est pas.

Elle a également noté qu'un document du 10 octobre 1991 établi sur le papier commercial des Pompes Funèbres de l'Estérel mentionne à la partie supérieure " Direction : Michel Leclerc, et en partie basse : Gérant : M. Wilmont ".

S'il est vrai que l'utilisation de ses nom et prénom à des fins publicitaires et ouverte à tous commerçants, faut-il encore que ce droit s'exerce d'une façon loyale, sans entraîner dans l'esprit des clients une confusion avec d'autres entreprises.

Or en l'espèce, l'utilisation par la société Pompes Funèbres de l'Estérel du nom Michel Leclerc de façon ostentatoire, est manifestement destinée, en profitant abusivement de la renommée des Centres Leclerc créés par Edouard Leclerc, à détourner à son profit la clientèle en lui laissant croire qu'elle s'adresse à un magasin faisant partie du groupe des Centres Leclerc.

Cette confusion est d'ailleurs renforcée par l'utilisation d'un papier commercial mentionnant : " Pompes Funèbres de l'Estérel : Direction Michel Leclerc ", ce qui laisse supposer que l'entreprise est dirigée par ce dernier.

Cette publicité est mensongère et tombe sous le coup des dispositions de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1993 qui interdit toute publicité comportant des indications de nature à induire en erreur sur l'identité des prestataires.

Vainement la société appelante prétend-elle que Michel Leclerc exerce une activité de directeur commercial au sein de l'entreprise.

Outre le fait qu'il perçoit un salaire minime, ce qui confirme que le contrat de travail dont il bénéficie n'est qu'un montage destiné à tenter de masquer le caractère déloyal de l'usage du nom, il n'est pas habituel en matière commerciale pour une société de faire figurer dans son enseigne, en caractères particulièrement apparents, le nom d'un directeur commercial.

Enfin il n'est nullement démontré que Michel Leclerc ait acquis une notoriété qui soit distincte de celle des Centres Leclerc créés par Edouard Leclerc, de nature à annihiler tout risque de confusion entre les entreprises.

La société appelante invoque la Convention Européenne des Droits de l'Homme sans autrement préciser en quoi leurs dispositions auraient été méconnues.

L'existence et l'importance d'un préjudice n'ont pas à être démontrées, dès lors que l'ordonnance de référé a justement pour objet d'en prévenir les effets, et alors que des actes déloyaux créent nécessairement un préjudice, fut-il simplement moral.

L'ordonnance déférée doit être confirmée.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée ; Condamne la société Pompes Funèbres de l'Estérel aux dépens d'appel.