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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 19 mai 1994, n° 92-7663

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pompes funèbres de l'Estérel (SA), Leclerc, Chavinier (ès qual.)

Défendeur :

Pompes funèbres du Sud-Est Roblot (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carrie

Conseillers :

MM. Degrandi, Isouard

Avoués :

SCP de Saint Ferreol & Touboul, SCP Sider, SCP Blanc

Avocats :

Mes Cahen, Duminy, Boclaine.

T. com. Toulon, prés., du 30 mars 1992

30 mars 1992

La société Pompes Funèbres de l'Esterel et Michel Leclerc ont relevé appel d'une ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce de Toulon le 30 mars 1992 qui a mis hors de cause Me Chavinier et a fait interdiction à la société Pompes Funèbres de l'Esterel d'utiliser ou de faire utiliser le nom de Michel Leclerc sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée.

Ils soulèvent l'incompétence de la juridiction commerciale au profit de la juridiction civile de Toulon au motif que Michel Leclerc n'est pas commerçant.

Ils invoquent le défaut de qualité pour agir de la société Pompes Funèbres du Sud-Est, en faisant valoir que cette dernière se prévaut de décisions rendues entre Edouard Leclerc et son frère Michel interdisant à ce dernier l'usage du nom Leclerc à titre de marque, auxquelles elle est étrangère.

Ils soutiennent que les mesures sollicitées se heurtent à une contestation sérieuse et qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite.

Ils observent à cet égard qu'aucune confusion entre les magasins Roc Eclerc vendant des articles funéraires et les magasins d'alimentation E. Leclerc n'est démontrée.

L'article 17 de la loi du 4 janvier 1991 dispose que l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.

La publicité incriminée n'est pas illicite, dès lors que les indications sont exactes, Michel Leclerc était titulaire d'un contrat de travail.

D'autre part, ce dernier bénéficie aujourd'hui d'une notoriété qui le distingue des Centres Leclerc.

Enfin la liberté d'user de son nom est reconnue par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et la loi du 6 fructidor An II.

Les appelants concluent à la réformation de la décision et sollicitent 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Pompes Funèbres du Sud-Est réplique que les publicités faites par la société Pompes Funèbres de l'Esterel ont un caractère illicite, dès lors que par arrêt de la Cour d'appel de Paris des 28 mars 1985 et 22 mars 1990 il a été fait interdiction à Michel Leclerc d'utiliser son nom en matière commerciale.

Sur la compétence, elle observe qu'elle exerce non une action en contrefaçon de marque, mais en concurrence déloyale et qu'ainsi le juge des référés du tribunal de commerce était compétent.

Sur le fond, elle fait valoir qu'il existe un risque de confusion entre les entreprises de pompes funèbres à l'enseigne Michel Leclerc et les Centres Leclerc animés par Edouard Leclerc.

Les publicités incriminées violent l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 qui interdit toute publicité de nature à induire en erreur.

Elle demande à la cour de confirmer en son principe l'ordonnance, de dire que l'arrêt sera commun et opposable à Me Chavinier ès-qualités de liquidateur judiciaire de Michel Leclerc, d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Me Chavinier 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de porter à 5 000 F l'astreinte, de condamner la société Pompes Funèbres de l'Esterel à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Me Chavinier, ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de Michel Leclerc, conclut à la confirmation de la décision.

Motifs de la décision :

Sur la compétence :

Michel Leclerc a été attrait à la procédure dans le cadre de son activité au sein de la société Pompes Funèbres de l'Esterel.

La société Pompes Funèbres de l'Esterel ne rapporte pas la preuve que celle-ci ait conféré à Michel Leclerc la qualité de commerçant, de sorte que le juge des référés du Tribunal de commerce de Toulon n'était pas compétent, le caractère indivisible du litige n'étant pas contesté.

La société Pompes Funèbres de l'Esterel étant domiciliée à Toulon et l'article 42 du nouveau Code de procédure civile permettant au demandeur de saisir à son choix la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux en cas de pluralité de défendeurs, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Toulon était compétent.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence étant juridiction d'appel de la juridiction compétente, il y a lieu de statuer conformément à l'article 79 du nouveau Code de procédure civile.

Sur le droit d'action de la société Pompes Funèbres du Sud-Est :

Si la société Pompes Funèbres du Sud-Est ne peut agir en contrefaçon d'une marque dont elle n'est pas titulaire, elle est par contre recevable à demander qu'il soit mis fin au trouble illicite dont elle se prétend victime, résultant de l'utilisation du nom Michel Leclerc dans des conditions constitutives d'une concurrence déloyale.

Elle a donc qualité pour agir.

Sur le trouble manifestement illicite :

Aux termes de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.

La société Pompes Funèbres de l'Esterel a ouvert un magasin sous l'enseigne : " Pompes Funèbres de l'Esterel - Direction commerciale : Michel Leclerc ".

Elle a procédé à une campagne publicitaire ainsi conçue : " Adieu l'enfer du monopole des pompes funèbres - Michel Leclerc garantit les prix les plus bas - Pompes Funèbres de l'Esterel Michel Leclerc ".

S'il est vrai que l'utilisation de ses nom et prénom à des fins publicitaires est ouvert à tous commerçants, faut-il encore que ce droit s'exerce d'une façon loyale, sans entraîner dans l'esprit des clients une confusion avec d'autres entreprises.

Or en l'espèce l'utilisation par la société Pompes Funèbres de l'Esterel du nom Michel Leclerc de façon ostentatoire, est manifestement destinée, en profitant abusivement de la renommée des Centres Leclerc créés par Edouard Leclerc, à détourner à son profit la clientèle, en lui faisant croire qu'elle s'adresse à un magasin du groupe des Centres Leclerc".

Cette confusion est renforcée par la campagne publicitaire mentionnant " Michel Leclerc garantit les prix les plus bas ", " Pompes Funèbres de l'Esterel Michel Leclerc ", ce qui laisse supposer que l'entreprise est dirigée par ce dernier, ce qui inexact.

Cette publicité est mensongère et tombe sous le coup de l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 qui interdit toute publicité comportant des indications de nature à induire en erreur sur l'identité des prestataires.

Vainement les appelants invoquent-ils le contrat de travail dont bénéficie Michel Leclerc.

Il n'est nullement justifié de son activité prétendue de directeur commercial et aucun bulletin de salaire n'est produit, ce qui confirme que ce contrat n'est qu'un montage destiné à tenter de masquer le caractère déloyal de l'usage du nom.

De surcroît il n'est pas habituel pour une société commerciale de faire figurer dans son enseigne le nom d'un directeur commercial.

Les appelants se réfèrent à tort à la Convention européenne des Droits de l'Homme, à la loi du 6 fructidor An II et à celle du 4 janvier 1991 sur l'usage des noms, alors que l'utilisation d'un nom patronymique à titre purement commercial doit être fait de bonne foi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Enfin il n'est nullement démontré que Michel Leclerc ait acquis une notoriété qui soit distincte de celle des Centres Leclerc créés par Edouard Leclerc, de nature à annihiler tout risque de confusion entre les entreprises.

Il convient donc d'interdire à la société Pompes Funèbres de l'Esterel d'utiliser ou faire utiliser le nom de Leclerc précédé ou non du prénom Michel sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée, pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Sur la mise en cause de Maître Chavinier :

La mise en cause de Maître Chavinier était justifiée pour lui permettre d'être informé des activités de Michel Leclerc, à la suite de sa mise en liquidation judiciaire.

Il convient de dire que le présent arrêt lui sera déclaré commun.

Sur les demandes accessoires :

Il apparaît équitable d'allouer à la société Pompes Funèbres du Sud-Est 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Infirme l'ordonnance déférée du chef de la compétence ; Dit que le juge des référés du Tribunal de grande instance de Toulon était compétent ; Statuant par application de l'article 79 du nouveau Code de procédure civile, Interdit à la société Pompes Funèbres de l'Esterel d'utiliser ou de faire utiliser sous quelque forme que ce soit le nom patronymique Leclerc, précédé ou non du prénom Michel, sous astreinte de 5 000 F (cinq mille francs) par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt ; Déclare le présent arrêt commun à Maître Chavinier ; Condamne la société Pompes Funèbres de l'Esterel à payer à la société Pompes Funèbres du Sud-Est 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Blanc et Me Latil, avoués, sur leurs affirmations de droit.